Le Château Von Lermesch

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Yuimen
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Le Château Von Lermesch

Message par Yuimen » ven. 5 janv. 2018 11:37

Le château Von Lermesch

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Face à la mer et même tout contre elle, au nord-est de la ville d'Exech, se dresse cet ancien château fort ayant appartenu à un puissant comte de l'ethnie de Wielh: le Comte Von Lermesch. Dans le temps, c'était un lieu de villégiature où les nobles du comté et de l'ethnie venaient festoyer et se réunir pour comploter. Mais, un beau jour, il fut abandonné de tous ses occupants, hormis le comte. Nul ne se souvient de la raison de cet exode mais les légendes affirment que le comte, se laissant dépérir seul dans son château, avait passé un pacte avec Phaïtos, jurant de servir les ombres si il était doté d'une vie plus longue.

La légende dit que le comte, mi-mort, mi-vivant, erre encore dans les couloirs du château, en quête d'âmes vivantes à sacrifier au dieu des morts.

Le château est impressionnant, bien qu'une bonne partie soit des ruines. Les hautes tours découpent sa silhouette rigide et froide. De nombreux pilleurs s'y sont déjà rendus sans qu'on entende plus parler d'eux par la suite. L'état des lieux est dégradé, mais on raconte que le comte a amassé un grand trésor qu'il garde secrètement dans les profondeurs de son antre.

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Sump
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Re: Le Château Von Lermesch

Message par Sump » ven. 31 mars 2023 00:03

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13


Le gobelin aveugle disparaissait et reparaissait. C’est le bon chemin, trépignait-il, cette fois on y est ! Courage ! Sump économisait son souffle. Le sable gris aspirait ses bottes et ses dernières forces avec ; les pentes et descentes étaient sans fins tandis qu’encombré de pouce-pied, le boyau écharpé l’étouffait. Pour l’achever, le sel agressait ses narines et sa langue de papier. Il suivait l'aveugle à travers ce dédale salin, sa main tremblait.

Volcanique, la gargouille avait propulsé les deux gobelins vers de nouvelles galeries avant de s’immobiliser à nouveau. Aux premières effluves marines, l’impatience et l’énergie de l’aveugle avaient explosées. Trésors, voyages, aventures et découvertes tournoyaient dans le flot de paroles dont il gorgeait Sump qui ne pensait qu’à son estomac et à l’air libre. Après une volée de degrés noirs et ensablées, Sump s’accorda une pause. Le gobelin aveugle l’encouragea à avancer : il ne fallait pas s’arrêter ici, disait-il, c’était dangereux.

Le regard de Sump changea : une odeur de chair océane s’insinua dans ses narines et la salive emplit sa bouche. Devant lui, sous un lustre en or une table garnie de plats l’attendait : Aquaflagdas et salade de fruits multicolores, brillantes crevettes en sauces, crabes en dés, dodues bulots, émincé d’oursins, filets de requins, gratin d’étoiles, homards rubescents, infinités de sars, julienne de légumes et perroquets, kara-age de maquereaux, langoustes farcies, méduses bouillies, narval cru, œufs de poissons, pavés de thons et poissons crocodiles, queue de sirène dorées et argentées dans plats en carapace de tortue géante, rascasses bigarrées, saumons fumés, tranches de baleineau, uranoscopes, velouté de sole…

« Non ! »

Sump se rua sur la nourriture, plongea la main dans les plats brillants et porta une première bouchée à sa gueule gluante. Au lieu d'une explosion de saveurs, un cri détruisit ses tympans. Il écarquilla les yeux et se retourna : seins pendants, une femme vêtue d’algues flottait vers lui ; elle avait la peau détendue et gorgée d’eau, le crâne chauve, les traits grossier et haineux ; ses mains effilées se levèrent. Sump n’entendait qu’un sifflement aigu, l’espace se fit coton ; il ne pouvait bouger, la vision et la déception avaient drainé ses dernières forces. Le visage de l’apparition se rapprocha du sien ; ses dents pourries et cassées s'ouvrirent ; ses yeux blancs contrastaient avec les volutes de ténèbres autour d’elle.

