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Jungle de Nésindra

Posté : lun. 6 août 2018 09:28
par Yuimen
Jungle de Nésindra


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La vaste forêt tropicale proche de Xaoranh fut ainsi nommée en l'honneur de la Reine Sindel Nésindra tar'Nareym, qui conclut l'accord entre son peuple et les Hafiz voilà près de 14'000 ans, apportant ainsi la paix au Royaume de Sarindel.

La jungle de Nésindra est si ancienne et si dense que s'y frayer un passage nécessite machette et sueur, ceci d'autant plus qu'il y fait une chaleur étouffante et que le taux d'humidité est à son maximum. Tout est perpétuellement mouillé, la végétation exubérante ruisselle de toutes parts, rien ne peut sécher ici et la moisissure a tôt fait de ronger matières mortes comme vivantes. Insectes de tout poil, serpents, singes, oiseaux innombrables et colorés, prédateurs silencieux et proies craintives, la faune est omniprésente, hostile et bien souvent venimeuse. Plus vous vous enfoncerez dans les profondeurs de la jungle, plus vous aurez de chances de rencontrer des créatures anciennes et puissantes, tels des Loups de Thimoros ou, au pied des montagnes, de rares Fulminaires, pacifiques dans l'âme mais redoutables s'ils sont contraints de se défendre. Prenez garde aussi aux végétaux que vous touchez, le danger ne vient pas que de la faune...

Géologiquement, la jungle occupe deux terrains bien distincts: les contreforts rocheux du Massif de Sartr'Ynrim, pentus et chaotiques, et la plaine d'Indiumë, plate et fertile. Dans les contreforts, en cas de grosse pluie, de furieux torrents se créent en quelques instants, prompts à emporter et noyer animaux et explorateurs. Les plus puissants peuvent arracher de gros arbres et les transporter jusqu'au fleuve Rafân, qui devient alors résolument impraticable. Dans la plaine en revanche, ce sont les inondations qui règnent en maîtresses incontestées, la jungle prend alors des allures de mangrove marécageuse si traître que tenter de s'y aventurer à pied serait une folie.

S'il est avéré que cette jungle contient des ruines d'une civilisation disparue ayant précédé l'arrivée des Hafiz et des Sindeldi sur l'île de Niafaân, nul n'en connaît le nombre ou l'ampleur, et rares sont ceux qui savent où les trouver. Ce qui est sûr, c'est que quelques rares et téméraires explorateurs se sont subitement enrichis ou sont entrés en possession de puissants artefacts après un long et périlleux séjour dans la jungle. Hormis quelques chasseurs, herboristes en quête de plantes rares et chercheurs de trésors, la jungle de Nésindra est bien entendu totalement inhabitée.

Re: Jungle de Nésindra

Posté : mar. 13 avr. 2021 22:25
par Spark
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Celui qui n’a jamais mis les pieds dans cette jungle n’en a vu aucune. La végétation est tellement dense que j’ai l’impression de heurter un mur vert à chaque nouveau pas, décoré par endroits de fleurs tropicales aux couleurs vives. Je suis habitué à ce type d’environnement mais c’est particulièrement hostile ici. Je dois constamment utiliser mes griffes pour parvenir à avancer. Je jurerai que le sol, rendu inégal par les multiples racines qui ressortent d’une boue parfois plus proche de la vase que de la terre, conspire avec les lianes pendues aux branches pour me retenir à jamais en ces lieux.

Pour ne rien arranger, j’ai rarement senti un air aussi humide. L’eau perle partout, réfléchissant la lumière des rayons du soleil réussissant à franchir la canopée. Mes vêtements sont trempés et collent à mes poils. J’ai du mal à respirer et fais des pauses régulières pour ne pas m’épuiser. Et ces foutues bestioles ! Fourmis, vers, araignées…elles grouillent partout. Les plus irritants sont des moustiques plus gros que mon poing. Moins dangereux que les espèces venimeuses, ils volent inlassablement autour de moi en virevoltant de manière saccadée.

Je compte sur les souvenirs des récits de mon père pour trouver mon chemin. Il m’a expliqué qu’un cours d’eau descend des montagnes avant d’arriver à la cité elfique. Je vais donc avancer tout droit jusqu’à le croiser et je n’aurais plus qu’à suivre son lit. Je m’aide du massif montagneux sur ma droite pour me repérer et ne pas tourner en rond. Mon itinéraire n’est pas ma seule préoccupation : j’essaie de rester attentif à tout bruit ou trace indiquant une présence, représentant un danger potentiel. Empreintes, cris, excréments sont autant d’informations que je dois isoler au milieu de cette cacophonie ambiante, au sein de cet organisme vivant à ciel ouvert.

Voilà des heures que je marche, absorbé par ma concentration. J’ai perdu toute notion du temps et me rend compte de l’heure qu’il est seulement lorsque la nuit commence à tomber. Tout à ma tâche, je n’ai même pas pensé à manger aujourd’hui. Il est trop tard maintenant, je n’ai pas pris de nourriture en partant de l’Ile Interdite – je n’ai sur moi que des potions de soin et d’énergie que j’avais préparées pour le combat traditionnel – et je ne vais pas chasser de nuit dans cette jungle inconnue.

(Après tout ce que j’ai englouti hier, un jour de jeûne ne me fera pas de mal !)

