Le Cimetière

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Yuimen
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Le Cimetière

Message par Yuimen » ven. 5 janv. 2018 10:47

Le cimetière

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Le cimetière est un lieu reculé du centre de la ville. Bien que très clair le jour, il devient déconseillé de s'y balader la nuit. Lorsque la lumière tombe, des ombres peu rassurantes l'envahissent. La seule habitation environnante est un cabanon dont les planches vermoulues laissent deviner l'âge.

C'est là qu'habite le nouveau gardien, prêtre de Phaitos et de Thimoros : Onark. On raconte qu'il ne sort que pour parler aux morts et qu'il n'est pas humain, mais il est possible que certains individus osent ne pas se fier aux légendes.

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Yliria
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Re: Le Cimetière

Message par Yliria » ven. 24 avr. 2020 18:25

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Le dernier voyage


J'avais rapidement quitté le port après l'entrevue. Je ne voulais pas trop m'attarder dans la zone, elle n'avait rien d'engageante et l'attitude du Sang-Pourpre ne m'avait guère aidée à me sentir à l'aise. Loin de là. Sachant pertinemment qu'une énième discussion avec Sorinion m'attendait à la commanderie, je décidai de faire un long détour. Il y avait longtemps que je n'étais pas allée le voir. Je repoussai toujours le moment, sachant que cela ne m'apporterait rien de bon, seulement des regrets et des souvenirs à jamais révolus. Et pourtant, j'en ressentais le besoin. Quand était-ce la dernière fois que je lui avais parlé ? En passant par le centre, je pris quelques fleurs à un marchand qui semblait ravi de cette cliente de dernière minute. C'était toujours plus agréable de mettre un peu de couleur.

C'était loin d'être l'endroit rêvé. Des tombes sombres, un silence glaçant et des ombres qui s'étalaient dans la lumière mourante du jour. Un simple sol de terre, où poussaient çà et là quelques rares herbes. Je me souvenais encore du chemin. Difficile d'oublier une chose pareille, à dire vrai. Je l'aperçus enfin et m'agenouillai devant, retirant la terre et la saleté qui commençait à la maculer. Les fleurs colorées dénotaient avec l'aspect terne et sombre, mais qu'importe, au moins elles étaient là, vives, donnant une touche de couleur à un monde trop sombre. J'inspirai, caressant du bout des doigts l'épitaphe.

- Bonjour Papa, désolée d'avoir tardé.

J'avais finalement beaucoup de choses à lui dire, beaucoup de choses à faire sortir qui venaient du cœur. Je me rendais compte que c'était ridicule. Je parlais à une pierre froide et sans vie, à une personne qui n'était plus, mais ça me faisait du bien, finalement, de lâcher prise, de dire ce que je pensais sans me retenir. Mes peines, mes regrets, mes colères, tout y passa. Au point que j'eus la gorge sèche et que l'obscurité s'installait lentement sur les environs. Pourquoi est-ce que je faisais cela ? Il ne pouvait pas répondre, il ne pouvait pas me caresser la tête en me disant que tout irait bien, que j'avais bien agi, que tout allait bien se passer. Rien de tout ça, seul le silence et le léger bruissement du vent.

Un long soupir franchit mes lèvres alors que je me taisais finalement. Je me sentais vidée, dans le bon sens du terme, mais ce n'était pas comme si tout avait disparu. Tout était toujours là, enfoui quelque part et reviendrait peu à peu, jusqu'à ce que je finisse par en faire abstraction, un jour. Comme la dernière fois, venir ici m'avait rappelé trop de bonnes choses à jamais disparues, de mauvaises choses qui ne s'effaceront jamais. L'esprit comme le corps marqués à jamais. J'avais beau avoir appris à vivre avec, il était parfois difficile d'y faire face. Je secouai la tête. Je devenais déprimante pour moi-même en réfléchissant trop dans cet endroit. Je me relevai finalement, m'étirai et inspirai avant de faire demi-tour après un dernier au revoir. Encore une fois, j'allais mettre du temps avant de revenir ici.

