Le Port

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Yuimen
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Le Port

Message par Yuimen » sam. 6 janv. 2018 11:26

Le port de Pohélis


Ce port est en relativement mauvais état depuis les guerres qui ont ravagé la cité. Cela dit, ça n'empêche pas les bateaux de venir et de partir...


Les bateaux sont rachetés à 1/4 de leur prix.


La demande doit être postée, avec le lien du post, dans le sujet d'Interventions GM.
Prix et explications des navires : Règle des voyages maritimes

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Huyïn
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Re: Le Port

Message par Huyïn » lun. 25 nov. 2019 03:40

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Le port est quasiment désert à cette heure entre fin de nuit et début de jour. Seules de vagues silhouettes se meuvent sur les quelques navires amarrés aux pontons davantage bricolés que remis consciencieusement à neuf. Huyïn se tient debout sur ce qui a du en être un, laissé à l'état d'amoncellement de planches cabossées. Ses yeux clairs se baissent légèrement vers la forme noircissant l'eau nocturne. Un petit navire qui a coulé là, sans doute après avoir défoncé la structure, et dont un des mâts dépasse encore de l'eau. Un souvenir de la prise de la cité sans doute, et dont personne n'a eu l'envie de s'occuper, que ce soit pour en récupérer des matériaux ou en dégager suffisamment pour rebâtir une avancée de quai. Le woran n'y prête pas vraiment attention, s'avançant sur la partie intacte de la construction de bois et rivant son regard vers l'Est. L'air porte une odeur différente. Plus fraîche peut-être ? Difficile à dire. Peut-être que sa truffe se décharge enfin de l'odeur subie pendant ces heures souterraines.

Le félin ne semble pas remarquer la présence du jeune humain pâle venu s'asseoir sur l'un des troncs sciés servant de pilier au ponton. C'est faux, bien entendu. Il le garde au bord de son champ de vision, par simple précaution. Habitué à la pénombre, il parvient à observer à la dérobée le tigreau laisser pendre une jambe et repliant l'autre contre son torse, faisant tourner un trio de cailloux dans sa paume. Les pupilles verticales s'en détournent, se rivant aussi loin que possible au-dessus de l'étendue liquide. Les mains sous fourrure élèvent le luth et après quelques notes jouées au hasard, elles se déplacent pour les reprendre et les changer en mélodie moins saccadée. Ces mêmes notes sont répétées, plus vite ou plus fort lors de certains passages pour accentuer une vibration qui résonne agréablement au point de contact entre l'instrument et son nouveau propriétaire. Le Tigre prend peu à peu conscience de ce poids contre lui, de la tangibilité de l'objet entre ses bras. Il réalise note après note que sa composition s'est jouée sous sa direction, que les participants ont tenu leur rôle avec parfois quelques surprises inattendues. Mais le résultat est là, sous ses yeux. Un instrument qui devait autrefois posséder un vernis d'un rouge brillant devenu teinte sang séché, dont les courbes sont soulignées d'un métal jaunissant le long des bras et de l'ouverture ornant le ventre. Et qu'il fait chanter avec lenteur dans la pénombre, le sentant vibrer sous l'action d'autre chose que le jeu des cordes.

À sa gauche, le tigreau lève un bras et lance l'une de ses pierres en direction du mât. Un claquement de langue retentit quand le projectile rate sa cible et tombe dans l'eau salée. L'humain ne retente pas sa chance, il se sert des morceaux de roc restant coincés dans son poing pour battre la mesure de la musique improvisée. Huyïn sait qu'il va mettre fin au silence entre eux quand ses oreilles perçoivent la prise d'une profonde inspiration.

"Y'a un truc que j'arrive toujours pas à savoir.", fait-il en secouant la tête sur le rythme. "T'avais décidé d'm'intégrer à ta p'tite revanche avant ou après m'avoir filé un coup d'main ?"

Le Tigre ne répond pas, continuant à jouer. Se débarrasser de l'homme n'avait en soi rien de nouveau comme objectif, mais il est vrai que le Tigre manquait d'inspiration pour l'atteindre. De pièces à placer sur l'échiquier, surtout. Du moins, jusqu'à ce que le meneur de la troupe entre dans l'office de l'usurier sans remarquer la présence du tigreau et d'une poignée d'autres personnes dans la pièce d'à côté. Aurait-il été un peu plus attentif, l'ancien musicien aurait reconnu ces même faciès à la table de jeu privée. Les joueurs, familiers les uns des autres, s'envoyaient des signaux quand les cartes marquées et les indications tambourinées par le félin ne suffisaient pas. Le bougre n'avait aucun espoir de sortir vainqueur une fois sa chance naturelle tordue par une méthode de triche rodée.

