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La jeune fille regagna rapidement son hamac pour vérifier que toutes ses affaires étaient restées en place. Heureusement, ses précautions avaient été efficaces : bien que secoué dans tous les sens, le paquetage conservait une certaine rigidité et n'avait pas valsé d'un bout à l'autre de la cabine. En se retournant vers Jorus, elle constata néanmoins que celui-ci était pris de hauts-le-cœur et rapidement des vomissements suivirent : avec un dégoût non feint, elle resta loin de lui jusqu'à ce que la tempête se calme, ses affaires conservées à proximité, lui faisait signe de se reculer lorsqu'il s'approchait trop près. Mais son état était suffisamment mauvais pour qu'il finisse par ne plus trop pouvoir se mouvoir et qu'il reste dans son coin : malgré le fort tangage du bateau, la gravité empêchait la bile encore rejetée quelquefois d'atteindre sa position, venant éclabousser le plancher ou un tissu qu'il mettait en travers pour éponger.
Une fois qu'il fut calmé, la jeune fille prit place dans son hamac, un peu plus sereine - et surtout éreintée. La tempête n'était pas encore complètement apaisée, mais il lui semblait que le navire se secouait de moins en moins, ou alors que le capitaine reprenait véritablement le contrôle de l'embarcation : dans tous les cas, autant par fatigue que par une indifférence naturelle propre aux Dahràmais des nuits secouées par le vent et les vagues, elle réussit finalement à trouver le sommeil, s'enroulant dans son hamac et le refermant en son centre d'un nœud pour éviter une mauvaise chute au cas où les secousses reprendraient de plus belle.
La nuit fut courte, mais elle parvint tout de même à se reposer davantage que certains autres marins. L'agitation de la mer l'empêchait de rester longuement endormie : elle était sans cesse réveillée et, si la pause était tout de même bienvenue, il lui faudrait certainement une sieste en journée pour récupérer totalement. Mais lorsque les premières lueurs du jour pointèrent et que, le remarquant, elle décida finalement de se lever, elle constata avec étonnement que le bateau était beaucoup plus calme. Certes, il y avait toujours cette détestable odeur qui traînait depuis quelques heures dans la cale, due aux relents et dégorgements de Jorus plus tôt, mais elle s'y était presque habituée : en montant sur le pont, baigné d'une douce lumière rose, elle s'emplit avec plaisir les narines d'air frais et pur, chassant toute l'acidité qui régnait en bas.
Elle observait le décor autour d'elle avec un sourire de satisfaction. Pourtant, le navire était en ruine : la voile avant disparue, les autres avaient été hissées à nouveau une fois la tempête passée mais présentaient de multiples déchirures qui réduisaient leur efficacité - il était heureux que ne souffle à présent qu'une brise légère, incapable d'aggraver le piteux état des voiles - ; le bordage de bois avait été brisé ou défoncé par rares endroits, laissant apercevoir des échardes dressées entre lesquelles avait séché une fine poussière de cristaux de sel, qui resplendissait sous l'aurore aux douces teintes d'églantine. Elle avait en elle un murmure d'orgueil qui s'épanchait en profitant du spectacle des cieux qui s'illuminent au-dessus de l'immense et calme océan : c'était grâce à elle que le navire n'avait pas sombré. Elle en était le gardien et le bienfaiteur, laissant tomber sur chacune des planches un regard hautain, fier et passablement fourbu. Il fallait reconnaître que si l'aurore la distrayait, elle sentait sur ses épaules et dans son crâne une pression d'exténuation, comme l'agitation de ses neurones pour demander encore un somme.