En me retournant, je me figeai en voyant une silhouette, nonchalamment appuyée contre une stèle, à une dizaine de mètres. Quand elle me vit me retourner, elle s'écarta de son appui et s'approcha. Vêtue d'un long manteau et portant un sceptre, elle cachait son visage sous une capuche légèrement pointue. Je n'aimais pas ça, et j'avais raison. Lorsqu'elle retira sa capuche, ma main se posa aussitôt sur la poignée de ma rapière. Une shaakte. Des cheveux cendrés lui arrivant aux épaules, des yeux violets et une peau sombre, le doute n'était pas vraiment permis, mais ce fut son regard hautain qui me convainquit. Ses habits étaient si sombres qu'ils semblaient fait d'olath, mais ce fut son sourire qui me fit tiquer. Ça et ses paroles.

- Enfin je te trouve. Tu es difficile à suivre, toujours à disparaître on ne sait où et te cacher dans des forteresses ou parmi les vermines...

- Qui êtes-vous ?

- Allons.. tu ne reconnais pas l'air de famille ? Je te pensais plus futée pour avoir ainsi échappé à Odvala.

Évidemment... Une autre cousine sortie de je ne savais où. Il y en avait combien comme ça ? Ma lame est sortie cette fois, mon bouclier dans mon autre main, en position de garde. Elle ne fit pas mine de bouger, un sourire pincé sur les lèvres, comme si elle trouvait la situation particulièrement amusante. Alyah me souffla qu'elle possédait des fluides d'ombre. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il fallait bien une mage sombre pour compléter le magnifique tableau qui se peignait dans ce cimetière. Une jolie réunion de famille une fois de plus.

- Je sais ce que vous voulez, et je ne viendrai pas avec vous.

- Tu dis ça comme si tu avais le choix.

- Il se trouve que je l'ai, j'y ai veillé. Laissez-moi tranquille !


Elle laissa échapper un claquement de langue agacé et, aussitôt, un orbe de sombres volutes fusa vers moi. Elle s'évapora en m'atteignant, s'écrasant sur ma cape qui s'était de nouveau mise en travers du chemin de la magie sombre. Cela surpris la shaakte qui me fixa d'un air étonné avant de plisser les yeux.

- Je vois... tu as en effet pris des précautions.

- Je vous l'ai dit. Laissez-moi tranquille, retournez dans votre satanée cité et oubliez-moi. Sinon...

Ma lame s'embrasa alors que mon corps se mettait à scintiller. Ma cousine recula d'instinct, sa magie s'étalant autour d'elle avant de finalement se résorber alors qu'elle prenait une posture moins agressive. Je ne rengainai pas ma lame, mais l'abaissai. Elle était raisonnable ? C'était bien la première fois que quelqu'un rompait le combat à ma demande. Si seulement c'était vrai.. Sa magie pulsa et une nouvelle silhouette sortit de derrière un arbre. L'avait-elle cachée jusque là ? Je me préparais à voir Odvala, mais le visage de la personne qui se tenait devant moi me fit l'effet d'un coup de poignard.

- Non... non, non, non, non... comment... tu as osé ? tu... Tu n'avais pas le droit !

Elle ricana. Elle ricana, cette ordure ! De quel droit bafouait-elle ainsi la vie d'autrui ? Elle n'avait pas le droit de faire ça. J'oubliais complètement tout le reste. Je voulais la tuer. J'avais juste envie de la tuer, de lui rendre au centuple ce qu'elle avait fait. Je tremblai de rage face à son sourire sardonique et à la vision de la personne qui marchait vers moi, tel un pantin. Ça n'aurait jamais dû arriver. Je reconnaissais ses traits, ses yeux d'un bleu profond, la cicatrice qui courait de sa tempe gauche à son cou où trônait une nouvelle, plus large, ouverte, traçant un sillon sur sa chair.

- Si tu me suis gentiment, je le libère.

- Vous...

(Calme-toi Yliria, ce n'est qu'un corps, ce n'est pas...)

- Yliria...

(Oh merde...)

Il venait de parler. Je pensais que c'était impossible, mais il l'avait fait. Je savais ce que cela voulait dire, et le sourire carnassier de la shaakte ne me détrompa pas. Elle avait piégé son âme dans son corps, l'empêchant d'être en paix, tout ça pour m'atteindre, moi. A chaque pas qu'il faisait vers moi, je reculai, refusant d'y croire, me disant que c'était le jeu des ombres qui me faisait voir des choses qui n'étaient pas là. Puis un rai de lumière éclaira son visage, et ma rapière tomba au sol.