Mais c'est bel et bien le hasard qui a fait qu'une poignée de garzoks en mal de combat avait décidé d'y remédier sur le chemin menant à l'abri, obligeant le félin à faire un détour et passer par une autre ruelle. Une voie banale et assez étroite où un elfe sombre a cru pouvoir échapper à sa dette envers l'usurier en plantant une lame courte dans l'abdomen du messager qui lui avait été envoyé. Impulsivité mal récompensée, car la force venteuse du woran a empêché le shaakt d'achever le tigreau. Celui-ci s'est vengé en le frappant de ses poings nus jusqu'à un ultime uppercut. Le coup s'est abattu si violemment contre la mâchoire elfique qu'il l'a non seulement brisée, mais a aussi envoyé son propriétaire choir contre un rebord d'ouverture taillé dans la pierre. Il aurait peut-être pu s'en remettre, si le tigreau humain n'avait pas ramassé l'arme courte pour se faire justice en la plongeant une quarantaine de fois en réponse dans le ventre de sa victime.

Huyïn laisse son minois félin imiter le petit mouvement de balancier de son voisin et finit par abaisser le regard vers l'une des mains à mitaine effleurant la zone meurtrie quelques semaines plus tôt. Nuit ou non, les yeux du woran n'ont eu aucun problème à reconnaître le jeune homme qui, après avoir du lâcher l'arme rendue glissante par la substance sanguine, avait bien besoin d'un petit coup de main. Le Tigre se souvient encore de la sensation désagréable du tissu de sa tunique collant à sa fourrure à cause du fluide de vie versé par le passager porté sur son dos, et des indications hasardeuses de ce dernier pour le mener à destination. Au taudis d'une sekteg adroite à nettoyer et refermer des blessures, mais incapable de préparer le moindre aliment ou breuvage pour ses patients sans se retenir d'y verser quelque ingrédient de son crû. Le genre de condiment causant des douleurs et des nausées obligeant ses invités à demeurer chez elle afin qu'elle soit aux petits soins envers eux. Rares étaient ceux qui repartaient sur leurs deux jambes après avoir goûté à sa cuisine. C'est une poignée d'heures après avoir été recousu, pendant qu'il se reposait en gardant un œil sur la femelle de petite taille, que le tigreau a suggéré malgré lui un terrain d'entente. Huyïn avait besoin d'une autre main pour tirer certaines ficelles en sa faveur, le jeune homme quant à lui cherchait un moyen de mettre cordialement un terme à son partenariat avec l'usurier tout en concluant une dernière affaire.

Les doigts du félin se posent contre les cordes, faisant cesser le son de l'instrument. Ses yeux pâles sont attirés par les premières variations de couleur à l'horizon.

"Quelle importance ?"

"Mh. Moais. Dans l'fond, j'm'en fous.", commence-t-il en se tournant vers lui, la pommette en appui contre le poing. "On n'a pas causé du reste des yus qu'j'ai gagné. C'est l'moment, non ? Vu qu'c'est mes relations qu'ont pas mal joué, j'pense que j'ai droit... "

"Garde tout.", coupe le woran en repositionnant ses pattes sur l'instrument.

Un moment de flottement prend place.

"Tout ? Comment ça, tout ? Minute... T'es en train d'me dire que tu n'veux même pas une part du gâteau ?"

"Exact.", confirme le félin en se tournant quelque peu vers son interlocuteur.

Il plonge ses yeux à pupille verticale dans ceux vert sombre de l'humain pâle puis hausse le luth, frottant sa joue contre l'une des branches en grondant du fond de la gorge. Une phalange lisse l'une des cordes depuis l'attache au sommet du manche jusqu'à leur extrémité opposée quelques instants avant de la faire tinter. Huyïn observe le sourcil légèrement haussé de l'humain. Le jeune homme a l'air de réfléchir puis il dévoile lentement une canine en un sourire dangereux, confiant et amusé.

"T'as pas un genre d'sens moral débile qui r'fuse ces yus à cause d'là où ils viennent, ou une forme de chevalerie te dictant de les laisser à qui en a le plus besoin, hein ?"

"Rien de tel."

"Hm...", laisse entendre l'être pâle en faisant une petite moue. Il demeure silencieux un moment, la joue contre son poing clos et les yeux se fermant peu à peu. Il les rouvre d'un coup, les braquant sur le fauve et levant un à un les doigts à mesure qu'il fait un décompte. "Attends voir... T'as patienté plus d'quinze ans à faire semblant d'être un chat trop con pour comprendre sa situation, poussé un mec saoul à faire connerie sur connerie jusqu'à c'qu'il finisse chez une guérisseuse adorablement tarée, convaincu à travers bibi un crétin d's'embarquer dans la pire des cachettes sur l'navire d'un tueur d'clandestins, causé la fuite du gagne-pain en jupons d'ton groupe avec un coup d'main d'ma part, organisé la chute d'un type avec qui t'as vécu près d'vingt ans pour...", énumère-t-il en amenant peu à peu son regard sur l'objet coloris sang séché. "Pour mettre la main sur c'vieux morceau d'bois ?"