Illuminé d’une aura banche, le gobelin aveugle apparut ; il avançait contre le vent, visage contracté. La créature tressaillit, recula, revint à la charge mais se heurta à un mur. Furieuse, elle cracha, fit des allers-retours et attaqua à nouveau mais le gobelin de lumière était planté entre elle et Sump, poings serrés. Sump se tenait à un pied de la table qui était redevenue ce qu’elle était : du bois pourri sur lequel gisaient d’antiques reliefs de banquet. Le gobelin blanc fit un pas vers la créature qui poussa un cri de peur ; elle se recroquevilla, dos courbé, yeux flamboyants, redevint spectre. Le gobelin blanc se tourna vers Sump, l’aida à se relever et s’éloignèrent de l’antre.

L’aveugle posa Sump contre un mur et se redressa ; il sourit et ses lèvres remuèrent ; l’ouïe de Sump revint crescendo :

« … protégé par la magie de maître Salvandor et heureusement car on est tombés dans le seul piège que j’avais prévu : la banshee du comte Von Lermesch !»

Il rit ; Sump ne réagit pas. Son souffle était court, ses membres lourds. L’aveugle fronça des arcades, gonfla les narines et se rapprocha de Sump pour lui tâtonner le visage. Il sursauta lorsque le bout de ses doigts se teintèrent de sang. Sump n’eut pas la force de le repousser, il se contenta de haleter ; l’air était chaud, il avait envie de s’allonger et de se goinfrer de sable.
À la recherche d’autres blessures, l’aveugle le tâtonna dans son entièreté et se figea à une autre découverte : ses longs doigts blancs s'aventurèrent au bout du bras gauche et caressèrent l'absence de main ; Sump émit un son à mi-chemin entre le grognement et le soupir.

« Je…j’ai quelque chose pour ton oreille. » bredouilla l’aveugle.

Il sortit un flacon de sa toge et l’ouvrit ; une odeur de fleur et de soleil se mêla à l’air salé et pourri. Sump n’eut aucune réaction lorsque l’aveugle étala la pommade dorée sur sa blessure ni quand il lui bricola un bandage avec un vieux tissu. La blessure traitée, le gobelin aveugle suggéra de continuer car il ne faisait pas bon rester ici ; il l’encouragea et l’aida à se relever mais les jambes de Sump refusaient de le porter ; il glissa le long du mur et ferma les yeux. L’aveugle s’empara du baluchon de Sump qui geignit. L’aveugle fouilla, tâtonna le contenu, le répandit sur le sol de pierre noire et de sable blanc : vêtements, armes, gourde, bijoux, or…
Il trouva un flacon de liquide rouge et passa le goulot près de son nez :

« Une potion de soin ! Juste ce qu’il nous faut. »

Il força Sump à boire puis pesta contre l’inutilité du breuvage. L’aveugle attrapa Sump aux épaules et une main sous son menton, lui releva la tête :

« Dis moi ce qui ne va pas ! Parle moi ! Je veux t'aider ! »

Un long gargouillis s’éleva, torturé, poussé par une créature au bord de l’agonie, recroquevillé sur elle-même.

« Faim. »

L’aveugle se leva, resta immobile et s'éloigna. La plainte de Sump se bloqua dans sa gorge ; il était seul et entouré de ténèbres. Il sortit Grifoniss qu’il plaça en travers de ses cuisses, regarda le trésor étalé autour de lui et ferma les yeux.


***


L’aveugle revint les bras chargés de boules rougeâtres, jaunâtres ou laiteuses qui luisaient d'un liquide baveux. Il lâcha son fardeau devant Sump avec un soupir soulagé.

« Des œufs de ver de terre géant, expliqua-t-il, une grande partie de mon alimentation depuis que je vis ici.»

