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par Worteson » ven. 3 avr. 2020 09:43
Les mots de l'Oncle étaient sans équivoques, la quête limpide dans ses fins, mystérieuses dans ses moyens. Pour tout repère, Worteson disposait d'une légende ancienne, contée dans son enfance. Le reste, il y pourvoirait par la force de ses bras, les recours de son intelligence et la foi en les Lignes du Livre de Zewen. Avant de se mettre en quête, encore fallait-il disposer de moyens. La quantité de pièces dans sa bourse était à la mesure de ses besoins, peu conséquente, et bien inadaptée pour s’en aller dans le vaste monde, au-delà des montagnes. Le jeune thorkin n’était pas pour autant imprévoyant ni paresseux : ses jours loin des études étaient consacrés au travail de la mine, creuser, étayer, convoyer les lourds chargements jusqu’à l’entrée des tunnels. Le labeur lui avait forgé un physique qui parfois tranchait dans les salles de lecture où il se rendait et surtout lui avait permis de bien gagner sa vie, plus qu’il ne dépensait à vrai dire. La modestie de ses revenus tenait à une sympathie familiale pour un cousin contremaître parfois en mal avec ses livres de compte : Worteson acceptait de ne toucher que la portion de sa paie nécessaire à sa vie frugale, le reste bénéficiait au cousin, qui s’était engagé sur Valyus et Meno à rembourser ce qu’il devait le jour où cela lui serait demandé, à condition que la dette courante ne fasse pas l’objet d’intérêts. Worteson y avait consenti : peu lui importait de recevoir de l’argent pour n’avoir pas utilisé le sien pendant plusieurs mois, la juste rétribution pour son travail lui suffisait amplement.
Restait maintenant à convaincre le cousin Othon d’honorer sa promesse.
Worteson attendit la fin de la journée pour être certain de saisir la meilleure occasion. A une heure bien définie, aussi régulier que le soleil dans le ciel, Othon allait vider des chopes des meilleures fûts de la taverne du Bouc Assoiffé. Pour beaucoup, il faisait presque partie des meubles, et son ardoise était légendaire. Plus surprenant encore, il finissait toujours par l’effacer, pour peu qu’un gisement particulièrement prometteur émerge de son front de taille. Alors, à qui voulait l’entendre, il se disait en veine. On souriait gentiment et le surnom d’Othon le Chanceux lui colla aux basques, fortement teinté d’ironie dans la bouche de beaucoup.
D’une stature, vêture et attitude relativement commune pour un nain, repérer Othon dans la taverne nécessitait une certaine expérience. Ivre, il se découvrait des talents musicaux prodigieux et un brin de voix qu’il ne s’imaginait sans doute même pas sobre. Si Rhulf tolère ses dettes, outre la garantie d’être toujours remboursé à condition d’être patient, c’est sans doute parce qu’il fait l’économie d’un barde avec ce client capable d’entonner à pleins poumons les gestes des héros thorkins des temps passés, sans rater une rime, un pied, à condition que l’hydromel menace toujours de déborder de sa choppe.
A la fin d’une strophe particulièrement épique, Worteson profita d’un mouvement d’un compagnon de tablée parti soulager sa vessie pour prendre place près de son cousin. Othon le gratifia d’une chaleureuse accolade, alla pour lui servir à boire, lorsqu’il saisit le regard de son parent. Taciturne, le jeune Worteson l’était, mais quelque chose dans son regard suscitait plus encore le sérieux. Quelque part dans le cerveau du contremaître une association d’idée se fit, avec l’effet d’un seau d’eau froide sur son enthousiasme.
« Othon, je pars demain pour un long voyage. Tu dois rembourser ta dette. »
« De quoi ? Wort ! Tu plaisantes ! Hahaha, sacré vieux Wort ! En voyage ! Eh, vas-y, trinque donc à ce voyage et raconte moi tout. »
« Mon salaire, Othon. Demain, chez mes parents. »
« Enfin, comment veux-tu que je trouve en une nuit ce que tu me demandes ! Tu as laissé dormir tout ce bel or depuis… pfiou ! Plus d’une année maintenant. Je t’en remercie, tu as sacrément arrangé mes affaires. Tu te souviens du filon du mois dernier ? Ah j’aurais manqué d’étais sans ce coup de pouce, on ne l’aurait jamais atteint. Ah ça, tu es un cousin comme j’en voudrais cent ! Mais une nuit Wort… sérieusement… Une nuit ! Comment veux-tu que je réunisse la somme ? Rien qu’ici, si Rhulf apprenait que j’ai réussi à la débourser, il me suspendrait comme un cochon dans son fumoir, pour l’exemple. Aller, sois raisonnable, bois un coup et laisse moi un peu de temps. Le monde ne bougera pas, tu peux bien partir la semaine prochaine, et nous laisser un peu de temps pour fêter ton départ ! »
« Demain Othon. Tu as juré. Tes mots sont allés vers Valyus et Meno. »
« Aller Wort, ce n’est pas comme si je ne voulais pas te rembourser, tu sais bien que... »
Le contremaître soupira d’agacement. Il connaissait ce regard sous les sourcils froncés de son cousin : cela signifiait grossièrement que la conversation pouvait se poursuivre des heures mais que lui avait dit tout ce qu’il y avait à dire. C’est pour cela que Worteson se leva, alla payer une chope de son cousin auprès de Rhulf, pour faire bonne mesure, car il répugnait à ainsi s’attabler, même brièvement, sans rien laisser à personne, puis prit le chemin de sa chambre, dans les couloirs sombres de Rock Armath.