Je trouverai demain quelque chose à me mettre sous les crocs, pour l’instant je cherche un endroit pour dormir le plus en sécurité possible. Je me décide finalement pour deux grosses branches appartenant à un arbre visiblement plusieurs fois centenaire, qui poussent côte à côte à environ trois mètres de hauteur. Il ne faut sous aucune raison dormir sur ce sol à cause des prédateurs nocturnes et cet emplacement m’a l’air suffisamment stable pour ne pas chuter pendant mon sommeil. Je grimpe à l’arbre assez facilement grâce à mes griffes et cherche une position confortable. J’arrache une poignée de fines branches et de feuilles pour me fabriquer un semblant d’oreiller et attend le sommeil en admirant ce paysage effrayant et magnifique à la fois. Il m’est difficile de ne pas ressasser les derniers événements. Aurais-je dû me soumettre à la Prêtresse ? Et si elle avait seulement voulu s’amuser pour une nuit, sans faire de moi son favori par la suite ? Les pensées les plus difficiles à supporter, les plus émouvantes, concernent évidemment ma famille. J’espère qu’ils ne sont pas tenus responsables de mon comportement par le reste du clan et qu’on ne les traite pas en parias par ma faute. Sans réponse possible, il me faudra apprendre à vivre avec ce doute…

Le lendemain matin, je me mets en chasse dès le réveil. Je fais plus attention aux indices laissés par les petits animaux pouvant faire office de proie. Les pistes sont rares et toutes se perdent sur ce sol trop humide pour conserver longtemps les traces des animaux. C’est étrange, je perçois les bruissements de la vie provenant de tous les recoins de cette forêt mais je ne croise jamais aucun animal. Ils doivent sentir que je suis un intrus parmi eux et restent discrets, dissimulés au cœur de cette végétation luxuriante.

(Pour mieux se protéger… ou pour mieux chasser ?)

Les seuls fidèles à m’accompagner sont les moustiques fatigants que je ne prends plus la peine de repousser. Etant donné le manque de résultat de ma traque matinale, je décide de changer de méthode. Au lieu de pister une proie, laissons-la venir à moi. Je repère un endroit où les fougères abîmées indiquent un passage régulier. Pas de piste fraîche discernable mais je soupçonne une activité fréquente. Je me poste en hauteur sur une branche offrant un bon champ de vision et commence à attendre.

Au bout de plusieurs dizaines de minutes, j’entends des pas qui s’approchent. Une petite biche apparaît en trottant. Exactement ce qu’il me faut ! J’aurai suffisamment de réserves pour finir mon voyage. Elle avance en direction de mon perchoir, je reste immobile jusqu’à la surplomber. La chance a enfin tourné ! Avec ma force, je vais la tuer en un coup de griffes. Confiant, je me laisse tomber le plus légèrement possible dans son dos et lance une frappe puissante qui touche… presque, me contentant d’effleurer de mes griffes la proie attentive en laissant des estafilades sur sa croupe. Mon deuxième coup arrive trop tard, bien après que la biche ait commencé à détaler à tout vitesse. Son petit gabarit lui permet de changer de direction en un clin d’œil et de se faufiler à travers les obstacles. J’essaie de la poursuivre mais me rends vite à l’évidence, je ne la rattraperai pas sur ce terrain.

(Tu es nul ! Tu viens de gâcher ta seule occasion de manger ce matin, bravo !)

En effet, je ne peux pas me permettre de rester en planque au détriment de ma progression. Piteux, je reprends ma marche à la recherche du fleuve tout en ruminant mon échec.

(Comment as-tu pu laisser échapper une BICHE ? Tu fais le malin à te proclamer adulte et dès que tu chasses seul, t’arrives pas à attraper une BICHE ?!)

Cette pensée tourne en boucle dans ma tête. Je ne peux pas me permettre de telles erreurs dans la situation actuelle. Voilà la conséquence de trop de confiance : un résultat aléatoire, pour rester optimiste… Perdu dans mon dialogue intérieur, je prête moins attention à mon environnement. Je vois ce qui m’entoure mais je ne l’analyse plus. Soudain, un sifflement énervé me tire de mes pensées. Une petite bête dotée d’une carapace gris foncé aux écailles épaisses, ne devant pas mesurer plus de cinquante centimètres de haut pour un mètre de long, se dresse face à moi en essayant de paraître la plus impressionnante possible. Face à un Woran de ma stature, elle en devient risible. Cependant je comprends à la taille de ses crocs que ce n’est pas un herbivore inoffensif comme la biche croisée plus tôt. D’ailleurs elle fait claquer sa mâchoire dans le vide pour bien faire passer son message : elle ne va pas tarder à m’attaquer si je reste planté là.

(D’accord elle peut te mordre, mais elle reste beaucoup plus petite que toi. Elle pèse quoi, dans les vingts kilos ? Facile ! Et vu son comportement, elle va pas fuir comme la biche de tout à l’heure.)

A ce moment, trois… non, quatre autres de ses semblables sortent d’un fourré un peu plus loin derrière elle. Elles la rejoignent d’un bond d’une longueur disproportionnée par rapport à leur gabarit. Je n’aurais pas soupçonné une telle puissance dans leurs pattes. Il ne faut donc pas se méfier uniquement de leur mâchoire. La bande me menace à cinq mètres de moi mais ne donne pas l’impression de vouloir m’attaquer. On dirait plutôt que les animaux sont effrayés par ma présence et défendent leur territoire : ils se contentent de siffler et cracher en piétinant le sol. Je pense qu’il n’y aura pas de combat si je les évite, et c’est bien ce que je compte faire.

(Ça ne sert à rien de manger si c’est au prix d’une blessure et à un contre cinq, je suis sûr de me faire mordre par au moins un de ces bestiaux. Ça pourrait être mortel dans cette jungle où la plaie s’infecterait immédiatement.)