Il tâtonna, saisit le silex de Sump et l’abattit sur un des œufs ; il souleva un bout de coquille et plaça l’œuf entre les jambes de son compagnon. L’odeur de fœtus faisandé dégoûta Sump mais avec lenteur, il plongea la main dans le gluant, en porta une poignée à sa bouche et mâcha, avala et grimaça. L’aveugle disposa les œufs autour de Sump :

« Je ne savais pas tes souffrances, dit l’aveugle, en fait, je ne me suis jamais préoccupé de ce que tu ressentais. »

Il s’assit en face de Sump et sortit son cube en bois qu’il tripota. Sump étouffa un rôt : deux bouchées avaient suffi à l’écœurer.

« On a besoin que tu reprennes des forces, s’enquit l’aveugle, puisque personne ne prend soin de toi, c’est moi qui vais le faire. »

Sump mâchonnait et fixait l’aveugle ; il était entouré de noir mais brillait d'une aura lumineuse. Il ajouta :

« À plusieurs moments j’ai pensé… Ce courage fou que tu as, ce mépris pour ta propre vie, cette lassitude… Tu n’as aucune raison de vivre pas vrai ? »

Sump sentit une boule grossir. Il avala avec difficulté et haussa les épaules. Le silence s’étendit entre eux ; Sump, sur le point de rendre son repas, fixa le bandeau crasseux de l’aveugle :

« Yeux, croassa-t-il, comment ? »

Le gobelin au bandeau tressaillit et posa un main dessus.

« Je viens d'un clan souterrain où le shaman brûlait les yeux de chaque nouveau-né à la naissance pour être sûr de garder le pouvoir. Mes tuteurs, qui exploraient les cavernes du royaume perdu de Nosvéria à ce moment-là, m'ont trouvé et emmené. Mais je suppose qu’ils se sont vite rendus compte que je n’avais rien de spécial hormis mes longues oreilles et ma peau pâle. »

Les coudes sur les genoux, il serra son cube :

« À la faculté, j’avais des tas d’amis. Tout le monde m’aimait bien, me trouvait gentil… Pourtant, lors des fêtes étudiantes, des excursions à Haenian, à Nyr’Eylïem et lors des bals, je n’étais jamais prévenu, jamais invité. On m’oubliait. Je restais dans ma chambre, à jouer de la musique, à réviser, à attendre qu’on vînt me chercher, pour m’amuser moi aussi. » Il se tut puis répéta en soufflant du nez : « Offrir un casse-tête à un aveugle… »

Il jeta le cube de bois qui roula sur les pierres et dévala les marches. Il s’adressa à Sump :

« Tu es dur, taiseux et brutal mais tu es le seul ami que j’ai jamais eu ; le seul à avoir risqué sa vie pour la mienne et celui qui m’a gardé en vie jusqu’ici. Quand nous aurons atteint notre objectif, très bientôt, nous resterons ensemble et nous nous forgerons un avenir nous-mêmes. On a besoin de personne pour ça. »

La gorge nouée, Sump avala à nouveau avec difficulté. Ils se turent à nouveau.
Son repas terminé, Sump se cala contre le mur et se caressa le ventre :

« Bon couple. » dit-il.

Le gobelin aveugle sourit et hocha la tête. La lueur qui le baignait s'etompa.


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Sump
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Re: Le Château Von Lermesch

Message par Sump » sam. 1 avr. 2023 00:07

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14.2


En silence, ils s'enfonçaient dans les abysses. Les marches taillées dans la roche étaient humides et recouvertes de détritus de grand large et de bernacles. Malgré les primaires tentatives du bâtard, l’aveugle ne discutait plus. En chemin, le trio avait fait une rencontre qui avait jeté un froid : un crabe s’était mis en travers du chemin. Plus gros que les deux sektegs réunis, une seule de ses pinces eût suffi à les broyer ensemble sans qu'ils fussent parvenus à endommager la carapace. Avec des rires excités le bâtard avait réduit l’armure en bouillie à coups de pierres en avait fait fi des cisailles qui déchiraient sa peau morte. Aux bruits du massacre, les deux sektegs s'assombrirent.

