Fuji Onoda
La description donnée par le conseiller ne plut guère à Hatsu. Un noble, prétentieux, peureux et qui apparemment passait beaucoup de temps à la Tour Rouge… lieu de débauche bien connu en ville. Hatsu était sceptique… Mais bon, elle n’avait qu’une parole, donc elle prit la missive scellée que le conseiller lui donna en le remerciant. Il lui confia ensuite quelques pistes pour trouver de l’Olath. Apparemment les lieux liés à Phaistos étaient les plus susceptible de renfermer un tel métal. Encore une chose qui risquait de nuire à sa petite aventure, mais elle refusait d’abandonner. Le conseiller pris congé et elle le remercia de nouveau avant de sortir du bureau. Elle prit le chemin de la sortie et croisa la route d’un homme qui visiblement était là pour les mêmes raisons qu’elle. Elle jeta un bref regard à son concurrent qui visiblement semblait se jouer de l’agitation ambiante et regardait les gens comme s’il essayait de les évaluer. Leurs regards se croisèrent et elle détourna le regard, ne voulant pas être prise à l’observer, d’abord par respect mais aussi parce qu’après avoir dû supporter des regards toute sa vie, elle savait combien cela était désagréable. Elle salua l’intendante et sortit. Lettre en main et un léger sourire aux lèvres, elle imagina la tête de ses parents lorsqu’elle leur parlerait de sa mission. Elle savait que cela les ennuierait grandement, mais ils ne pourraient rien dire qui la forcerait à changer d’avis. Elle avait donné sa parole et son honneur exigeait qu’elle accomplisse sa mission. Et l’honneur de la famille, ça, c’était au-dessus de tout autre chose. Et Hatsu allait en profiter pour faire ce qu’elle voulait.
Elle décida de se rendre immédiatement à la Maison Rouge, histoire de commencer au plus vite. Elle connaissait plus ou moins la localisation du bâtiment, ayant plusieurs fois demandé à son père à quoi servait la grande tour du bâtiment lorsqu’elle était petite. Si elle se souvenait du regard gêné de ce dernier alors qu’elle ne comprenait pas, cela la faisait sourire aujourd’hui. Elle arpenta les rues familières avec légèreté, marchant d’un pas détendu au milieu de la foule qui produisait ce brouhaha si caractéristique aux grandes villes comme Oranan. Elle y était habituée depuis toute petite, mais aujourd’hui elle préférait le calme et la sérénité des bois ou des plaines plutôt que l’étouffante promiscuité qui régnait souvent dans les artères les plus fréquentés de la cité. Les pas de la jeune ynorienne l’amenèrent finalement devant sa destination.
Grand bâtiment serti d’une porte toute simple précédée d’un petit escalier et encadrée par deux statues, la Tour Rouge portait bien son nom. Hatsu leva la tête pour observer un peu le haut du bâtiment puis, expirant lentement, approcha d’un pas décidé de l’endroit. Elle n’était pas très à l’aise mais elle ferait ce qui devait être fait. Elle monta les marches pour atteindre le perron ou elle hésita avant de se préparer à toquer. La porte s’ouvrit d’elle-même et Hatsu fut assaillie d’un parfum d’ambiance entêtant et d’une musique lancinante. Elle s’avança, incertaine et vit deux femmes lui sourire avant de refermer doucement la porte derrière elle. Une troisième l’invita avec un large sourire à la suivre et elle se retrouva dans un lieu tamisé d’une étrange lueur rougeâtre et le parfum se fit plus entêtant. Les éclats de rires et les conversations parvenaient comme étouffés aux oreilles d’Hatsu qui ne savait plus trop où donner de la tête face aux petits groupes posés au comptoir, sur des tables ou en tête à tête dans des coins de la pièce. La jeune femme se laissa entraîner vers le comptoir et un homme à l’imposante carrure, mais au sourire enjôleur, lui demanda ce qu’elle voulait.
- Je cherche quelqu’un… Fuji Onoda, cela vous dit quelque chose ?