Je recule alors lentement de quelques pas pour leur montrer que je n’ai pas d’intention belliqueuse. Mon regard reste fixé sur eux afin de pouvoir réagir à toute tentative de leur part. Lorsque j’estime la distance de sécurité suffisante, je prends un chemin latéral pour les contourner à distance respectable puis poursuivre ma route. Cette rencontre imprévue n’a pas eu de mauvaise conséquence pourtant, cumulée à la fuite de la biche, elle me fait réfléchir.

(Tu es habitué à chasser en équipe mais c’est fini maintenant. La biche a eu le temps de fuir parce que personne n’était là pour barrer son chemin. Si tu l’avais frappée plus rapidement, avant qu’elle ne réagisse, tu aurais de quoi manger.)

(Idem avec ces créatures, quelles qu’elles soient. En duel, tu aurais le dessus mais leur nombre les rend dangereuses. C’est pareil, si tu savais multiplier tes coups, tu aurais sûrement pu les affronter. Il faut que tu t’entraînes, tes attaques doivent se suivre sans temps mort !)

Il est vrai que j’ai plus l’habitude de me reposer sur ma puissance naturelle de Woran que de travailler ma technique, alors que les deux devraient se compléter pour être des atouts. Je dois m’améliorer si je veux traverser cette jungle en un seul morceau. Alors désormais, à chaque pause, je m’entraîne en m’imaginant me battre contre des ennemis invisibles et répète les mouvements d’attaque en essayant de gagner en vitesse. Ce n’est plus un simple entraînement aux côtés de mon père, l’enjeu devient tangible. Je déploie plusieurs enchaînements différents pour déterminer les plus efficaces : coups de griffes, de poing, de pied… je tente même les coups de tête. Lesquels peuvent s’utiliser en synergie, sans gâcher le moindre mouvement – et par là, la moindre seconde ? J’ai beau décomposer mes mouvements en séquences, je ne parviens pas à éliminer d’étape superflue. Je continue ce manège jusqu’au soir sans croiser de nouvelle proie et je me résous à dormir à nouveau le ventre vide.



(((HRP : début d’apprentissage de la CC Déluge)))




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Re: Jungle de Nésindra

Posté : ven. 16 avr. 2021 00:29
par Spark
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Mon humeur est épouvantable le lendemain. Ça fait trois nuits que je dors mal et la faim m’accompagne dès le réveil. Je reprends mon avancée dans la jungle avec moins d’entrain que la veille. Combien de temps me faudra-t-il encore pour arriver dans la ville des elfes ? Une semaine ? Deux ? La trouverais-je jamais ?

(Non, ne te démotive pas après un ou deux revers ! Ce n’est qu’une étape parmi tant d’autres, persévère comme Utu te l’a appris !)

Penser à mon Dieu me réchauffe le cœur et me rends un peu de combativité. Oui, je vais m’accrocher et me battre ! Un de ces gros moustiques passe devant moi au moment où ma détermination revient et j’essaie de lui mettre une baffe en plein vol. Comme à chaque tentative depuis mon entrée dans la jungle, il sent ma patte venir et l’évite facilement. Sauf que cette fois je n’abandonne pas, comme s’il symbolise à lui seul tous les obstacles que je dois franchir. Il continue de papillonner autour de moi, inconscient de mes intentions meurtrières.

Difficile de toucher quelque chose en mouvement permanent. Il réussit à s’échapper à chaque nouvelle frappe, pareil à un objet minuscule tombé dans l’eau qui vous glisse entre les doigts au dernier moment. Cette situation m’agace mais je ne veux pas arrêter avant de l’avoir écrasé. Je réitère les différents enchainements travaillés hier et comme je le pressentais, ils ne sont pas très efficaces. La bestiole a toujours un déplacement d’avance sur moi et ça m’énerve sérieusement.

J’arrête alors les enchaînements travaillés à l’avance et décide de ne plus calculer mes coups, d’oublier la théorie et frappe devant moi en criant. Je ne m’arrête pas et le résultat est totalement désordonné et imprécis. En revanche je remarque qu’en étant moins concentré sur la technique de frappe, les muscles plus détendus, ma vitesse augmente.

(Et si je combinais cette manière de frapper avec les enchaînements répétés hier ? Travailler les mêmes suites d’attaques tout en gardant mes muscles relâchés ?)

Le vaillant moustique voletant toujours dans les parages, je poursuis sur ma lancée. Rapidement, mes griffes lacèrent ses ailes d’un crochet du gauche, le faisant flotter immobile une demi-seconde, avant que mon poing droit ne l’envoie s’exploser contre un tronc d’arbre, dégoulinant. Je n’aurais jamais pensé que tuer un moustique me rende un jour si fier… C’est un pas en avant mais c’est loin d’être fini. Il me faut intérioriser cette méthode pour qu’elle devienne intuitive, je n’aurais pas souvent le luxe de me battre contre une créature inoffensive, ni le temps de réfléchir face à mon ennemi. Je vais continuer à m’entraîner pour que ça devienne une habitude.

(Finalement, je les aime bien ces moustiques !)

Chaque bourdonnement me donne le sourire. Une occasion de plus de m’améliorer et elles ne manquent pas. Mes muscles mémorisent les gestes, pour l’instant consciemment. Rien ne remplace la répétition, alors l’espace de quelques jours, je me transformerai en exécuteur d’insectes qui auront pour seul malheur de croiser ma route.