Devant l’entrée béante d’une pièce à la porte de fer dégondée, le bâtard se tourna vers eux, agité de tics :

«C’est les caves ! La mer qu’à tout détruit ! Gnnn ! Il faut faire vite avant qu’elle revient ! »

Parmi les reliefs de structures et gravats, des coraux phosphorescents brillaient d’un halo fantomatique. L'aveugle s'approcha de l'un d'eux ; Sump s’intéressait aux recoins sombres. Il se racla la gorge :

« Trésors ? »

Le bâtard dévoila ses gencives pourries en un sourire ; ses postillons brillèrent dans le clair-obscur :

« L’océan et les humains qu’ont tout raflés ! dit-il, ce qui reste, c’est pas dans les caves ! »

Il gloussa ; Sump se détourna. Les lueurs coraliennes dévoilaient les yeux étincelles des pagures parmi les décombres. L’aveugle demanda au bâtard s’il connaissait un chemin vers les parties hautes du château. La carcasse secoua la tête avec trop d’énergie :

« Nan ! Vous avez pas le droit de monter ! » 

L'aveugle soupira :

« On ferait mieux de partir dans ce cas. »

Le bâtard leur bloqua la sortie avec un sourire torve ; de sa poche il sortit un objet rouillé et cornu avec une pierre verte en son centre.

« Clé du laboratoire de papa. »

Quatre oreilles se dressèrent. Le bâtard secoua la tête dans une imitation de réprimande :

« Je savais que vous êtez des voleurs pareils que les autres. »

L'apparence de l’aveugle était rendue sinistre par les coraux luminescents près de lui :

— Nous partagerons les trésors en trois. »
— Ça sert à rien que je sois riche ! Et c’est déjà à moi ! » s'insurgea le bâtard.

Sump le contourna. Celui-ci regarda tour à tour les deux gobelins :

« Et je fais pas confiance aux sektegs.
— Tout comme nous ne faisons pas confiance aux morts-vivants. » répliqua l’aveugle.

Le grondement de la mer au-dessus d'eux brisa le silence. La carcasse s’agita :

« La marée monte. » Un sourire déforma son visage : « Vous allez être noyés. Moi c’est déjà fait ! »

Sump se jeta sur lui. D’abord effrayé, le bâtard bloqua le coup puis, goguenard, le plaqua contre la paroi de la caverne. Son œil fou luisait :

« Vous allez mourir, chantonna le bâtard, comme beaucoup d’autres qui croivaient que j'étais stupide ! »

Sump frappa l’estomac de la carcasse mais fut désarmé sans difficulté ; sa dague rejoignit la clé du laboratoire au sol. Avec un cri l’aveugle abattit un corail blanc dans le dos du bâtard qui rigola comme pour une chatouille.

« Vous êtes des vrais petits casse-couilles vous ! »

Son œil se teignit d’ombres ; Sump fut projeté au sol où des entraves lui dévorèrent les poignets. L’aveugle s’écria :

« Il a des fluides ! »

La bâtard gloussa et le gifla ; il roula au sol. Le tonnerre marin gronda. Le bâtard sortit ses pierres :

« Vite. » dit-il.

Il enfourcha Sump et entrechoqua ses instruments ; Sump serra les dents et le fixa alors qu'il collait son visage pourri au sien :

« Tu sais ce qu’on fait aux p’tits casse-couilles ? jubila-t-il, ON LEUR CASSE LES COUILLES ! »

Il se redressa et beugla ce mot en boucle au rythme des coups de pierres. Les yeux noirs de Sump le gênèrent :

« Tu as pas peur toi ! dit-il, je vais te faire peur moi ! »

Il posa ses pierres et déboucla la ceinture de Sump dont la respiration s’accéléra ; il donna des coups de pieds mais le bâtard ne sentait rien ; avec impatience, il descendit le pantalon : il riait, grognait, sa langue sortait et les tics se multipliaient. Face à l’entrejambe de sa victime, il ramassa ses pierres et les brandit :

« CASSE-COUILLE ! »

Sump ferma les yeux de toutes ses forces. Il entendit l’aveugle crier. Il pensa fort à sa dague.

