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par Aenaria » ven. 20 mars 2020 23:37
Voilà maintenant trois semaines que nous avions quitté le sable chaud, trois semaines que nous avions quitté un désert bleu de pierre et de dunes, trois semaines que nous avions été mis en présence d’une étrange tempête de sable, trois semaines que nous avions vu des aurores polaires en pleine journée, trois semaines que nous avions abandonné des compagnons de route, trois semaines que nous avions rencontré le roi du clan Kel Attamara, trois semaines que nous étions partis à la recherche de réponses.
Ces trois dernières semaines avaient aussi été synonyme pour moi d’une souffrance extrême. Je ne saurais expliquer ce qu’il m’arrivait, personne n’en était capable, ni Ehemdim, ni Crystallia ma fidèle faera, ni même le médecin de Yarthiss qu’Ehemdim avait grassement payé afin de venir m’ausculter. Personne n’était capable de dire le mal qui me rongeait depuis tout ce temps mais j’avais serré les dents durant toutes ces heures, j’avais tenu bon… Les cris étouffés dans les oreillers, les larmes essuyées dans les draps, la sueur épongée sur mon front par Ehemdim, la perte d'appétit, la perte du contrôle de son corps mais j'avais tenu bon...
Nous avions mis une quinzaine de jours pour relier Yarthiss depuis le désert de l’Est. Mon état général de santé n’étant pas glorieux, nous avions mis plus de temps que nécessaire pour des elfes en bonnes conditions physiques. Ehemdim avait été prévenant envers moi, surveillant mes moindres faits et gestes, mes moindres mimiques de douleurs, s’inquiétant dès que je ralentissais le rythme de notre marche.
Dans ma tête, la voix de ma faera résonnait sans cesse, me distillant des histoires drôles dès qu’elle le pouvait afin de me donner la force de continuer. Mon fiancé était aussi là pour m’épauler mais par moment trop d’attention, tuait l’attention. Il était dévoué mais j’avais aussi besoin de respirer de temps en temps, je n’hésitais d’ailleurs pas à m’en plaindre à plusieurs reprises à ma faera qui essayait tant bien que mal de me rassurer.
Cette douleur était bien trop lourde à porter, bien trop lourde pour me permettre d’avancer un peu plus, bien trop lourde pour mettre un pied devant l’autre, bien trop lourde pour me permettre ne serait-ce que de respirer convenablement, bien trop lourde pour me permettre de prendre quelques heures de repos sur le trajet…
J’avais pourtant réussi à rallier Yarthiss où j’avais fini par m’écrouler de fatigue, me recroquevillant de douleur sur le lit d’une chambre de cette auberge. Selon Ehemdim, j’avais dormi pendant des heures, il avait passé tout ce temps à surveiller mon sommeil, craignant que je ne me réveille pas. Et pourtant, depuis quelques minutes la douleur commençait à se taire…
Mais comment en étais-je arrivée là ? Tout se passait bien, j’étais partie de Kendra Kâr avec Ehemdim suite à un début d’enquête sur le phénomène des mystérieuses aurores polaires qui sévissait dans le ciel depuis plusieurs jours. Nous étions arrivés dans le désert avec d’autres compagnons de route et une fois sur place, tout avait tourné court pour moi et j’étais incapable de l’expliquer.
Je savais que ma magie était en parti responsable de mon état car je sentais mes fluides bouillir en moi, j’avais énormément de mal à les contrôler. Je savais de quoi j’étais capable depuis peu, depuis mon séjour plus ou moins prolongé dans le camp de la déportation d’Omyre… J’y avais découvert un pouvoir fabuleux qui sommeillait en moi mais à quel prix…
La magie était une bénédiction, un véritable don du ciel dans les bonnes mains mais elle pouvait également devenir une malédiction lorsqu’une personne au cœur noir s’en emparait. Tamìa, l’infame traitresse à notre race, qui était à l’origine de mon séjour à Omyre l’avait d’ailleurs payé de sa vie. J’avais déchainé des forces magiques que je commençais tout juste à maîtriser.
Mais aujourd’hui, après trois semaines de douleur, après trois semaines à sentir mes fluides jouer dans mon sang, j’en vins à penser que ce pouvoir, ce don des dieux m’avait été enlevé, qu’il avait été profondément modifier, que je ne pourrais plus jamais posséder une telle puissance, en tout cas pas sans un entraînement intensif.
J’en avais maintenant la certitude et c’était cette certitude qui avait été le déclencheur, le déclencheur de ma guérison. L’introspection avait quelque fois du bon mais ici, j’étais déçue de perdre un tel pouvoir. Cependant une infime part de mon cœur voulait se raccrocher à l’idée que je n’allais pas rester sans rien après cette phase d’agonie. Une part de moi s'accrochait à l'espoir que mes pouvoirs n'allaient pas complètement me faire défaut.
