VIII. 7 Préparatifs avant les festivités.
Nous ne sommes pas encore arrivés que je sens déjà que quelque chose se passe au puis communautaire. La lumière diminuant avec la venue du crépuscule, l’activité y est facilement remarquable. Plus nous nous rapprochons et plus de détails nous parviennent. D’abord : la musique. Les instruments à cordes, à vent et à percussions se mêlent et s’entremêlent dans une rythmique particulièrement entraînante. Mes pieds étant prisonniers de ma démarche, c’est le reste du corps que se dandine sans que je ne m'en aperçoive. Puis c’est mon nez qui m’alerte. De la sauce, de la viande, je devine même un rôtissage tant les effluves sont prenants. Le fumet vient lécher les narines qui s’associent à mon palais plus qu’excité, pour accélérer la cadence.
Antonio est à mes côtés et me rappelle sa présence avec un petit rire moqueur. Toujours aussi enjoué, il se laisse complètement emporter par la musique et enchaîne les petits pas de danse. Propriétaire d’une auberge, guérisseur et professeur de lumière, adepte des petits tours coquins, le voilà qui se dévoile un danseur émérite. Les lutins possèdent bien plus d’atouts qu’on ne le croirait. Dommage que d’ici peu, l’effet de la potion de rétrécissement mettra fin à ce moment de joie et de douceur en leurs compagnies.
Nous contournons la dernière bâtisse et nous voilà enfin arrivés au puits communautaire. Il y a beaucoup de monde présent. Les lutinos jouent, se font des farces, dansent, mangent, font des farces aux adultes qui les leur rendent bien. Moi qui pensais que nous n’étions pas en retard, je crois bien qu’on est les derniers. A notre arrivée, les regards se portent sur nous, les cris de joie brisent la musique le temps d’un instant pour reprendre de plus belle, tandis qu’une partie des lutinos courent jusqu’à nous pour me tirer par les bras et me faire avancer plus vite.
Je finis au milieu d’une foule qui parle, rie, danse, se chamaille le sourire au lèvre et se prend dans les bras. Il est loin le temps où les mines étaient déconfites par la disparition de la panseuse et l’effroi que provoquait l’ombre trop grande de Dicka. D’ailleurs, je vois cette dernière arborer un de ses plus beaux sourires au milieu de gens qui profitent du retour d’une lutine heureuse.
Je passe d’un lutin à un autre, me remerciant de mon intervention dans le processus du rituel. J’ai beau leur dire que c’est le groupe entier qu’il faut remercier, je crois que c’est peine perdue. Surtout que je suis le seul à être resté ici. Au bout de mon étrange voyage, de lutin en lutin, je finis par mettre les pieds dans lieu d'une beauté renversante : le buffet ! De la viande, des légumes, de la sauce et surtout des gâteaux dans des formes et des couleurs aussi stupéfiantes qu’étranges. On me sert un verre, je brandis une cuisse délicieusement rôti et continue, de force, mon voyage de remerciements. De loin, je croise le regarde de la panseuse qui me brandit un verre à la main en souriant. Je fais de même, avant qu’un groupe de lutins ne dansent entre nous.
Je vois les lutins comme ils sont. Des êtres dont la bienveillance n’égale que leur espièglerie. Où la joie de vivre se mêle à une grande bravoure pour protéger leur foyer et ceux qui y résident. Tous ensemble, ils forment une seule et même famille, se protégeant mutuellement. Un tout petit village où le mot communauté prend tout son sens. C’est enivré de cette compréhension que je finis assis sur un tabouret, une larme coulant sur la joue. De toute ma vie, je n’avais jamais connu un tel sentiment. Un bien-être engendré par les personnes bienveillantes autour de soi. Je crains d’ailleurs de mettre fin à tout cela par mégarde. Si la potion venait à ne plus faire effet, la fête pourrait tourner à la tragédie.
Etrangement, il ne me faut pas longtemps avant de trouver le lutin en question. Lorsque je lui fais part de mes inquiétudes, il regarde la paume de mes mains avec minutie. Puis il scrute avec attention mes yeux qu’il ouvre en grand à l’aide de ses doigts et enfin il regarde l’intérieur de ma bouche en tirant allégrement sur mes joues, tandis que son visage devient de plus en plus fermé.
"A…alors ?" Fais-je timidement un peu inquiet.
"Le résultat est sans appel ! Tu n’as pas d’étincelle de joie, ton haleine ne comporte pas une multitude d’aliments et tes mains n’ont aucune trace de prune. Tu ne t’amuses pas assez !" Répond-il en reprenant un sourire farceur.
"Ne t’inquiète pas pour l’effet de la potion. Les effets sont fluctuants d’une personne à une autre, mais je crois que le désir de rester ou non est un facteur à prendre en compte. Les autres ont déjà retrouvé leur taille, mais ils avaient aussi une forte envie de reprendre la route."
"Bien…si tu le dis !" fais-je avant de reprendre un point qui me titille.
"C’est quoi cette histoire de prune au juste ?"
"Tu vas voir !" Sourit-il, avant de porter ses mains à la bouche pour porter sa voix.
"Bataille de pruneaux ! La cible est noire avec des cheveux blancs !"
Je ne comprends que trop tard la signification, qu’une escouade de lutinos, armé du fruit, court dans ma direction. La suite est l’évidence même. Je reçois une douche à base de prune bien juteuse, qui me recouvre le corps en entier. Tandis qu’on acclame un petit lutino pour être le premier à m’avoir atteint, je m’approche discrètement de lui et le recouvre avec deux morceaux de pruneaux éclatés. Si ma réaction le surprend, il n’en perd pas moins son sourire et rie de plus belle aux éclats. Puis, toujours recouvert d’un amas de pruneaux, je cours après les lutins qui fuient mes accolades fruitées, rapidement imité par les lutinos.
