IX 13 L'atelier magique.
IX 14 Le savoir magique au travers des livres.
Les jours suivants et avec l’autorisation d’Aëgis, je passe tout mon temps dans l’atelier magique, délaissant les composés magiques et m’intéressant davantage aux nombreux ouvrages à ma disposition. Je m’intéresse plus particulièrement à ce que j’ai appris durant mon dernier affrontement : les résistances élémentaires. Le garzock contre qui je me suis opposé possédait, d’après les dires d’Aëgis, plusieurs protections contre les sorts magiques et à cause desquels j’ai eu tant de mal.
Les protections élémentaires sont comme indiquées par leurs appellations, des protections face aux sorts élémentaires. L’art de ces résistances à la magie est encore en cours auprès des artisans magiques, pouvant générer des protections isolantes face à la foudre, calorifique contre le froid glaçant, bénie, matelassée, etc… A noter cependant qu’il n’existe à l’heure actuelle, aucune résistance face à la psychomancie. Nul n’est encore parvenu à protéger l’esprit face aux incursions de ces sorts si particuliers. Une information qui a de quoi me plaire, moi qui me suis baigné dans cet art assez rapidement. Néanmoins, au fil de mes lectures, ces protections élémentaires avaient été mentionnées. Non pas pour l’atout quelle procure, mais il existerait une faille à celle-ci. Certains individus auraient été en mesure de passer outre celle-ci, rendant à leurs sorts, toute la puissance et l’efficacité d’origine.
(Où ai-je vu cette mention ?)
Je fouille, j’inspecte, je scrute les ouvrages que j’ai déjà eus l’occasion de parcourir, malheureusement, il y en a beaucoup. Il y en a vraiment beaucoup. C'est au point où ses recherches spécifiques se comptent en heures. Au prix d’une absence totale d’autre distraction, je parviens à mettre la main sur celui que je désirais. Les recueils d’un mage, dont les aventures relatées au travers de poèmes évoquent ce que je recherche.
"Estimant de bonnes chances de le pourfendre
Le soldat avança face au magicien
Ses résistances n'ont hélas pu le défendre
Contre le pouvoir de l’occultomancien."
(Je pensais que le terme occultomancien faisait rapport à un titre ou à la notion de pouvoirs obscurs cependant…je crois avoir vu ce terme quelque part.)
Je cherche dans les nombreux volumes à ma disposition, celui qui selon moi y fait référence. J’ai un signet pour parcourir les pages d’un livre, il me faudrait un objet similaire pour retrouver des livres particuliers à présent. Ces recherches sont fastidieuses, néanmoins, je sais mieux me repérer au sein de ce trésor de savoir. Je décote finalement un grimoire intitulé "l’art unique de l’occultisme". A l’intérieur, je trouve de nombreux schémas compliqués, des formules incompréhensibles et des notions qui me sont abstraites. Rien ne me fait autant plaisir qu’une énigme magique posée entre mes mains. Je prends mon temps, détaillant les indications à l’intérieur avec assiduité. Il y a beaucoup de zones d’ombres dans les textes que je parcours cependant, j’ai à présent la compréhension du rangement des volumes pour m’aider à palier à mon absence de savoir.
A partir de ce volume sur la magie des occultistes et non occultomanciens, j’approfondis mes connaissances en me basant sur des textes issus d’autres sources. Le voyage d’un explorateur jusqu’à un shaman d’une tribu isolée. L’analyse des nombreuses expériences sur les fluides élémentaires d’un alchimiste. La vente d’un vieux parchemin dans un marché clandestin. Les multiples tentatives infructueuses de sorciers cherchant eux aussi à éliminer la nature élémentaire des fluides, concluant sur le concept purement théorique d’une magie pure. Petit à petit, les informations se regroupent.
Avec du temps et de l’acharnement, je résume l’essentiel de mes recherches. Le concept de magie pure n’est en rien théorique. Il existe bien trop de faits concordant entre eux pour n’être que le fruit du hasard, issu d’un même auteur ou de tout un groupe. Les premières étapes de cela consistent à retirer des fluides leur nature élémentaire. Il n’existe cependant pas d’explication à cela. Le seul indice que j’ai pu retrouver est le développement d’une capacité de détection des fluides. Hélas, il m’est impossible de le faire sur moi-même et ce n’est pas la surprise que l’on me fait qui m’aide.