Le pont était calme : la tempête venait à peine de se terminer et la plupart des marins avaient rejoint leurs quartiers pour se reposer. Cela ne durerait pas : profitant de leurs talents de méditation, ils seraient de nouveau dispos en quelques heures, après avoir trimé toute la nuit. À l'arrière, au gouvernail, se tenait pourtant encore le capitaine, fier et droit. Il avait le regard las, perclus d'une tristesse sensible. Ils avaient évité le désastre : mais un tel saccage lui pesait visiblement ; par ailleurs il fallait bien tenir la barre en attendant que son second puisse le remplacer le temps que lui-même prenne un peu de repos. Elle s'approcha de lui et lui adressa un signe de la tête avant de demander :
«
À quelle distance se trouve le prochain port où nous nous arrêterons ? »
Elle ne savait pas tellement non plus si la tempête les avait retardés ou éloignés de leur objectif, qu'ils auraient dû atteindre au cours de cette même journée en principe : dans tous les cas, il était nécessaire que le bateau reçoive rapidement des réparations et, si ces dernières étaient trop longues, Jorus et Yurlungur auraient intérêt à continuer à pied. Le capitaine, avec assurance, lui indiqua qu'ils y seraient en début d'après-midi au plus tard. Elle opina du chef. C'était raisonnable. Une escale ne ferait de mal à personne.
Mais si elle était venue lui parler, ce n'était pas réellement pour cette information : dans les faits, elle avait assez peu d'influence sur le chemin que suivrait le navire et devrait bien s'accommoder des décisions du capitaine, quelles qu'elles fussent. En revanche, l'assassine n'avait pas oublié son cri, alors que la tempête commençait à engloutir le navire : diverses hypothèses s'étaient frayé un chemin dans son esprit, hier soir, à la faveur de l'inaction, certaines plus farfelues que d'autres ; dans tous les cas, elle avait décidément entendu le terme de “magie” être prononcé - et le capitaine savait quelque chose là-dessus. Avec une mine plus grave, elle demanda :
«
Tout à l'heure... Vous avez parlé de “mages”. Vous saviez que la tempête était provoquée par quelqu'un ? »
Il semblait étrange qu'on leur en veuille au point de vouloir couler le navire : par ailleurs, elle imaginait avec peine la puissance d'un sorcier capable de déclencher un tel cataclysme. Si c'était bien le cas, Sylënn avait davantage d'ennemis que prévu... Le Sindel fronça les sourcils, visiblement surpris par la question, comme si elle était impertinente, puis son visage se détendit et se couvrit d'un sourire presque moqueur, tandis qu'il lui expliqua, d'un ton qui indiquait que cela était censé être une évidence, que le climat du Naora était contrôlé par des mages Sindeldi, ceux-ci ayant donc laissé la tempête se produire alors qu'ils auraient dû la contrôler. Il sous-entendait que ces mages étaient incapables de provoquer un véritable ouragan aussi facilement, ayant davantage des capacités de contrôle et d'apaisement que de destruction. Mais cela était étrange... D'expérience, la jeune fille avait pu constater qu'il était souvent plus facile d'anéantir que de dompter, tout comme il était plus simple de tuer que de neutraliser...
Et l'idée que le Royaume des gris ait engagé des mages pour contrôler le climat la laissait muette. C'était presque trop gros : pourtant, le capitaine ne semblait pas vouloir se moquer d'elle, au contraire son visage exprimait une forme de douceur, tel un professeur heureux d'apprendre quelque chose de nouveau à son élève. Son visage à elle était celui de l'étonnement et de l'incompréhension, et pour cause : pendant des siècles, les pirates dahràmais avaient eu à braver les cyclones et les mers déchaînées, en appeler uniquement à la miséricorde de Moura pour leur survie, alors qu'à des milliers de kilomètres de là, on avait simplement et purement réussi à faire cesser toute intempérie indésirable. C'était toute sa vision du monde qui s'effondrait : alors que pendant des années elle avait cru à une force puissante et incontrôlable qui régissait le mouvement des flots, ses fureurs et ses folies, voilà qu'on lui annonçait que cela aussi pouvait être dompté.
«
Les mages... contrôlent votre climat ? »
Elle se sentait presque triste pour tous les marins du monde qui, le matin, partaient sur mer sans savoir s'ils rentreraient le soir. Elle se sentait triste pour les pirates de Dahràm qui, dans les tavernes, annonçaient avec fierté le nombre de tempêtes qu'ils avaient bravées, munis d'un grand sourire édenté et d'une chope de bière blonde. Toutes les histoires racontées ces soirs-là, avec moult rebondissements et la crainte toujours présente d'un naufrage imminent : tout cela était vain. Ça n'existait plus dans ce monde-ci, où la technologie et la magie avaient cru bon de remplacer tout effort humain.