Je joue avec eux un petit moment, mais il faut bien avouer que je n’ai pas une endurance exceptionnelle pour les efforts physiques. Il me faut donc trouver une solution pour tenir les lutinos qui ne cessent de me réclamer.
"Dis monsieur le lutin noir,…" Commence à me demander une mignonne petite lutinette
"Pourquoi t’es tout noir avec des cheveux blancs ?"
Je me baisse à sa hauteur avant de lui répondre.
"En fait c’est une des caractéristiques de ma race. Vois-tu, je ne suis pas un lutin, mais un elfe noir, que l’on appelle un shaakt."
"Une race ?" S’interroge-t-elle en plissant le nez d’une profonde réflexion avant de poser une question qui me lâche un petit rire.
"Comme pour les Corgys ?"
Voyant son incompréhension, je lui propose de s’installer aux pieds d’un arbre, ou vu ma taille, contre ses racines. Je commence à lui expliquer que les shaakts sont des êtres qui sont élevés de manière à les rendre mauvais, un peu comme si leurs ombres étaient bien trop grandes et où les plus forts dominent les plus faibles. Voyant qu’elle ne comprend pas trop ce concept, je préfère lui narrer mon histoire. Je commence à lui détailler dans les grandes lignes que j’étais malheureux étant enfant et persécuté par ma grande sœur. Les conflits étaient tels, que ma propre famille m’a vendu ailleurs. J’ai vécu durant longtemps dans un nouveau lieu, mais toujours aussi malheureux. Un jour, j’ai eu la chance de faire une rencontre qui a changé ma vie.
"Ton amoureuse ?" S’exclame-t-elle de toute son innocence.
C’est gêné et arborant un large sourire que je le lui confirme. La question a alertée les autres lutinos qui se rapprochent un à un pour écouter dans un silence incroyable mes histoires. Je continue en expliquant qu’elle voyait en moi un ennemi. Un prisonnier qu’elle pourrait présenter à ses supérieurs après une mission de surveillance. Malgré ce mépris qu’elle avait pour moi, elle m’a mieux traité que n’importe qui d’autre. Une créature nous a attaqués et l’aurait tué si je n’avais pas éliminé le monstre et emporté son corps dans sa grande ville. J’évoque également qu’à cette époque, je ne contrôlais pas mes pouvoirs. Je commence à expliquer diverses raisons qui ont poussé ce blocage, mais les lutinos ont d’autres préoccupations que mes théories magiques.
"Elle était comment la créature ?"
"Nous nommons ces choses des traqueurs obscurs et ils possèdent de terribles griffes, aussi grandes qu’un lutin !" Dis-je.
Comprenant que cela capte mon auditoire, j’accentue la description pour rendre la créature plus hideuse encore. Je lui ajoute des pointes un peu partout sur le corps, des vers et des araignées qui sortent de tous ses membres, une tête qui est tenue généralement par une des mains et une odeur pestilentielle qui fait faner les fleurs.
"Bouhou !" Se met à pleurer un tout petit lutino.
"Pas les p’tites fleurs !"
La réaction du lutino me surprend et je tente de trouver un moyen de le calmer.
"Non, non , ne t’inquiète pas, chez moi les fleurs sont très solides et…et les animaux protègent les fleurs et les soignent lorsqu’elles sont abîmées !"
Etonnement, mon excuse semble lui convenir, car il sanglote beaucoup moins. J’en profite donc pour continuer la suite de mon histoire, avec les adultes qui s’attroupe également autour de moi et parle de mon acceptation dans une cité qui voit les miens comme une menace, mais sous surveillance. Avoir sauvé un des leurs m’a beaucoup aidé. Je passe rapidement le voyage pour apprendre à me servir de la magie, pour enchaîné sur une exploration sous les ruines d’un village en cendre, à la recherche d’un trésor. A ces mots, leurs yeux s’illuminent comme deux feux. J’explique aussi que nous n’étions pas les seuls à le rechercher et que nous avons réussi à fuir grâce à un renne capable de planer dans les airs, chutant lentement. Cette fois-ci, mon auditoire est totalement captivé et je crois qu’à ce moment-là tout le village est présent pour m’écouter. J’explique enfin que j’ai suivi celle qui devait me surveiller dans une de ses missions et que j’y ai rencontré quelqu’un de mon passé, que j’aurais préféré tenir éloigné.
"Il m’a fallu un peu de temps pour reprendre le contrôle de mon corps, mais finalement, nous avons été en mesure de lui tenir tête, bien qu’il a fallu être trois pour en venir à bout. D’ailleurs, j’ai une de ses armes avec moi ! Je vous la montrerai plus tard. C’est une sorte de fouet métallique très dangereux."
Les enfants sont tout excités, mais je me dis intérieurement qu’il vaut mieux les tenir éloignés de ce genre d’objet.
"Après cela, nous sommes rentrés dans la grande ville et ma camarade a été appelée pour une mission particulière, mais sans moi. C’est à ce moment-là que j’ai reçu la demande des lutins. Je n’avais rien à faire et j’étais très curieux de rencontrer des lutins en personnes. Au début, je pensais à une farce pour tout vous dire. J’ai donc été très surpris de voir que ma taille me serait légèrement modifiée !"
Les yeux commencent à se fermer et certains luttent pour garder l’esprit éveillé. Hélas pour eux, ils ne font pas le poids face à la fatigue et leurs parents les portent avec eux pour aller les coucher. La fatigue vient également faire un petit passage vers moi et c’est peu de temps plus tard, que je retrouve ma couche dans l’auberge d’Antonio.
VIII 9 La dernière étape de la leçon.