Je fis un troublant constat suite à cette introspection : la magie était devenue une part essentielle de ma vie à tel point que j'avais presque délaissé l'apprentissage de nouvelles techniques armées. Dernièrement, j'avais eu cette soif d'apprendre et de découvrir jusqu'où je pouvais pousser mon corps et ma magie, oubliant presque que j'étais une combattante, un soldat de l'armée sindeldi. Je me mis une claque mentale en m'en rendant compte.
(C'est affligeant de réaliser que la magie est devenue plus importante que les armes...)
(Ne te jette pas trop vite la pierre Naria. Tu as été curieuse, tu as toujours soif d'apprendre, c'est compréhensible.)
(Sauf que cela s'éloigne des préceptes de la guilde, l'équilibre en toute chose. Le compte n'y est pas.)
(Pour le moment.)
(Oui, c'est peut être ça aussi que mon corps me signalait avec ces douleurs intenses, le fait que je devais rééquilibrer ma propre balance interne.)
(Peut-être, je ne saurais te dire.)
Ce fut le moment que choisit mon fiancé pour entrer dans la chambre. Il me lança un sourire que je lui rendis, chose que je n'avais pas faite depuis un bon moment car celui-ci était franc et non pas feint. Je me sentais un peu mieux, de là à dire que je pouvais me battre contre Ehemdim ce serait brûler les étapes mais il y avait une légère amélioration dans mon état.
- "Comment tu te sens ? J'ai l'impression que tu as retrouvé des couleurs.
- Ce n'est pas qu'une impression. Je me sens un peu mieux. J'ai toujours mal mais la douleur est un peu moins violente. Je vais peut être réussir à faire quelques pas toute seule en dehors du lit.
- Tu es sûre de toi ?"
La panique pouvait presque se lire dans le regard d'Ehemdim. Il se porta rapidement vers moi, s'assit sur le lit et prit ma main gauche dans sa droite et posta son autre main sur ma joue pour la caresser tendrement. Je fermai les yeux à ce doux contact, profitant du moment avant de le rassurer.
- "Ne t'inquiète pas, la douleur est en train de s'atténuer. Si je te dis que je me sens capable de me lever, je sais de quoi je parle.
- D'accord, mais pas d'imprudence jeune demoiselle ! Je veille au grain !"
Je ne pus m'empêcher de rire mais mon rire fut de courte durée car mon corps était douloureux. M'être recroquevillée sur moi-même à cause de tous ces spasmes pendant des jours avaient laissé des stigmates sur mes muscles. Cela me coupa presque le souffle et je dus prendre quelques secondes pour reprendre mes esprits. La panique s'était emparée du regard d'Ehemdim.
- "Tu ne bouges pas de ce lit, c'est un ordre !"
L'intonation de sa voix ne me laissa aucun autre choix que l'obéissance. J'avais peut être présagé de mes forces et de ma capacité à bouger sans problème en dehors de ce lit. Je reculais au fond, m'installant confortablement avant de récupérer le carnet que Nathanael m'avait donné avant que je ne quitte Kendra Kâr. Je devais y noter toute progression concernant ma recherche de contrôle magique. Je n'avais pas beaucoup avancé depuis mon départ du Naora et cela m'ennuyait beaucoup. Qu'allais-je lui dire à notre retour ?
Ehemdim sortit de la pièce sans dire mot et je pus me replonger dans les quelques notes que j'avais pu prendre pendant mon passage à la bibliothèque de Cyniar. Mon esprit était moins concentré sur la douleur, je pouvais donc remettre mes idées en place. Certaines informations manquaient, notamment ce que Tamìa avait pu m'apprendre durant son interrogatoire musclé à la milice de Balsinh. Il me faudrait les ajouter lorsque j'aurais de quoi écrire.
Je n'eus pas le temps de réfléchir plus qu'Ehemdim m'enlevait le carnet des mains pour aller le ranger avec le reste de mes affaires. À la place, il me déposa un plateau avec quelques fruits et du pain.
- "Avant de penser à te lever, il te faut reprendre des forces. Tu n'as quasiment rien mangé en trois semaines. Fais ce que je te dis et lorsque tu seras en mesure de me battre en combat singulier, nous pourrons espérer quitter cette ville."
Je savais à présent à quoi m'en tenir. Récupérer, le battre et rentrer à Kendra Kâr. Une tâche qui me semblait bien longue vu mon état physique général...
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Aenaria le mar. 31 mars 2020 23:39, modifié 3 fois.