Huyïn ne répond rien, mais son silence est des plus éloquents. Le petit accord qu'il joue ressemble presque à un grondement affirmatif.

"T'aime te faire chier, dis donc !", s'esclaffe l'humain en se donnant une claque sur la cuisse, se tenant presque plié en deux à cause d'un rire incontrôlable. Le son passe peu à peu de violent à tout juste perceptible, de rire en ricanement puis soupir amusé. Il en vient à effacer une larme du coin de son œil, basculer sur une position assise en tailleur et prendre de nouveau appui la joue sur la paume. "Pourquoi tu l'as pas juste égorgé pendant qu'il pionçait ? C'quand même plus simple, non ? La trouille d'passer à l'acte ?"

"Trop simple, justement.", lâche finalement le woran en laissant ses griffes faire tinter les cordes l'une après l'autre.

Pourquoi faire preuve de pitié en infligeant une mort rapide ? Après tout ce temps passé à être humilié et à endurer la présence de cet énergumène, il ne mérite que de vivre dans le tourment à son tour. Détruit dans toutes ses certitudes. Réduit à l'état de vulgaire objet vivant sans importance. Désespérément seul quand il cherchait la gloire faisant se presser les uns et les autres à ses bottes. Relégué dans un coin et oublié, comme tout jouet qui perd son intérêt aux yeux de son possesseur. Le seul regret que le Tigre pourrait avoir, c'est celui de lui avoir laissé les mains intactes. Mais après tout, les travaux qu'il va être forcé d'accomplir se chargeront de leur faire oublier qu'elles ont été celles d'un soi-disant artiste.

Les oreilles du woran sombre se tournent vers l'avant, tout comme son regard. Le coloris chaud de l'aube commence à poindre de plus en plus, accompagné d'une brise marine fouettant les visages pâles et à fourrure. La crinière sombre est chassée dans son dos, dévoilant une expression neutre au regard brillant.

"Tu comptes faire quoi maint'nant ?"

Le félin a des projets simples pour le moment. Maîtriser parfaitement son nouvel ami à cordes, dénicher quelque proposition attirant son attention, développer son potentiel magique. Rester un moment à Pohélis ? Envisageable, mais la cité lui parait plutôt vide côté possibilités, concentrée qu'elle est sur le conflit avec certaines forces proches. Peut-être est-ce là une forme d'opportunité ? Sa mâchoire fermée semble être acceptée comme réponse par son voisin qui s'étire lentement.

"C'est tout l'problème quand on devient libre d'un coup, hein ? On n'sait plus quoi faire d'nous-même. Rien qu'un peu d'sommeil n'saurait régler, j'pense. C'est comme ça que j'vais m'y prendre en c'qui m'concerne.", déclare le tigreau en tournant aussi son attention vers l'horizon. "Vu qu'on a déjà passé un peu de temps dans la même pièce et qu'on risque d'se recroiser une ou deux fois, j'te propose qu'on se présente histoire de plus y rev'nir.", fait le jeune homme en se désignant du pouce. "Arrluk."

Le woran sombre laisse son regard dévier vers le jeune homme à peau de neige qui ne lui prête aucune attention visible. Les yeux félins détaillent ce visage clair aux sourcils courts et aux tatouages contrastant avec son teint, en particulier celui allant du milieu de la lèvre inférieure au menton. L'autre sur sa joue ressemble plus à une balafre suintante stylisée. Le vent marin de Nosvéris ne le fait même pas tressaillir ou chercher à se réchauffer. Malgré son apparence faussement fermée et sur ses gardes, les premiers rayons du soleil laissent deviner une jeunesse certaine. Elle est d'autant plus flagrante quand il cale ses coudes sur ses genoux pour soutenir sa tête, deux doigts lissant la tresse pendant de sa tempe, le tout dans une posture détendue et inélégante. Un décalage des plus notable entre son apparence actuelle et la sauvagerie dont il a fait preuve envers son agresseur. Fascinant.

Le Tigre fait comme son interlocuteur et dirige son attention vers l'arrondi du disque solaire pointant au loin, encore trop faible pour aveugler, mais déjà suffisant pour faire s'éveiller la cité.

"Huyïn."

Un jour nouveau se lève sur Pohélis.


Fin du Prologue

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