- Papa...

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Yliria
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Re: Le Cimetière

Message par Yliria » ven. 24 avr. 2020 18:32

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- Quelle touchante réunion de famille, n'est-ce pas ?

- Vous... Comment... c'est impossible, ce n'est pas lui !

- Malheureusement pour toi, c'est bien lui. Il n'est pas très utile en tant que compagnon et le créer a été long et dangereux, mais le résultat est merveilleux. Ton père en chair et en os. C'est ce que tu désires non ? Vous êtes si sentimentaux... Capture-la maintenant.

Je reculai de nouveau alors que mon père approchait, bras écartés et mains ouvertes. Il semblait lui obéir sans réfléchir, mais ses mouvements semblaient saccadés, comme s'il tentait de se soustraire à son contrôle. Ou qu'il souffrait le martyr. Il approchait, encore, et encore, me laissant dos à une stèle qui me bloqua toute issue.

- Alors ? Que vas-tu faire ? Te défendre et perdre ton père à nouveau ? Si tu me suis tu n'auras pas à souffrir, ni à le voir souffrir. Son âme doit être tiraillée, privée ainsi du repos qu'elle mérite... Aie pitié de lui, forcé d'affronter sa petite fille adorée.

Je l'insultai de tous les noms possibles, la faisant partir dans un grand éclat de rire alors que Papa me saisissait finalement les bras, les empoignant avec force avant de me faire chuter pour m'empêcher de bouger. Je devais me défendre, mais je ne pouvais pas. Je ne voulais pas le blesser. Il était là, devant moi et je refusais de le perdre à nouveau.

- Tue-moi, Yliria.

Je plongeai mon regard dans le sien. Il n'y avait que souffrance et résignation, mais je ne pouvais pas, je n'arrivais pas à m'imaginer lui faire du mal. Je refusai, secouant la tête sans pouvoir dire un seul mot. Comment pouvait-il me demander une chose pareille ? Je le voyais après tout ce temps et je devais le tuer ? Je ne pouvais pas, c'était au-dessus de mes forces. Sa voix n'était qu'un murmure rauque et instable, comme s'il peinait à parler, à dire le moindre mot.

- Je t'en prie... ne les laisse pas t'atteindre.

- Je ne peux pas... je ne veux pas te voir partir à nouveau. Tu me manques !

La poigne sur mes bras s'accentua à me faire mal. Je restai parfaitement immobile alors que la shaakte approchait, un sourire sur le coin des lèvres, me toisant d'un air amusé et hautain.

- Si facile... Assomme-la.

La poigne se serra un instant avant qu'un bras ne se lève et qu'un poing ne s'abatte sur ma tempe. La douleur me vrilla la tête et des lumières dansèrent devant mes yeux. Je me sentais étourdie, incapable de vraiment réagir. Un deuxième me frappa, empirant les choses.

(Yliria, réagis ! Elle le contrôle, ce n'est pas vraiment lui ! Il ne t'aurait jamais frappée de la sorte !)

(Je ne sais pas quoi faire...)

(Libère-le ! Offre-lui le repos auquel il a droit! Réagis!)

Le troisième coup rencontra ma paume et je le déviai. D'une poussée du bassin, je le repoussai juste assez pour ensuite sortir de son giron d'une roulade puis en me relevant d'un bond. Je titubai face au malaise qui me prit. Je m'étais relevée un peu vite après les coups reçus, mais je n'avais pas vraiment le choix. Mon père se redressa et la shaakte claqua la langue de désapprobation en me fixant. Elle avait ramassé ma rapière et la donna à mon père qui s'en saisit sans broncher. Ce n'était qu'une marionnette entre ses mains. Alyah avait raison, je devais le libérer, mais comment ? La réponse me parvint au moment où je posai la question. Je devais la tuer elle. Elle était la cause de tout cela. Elle était l'ennemie et je devais la tuer pour laisser mon père en paix.

(Si je fais ça, il va mourir à nouveau...)

(Il est déjà mort, Yliria. Je sais que c'est dur, mais si tu l'aimes, tu dois le laisser partir.)