L’après-midi même, comme pour récompenser mes résultats, Utu m’offre un cochon sauvage : sur mon chemin, je croise l’animal piégé, sa patte coincée dans un nœud de racines. Je prononce une prière de gratitude et abat l’animal le plus rapidement possible d’une morsure au cou pour éviter qu’il ne souffre inutilement.

(La diète est terminée !)

Malgré l’absence de feu qui me force à manger la viande crue, le repas du soir me requinque, physiquement et moralement. Après mon régime forcé, je dévore presque la moitié de l’animal. En rationnant les prochains repas, il me reste environ deux jours de nourriture que j’attache à ma ceinture en tissu. Le ventre plein, je vais passer une bonne nuit.

Les jours qui suivent se ressemblent. Toujours pas de fleuve mais peu importe tant que j’avance et que ma chasse aux moustiques se perfectionne. Je me débarrasse maintenant d’eux en quelques secondes. Ma posture de combat s’est adaptée, plus souple et moins figée dans les principes. Les coups se suivent de plus en plus rapidement, de manière plus fluide. Je me demande si ce serait efficace en situation réelle.

J’ai ma réponse le lendemain. Le bourdonnement de mes camarades d’entraînement disparaît sous le vrombissement désagréable d’un autre insecte volant. Je n’en ai jamais vu de tels sur l’Ile Interdite. Cette mouche grisâtre est plus grande que les moustiques mais surtout bien plus massive. Ses muscles hypertrophiés lui donnent une allure disharmonieuse, artificielle presque. Ses battements d’ailes, si rapides que je ne les perçois pas, causent un bruit sourd profondément dérangeant. Elle semble attirée par les effluves âcres du sang laissé par la viande du cochon sur ma ceinture.

Après l’avoir observée un instant, je me concentre pour l’attaquer et la toucher dès la première frappe. Je ne regarde plus que la mouche, j’observe ses mouvements et je déclenche un coup rapide qui se dirige droit sur elle. Je vais l’avoir. Pourtant, lorsque mes griffes s’apprêtent à faire leur œuvre, mon bras est repoussé subitement dans une gerbe d’étincelles, comme s’il y avait une boule d’énergie protégeant l’insecte démesuré. Des picotements remontent de ma main à mon coude. Je secoue mon bras pour faire passer cette sensation.

La mouche réagit à mon attaque. Elle ne se contente plus de voler tranquillement devant moi et s’agite nerveusement. Le bruit de ses ailes s’intensifie. Une lueur bleutée, de plus en plus soutenue, accompagne les vibrations.

(Tout ça ne me dit rien qui vaille…)

Quand cette lueur est devenue une lumière vive, un éclair se projette sur moi dans un claquement sec. J’ai tout juste le temps de plonger derrière un arbre pour l’éviter. La sale bête peut donc se protéger ET attaquer grâce à ce pouvoir que je ne comprends pas.

(Peu importe, je dois traverser son bouclier, sinon je vais me faire griller…)

Je sors de mon abri pour voir que la mouche s’est rapprochée. Je fais confiance à ma nouvelle technique et lance deux coups de poing quasi simultanés. Le premier se fait rejeter comme précédemment, mais le second effleure le corps difforme avant d’être dévié.

(On dirait que sa bulle est perméable après avoir bloqué une attaque. Je dois réussir à encore augmenter ma vitesse de frappe !)

Au moment où je découvre son point faible, d’autres vrombissements se font entendre et se rapprochent.

(Si tous ses potes se ramènent, c’est la fin pour moi. Mon prochain coup doit être parfait, ce sera ma dernière tentative. Si ça ne marche pas, j’essaierai de fuir avant qu’ils ne soient là.)

Pendant ce temps, la mouche a rechargé son énergie et je ne parviens pas à esquiver le nouvel éclair qu’elle lance sur moi. Je suis touché à la jambe. Une petite plaie et une odeur âpre de poils brulés, rien de sérieux. Je respire à fond. Deux petits pas de côté pour mieux me positionner. Puis je me projette en avant en poussant sur mes jambes, garde mes épaules souples pour plus de vitesse et juste avant l’impact, mets toute ma force dans un poing suivi de l’autre. La bulle bleutée se fissure au premier coup comme prévu et le deuxième fracasse l’animal en plein vol. J’entends sa carapace craquer à l’impact. Sous le choc, elle tombe par terre un peu plus loin. Elle n’est pas morte et essaie de battre maladroitement des ailes pour se renvoler. Son bouclier semble avoir disparu. Je me jette sur elle pour ne lui laisser aucune chance, la saisis fermement et lui arrache la tête.

Je me dépêche de quitter la zone, satisfait que mes efforts aient payé. Pourvu que ces nouveaux gestes restent bien ancrés dans mon corps ! Arrivé à l’écart, j’observe ma blessure. Elle n’est pas profonde et ne me gêne pas pour marcher, cependant une infection pourrait l’aggraver. Je sors un petit récipient en cuir, enlève son bouchon et le vide sur la plaie. Le liquide me brûle vivement mais la sensation s’estompe vite. Il s’agit d’un remède qui va accélérer la cicatrisation, je n’ai plus à m’inquiéter et peux reprendre ma route.

Au crépuscule, alors que je m’apprête à chercher un abri pour la nuit, je remarque que la végétation a progressivement évolué. La mousse se fait plus épaisse sur l’écorce des grands arbres et leurs racines sortent du sol de plusieurs dizaines de centimètres. Ça ne peut dire qu’une chose : le fleuve ne doit plus être loin ! Je continue ma recherche le cœur léger et tombe par chance sur un enchevêtrement de lianes pouvant me servir de hamac. Parfait ! Entre ce lit improvisé et mes progrès au combat, je sens que ça va être ma meilleure nuit depuis longtemps.