L’eau noire surgit en bouillon et emporta le bâtard loin de Sump qui, libéré, fut aussi entraîné dans le tas de gravats. Emmêlé dans son pantalon, il battit des bras. L’aveugle l’aida à se hisser sur un banc de galets et d’algues. Il se rhabillait quand l'aveugle tendit les mains pour lui présenter sa dague dorée et la clé du laboratoire. Le visage de Sump s'illumina.

« Vous êtes des VRAIS CASSE-COUILLES ! »

Les deux gobelins se retournèrent : comme un charognard, le bâtard se tenait sur une poutre en marbre qui dominait l'arène cerné d'eau. Sa peau avait pâli et était striée de veines noires ; ses cheveux étaient dressés sur sa tête et une épaisse pénombre l’enveloppait. Il sauta à terre et d’une démarche féline se dirigea vers les deux sektegs suivi de son voile de ténèbres et d'éclairs pourpres ; la lueur des coraux frémit, trembla et s’éteignit. L’aveugle trembla :

« Tu te souviens de ce pot maléfique dans les niveaux inférieurs des catacombes ? Il est entouré de la même aura ! »

Avec un hurlement, le bâtard fonça sur eux ; Sump se jeta en avant, une main dans la poche. Le bâtard eut un bref rire avant de trébucher dans un nuage de poussière d’olath. Les coraux se rallumèrent en force. Le bâtard cracha :

« Berk ! »

Sump était derrière lui et trancha un tendon ; la carcasse tomba en arrière. L’eau continuait de se déverser. Alors que le bâtard pleurait ses pouvoirs et nettoyait sa langue pleine de poudre, l’aveugle cria de se dépêcher. Sump regarda autour de lui et aperçut une étrange porte semblable à la clé volée au bâtard. Il rejoignit l’aveugle pour le guider et s’arrêtèrent en face des trombes d’eau entre eux et l’échappatoire.

Ils s’attrapèrent la main.

« Je ne sais pas nager, dit l’aveugle, mais j'ai confiance en toi.
— Moi aussi. » répondit Sump.

Ensemble ils sautèrent sur les rocs et gravats encore au-dessus du niveau de l’eau jusqu’à atteindre la porte à moitié immergée et cernée de coraux blancs. Ils les escaladèrent et se trouvèrent au niveau d'une encoche. L’aveugle retint Sump par son bras raccourcis pour qu’il pût emboîter la clé : la porte s’ouvrit avec lenteur. L’aveugle s’impatienta ; Sump n’entendait que les plaintes du bâtard derrière lui.

Les battants s’ouvrirent sur une mélasse noire et crépitante que l'eau évitait.

« Encore de la magie bien noire, cria l’aveugle à l’oreille de Sump, il faut qu’on saute là-dedans on a pas le choix ! »

Sump hésita et regarda derrière lui : le bâtard pleurait et gesticulait sur la plate-forme encore émergée, comme le jeune des Crocs de l’Ombre dans la chambre de torture. L’aveugle lui serra le bras :

« On est ensemble ! Rien ne peut nous arriver ! » dit-il puis :« Eh ! Où tu vas ? ».

Sump venait de bondir de son perchoir pour se réceptionner sur un tonneau qui dérivait ; il s’y agrippa jusqu’à une statue géante à la gloire de Phaïtos sur laquelle il sauta puis qu'il escalada. Il se suspendit au bras du dieu, se laissa tomber dans les algues accumulées au fil des marées et courut jusqu’au bâtard. Son œil triste se posa sur lui. Sump plongea la main dans les entrailles ouvertes, attrapa le cœur pourri, le tint contre sa poitrine avec son moignon et le transperça d’un coup de dague. Le bâtard sursauta :

« Aïe. » sourit-il.

Sump vit son reflet dans la pupille brillante ; il y enfonça sa lame.


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Modifié en dernier par Sump le sam. 8 avr. 2023 08:36, modifié 7 fois.