Je ravalai les larmes de tristesse et de rage qui menaçaient de rouler sur mes joues avant d'inspirer. J'allais devoir le perdre une deuxième fois, et ce serait par ma main. Je la haïssais tellement. Je n'essayai même pas de discuter cette fois. J'allais juste la tuer sans lui laisser la moindre chance de rédemption cette fois. Mais ce ne fut pas à elle que je m'adressais en créant une lame de lumière dans ma main.

- Je suis désolée de t'avoir laissé, papa. Je ne vais pas t'abandonner cette fois.

J'allais faire face. La dernière fois il était resté pour me protéger et avait payé le prix fort. C'était à moi de le protéger cette fois, de le sortir des griffes de cette immonde pourriture qui osait jouer ainsi avec les morts et la douleur des gens. Cela semblait l'amuser. J'allais la tuer.

- Tu choisis donc de te battre ? Tu sais qu'il mourra si tu me tues ?

- Je préfère le savoir en paix...

Je savais que ça pouvait arriver. Qu'ils chercheraient à utiliser ceux que j'aimais contre moi. Je ne m'attendais simplement pas à ce que mon propre père, mort depuis plus d'un an, puisse être celui qu'ils utiliseraient. J'avais du mal à détacher mon regard du sien. Ses yeux exprimaient trop de choses. Douleur, tristesse, colère et culpabilité. Je fermai les yeux un instant, une unique larme roulant finalement sur ma joue avant que je ne les ouvre en fixant la shaakte. Je n'allais pas jouer leur jeu. Pas cette fois.

- Je vais en finir.

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Yliria
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Re: Le Cimetière

Message par Yliria » sam. 25 avr. 2020 12:06

<< Précéemment

J'hésitai sur la marche à suivre. Je craignais que ma cousine ne se serve de lui comme un bouclier si je lançais des sorts pour l'atteindre. C'était une nécromancienne, et nous étions dans un cimetière, la probabilité qu'une nuée de squelettes me tombe dessus dès que j'engagerai le combat était élevée. J'étais sans arme, mon père tenant ma rapière dans sa main. Je n'avais que mon bouclier, ce qui rendait mes options quelque peu limitées si je devais me battre.

- En finir ? Ma chère, tu n'es pas capable de me tenir tête.

Elle fit ce que je craignais. Les ombres qui l'entouraient s'étendirent et des squelettes émergèrent depuis les sombres volutes. Trois apparurent, grinçant et cliquetant. D'un ordre sec, eux et mon père passèrent à l'attaque. Me sachant pertinemment en mauvaise posture, se battis en retraite, utilisant ma vitesse et mon agilité pour les éviter et les séparer en me servant des tombes. Je sautai par-dessus d'une stèle, esquivai le coup d'un squelette et répliquai d'un coup de bouclier qui lui fracassa la mâchoire inférieure sans pour autant le détruire et je sautai sur le côté pour éviter l'assaut d'un deuxième.

Les ayant suffisamment éloigné, je me ruai vers la nécromancienne avec la ferme intention d'en finir. Elle ne fit que sourire et quelque chose agrippa ma cheville, me faisant lourdement tomber au sol. Autour de moi, des dizaines de mains squelettiques sortaient du sol, tentant de m'agripper. D'un coup de pied, je fracassai celle qui me tenait mais une autre m'attrapa l'épaule, puis une autre mon bras libre. J'enrageai et lâchai mon bouclier pour lancer une boule de feu sur le squelette qui me fonçai dessus. Elle lui explosa la tête et il s'écroula, me laissant le temps de me redresser en détruisant les mains qui m'agrippaient. Je fis face à la nécromancienne qui souriait toujours. Et soudainement, le monde devint horreur.

- Meurtrière !
- Maman j'ai mal !
- Saleté d'elfe !
- Pitié non !
- Ta faute !
- Jers !
- Aaaaah !