«
Donc d'ordinaire, vous n'avez à braver aucune tempête lorsque vous naviguez dans l'archipel ? »
Elle savait par ailleurs que les Sindeldi ne s'aventuraient pas par bateau au-delà : on ne les avait jamais vus en mer à Nirtim, puisqu'ils dominaient les cieux et pouvaient voyager d'un continent à l'autre sans subir les inconstances de l'océan. Le capitaine confirma que c'était bien la première tempête qu'il avait à affronter sur ces eaux, normalement préservées par une caste de mages météorologues. Le coin d'aventure où ils s'étaient trouvé cette nuit-là même n'était d'ailleurs peut-être qu'une mégarde de cette caste - ou pire, volontairement créé par ceux-ci pour gêner les aventuriers dépêchés par Sylënn. Les deux idées s'affrontaient dans l'esprit de la jeune fille : elle aurait mille fois préféré n'avoir pas à compter parmi ses ennemis cette assemblée de mages-là, mais elle ne pouvait se défaire du soupçon qu'ils avaient agi intentionnellement, contre Jorus et elle. Après tout, la commandante de Nessima avait parlé de “bâtons dans les roues”... Mais le capitaine lâcha qu'il ne naviguait par ici que depuis deux ans.
«
Deux ans... Ça me paraît beaucoup. Mais pour un elfe, c'est sans doute trois fois rien, » ajouta-t-elle en souriant, presque amère. Si elle avait passé deux ans à naviguer sur des eaux calmes, elle se serait diablement ennuyée. Seuls les elfes pouvaient avoir la patience nécessaire d'endurer une telle inaction... Les hommes devaient leur paraître bien vains à s'agiter dans tous les sens, du début à la fin de leur existence, de tenter de la vivre autant qu'ils le pouvaient, d'en profiter dès treize ans, et peut-être seulement jusqu'à quinze... Ce serait l'âge qu'elle aurait après deux années complètes d'aventure : elle ne parvenait même pas à se l'imaginer. Elle ne pouvait pas s'imaginer vieille : elle ne parvenait même pas à s'imaginer changer. Pourtant, elle n'était probablement plus la même que lorsqu'elle était partie sur Aliaénon, mais elle avait la certitude profonde et absurde que son essence ne changerait pas, qu'elle serait toujours aussi jeune et agile. La proximité d'un elfe, de cette race qui était naturellement épargnée par le passage du temps, était propice à la conforter dans cette vision étriquée de la réalité, dans laquelle rien ne change jamais, ou alors seulement en mieux.
«
Vous étiez où, avant ? » demanda-t-elle alors. «
Vous avez voyagé, navigué sur des mers plus sauvages, peut-être ? »
Peut-être que, lorsqu'elle aurait vingt ans, lorsqu'elle serait vieille, elle aurait besoin de se poser quelque part, songeait-elle. Elle deviendrait peut-être capitaine d'un navire, pour parcourir les flots : elle aurait à ses ordres une horde de pirates, qui l'écouteraient au doigt et à l'œil, avec lesquels elle arpenterait l'Aeronland, traversant quelques tempêtes pour se rappeler le temps passé des aventures et de toute la gloire qu'elle avait cru y trouver. Elle était suffisamment fatiguée pour que tout sens critique soit évanoui à propos des illusions qu'elle se donnait à elle-même : c'était presque comme si elle voyait déjà les silhouettes de ses marins à elle se mouvoir sur le pont de ce navire. Mais elle avait besoin d'un appui extérieur : de l'avis du capitaine, qui devait lui montrer qu'on pouvait brûler sa jeunesse par les deux bouts et tout de même finir dans une condition respectable, comme capitaine pirate. Il évoqua Sor-Tini, qui avait malheureusement été conquis par Oaxaca, et parla de son ancienne expérience de capitaine sur des mers déchaînées, qui lui avait permis de maintenir ce navire-ci à flots, alors qu'il n'était guère conçu pour affronter de telles intempéries.