(((HRP : utilisation d'une petite potion de soin et tentative d’apprentissage de la CC Déluge)))




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Re: Jungle de Nésindra

Posté : mer. 7 juil. 2021 21:17
par Spark
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Le lendemain, j’ai repris mon avancée depuis peu lorsque j’entends pour la première fois un bruit sourd et diffus. Ce n’est qu’au bout de quelques instants que je comprends qu’il provient des flots du fleuve. Son lit doit être plus proche que je ne le pensais hier soir. L’évolution de la végétation accélère : les grands arbres se font plus rares, leurs racines devenant probablement trop profondes pour cette terre boueuse et friable, encore plus gorgée d’humidité que le reste de la jungle. Ils sont remplacés par une multitude de plantes basses se mélangeant dans un fouillis dense. Des résidus d’algues s’accrochent sur la partie basse des quelques troncs restants, comme si le cours d’eau déborde régulièrement de son tracé. Le sol spongieux ne facilite pas ma marche mais peu importe, ma joie de ne pas m’être trompé de chemin et d’être arrivé jusque-là me pousse à presser le pas pour voir l’eau scintillante au plus vite. Le Soleil accompagne ma satisfaction, ses rayons caressant ma fourrure maintenant qu’ils ne sont plus filtrés par les branches et leurs feuilles.

Après avoir passé un buisson touffu qui me bloquait la vue, j’arrive enfin au terme de la première étape de mon trajet. La jungle s’ouvre sur une tranchée d’une quinzaine de mètres de large, baignée de la lumière et de la chaleur de l’Astre d’Utu. Ses bienfaits permettent la présence de nombreuses plantes aux fleurs garnies de larges pétales aux couleurs vives, entourées de petits oiseaux se délectant de leur nectar sucré en restant suspendus dans les airs grâce à un vol stationnaire d’une légèreté gracieuse. Je m’avance au bord de la rive pour observer ce cours d’eau que je poursuis depuis plus d’une semaine. Le courant défile bien plus vite que ce que je m’imaginais. Il est vrai que les contreforts de la montagne occupant le centre de l’île sont proches et que le fleuve y trouve sa source, il doit conserver une partie de la vitesse issue de sa course folle depuis les sommets. Son agitation projette en l’air une infinité de gouttelettes en suspension dans lesquelles le Soleil se reflète, créant un paysage irisé irréel sous la luminosité matinale. Je m’assieds quelques instants pour exprimer à mon Dieu la plénitude que je ressens en ce lieu.

(Merci de me guider dans mon périple. Merci de me rappeler ma place, simple rouage au sein de Ta nature. Je tâcherai de me montrer digne de sa perfection.)

Je continue ensuite ma route en longeant le fleuve vers l’Ouest. J’essaie de rester attentif aux embûches éventuelles mais mon esprit part peu à peu ailleurs, imaginant mon arrivée dans la cité elfique alors que mon ombre, se projetant d’abord loin devant moi, se fait progressivement rattraper par mes pas.

(A quoi peut bien ressembler cette ville ? Et son ambiance ? D’ailleurs c’est quoi son nom ? Je sais même pas… Bah peu importe, le principal c’est que je trouve de quoi m’y occuper. Ils ont sûrement besoin de chasseurs aussi, là-bas. Je pourrais me spécialiser dans quoi ? Les grosses proies impressionnantes ? Les plus rares, difficiles à pister ? Je verrai ça plus tard, pas besoin de me faire des nœuds au crâne pour l’instant… Tiens, c’est quoi ces pierres ?)

Mon regard est attiré par un amas de pierres taillées sortant à peine du sol, un peu plus loin sur ma gauche. Ce sont les premiers vestiges civilisés que je remarque ici. Je me rapproche afin de mieux les observer et remarque à leur aspect qu’elles ont dû être posées il y a très, très longtemps. Je regarde autour de moi et en aperçois d’autres, isolées, allant globalement dans la même direction. Ma curiosité éveillée, je décide de les suivre et tournant le dos au fleuve, je m’enfonce à nouveau dans la jungle. La piste est facile à suivre et mène à un muret pas plus haut que ma hanche, composé de pierres identiques à celles m’y ayant conduit, que j’enjambe. J’entre dans ce qui semble avoir été une petite cour, à en juger par les quelques autres pans de murets abîmés m’entourant et délimitant un espace rectangulaire. Sur ma droite, l’extrémité de cette cour aboutit sur un mur plus élevé recouvert de plantes grimpantes et percé d’une ouverture en son centre. Je m’y dirige, le jardin extérieur ne présentant rien de particulier, à part peut-être quelques plaques de pierres effleurant le sol par endroit, plus grandes que celles que j’ai suivies pour venir mais tout aussi polies par le temps.

L’ouverture donne sur une salle aux dimensions restreintes. Son toit en partie effondré se retrouve désormais en pièces détachées sur le sol, occupant tout un coin de cette antichambre et laissant entrer un peu de la lumière du jour. Une porte me fait face, cependant je ne la traverse pas tout de suite : en me dirigeant vers elle, une lumière fugace parmi les gravats m’éblouit momentanément. Je me penche alors sur les éboulis et cherche d’où provient cet éclat. Après avoir enlevé quelques blocs, je découvre une petite boîte métallique gisant ouverte au milieu des décombres, restée brillante et immaculée au-delà des siècles. Je m’en saisis pour me rendre compte qu’elle est vide à l’exception d’une petite pierre polie.