Partout, elles flottaient, silhouette décharnées et fantomatiques qui erraient çà et là, audibles et visibles, murmurant, vociférant. Des âmes en peine. Une cacophonie de voix morbide qui me vrillaient les tympans, déclenchaient une angoisse terrible de ce que la vie après la mort pouvait être. Elles souffraient, criaient un désespoir lié au moment de leur mort. Par réflexe, je plaquai mes mains sur mes oreilles, essayant de me soustraire aux voix d'outre-tombe. Je fermai les yeux, refusant de compter avec le spectacle macabre de morts en errance, soudainement visible par quelque subterfuge obscure. Je me concentrai et invoquai mes fluides. Des orbes de feu m'entourèrent, tournoyant autour de moi alors que j'ouvrai les yeux pour fixer la shaakte et seulement elle. Je haïssais cette magie qui jouait ainsi avec la souffrance des autres. Comment pouvait-on faire de telles choses ?

- Tu possèdes une handicapante opiniâtreté, jeune fille.

- C'est ma plus grande qualité.

J'entendis des pas derrière moi et me fendis sur le côté, par réflexe. Ma propre arme me frôla et je bondis hors de portée. L'un des squelettes se prit un de mes orbes tournoyant et perdit la tête dans le processus. Il en restait encore un. Les âmes s'étaient finalement tues avant de disparaître, me laissant respirer. Je reculai prestement derrière une tombe en récupérant la dague dont je ne me servais jamais. J'allais devoir la jouer fine. Je la cachai à ma ceinture avant de foncer à nouveau sur le nécromancienne. Le squelette s'interposa et sa main explosa en rencontrant mon bouclier lorsqu'il tenta de me frapper avant que sa cage thoracique ne subisse la même chose. J'étais face à elle désormais. Elle m'envoya une sombre volute qui ne fit que s'étioler en me percutant et je jetai sur elle. Rien de très fin finalement, je lui rentrai dedans et la fit tomber avant de me laisser tomber sur elle. Je tirai ma dague et la posai sur sa gorge..

- Libère-le ! Libère-le tout de suite ! Arrêtez de me pourrir la vie ! Cela ne vous a pas suffit de le tuer ? De tuer la seule personne qui m'aimait ? Nan, il fallait qu'il devienne votre pantin ! Mais vous voulez quoi ?! Restez chez vous, entre cinglés assoiffées de sang !

- Espèce d'insolente...

- La ferme ! La ferme ! Libère-le ! Tout de suite ! Sinon je te tue !

- Tu n'en es pas...

Elle hoqueta lorsque la dague lui perça le flanc. Elle sembla étonnée, comme si elle n'en croyait pas ses sens. Jamais je ne l'aurai fait en temps normal, mais même moi j'avais mes limites, et elle les avait largement franchies.

- Libère-le... Lib..

Je roulai sur le côté juste à temps pour éviter le coup qui visait ma tête. Mon père, ma rapière à la main, essayait toujours de résister à son emprise, retenant ses coups sans pouvoir complètement désobéir.. Il ne restait que lui et la shaakte était blessée. Son sang imbibait largement sa robe à présent. Elle se releva en chancelant.

- Occupe-la, qu'elle ne me suive pas.

Il se jeta sur moi, m'empêchant de la pourchasser alors qu'elle battait en retraite en se tenant le flanc. J'eus beau lui demander de s'écarter, il m'empêchait totalement de l'achever pour pouvoir enfin libérer son âme. Ses attaques étaient maladroites, mais je me précipitai et, par réflexe, je ripostai en lui brisant la jambe. Lorsqu'il s’effondra, je me figeai, horrifiée avant de reculer et de m'adosser à un caveau. Pendant de longues minutes, plus rien ne bougea. Il se redressa finalement et lâcha mon arme. Ses iris se posèrent sur moi et il papillonna avant de sourire tristement.

- Yliria...

Je me méfiai. Elle le contrôlait toujours, je ne pouvais pas...

- Ssinjin Ssussun*, c'est moi.

- Ilharn.**

Je me levai et le rejoignis en courant, l'enlaçant en fondant en larme. Lui seul pouvait m'appeler ainsi. Ses bras m'entourèrent, sa main caressa mes cheveux comme il avait l'habitude de le faire. C'était lui.

(Yliria, il faut le...)

(Laisse-moi profiter... je t'en supplie Alyah... Juste un peu.)