Elle opina du chef et lança un nouveau regard sur les ombres hallucinées qui s'agitaient sur le pont. Ça, c'était un avenir glorieux : pirate... Mais elle se souvint soudain de Jess et Guigne, perdues dans le portail, et de Sable qui les attendait : son expression, brutalement, devint plus sombre. Elle n'avait pas le temps de rêver à ces choses-là. Les Sindeldi savaient contrôler le climat : peut-être sauraient-il également, une fois qu'elle leur aurait rendu service, contrôler les fluides spatiaux et ramener les deux Reines qu'elle avait perdues. Sur le pont, il n'y avait plus personne, juste la lumière fraîche et dorée du matin.
«
Une dernière chose, » ajouta-t-elle en se retournant vers le capitaine, revenant sans le préciser sur les mages météorologues. «
Vous pensez qu'ils ont laissé la tempête se produire intentionnellement... ou par mégarde ? Je veux dire, elle était grosse, quand même, ils auraient dû la voir venir, » précisa-t-elle pour ne pas en dire trop - pour ne pas qu'il comprenne qu'elle et Jorus avaient potentiellement des ennemis puissants au Naora, au point de vouloir les gêner par tous les moyens -, «
Ou alors ils ne sont pas assez puissants ? »
Il y avait dans cette dernière interrogation une forme d'espoir fou, qui aurait replacé l'univers dans son état de grâce, insensible à la volonté des hommes qui ne font qu'y passer : mais le capitaine nia, préférant l'hypothèse d'une erreur ou d'un complot. Elle hocha de la tête.
«
Je ne vous dérange pas plus longtemps, » lâcha-t-elle en bâillant. «
J'ai besoin de plus de repos qu'un elfe... »
Il ne commenta pas, visiblement au courant des différences physiologiques, et elle retourna dans la cale. L'odeur était forte et persistante : elle réveilla Jorus sans ménagement et lui intima rudement d'aller un peu nettoyer. Chacun récupéra un seau d'eau et une serpillière et ils lavèrent rapidement le sol, en particulier aux endroits où Jorus avait vomi. Rapidement, ce fut plus supportable : sans être parfait, elle estima qu'elle s'en accommoderait et se hissa dans son hamac pour une bonne sieste.
Une si bonne sieste qu'il fallut la réveiller lorsque le navire approcha de la côte : elle empaqueta rapidement les affaires qu'elle avait sorties, dont la corde qu'un marin avait détachée et repliée, et elle gagna le pont. Ils s'approchaient d'une baie dans laquelle avaient été bâties quelques huttes un peu miteuses : au bord de l'eau, observant avec surprise le Danse-Lame, des Sindeldi pauvrement vêtus observaient l'imposant trois-mâts qui venait jusqu'à leur petit village de pêcheurs. Il était déconcertant de constater la présence d'une si petite bourgade après avoir vu Nessima, la capacité des gris à contrôler le climat et à arpenter les cieux. Il n'y avait dans le port que de bien plus petites embarcations, comme ces pirogues qui devaient leur servir à s'aventurer non loin des côtes pour pêcher : d'ailleurs, il n'y avait pas réellement de ponton pour amarrer le Danse-Lame, qui jeta l'ancre avant de manquer de fond et fit descendre un canot afin de permettre à quelques marins et aux deux aventuriers humains d'aller à terre. Mais avant qu'on ne les laisse embarquer dans cette navette, le capitaine les rejoignit et leur adressa des remerciements ainsi que ses félicitations. Si ce n'était que cela, la jeune fille l'aurait vaguement remercié à son tour avant de s'empresser de rejoindre la plage : mais en sus de ces quelques mots dans lesquels on sentait encore et toujours le mépris classique des Sindeldi pour eux, pauvres humains, il leur offrit à chacun un présent. Si elle remarqua que, pour Jorus, c'était une nouvelle cape, elle eut droit à une dizaine de carreaux d'arbalète. Bien qu'elle ne s'en soit pas servi, elle portait effectivement à la ceinture l'arbalète de poing d'Aethalin, qu'Arsok avait retrouvée, sans qu'elle sache véritablement comment il avait fait, et qu'elle avait récupérée par l'entremise de Sable ; son carquois était déjà plein, mais elle constata rapidement que les carreaux du capitaine étaient de bien meilleure facture que ceux qu'elle avait achetés à Kendra Kâr.
