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Sous l’ombre des lanternes de Tulorim, Morrigane et Rodryk se dirigèrent vers le Tripot de Franche Saurette. L’endroit, bien connu des parieurs et des amateurs de sensations fortes, était illuminé par des lanternes usées par les années. L’intérieur était animé, des voix excitées et des rires résonnaient dans la salle principale. Des tables de dés et de cartes accueillaient des joueurs aux regards avides, tandis que d’autres se pressaient pour poser des paris. Il régnait là une véritable effervescence.
Derrière le comptoir un homme observait les joueurs avec un sourire satisfait. Il était d’âge mur, des cheveux bouclés brun encadrant un visage espiègle et bien rasé. D’un coup d’œil on devinait qu’il était le maître des lieux vu comment son œil s’illuminait à chaque parie délestant une main de quelques yus.
Ils s’approchèrent de lui, et Morrigane, sans perdre de temps en politesses, entra directement dans le vif du sujet.
« Arthur Friant, j’ai des questions pour toi, » déclara-t-elle d’une voix tranchante.
« On m’a dit que tu pourrais m’indiquer l’endroit où se tiendra une certaine vente secrète. Celle où un collier magique est censé être mis aux enchères. »
Friant parut surpris un instant, avant de lever un sourcil amusé, sa main caressant son menton lisse.
« Directe, celle-là, » murmura-t-il, comme pour lui-même, avant de poser ses yeux pétillants d’amusement sur elle.
« Eh bien, tu as raison... J’ai entendu parler de cette vente, et je pourrais même te dire où elle se tient. Mais… »
Il laissa un sourire narquois étirer ses lèvres.
« Rien n’est gratuit ici –“
“C’est Vallen qui m’envoie” coupa Morrigane.
L’homme marque un temp de silence, prenant une mine dédaigneuse.
“ Oui ? Et ? Vallen est un habitué de chez moi mais pas toi, je ne te connais pas. Tout ce que ça t'offres de le connaître c'est un accès au sous-sol. Si tu veux des informations, tu devras d’abord me donner quelque chose. »
Morrigane croisa les bras, attendant la suite sans réaction apparente.
« Tu devras me donner du spectacle.”
“C’est pas une prostitué !” protesta Rodryk en retrait.
“Qui parle de consommer son corps ?” Répondit un Friant mystérieux avant de reprendre.
“Ne vous méprenez pas. Je sais parfaitement qui vous êtes. Les rumeurs courent vite ici. Vous êtes les frères d’Ardur le dur et vous vous êtes donnés en spectacle à la taverne contre Grofal. Il se trouve que ce gros lourdaud combat souvent ici, au sous-sol, et ironie du sort, il est là ce soir.” Un sourire carnassier anima son visage alors que Morrigane se rappelait de ce colosse brutal qu’elle avait affronté lors de son arrivée à Tulorim. Elle fronça les sourcils.
“C’est une menace ?”
L’homme éclata de rire.
“Décidément vous deux n’y comprenez rien. Quel manque de vision ! Non. Je te propose ceci : un combat dans les sous-sols contre Grofal. »
Morrigane venait de comprendre le sens des affaires du personnage. Ça avait sa logique. La rumeur du foutoir de la taverne entre la fratrie d’Ardur Désembrumes et Grofal avait sûrement fait le tour du tripot, et du milieu de la pègre, et il était évident qu’il voyait en ce combat une occasion de faire monter les paris en flèche.
Morrigane hésita, jaugeant la situation. Le combat contre Grofal avait été un test de force à son arrivée, et elle savait qu’il ne lui ferait aucun cadeau cette fois non plus. Ce type était une brute épaisse et elle avait bien failli y rester même si elle s’était bien défendue, avec le soutien de Rodryk. Son instinct de survie jaugeait. Risquer de mourir contre ce seul type ce soir ou plus tard, poursuivie par Kibarg. Au pire, elle pouvait fuir la ville et partir loin et là elle ne mourrait pas. Non. Pas avec tout ce qui était déjà entrepris. Elle avait pris les risques pour participer aux affaires d’Ardur et Vallen, et hériter elle aussi de sa part du butin.
C’est toutes ces réflexions que Rodryk vint interrompre, sa voix tendue.
« Morrigane, réfléchis. Grofal doit faire au moins quatre fois ton gabarit – si c’est pas plus – et dans ce genre d’endroit, m’étonnerait qu’il y ait des règles. C’est au-delà d’une bagarre de rue. »
Elle lui jeta un regard glacial, signifiant clairement qu’elle n’avait pas besoin de son avis sur la question. Elle savait les risques, mais elle savait aussi que l’enjeu dépassait largement la crainte de ce combat. Et puis elle avait sa magie, et avait progressé depuis qu’elle avait croisé Grofal.
Elle se tourna vers Friant, sa voix calme mais déterminée :
« J’accepte. Emmène-moi aux sous-sols. »
Friant, visiblement ravi, fit signe à un gros bras d’ouvrir la porte qui menait au niveau inférieur. Rodryk, bien qu’inquiet, suivit Morrigane sans un mot de plus, la nervosité visible dans ses yeux. Morrigane, elle, gardait une allure impassible. Elle savait qu’elle ne pouvait compter que sur sa maîtrise de la magie et sa rapidité pour affronter cet adversaire redoutable.