"Je vous dépose tout cela ici monsieur Nhaundar ?" Fait une voix dans mon dos.
Je me lève d’un bond, perdant quelques feuilles au passage. Eyoïm dépose un panier avec de quoi me restaurer. Me voyant passer beaucoup de temps à l’intérieur, Aëgis a fait mander ce jeune elfe pour m’apporter de quoi ne pas mourir de faim. Il est vrai que je me passionne pour les écrits ici présent, au point où manger devient secondaire. Au début, j’ai eu la surprise de voir le jeune garçon de quelques dizaines d’années venir. Un Earion apportant de la nourriture à un shaakt. Cependant, le père de cet enfant faisait partie des rescapés que j’ai protégés. Je n’allais donc pas me méfier du garçon, en particulier s’il me permet de gagner du temps.
(Il tombe bien d’ailleurs.)
"J’y pense Eyoim. As-tu développé des fluides magiques ?" Dis-je en m’approchant de la corbeille pour prendre un fruit.
"Eh bien…c’est-à-dire que…" Déclare-t-il hésitant.
"Tu en as, mais tu n’as pas développé de fluide d’eau je me trompe ?" Dis-je en observant la gêne manifeste de son visage.
Mon séjour à Lebher et mes études m’ont appris que les elfes bleus sont si proches de la mer que développer naturellement des fluides autre que l’élément aquatique peut parfois être mal vu. Les plus fanatiques rejettent même leur propre progéniture pour s’éviter une honte. Des pratiques purement scandaleuse et si elles n’ont plus cours aujourd’hui, ce genre d’événement paraît toujours problématique.
(En tout cas c’est parfait me concernant.)
"Pourrais-tu rester un peu plus longtemps que d’habitude ? J’aimerais essayer quelque chose si tu le veux bien."
Ma proposition l’intrigue, mais j’ai bien vu qu’il est fasciné par mes recherches. Son regard furète toujours sur mes notes à ses visites. Je le dispose à quelques pas de moi et fermant les yeux, j’use de mes fluides pour les projeter sur lui, en quête de la nature de ses fluides. J’use de multiples façons différentes, réitère avec des fluides de nature unique, en les mélangeant, cherchant le contact avec ses fluides. Rien.
"Que faites-vous ?" Me demande-t-il.
"Je cherche un moyen de détecter la magie, mais j’avoue que je fais chou blanc pour le moment."
"Ha oui ? Vous aviez l’air d’écouter quelque chose." Déclare-t-il tout simplement, rassuré que je ne sois pas parvenu à sentir sa magie.
"Oui on peut assez bien résumer les choses ainsi." Dis-je en cherchant des indices sur la manière de procéder. Hélas, aucune note ne mentionne comment manipuler les fluides.
"Moi quand j’essaie d’écouter aux portes, je mets mon oreille dessus." Affirme-t-il d’un naturel enfantin.
"Ha ?" Fais-je avec l’esquisse d’un petit sourire sur le coin des lèvres.
"Malheureusement ce n’est pas…"
(Poser son oreille ? Et pourquoi pas ?)
Je me rapproche de lui si vite qu’il en est surpris. Je m’excuse de mon comportement soudain et lui explique ce que je compte faire. Une simple main en haut de sa poitrine, presque vers la nuque. Les fluides ne faisant qu’un avec le corps, il serait plus facile de les sentir en cherchant presque au centre de celui-ci, près du cœur. Encore une fois, j’use de mes fluides pour sentir ceux d’Eyoïm, mais rien. C’est exaspérant.
(Il n’y a pas la moindre indication ! Pas d’énigme, aucun poème ne mentionne comment utiliser les fluides. C’est à se demander s’il y a besoin de fluide pour cela. D’un côté, cela paraîtrait logique. Comment serait-il possible de sentir les fluides, si on utilise une nature opposée ? Les interférences de nature empêcheraient un tel processus. La solution serait autre ? Comme si j’essayais d’écouter avec autre chose que mes oreilles ?)