«
Merci à vous, capitaine, et à la prochaine, » répondit-elle avec un sourire franc. Elle ressentait une grande fierté à recevoir un tel cadeau : c'était comme la reconnaissance palpable de ses actes, de son action héroïque - pas de vulgaires remerciements qu'elle aurait oubliés le lendemain.
Ils embarquèrent dans la chaloupe et gagnèrent la plage, où ils débarquèrent, sentant immédiatement se poser sur eux des regards anxieux et haineux. Un rapide coup d'œil aux alentours confirma à la jeune fille que ce n'était pas les marins Sindeldi qui attisaient la curiosité des villageois, mais bien eux deux, les deux humains qui se trouvaient parmi eux. Ils furent rapidement rejoints par un Sindel bien plus richement vêtu que le reste de la populace, qui cachait sous d'amples tissus sa peau, à l'exception de ses mains et de son visage sur lesquels on pouvait nettement distinguer des cicatrices nombreuses. Il les dévisagea avec suspicion et l'assassine sentit le regard de l'elfe se poser avec envie sur son équipement. Elle fronça légèrement les sourcils, tentant de conserver autant que possible le contrôle sur l'image qu'elle renvoyait : il était inutile de se montrer agressif avec celui qui semblait être le dirigeant de cette localité, aussi insignifiant fût-il par ailleurs. Mais elle détestait ce regard qui semblait signifier qu'il profiterait du moindre dos tourné pour la trahir et lui subtiliser tout ce qu'elle avait longuement acquis, sur Yuimen ou Aliaénon.
Celui-ci ne dissimula par ailleurs pas son aigreur ni sa xénophobie : il leur intima de repartir aussitôt, refusant de les accueillir à Alythaë. L'un des marins lui répondit en elfique et Yurlungur put constater que le riche Sindel, bien obligé d'accepter la remarque, n'en était que plus irrité. Le matelot lui avait visiblement parlé de Sylënn et le chef du village leur demanda donc rudement ce qu'ils voulaient, non sans insulter au passage la commandante.
Yurlungur hésita un instant, puis songea que ce n'était pas correct. Elle était entourée de Sindel : leur reprocher encore une fois leur manque d'hospitalité, comme elle avait pu le faire à la Garde militaire, était un suicide politique. Il fallait essayer de flatter l'inconnu, de se montrer poli, bien que ce soit difficile : il fallait prendre sur soi et espérer qu'ainsi, ils daigneraient, sinon les aider, au moins les laisser en paix... Elle fit un pas en avant et prit la parole, sans même songer qu'en plus de son sang humain, son apparence juvénile la desservirait probablement.
«
Noble Sindel, » commença-t-elle, «
nous sommes dépêchés par la Garde militaire de Nessima afin de mettre au jour les mouvements étranges de troupes qui ont été entrevus dans les environs, en particulier au cœur du Delta. Vous comprendrez que la situation géopolitique actuelle, ainsi que la nature inconnue de cette menace, ait empêché la commandante d'envoyer des troupes pour cette mission, et qu'elle ait dû faire appel, exceptionnellement, à des mercenaires de tous horizons. Mais nous sommes ici pour vous aider, protéger autant que possible ce village et réduire à néant tout péril qui pourrait se terrer dans les environs. »
Elle laissa planer un instant de silence, laissant son explication faire son effet. Son visage était des plus sérieux : son expression était grave et son regard rivé sur le petit chef.
«
Nous aimerions que vous nous renseigniez sur toutes les informations supplémentaires dont vous disposeriez à propos des mouvements de troupes aperçus dans les environs, ou des incidents récents. Par ailleurs, vous n'avez pas à vous inquiéter quant à notre présence : nous partirons bientôt de nouveau pour explorer le Delta : dès qu'il vous en plaira, dès que vous nous autoriserez à emprunter une pirogue afin d'y pénétrer. »
Elle espérait que cette proposition fasse mouche : si le Sindel était probablement peu enclin à offrir quoi que ce soit à des étrangers, elle estimait que les chances étaient bien meilleures si cela pouvait le débarrasser de gêneurs... Du reste leur mission était hautement respectable et d'un intérêt direct pour ce village, le plus proche des mouvements aperçus : ils n'avaient pas intérêt du tout à les gêner à ce propos.
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