Descendant dans les sous-sols du Tripot, Morrigane sentit l'atmosphère changer radicalement. Là-haut, c’était un lieu de paris légaux et de jeux de cartes. Ici-bas, la fièvre du jeu prenait une tournure bien plus sombre, brutale et excitée. Les torches disposées le long des murs projetaient une lueur tremblante sur les visages des spectateurs, un mélange d'ombres et de lumière qui accentuait les traits avides et déformés de ceux qui s’étaient entassés pour assister aux combats.
La foule se pressait autour de l’arène improvisée, un large cercle de terre battue entouré de grilles de fer, tout juste éclairé par quelques flammes vacillantes. L’odeur âcre de sueur et d’alcool se mêlait à celle des torches, créant une ambiance étouffante et brutale. Il y faisait une chaleur à cuire un œuf sur un crâne chauve. Des cris s’élevaient alors que les parieurs discutaient, échangeant des pronostics et des pièces.
Grofal était là au centre de l’arène. Morrigane reconnut ce gros porc disgracieux. Certains l’acclamaient, lui debout, le poing victorieux, et qui avait le pied posé sur la tête d’un type qu’il venait sûrement de fracasser. Des hommes vinrent pour évacuer le corps du malheureux qui laissait une trace de sang sur le sol. Des hommes excités se vantaient d’avoir misé sur lui...
Au centre de cette agitation, Arthur Friant observa la scène un instant avec un sourire rusé avant de pénétrer dans la foule. Il savait où il allait, et il n’était pas prêt à manquer une occasion de faire monter les paris.Il pénétra l’arène en se postant près de Grofal qui le dominait en taille. Il leva les bras pour attirer l’attention de la foule, et la rumeur s’apaisa légèrement, chaque spectateur suspendu à ses paroles.
« Mesdames et messieurs ! » lança-t-il, sa voix rauque mais puissante résonnant dans les sous-sols.
« Ce soir, nous avons un combat exceptionnel à vous offrir. Certains d'entre vous se souviennent peut-être de cette jeune femme, » il désigna Morrigane d’un geste théâtral et tous les regards se dirigèrent vers elle. Il lui fit signe d’approcher au centre, ce qu’elle fit.
« Une nouvelle venue qui a déjà marqué les esprits en défiant notre cher Grofal à la taverne ! »
Les murmures redoublèrent, certains acquiesçant, d'autres interrogeant leurs voisins pour en savoir plus. Morrigane, impassible, fixait Friant, consciente qu’il jouait avec la foule. Rodryk, lui, resté aux abords de la foule, regardait autour de lui, les mâchoires serrées, peu à l’aise face à cette atmosphère électrique.
Friant reprit, savourant chaque instant.
« Vous vous souvenez tous de leur premier affrontement, n’est-ce pas ? Ce soir, ils vont remettre ça ! Mais cette fois… ce sera un combat à mort ! »
Son ton se fit plus dramatique, et des acclamations s'élevèrent, des poings frappant les grilles et des cris de défi fendant l’air.
« Enfin, si Grofal l’accepte. »
Grofal, lui, parut interdit une demi-seconde avant que son expression devienne hargneuse en croisant le regard de Morrigane.
“Laissez-moi seul face à cette truie !”
Les cris redoublèrent d’une foule hilare. Profitant de l'excitation montante, Friant continua :
« Que ceux qui croient en la force brute de Grofal fassent entendre leurs voix ! Qui parie sur la puissance indomptable de ce titan ? »
Des cris féroces s’élevèrent de la foule alors que plusieurs parieurs faisaient sonner leurs bourses en criant le nom de Grofal avec passion.
Puis Friant désigna Morrigane, affichant un sourire en coin.
« Et vous, ceux qui croient en la fougue et la ruse de la nouvelle venue, celle qui n’a pas peur de brûler ses ennemis… Misez sur Morrigane ! La mystérieuse ! »
Quelques voix osèrent scander son nom, mais l’enthousiasme était beaucoup plus modeste, les parieurs n’étant pas tous convaincus qu’elle puisse rivaliser avec un homme comme Grofal.
Friant s’approcha alors de l’arène, stimulant les derniers indécis.
« Mes amis, ce combat promet d’être mémorable ! Choisissez bien car Phaïstos sera juge ce soir ! »
Les paris montaient en flèche, l’argent et les promesses échangés à une vitesse vertigineuse. Les parieurs échangeaient leurs prédictions, certains s’enflammant pour Grofal, d’autres — peu — plaçant leur foi en Morrigane, espérant qu’elle surprendrait. La foule semblait frémir d’impatience, chacun des spectateurs attendant avec ferveur de voir le premier coup tomber. Enfin, Friant sortit du cercle. Morrigane, elle, fit face à Grofal qui était rouge de rage, haletant, prêt à bondir. Morrigane l’observa. Il était un peu amoché de ses combats — peut-être était-ce sa chance.
Avant de disparaître dans la foule, Friant leva une main, la maintenant en l’air pour faire un dernier effet, tandis que le silence se faisait, pesant et lourd de tension.
« Que le combat commence ! » cria-t-il en abaissant son bras.
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