(Merde ! Vu la qualité de la boîte, j’aimerais savoir ce qu’il y avait dedans ! Et qui doit maintenant être éparpillé en dessous de tout ce vrac…)

Que faire ? Je n’ai pas l’énergie de tout retourner alors que je ne sais pas la distance qu’il me reste à parcourir et que j’ai fini le dernier morceau de cochon il y a deux jours. Je lance de dépit la boîte contre le mur et me rapproche de la porte. La pierre se trouvant à l’intérieur est projetée et après deux rebonds contre les murs, finit sa course devant mes pattes. Je baisse les yeux machinalement et remarque un détail que je n’avais pas vu auparavant. Un dessin est gravé sur une face de la pierre, un trait surmonté d’un demi-cercle. Je la ramasse et l’observe de plus près. Ce symbole m’est inconnu mais taillé avec soin et précision, son auteur s’est appliqué. Je vais la garder avec moi et essayer d’en apprendre plus à son sujet plus tard. Je la glisse sous ma manchette gauche pour ne pas la perdre puis entre finalement dans la salle suivante.

Celle-ci est bien plus sombre. Son plafond intact, elle n’est éclairée que par la lumière provenant de la pièce précédente. Je devine qu’elle est bien plus grande sans parvenir à voir à quel point. Une forte odeur de renfermé me pique le nez. Près de l’entrée se dresse un bloc de roche massif dont les cotés sont gravés de motifs aux détails insaisissables, happés par l’obscurité. Il est entouré de larges colonnes de plus de deux mètres de haut, elles aussi parsemées de gravures. En avançant, je faillis trébucher en découvrant au dernier moment une volée de marches descendant vers la deuxième partie de la salle. Je me rattrape au dernier moment en me tenant du bras droit contre le mur et décide de faire le tour de la pièce en me tenant ainsi afin d’en estimer les dimensions.

La surface minérale est fraîche et sèche, protégée par l’épaisseur des murs. Mes doigts sentent à peine les fines jointures entres les blocs de pierre de bonne taille, la construction de cet édifice a été soignée, quels qu’en soient ses anciens bâtisseurs. Des renfoncements sont creusés à intervalles réguliers, sortes d’alcôves garnies chacune en son centre d’une protubérance dont l’extrémité dessine sous mes pattes une forme de demi-lune. Des supports servant jadis à accrocher des torches pour compenser l’absence de fenêtres ? J’atteins le mur du fond, assez éloigné de l’entrée. Etant donné le volume intérieur, je dois me trouver dans ce qui était la salle principale du bâtiment. Je longe ce mur et mes pattes quittent la roche pour effleurer à présent une surface métallique. Je devine aux lourdes poignées y étant fixées qu’il s’agit d’une double porte massive, ne laissant filtrer aucune lumière sur son pourtour. J’arrive face à un autre paroi quand j’entends une voix en provenance d’une troisième pièce :

« Han ! »

Mon premier réflexe est de me figer sur place. Quelles personnes peuvent bien explorer ces ruines ? Je préfère écouter plutôt que me découvrir, tout en me rapprochant lentement de l’entrée, profitant de l’obscurité pour rester invisible. On sait jamais sur qui on peut tomber.

« Han, viens voir ! On est bien ! Ils ont laissé pas mal de babioles pour accompagner leurs morts ! »

(Bien sûr ! Le bloc de roche à l’entrée, un autel ! Les plaques en pierre dehors, des tombes !)

Alors que je comprends que ce bâtiment est une sorte d’ancien site funéraire, je saisis également que je fais face à des pilleurs de tombes. Je suppose qu’en général ils aiment pas tomber sur des intrus pendant qu’ils fouillent dans des endroits sombres et j’ai pas envie de me battre aujourd’hui.

Une autre voix lui répond de l’extérieur :

« Parfait ! Commence à charger ton sac, j’arrive ! »

Je me colle contre le mur, un peu trop violemment. Des morceaux déjà affaiblis par le poids des ans se détachent et heurtent le sol en faisant beaucoup trop de bruit à mon goût.

« Han ? C’est toi ? »

Silence.

Des pas viennent d’à côté et rentrent dans cette salle.

« Qui est là ? Je me répéterai pas ! »

Je ne sais pas comment réagir. Me tapir dans l’obscurité en espérant que le pilleur arrête ses recherches si je reste silencieux ? Et s’il possède une torche prête à être allumée ? Ne ferais-je pas mieux de fuir dès maintenant et profiter de l’effet de surprise pour déguerpir ? Les pas commencent à se rapprocher, je ne peux pas rester immobile plus longtemps et attendre qu’il finisse par me découvrir. Je m’élance soudainement en direction de l’entrée – devenue sortie – mais arrivé à quelques enjambées de celle-ci, j’aperçois la silhouette du dénommé Han entrant dans la pièce intermédiaire. Je risque d’être pris en tenaille !