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Sump
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Re: Le Château Von Lermesch

Message par Sump » dim. 2 avr. 2023 12:31

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15


«C’est fini. »

Ils furent assaillis par une odeur d’empyreume et de décomposition.
Après avoir libéré le bâtard, Sump avait rejoint l’aveugle et ensemble ils s'étaient immergés dans le magma noir. Le portail les cracha dans une salle tout en longueur : le laboratoire secret du comte Von Lermesch.

Sous la lueur orangée des lanternes au plafond, les étagères croulaient sous les bocaux emplis d’organes et de créatures ; de crânes, d’ossements ; de pierres de toutes sortes. Empilés sur les marbres et les tables, des mécanismes sinistres et compliqués, des fioles cristallines et des lourds grimoires. Des schémas anatomiques et des dessins de foules réunies dans des pièces exiguës s’étalaient sur les murs aux côtés de croquis de bouches édentées et de mains sans ongles ; les cages débordaient de squelettes de petites tailles ; l’une d’elle contenait celui d'une créature mi-enfant mi-chien et à proximité, un chevalet croulait sous les croquis.
Après avoir murmuré une prière adressée à Gaïa, l'aveugle s'avança dans l’air vicié et tâtonna. Sump le suivit avec lenteur, les yeux perçants à la recherche d'or. Le dessin d’un homme nu, bras et jambes écartés, dans un cercle le fascina ; lorsqu’il s’arracha à la contemplation de l'anatomie, le cheval empaillé entre deux étagères l'effraya tant qu'il ne dégaina pas. Il détailla le monstre : immobile dans une ruade éternelle, muscles bandés, dents découvertes, ses sabots étaient des diamants noirs et tranchants, sa crinière fumée, son regard brasier. Sump s'attendait à ce qu'il reprît vie pour détruire le monde.

« C’est un cauchemar ! » la voix de l’aveugle était lointaine. Sump se tourna vers lui.

Il se tenait devant un sombre buisson de ronces noires dont les appendices épineux s’étalaient sur les murs et le sol. Entrelacé en son centre, une créature végétale soupirait et remuait avec mollesse.

Sump reprit sa progression pour le rejoindre ; la paillasse souillée et la collection de poignard en os qui gisaient au sol ne retint pas son attention mais il se pencha pour observer un défilé de bocaux : dans leur liquide, des créatures s’agitaient par spasmes ; les étiquettes vieillies comportaient toutes le mot « Homonculus ». Ces étrangetés s’enchaînèrent jusqu’à ce que Sump surprît son reflet dans la dalle noire et polie ; il sursauta avec violence, se dévisagea et se détourna.

L'aveugle tirait un coffre de sous un lutrin couvert de chandelles ; le fatras de documents jaunis et de bocaux posé dessus s'écroula et l'un des récipients roula aux pieds de Sump : un cœur humain oppressé par des tentacules noirs y était emprisonné ; son propre cœur en calqua les battements. L’aveugle s’échina sur le mécanisme de la serrure ; Sump regarda dans sa direction et s’aperçut que deux chandelles brûlaient sur le lutrin : l’une était pâle, faible et sur le point de s’éteindre ; l’autre étincelait, cuivrée et lumineuse.
Il y eut un déclic. L'aveugle ouvrait le coffre.

En un éclair doré, Sump fut sur lui et l'égorgea. Après une longue seconde, l’aveugle porta les mains à son cou et des flots de sangs tâchèrent ses doigts pâles. Pour ne pas tomber, il se rattrapa au coffre et se tourna vers Sump. Le nez baissé, il nettoyait sa lame ; l’aveugle le fixa longuement derrière son bandeau et bascula en arrière. Sump attendit que ses pieds cessassent de tressauter. L’une des chandelles s’était éteinte dans un trait de fumée.
Sump s'approcha et plongea la main dans le coffre, ; il palpa et chercha sous le cadavre mais ne trouva que des documents ensanglantés et des plumes usagées. Il se redressa, posa un dernier regard sur le coffre et son contenu puis chercha ailleurs dans la pièce.

Il ne trouva rien de mieux.


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