Je délaisse ma méthode précédente pour me fier à mon instinct. Ma main sur le torse du jeune garçon, je fais le vide dans mes pensées et laisse mes sens se développer. Ce n’est qu’avec de la patience et beaucoup de concentration que je commence à sentir quelque chose. Je focalise mon esprit dessus, allant jusqu’à sentir quelque chose de presque palpable. Je continue dans ma tâche, je poursuis avec assiduité, je ne lâche rien tant que je n’apprends pas de cette tentative. Or, tout ce que j’obtiens n’est que la sensation d’une petite brise. Un filet d’air qui semble émaner au cœur de ma main.
(Cela ne va pas. Il me faut reprendre les bases.)
Je délaisse finalement le torse du jeune garçon avec défaitisme.
"Alors ? Vous…vous avez senti quelque chose ?" Me demande timidement le jeune homme avec une brève inquiétude dans son expression.
"Non. Si ce n’est…une légère sensation d’air." Dis-je tout simplement en guettant une forme de soulagement dans ses yeux.
Cependant, au lieu d’être rassuré, une lame effroi touche le jeune en plein cœur, la laissant transparaître sur son visage. La crainte de ne pas faire naître l’élément d’eau, cette sensation de brise au travers de mes doigts.
"Tu es aéromancien n’est-ce pas ?" Dis-je en assemblant les pièces du puzzle.
A ces mots, le jeune Eyoïm prend peur et s’enfuit immédiatement de l’atelier, me laissant seul malgré mes suppliques, avec la porte qui claque par un vent fort. Je ne vais pas lui courir après. Il n’est pas en état de discuter, en particulier si mes doutes concernant l’apparition de l’élément aquatique chez les manipulateur de magie éarion sont fondés. Pour le moment, je préfère me concentrer sur cette dernière expérience : une franche réussite.
(Je n’ai senti qu’un mince filet d’air entre les doigts. Peut-être est-ce lié à une quantité très faible de mana d’air en lui ou simplement à un manque de pratique.)
Je reste cependant intrigué par cette sensation qui émanait du jeune homme. C’est quelque chose de singulier et qui ne ressemblais pas à ce que j’ai connu, même avec mes propres fluides. Après avoir fait l’expérience, je tente de faire de même sur moi. La main sur la poitrine, je plonge dans mon propre corps, écoutant ma magie…autrement. Plus facilement que pour le jeune garçon, les premières émanations de magies me parviennent. Est-ce dû à une meilleure compréhension de cette technique, ou est-ce à cause que je suis mon propre cobaye ? Peu importe la raison, je ressens en moi la chaleur d’une douce journée d’été, l’agréable sensation d’être blotti sur une herbe rafraichissante, la beauté d’un levé de soleil sans qu’il ne m’agresse les yeux, ainsi que le clapotis du court d’eau d’un ruisseau.
Pourtant, lorsque j’entrevois la nature de mes fluides je ressens autre chose que ces sensations. Ca m’est…comme caché, dissimulé par un voile que je suis incapable d’atteindre, mais qui a déjà été mentionné. Je reprends mes études de textes, revois mes diverses notes. Ce voile a déjà été mentionné à de nombreuses reprises sur la théorie de la magie pure, bien qu’écrit de la sorte, il est aisé de se méprendre, pensant que l’auteur est tombé face à un mur. Je passe d’un livre à un autre, revoyant les textes avec une vision nouvelle.
Plongé dans mes recherches, j’ai l’impression que tout ce mêle dans une étrange illusion. Les schémas complexes se dessinent dans les airs, dansant avec des calculs mathématiques, des probabilités de rejet concernant des solutions alchimiques afin transformer la nature élémentaire des fluides, des définitions précises, des annotations loin d’être anodines, des déclarations d’individus éminents dans leurs domaines. A force de mélanger tout cela, je conclu un point : le voile que j’ai perçu ne m’empêche pas à voir ce que je recherche, il modifie tout simplement la nature de la magie. L’habillant pour se travestir à autre une forme. Pourtant, il est clairement possible de s’en défaire.
Les schémas alchimiques font souvent référence à la magie comme étant un mélange homogène. Cependant, il me faut prendre le temps d’assimiler les nombreuses notions alchimiques pour comprendre. Le mélange homogène qu’est la magie élémentaire se compose d’un solvant, qui est définit par le concept de magie pure et d’un soluté, nommé la nature élémentaire. Ainsi, la magie telle que nous la connaissons est en réalité le composé de deux éléments mélangés ensembles et qu’extraire la nature élémentaire permet d’obtenir la magie élémentaire.