(Réfléchis ! Tu ne peux pas te battre contre les deux en même temps, c’est trop dangereux…)

Ce temps de réflexion suffit à Han pour m’apercevoir, encore à moitié masqué par les ombres. Il me dévisage en silence quelques secondes, interloqué, ne devant voir briller que mes yeux et mes crocs dans cette pénombre. Puis il se met à crier en s’avançant vers moi :

« Fais gaffe Salaël, y a un putain de fauve dans la chapelle ! »

Je n’ai plus le temps de gamberger. J’agis par réflexe, automatiquement, sans peser le pour et le contre de mes actions. Je dois bloquer l’arrivant avant de me retrouver encerclé. Du coin de l’œil, je vois la colonne de pierre sculptée jouxtant l’autel non loin de moi. Je me place derrière elle et pousse de toutes mes forces dans l’espoir de la faire tomber en direction de Han et de la porte et ainsi de l’obstruer le temps que je règle son compte à l’autre voleur. Le pilier bouge légèrement, me faisant comprendre que ma tentative n’est pas vaine, mais ne bascule pas pour autant. Je prends alors quelques pas d’élan et lance un rugissement sorti du fond de mes tripes. Le cri résonne et s’amplifie dans ce lieu clos, je vois qu’Han s’est arrêté de marcher et doit évaluer la menace que je représente. Je me jette alors de tout mon poids contre la colonne, l’épaule en avant, la faisant enfin chuter dans l’encadrure de la porte. Elle s’y fissure en plusieurs gros morceaux, empêchant toute personne plus épaisse qu’un chat de la traverser. Ça ne va pas tenir très longtemps, j’ai tout au plus un sursis de quelques minutes que je me dois de mettre à profit. Je ramasse rapidement sur le sol du gravier issu du pilier effondré et recule à nouveau dans l’obscurité.

« Ça va Han ?

- Ouais t’inquiètes pas pour moi. Je vais dégager la porte rapidement et venir t’aider, m’attends pas et occupes-toi de lui !

- Oh oui je vais me le faire, dépêches-toi si t’en veux un bout ! »

Pendant leur échange, je me dirige à tâtons vers une alcôve de la pièce le plus silencieusement possible et m’y accroupis. Je ne vois toujours pas ce Salaël mais entends qu’il commence à patrouiller lentement dans la salle. Apparemment il n’a pas de quoi faire une flamme et marche au hasard, jouant sur l’intimidation.

« Alors comme ça tu préfères te cacher ? Tu oublies un point : en bloquant mon pote dehors, tu t’es enfermé avec moi ici… Y a plus d’issue ! On finira par te faire la peau ! Tu retardes seulement l’échéance ! Mon épée s’impatiente… »

Ses mots sont accompagnés du bruit d’une lame fendant l’air noir et épais de cette chapelle.

(C’est bien, continues de parler, l’ami ! Je sais exactement où tu es !)

Je jette quelques graviers dans la direction opposée à la sienne.

« Ha ha ! Je te tiens ! Avoue que tu te fais dessus en ce moment ! »

(Quel abruti…)

De là où il est, il sera obligé de passer devant moi pour y aller. Je ne bouge plus d’un millimètre et retiens même ma respiration lorsque je l’entends se rapprocher puis marcher devant moi. Je réfléchis à ma prochaine attaque. Elle doit être tout de suite efficace pour ne pas perdre de temps. Dommage que je ne puisse pas tenter ma nouvelle technique dans cette obscurité mais je fais confiance à mes griffes. Dès qu’il m’a dépassé, je sors de ma position et assène un coup de patte puissant de haut en bas pour lui déchirer la nuque et le dos.

« Tu t’étais planqué là, connard ! »

(Merde !)

Je saute instinctivement en arrière pour éviter toute tentative de sa part, et sens du tissu pris dans mes griffes. Je l’avais presque ! Mon adversaire lance un cri et j’entends le sifflement d’une lame tout près de moi, suivi d’un choc métallique et d’une étincelle quand elle heurte le mur juste devant mon visage. Devinant sa position, je me jette sur lui non plus pour le frapper mais pour l’attraper au corps à corps. Il ne doit plus m’échapper. Mon idée fonctionne et j’arrive à le saisir, de dos et lui bloquant les bras le long du corps. Il est immobilisé mais je ne peux plus le frapper si je ne veux pas qu’il profite du relâchement de mon étreinte pour me taillader. Bien que je le serre le plus fort possible afin qu’il lâche son épée, ses doigts restent agrippés fermement car je n’entends aucune arme tomber.
Les échos de l’affrontement arrivent jusqu’à Han, occupé à libérer la porte.

« Tiens bon, j’ai presque fini ! J’arrive tout de suite ! »

Je tourne la tête dans sa direction, là où se trouve la seule source lumineuse et comprends à contre-jour qu’il dit vrai, il sera là dans moins d’une minute ! Dans le même regard, un coin de l’autel accroche tout juste suffisamment de lumière pour attirer mon attention. Je parle alors à Salaël pour la première fois, laconiquement :

« T’aimes prier ? »

Tout en le maintenant serré contre moi, je profite de mon avantage de taille et de force pour le soulever et commencer à avancer vers l’autel en marchant. J’accélère progressivement et me met à courir en espérant écraser mon paquet contre le bloc de roche. D’abord silencieux, il crie maintenant à pleins poumons. L’affrontement se déroule bien, je vais en finir avec lui avant l’arrivée de Han. Sauf que j’ai oublié une chose. Enfin, plutôt trois. Ces satanées marches indiscernables qui divisent la pièce. Je trébuche et m’étale de tout mon long, atterrissant sur mon prisonnier dont le corps fait un sale bruit en touchant le sol lesté de mon poids. Je me relève au-dessus de lui et de ses gémissements incompréhensibles. La luminosité étant plus forte sur cette estrade, je tire sur ses longs cheveux blancs pour lui tourner la tête et regarder son visage. C’est pas joli à voir, sa tête a dû se fracasser au sol en premier. Son nez, cassé en différents endroits, disparait à moitié enfoncé dans son crâne et masqué par des bulles de sang quand Salaël essaie de respirer. Sa mâchoire pend asymétriquement dans un sourire malade aux dents cassées. La peau de son front s’est déchirée et laisse l’os visible. Le blessé émet de tristes gargouillis difficilement rapprochables de l’être humain. Ou elfique dans ce cas précis. En tout cas, il ne me gênera plus – ni personne d’autre d’ailleurs.