Elle n'ajouta rien et resta silencieuse alors que j'enfouissais mon visage contre lui. Il m'avait tellement manqué.
***
* Douce Lumière en shaakt
** Père en shaakt

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Yliria
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Re: Le Cimetière

Message par Yliria » sam. 25 avr. 2020 13:52

<< Précédemment

Je ne restai malheureusement pas longtemps contre lui. Il sursauta et je m'écartai aussitôt. Il semblait souffrir, lutter et je pouvais sentir sa poigne se serrer et se desserrer. Il finit par se calmer et m'observer, sa main caressant doucement ma joue, ses yeux passant sur mon accoutrement.

- Tu as grandi. Cette armure...

Il semblait peiné de me voir accoutré ainsi.

- Je suis désolé Yliria, tu as dû souffrir à cause de...

- Ce n'est pas ta faute ! Je... Je vais bien. Je vais prendre soin de toi, on peut reprendre...

- Non, Yliria. Son emprise a diminué en même temps que sa conscience, mais nous n'avons pas le temps, elle va me rappeler à elle. Je refuse d'être un instrument contre toi. Tu dois me libérer, laisser mon âme rejoindre les enfers, je..

- Non ! Papa... je veux juste... tu me manques tellement, s'il te plaît, juste un peu.

- Yliria, trésor. Écoute-moi. Si je suis resté sur Yuimen au lieu de partir aux Enfers, c'est sans doute parce que mes regrets te concernaient. J'avais peur que tu sois en danger, capturée, blessée, en souffrance. Le rite qu'elle a utilisé s'est servi de cela contre moi. Maintenant, je sais que tu te défends et même si ce n'est pas la vie que j'espérai pour toi, je sais que tu va t'en sortir. Tu as toujours été forte, toujours été têtue et a toujours eu une volonté hors du commun pour une enfant. Je sais que c'est dur, mais je ne peux pas rester avec toi. Je n'appartiens plus à ce monde, tu dois me laisser partir.

- Mais je... C'est injuste ! Laisse moi venir avec...

La brûlure sur ma joue me fit aussitôt cesser de pleurer et je me passai la main dessus, éberluée. Il m'avait giflé !

- Je t'interdis de finir cette phrase, Yliria. Tu as toute la vie devant toi. Je suis mort, Yliria et je devrais le rester, mais toi, tu es jeune et tu dois vivre. Tu dois te battre et vivre, tu m'entends ?

J'avais la gorge nouée, je n'arrivais pas à empêcher les larmes de couler à nouveau. Difficilement, douloureusement, je hochai la tête. Ne sachant pas comment défaire une telle emprise, je m'en remis à Alyah qui accepta de m'expliquer. Sur ses conseils, j'allais chercher le gardien du cimetière, lui expliquai rapidement qu'un prêtre était nécessaire pour libérer une âme et il fila rapidement en ville pour en trouver un. Je retournai auprès de mon père qui semblait avoir de plus en plus de mal à être un peu lui-même, ses iris se voilant parfois d'une lueur sombre avant de reprendre leur couleur habituelle. Il s'informa sur ma vie, ce que je faisais, sembla inquiet que je sois autant en danger mais je ne pouvais pas lui cacher comment je vivais désormais. Et nous en vînmes à l'une des questions qui me hantait.

- Est-ce que tu regrettes ? Que je sois...

- Ne dis pas n'importe quoi ! Tu es ma fille et je suis fier d'être ton père. J'ai beaucoup de regret Yliria, mais tu n'en fais pas partie. J'aurai aimé être un meilleur père, que tu aies une meilleure vie, loin de l'esclavage. J'aurai aimé épargner les souffrances que tu as endurée à l'époque par ma faute, à ma place. Tu étais mon petit soleil, Yliria, et tu le seras toujours, n'en doute pas.

Je l'enlaçai en riant et pleurant à moitié, un poids soulageant mon cœur à ses paroles. C'était si bon de l'entendre. Même si sa voix était plus rauque que dans mes souvenirs, il y avait toujours cette sensation chaleureuse qui en émanait.

- As-tu... revu ta mère ?

- Mère ? Non ! Je refuse, c'est à cause d'elle si..

- Non, Yliria. Ta mère n'est pas le monstre que tu crois. C'est ta tante qui est derrière tout ça. Ta mère voulait te protéger. Elle n'est pas parfaite, loin de là, mais elle t'aime.

