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par Ahrroë » lun. 30 mars 2020 16:32
Soupir. Massage des tempes. Re-soupir.
« J'ai maaaaaaaaaaal... »
Claire lui jette un regard mi-figue mi-raisin. Un soupçon de désapprobation dans un grand verre d'empathie.
« Je t'ai bien dit de ne pas trop tirer sur ton corps. Il est en convalescence. »
Ahrroë lâche un autre soupir. C'est surtout à la tête qu'elle a mal en fait. Mais c'est vrai que le trou au milieu des abdominaux n'aide pas vraiment. C'est le problème avec l'alcool, on croit tenir la douleur jusqu'au petit matin. Puis on regrette.
( Ca et les geôles. C'est sûrement les deux pires effets secondaires de la picole. )
Enième soupir. Elle allait devoir se faire recoudre. Encore. Et sans alcool, en plus.
( Hmm, quoique... )
Elle secoue la tête. Non, non, on a dit sans alcool. Justement parce que secouer la tête fait mal. Et que c'est pas normal.
« Sinon on dit qu'on laisse ça comme ça et ça devrait cicatriser. »
Regard noir pour seule réponse.
« Bon, bon... D'accord. »
Claire ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire face à la mine résignée de la vagabonde. Si indomptable d'ordinaire, voilà qu'elle était à sa merci, affichant une moue d'enfant grondée. Une sauvage domestiquée. Par l'alcool ou par elle ? Telle est la question. Probablement un peu des deux.
« Mais fais doucement, » continue Ahrroë.
La jeune élève de l'Académie des Sciences s'accroupit près d'elle, face au lit double qu'elles étaient censées partager la veille. Mais Claire avait eu le lit pour elle seule, étant rentrée alors que la vagabonde était encore occupée à... donner des coups de pieds ? Puis vomir en cellule, évidemment. Elles ne se connaissent que depuis quelques jours, mais déjà la jeune érudite sait qu'il ne sert à rien de tenter de raisonner une Ahrroë ivre. En fait, même sobre c'est souvent peine perdue.
« Ne bouge pas, » lui intime la jeune femme en retirant le bandage ensanglanté du torse de sa compagne de route.
La blessure est vilaine. Une entaille de plusieurs centimètres d'épaisseur sur presque toute la largeur du ventre. Et profonde, avec ça. Heureusement, après un rapide nettoyage de la plaie par Claire, il s'avère que seul un petit segment de la cicatrice s'est rouvert. Cela ne demandera que quelques minutes et un peu de concentration à l'élève pour rafistoler tout ça et arrêter l'écoulement du sang. Mais c'est plusieurs jours additionnels de cicatrisation qui l'attendent. Et avec ça l'assurance de se traîner sa chaperonne autant de temps supplémentaire. Ses sourcils froncés, une mèche rebelle – fait rare – devant les yeux, celle-ci s'attelle à recoudre méticuleusement le ventre de son amie sous son regard amusé. Ses cheveux châtains sont particulièrement en désordre ce matin – ou est-ce l'après-midi ? - des épis les parsemant malgré leur faible longueur, et ses vêtements de voyage rouge et bruns ont visiblement été enfilés en toute hâte. Sûrement s'était-elle précipitée hors du lit en se rendant compte de l'absence d'Ahrroë près d'elle. Son corset n'est même pas complètement noué. Elle qui est d'ordinaire si propre sur elle, élégante, coiffée...
« T'as pas ton ruban, » remarque la vagabonde, tournant la tête pour inspecter la pièce.
« Hmm, » acquiesce l'autre, ne l'écoutant qu'à moitié.
Son visage fin semble bien fermé tant elle est concentrée. Un petit tremblement inopportun et son amie le sentirait passer. Ses yeux noisettes sont rivés sur ses petits doigts agiles, s'affairant à rafistoler le corps tout abîmé de la sauvageonne qu'elle accompagne, puis lorsqu'elle en termine enfin avec son torse elle remonte son pantalon pour découvrir la vilaine blessure sur l'intérieur de sa cuisse gauche. Celle-ci est bien plus ouverte que ne l'était celle de son ventre quelques minutes auparavant. Sûrement un lien avec les multiples coups de pieds qu'elle se souvient vaguement avoir distribué pendant la soirée. Elle aurait bien donné quelques beignes à la place mais son bras droit est pratiquement inutilisable. Non pas que la plaie est plus sévère, mais les tendons du coude sont abîmés. Cela demandera de la rééducation. Et beaucoup de patience. Trop de patience. Bien plus de patience que ce dont elle est capable.
( J'vais bien trouver un vrai guérisseur quelque part pour s'occuper d'ça. ) songe-t-elle.
Rien que l'idée de ne plus pouvoir donner de tarte de sa main dominante lui brise le cœur. Les tartes sont un peu le compromis idéal entre la violence et la convivialité d'une rixe de taverne. Le meilleur des deux mondes. Certes, ça claque. Certes, on est jamais à l'abri d'envoyer quelqu'un s'éclater la tête contre un coin de table. Mais le plus souvent on reste sonné quelques secondes, on se redresse et c'est reparti ! Et puis finir assommé sur des restes de bouffe et de bière fait partie des risques. Si on tient vraiment à rester conscient on met pas les pieds dans une taverne après le coucher du soleil.
Pincement sur la cuisse. Grimace. L'endroit est sensible, même pour elle qui supporte si bien la douleur généralement.
« J'ai maaaaal, » geint-elle.
« J'ai presque fini, » la rassure son amie sans détourner le regard de son travail.
Une chance que la jeune femme qu'elle ait sauvé soit experte en anatomie humaine. C'était quoi sa spécialisation déjà ? Hmm... Probablement un truc chiant.