« Lâche-le, enfoiré ! »

Han a fini de libérer l’entrée et me regarde furieusement, penché sur son ami, le visage défoncé. Nous restons un instant figés avant de nous élancer l’un vers l’autre. Le choc est brutal. Je le saisis aux épaules et parviens à le repousser et le plaquer contre le mur. Pourtant, en position délicate et son compagnon presque mort, il sourit. Je le fixe incrédule quand je sens une douleur aigüe me percer le flanc gauche. Je baisse les yeux et distingue le manche brillant du poignard qu’Han vient de planter sous mes côtes. Malgré un soubresaut que je ne peux réprimer, je suis bien plus puissant que l’homme à la peau noire et au crâne rasé qui me fait face. J’ai envie de lui effacer son sourire, qu’il comprenne que son couteau ne va pas suffire et que sa fin est proche. Je rapproche mon visage à quelques centimètres du sien et commence à plisser mes babines, découvrant mes crocs acérés. Je sens Han se raidir sous mes pattes.

« N-N-NOOOO … »

Je n’attends pas la fin de sa supplique pour planter mes canines dans sa gorge. Son sang inonde ma bouche. Je garde la gueule fermée et secoue violemment ma nuque afin de briser la sienne. Lorsqu’il a fini de tressaillir, je le laisse finalement retomber par terre.

Je m’assois à côté de son cadavre pour reprendre mon souffle et étudier ma blessure. Le poignard est encore dans la plaie, empêchant mon sang de trop se répandre et me protégeant pour le moment. Je pense qu’aucun organe vital n’est touché cependant la douleur va sacrément me ralentir dans mon avancée. Et ça peut s’aggraver si je trouve pas un moyen de protéger la plaie. Peut-être les pilleurs de tombes ont-ils amené une trousse de soin ? Je fouille du regard mon voisin, assis immobile contre le mur. On pourrait croire qu’il pique un somme, si ce n’est la large blessure laissant apparaître la chair de son cou. Il n’a sur lui aucun sac pouvant m’intéresser, je dois aller vérifier sur l’elfe agonisant. Je grimace alors que mon ventre me lance lorsque j’essaie de me relever. Je me déplace à quatre pattes pour avancer vers lui et remarque une besace qu’il porte en bandoulière. Le blessé remue un peu au moment où je passe l’anse au-dessus de ce qu’il lui reste de tête. Les sons qu’il émet sont écœurants, personne ne devrait souffrir ainsi dans un lieu dédié à une divinité, n’importe laquelle. D’un geste net, je l’épargne en lui brisant les cervicales. Il expire une dernière fois dans un fouillis de bulles ensanglantées. Je me concentre à présent sur son sac. Je n’arrive pas à bien discerner ce qu’il contient ici, il faut que je sorte à la lumière du jour.

Je parviens à me mettre debout en m’appuyant sur l’autel. La lame me cisaille l’intérieur à chaque mouvement mais je ne peux pas encore la retirer. Je traverse la salle intermédiaire puis sors dans la cour extérieure. La lumière et la chaleur du Soleil m’y accueillent et me permettent de vérifier l’intérieur de la sacoche. Une gourde avec encore un peu d’eau, quelques provisions, des bricoles métalliques qui font probablement partie de son butin. Rien pour me soigner. Je bois avidement les gouttes restantes et m’apprête à retourner au fleuve pour y laver ma blessure. Je prends tant bien que mal le sentier en sens inverse, bien plus lentement qu’à l’aller, tout en réfléchissant à un moyen de stabiliser la profonde coupure. Je ne suis pas guérisseur, cependant la chasse m’a laissé suffisamment de blessures pour que je sache comment fabriquer un pansement sommaire. A cette fin, j’arrache des morceaux de lianes sur mon trajet, ils me serviront tout à l’heure.

Après un bon bout de temps, je retrouve les flots tumultueux auprès desquels je me laisse tomber. Allongé ainsi, le corps relâché, la douleur se calme. Mais je ne peux pas me permettre d’attendre. Je me redresse en grognant et finis de déchirer la tunique que je porte depuis mon départ et qui porte déjà les stigmates de mon périple dans cette jungle hostile. Je la plonge dans le courant en frottant pour la laver un minimum, l’essore et la garde en patte. De l’autre, je saisis la poignée ouvragée de la lame en respirant profondément. Je sais ce qu’il me reste à faire.

(Un. Deux. Trois.)

Je tire lentement sur le manche pour ne pas étendre bêtement la blessure. L’arme sort facilement et je me dépêche de plaquer le linge mouillé sur la plaie, en appuyant fort malgré le mal que ça fait. De l’autre patte, je ramasse une liane arrachée plus tôt et la passe autour de moi. Avec un seul bras disponible, la tâche est laborieuse et me demande un certain temps. Quand il y a deux tours autour de ma taille, je remonte les lianes pour qu’elles fassent pression sur le pansement de fortune. Je relâche ce dernier et fais un nœud pour fixer le pansement. Le résultat est loin d’être parfait, je ne peux pas espérer beaucoup mieux ici.

Je croque dans les provisions récupérées dans le sac pour reprendre des forces et me décide à reprendre la route. J’ai maintenant une motivation supplémentaire pour arriver en ville au plus vite : me faire soigner avant l’infection. Voire la mort.

La journée avait pourtant si bien commencé.



(((HRP : blessure grave au corps et récupération du sac et du poignard des pilleurs de tombe)))




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