- Je croyais que les shaakts ne pouvaient pas avoir ces sentiments ? Que c'était réservé aux « inférieurs » comme elle disait.

- Elle voulait t'endurcir, te protéger. Je sais que c'est difficile à croire, et je n'ai jamais rien fait pour te faire comprendre cela. Je ne l'avais pas compris à l'époque, mais ta mère tient à toi. Elle m'a promis de faire en sorte que tu sois saine et sauve s'il m'arrivait malheur et nous a aidé à fuir Gwadh. Elle tenait à toi. Elle ne le montrait pas en public et pensait que l'affection ne pouvait que te rendre faible face à ce qui t'attendait.

- Ce qui m'attendait ? De quoi tu parles ?

- Le sang de ta mère coule dans tes veines. Tu es son unique enfant, son unique héritière et celle des Varnaaan'tha. Ta tante veut se servir de toi pour évincer ta mère à la tête de la famille.

- Mais... mais je ne veux pas être une héritière ou je ne sais quoi ! Je ne veux rien avoir à faire avec cette famille. Je ne suis pas une shaakte, je suis libre de choisir, et je veux être libre, loin de tout ça.

- Je sais, trésor, je sais. Ne hait pas ta mère, c'est tout ce que je te demande. Tu veux bien faire ça ? Un jour elle te racontera tout et tu comprendras, je te le promets.

Je hochai la tête et il m'enlaça doucement. Je le serrai contre moi, indifférente à tout le reste, et ce malgré les question qui me vrillaient la tête. Je profitai juste de sa présence. Juste un peu. Puis finalement le gardien revint, accompagné de plusieurs personnes habillé de bures et portant tout un tas d'objets. Ils semblèrent méfiants, mais je leur expliquai et ils prirent les choses en mains, préparant un étrange rituel avec mon père au centre. Il me souriait doucement pour me rassurer, mais je pouvais voir qu'il faisait de son mieux pour rester lui-même. A chaque seconde qui passait, je craignais de le voir partir et, quand le rituel fut apparemment prêt, je tremblai, résistant du mieux que je pouvais à l'envie de l'emmener loin, de le garder auprès de moi, égoïstement. Il allait me quitter encore une fois, pour de bon. Lorsqu'il m'appela, je relevai la tête, la mâchoire crispée, les yeux humides et le nez prit. Il me souriait tendrement.

- Promets-moi de vivre longtemps et heureuse.

Il y eut un long silence. Les gens autour assistaient à la scène, silencieux et graves, alors que je faisais de mon mieux pour me contenir. J'inspirai, ravalant les sanglots qui menaçaient de poindre.

- Je te le promets.

Il me sourit à nouveau et ils commencèrent le rituel. La magie emplit l'air et j’assistai, impuissante, à ce qui serait la dernière vision que j'aurai de mon père. De la dernière fois que je pourrai le voir et lui parler. A mesure que le rituel prenait forme, il devenait clair qu'il allait le libérer. J'aurai dû être soulagée, mais j'étais simplement impuissante. J'aurai dû être heureuse de le savoir libre, mais j'étais juste triste, incapable de me dire que j'allais devoir le voir partir, encore.

- Au revoir ma chérie. Tiens ta promesse comme je te l'ai appris. Je t'aime.

- … Au revoir... papa...

La magie finit par s'éteindre, et ne restai de lui qu'un corps sans vie que les prêtres s'empressèrent d'examiner, pour s'assurer que l'âme avait bien quitté le monde. Une fois qu'ils eurent leur confirmation, l'un d'eux se tourna vers moi, ouvrit la bouche, mais retint ses paroles en me voyant. Je fondis en larme cette fois. Il était parti. Il me laissait à nouveau. Je sentais la présence d'Alyah mes côtés, me prodiguant un réconfort qui n'atténuait pas la peine que je ressentais à nouveau. J'avais vu mon père mourir deux fois. Et comme la dernière fois, je ressentais un vide, une douleur dans la poitrine. Mais au moins, cette fois, j'avais pu lui dire au revoir, et je le savais libre, en paix.

(Tu as fait ce qu'il fallait, Yliria.)

Je le savais. J'avais fait la seule chose qu'il y avait à faire. Mais savoir tout ça ne me soulageait absolument pas. J'aurai voulu qu'il reste...

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