(Deux entités, deux essences, intimement mélangées pour devenir la magie telle que nous la connaissons tous. Ainsi donc, ce que j’ai senti chez le jeune Eyoïm ainsi que sur moi-même, n’est autre que la nature élémentaire de la magie. La magie pure a-t-elle toujours été mélangée avec cette nature élémentaire ? Sont-elles apparues séparément ? Comment ? Pourquoi ? Voilà bien des questions dont je n’ai aucune réponse. Il sera intéressant d’approfondir le sujet à l’avenir, mais pour l’heure une tâche bien plus à ma portée m’attend.)
Après les quatre éléments que mon corps peut posséder ainsi que la psychomancie qui affecte l’esprit, une toute nouvelle forme de magie se présente à moi. La magie pure. Un pouvoir particulièrement puissant puisqu’il n’est plus soumis aux restrictions élémentaires. Une rencontre qui débouche sur une émotion bien distincte : la convoitise. J’ai toujours apprécié les récits des grands mages, les manipulations ingénieuses de la magie et les nombreux objets qui en ont reçu le pouvoir. Mais jamais je n’avais éprouvé une telle envie de possession. Ce besoin de connaître, de savoir faire et de faire mien ce pouvoir.
Je tends une main devant moi, jouant avec mes fluides de feu au sein même de ma main. Connaissant à présent une partie du secret qui compose la magie, je porte ma concentration sur mes fluides lorsque je génère une boule de feu sur le chaudron qui semble insensible à mes flammes. Je ressens la chaleur envahie ma main, lorsqu’elle émet les flammes par l’intermédiaire de mes fluides de feu. De ce que j’ai appris de mes recherches, seuls les fluides élémentaires sont assimilables, car ils sont l’essence même des éléments primordiaux. Il m’est donc évident que ne peux transformer mes propres fluides.
(La transformation en magie pure doit se faire à chaque usage. Lors du processus, il me semble important de déterminer quand le changement doit opérer. Une fois libérée, la magie vit d’elle-même, bien que guidée par son manipulateur. On peut donc affirmer que c’est durant la manipulation des fluides, que ceux-ci doivent perdre leur nature élémentaire avant que le sort ne soit formé.)
Ainsi, je monopolise mes fluides de feu en moi et gardant cette sensation de chaleur d’une douce journée d’été, j’use de ma concentration pour ôter la nature élémentaire. Les premiers instants sont hésitants. J’ai peur d’une réaction brutale de mes fluides en moi. Cependant, rien n’arrivant à mon corps, je fais preuve de bien plus d’emprise sur mes fluides que précédemment. J’insiste, encore et encore, persuadé qu’il y a quelque part une solution, une récompense à mon acharnement. Jusqu’à ce qu’à un bref instant, l’espace d’un battement de cils, la nature magique de mes fluides de feu s’en est vue perturbé.
Satisfait, curieux, intrigué par ce bref moment, je retente encore mon entreprise. Petit à petit, la sensation éphémère, dont l’apparition était proche du coup de chance, devient plus régulière et moins subtile. Je sens davantage ce changement et celui-ci perdurant sur le temps, je les perçois mieux en profondeur. A force d’acharnements, les changements deviennent habituels, pour ne pas dire systématique et la nature de mes fluides est, elle complètement bouleversée. Ma magie de feu continue de circuler en moi, mais sans aucune chaleur, sans sensation d’une journée d’été, d’un moment au coin du feu, ou d’une marmite chaude dans les mains. Juste une magie dénuée de nature élémentaire. Une magie, dans son état le plus pur.
J’exulte de joie. Après tout ce travail, mes recherches, mes efforts portent leurs fruits. Je saute, bondis, tournoie dans l’atelier magique jusqu’à ce que je glisse sur des notes au sol. Je perds l’équilibre. Mes jambes partent d’un côté, le haut de mon corps de l’autre et, avant que ma tête ne vienne rencontrer un coin de table assez fortement, je me dis que j’aurais peut-être dû ranger mes affaires plus méticuleusement.
IX 15 Un réveil douloureux.