Le sourire se fit plus large encore, dévoilant une dentition impeccable et il lui indiqua où elle pourrait le trouver. Soit à l’étage, où elle refusa catégoriquement d’aller voir par elle-même, connaissant les rumeurs liées à cet endroit, soit dans l’une des salles adjacentes, probablement en bonne compagnie. Le sous-entendu était plus qu’évident mais elle lui demanda un moyen de le reconnaître. Il ricana et lui apprit qu’il avait l’air le plus prétentieux de toutes les personnes présentes ici, ce qui n’était pas rien. Elle soupira légèrement et entrepris de fouiller chacune des pièces du rez-de-chaussée, arrêtant parfois des femmes vêtues d’atours dévoilant leur féminité d’une manière qui impressionnait Hatsu qui avait été éduquée dans la pudeur la plus stricte qui convenait à son rang. Lorsqu’enfin elle fut orientée vers l’une des pièces, elle se sentit soulagée. Elle entra donc, surprenant un homme, coupe à la main, vêtu d’habits d’excellente qualité de la soie la plus fine, entouré de cinq magnifiques créatures qui semblaient être en adoration devant lui. Son sourire prétentieux, ses petits yeux mesquins et son allure nonchalante rassurèrent Hastu. C’était bien l’homme qu’elle cherchait. Celui-ci tourna la tête vers elle et parut légèrement surpris mais reprit vite son masque prétentieux avant de lever la coupe vers elle.
- Damoiselle Ôkami, quel plaisir de vous voir ici, vous avez… mûrie.
La façon lubrique qu’il avait de la détailler exaspéra Hatsu qui roula des yeux avant de s’approcher. Elle tendit la missive qu’il récupéra, fronçant les sourcils en voyant le sceau.
- Ravie que vous vous souveniez de moi sieur Onoda. Ceci est une lettre du conseiller Gale, je serai votre escorte pour l'Erementarīfōji. Tout devrait vous être expliqué à l’intérieur. Nous devons discuter… en privé.
Elle regarda les cinq femmes collées au forgeron en disant cela et ce dernier leva un sourcil tout en affichant un sourire moqueur. Il obtempéra néanmoins et congédia sans délicatesse les cinq femmes avant de s’asseoir sur l’un des fauteuils, invitant Hatsu à faire de même sur celui le plus en face de lui. Elle s’y installa et le laissa parcourir la missive, sourcils froncés tandis que Loup, fidèle à lui-même, se moquait.
(Homme faible une fois de plus. Arrogant mais inapte.)
Elle ne pouvait pas vraiment le contredire, ni l’affirmer, mais cela ne dura pas longtemps et elle fut vite d’accord avec celui qui partageait ses pensées. Car il parla, usant d’un ton qui énerva aussitôt Hatsu. La suffisance transpirait dans chacun de ses mots.
- Je n’aurai jamais imaginé que la première née Ôkami se lance dans cette aventure. Vous pensez être à la hauteur ? Voyons, jolie dame, cette expédition n’est pas faite pour une jeune fille inexpérimentée. Je suis probablement plus à même de me défendre seul qu’avec vous à mes côtés. Je suis le meilleur forgeron qui participe à l'Erementarīfōji et je remporterai sans mal la compétition. Mais si vous êtes dans mes pattes, vous risquez de compromettre ma réussite. Alors soyez gentille, retournez chez vos parents, épousez votre bellâtre, contentez-vous d’être belle et laissez aux vrais guerriers le soin de ma protection voulez-vous ?
Il se leva, comme si l’entretien était fini et se dirigea vers la sortie, lançant une dernière pique.
- Allez voir Gale et dites-lui que vous renoncez, il n’y a pas de honte à avoir. Après tout, une femme n’a pas d’hon…
Il ne finit jamais sa phrase car une flèche se planta pile au-dessus de la main qu’il avait posée sur la porte pour l’ouvrir. Il se retourna vivement, une lueur apeurée dans le regard. Hatsu bouillonnait de rage, son visage déformé par un rictus de colère qu’Onoda trouva parfaitement terrifiant et inapproprié sur une jeune demoiselle de haute naissance. Mais Hatsu n’avait pu se retenir face à l’insulte qu’il avait entamée et avait réagi au quart de tour, victime de ces impulsions si colérique lorsque l’on s’en prenait à son honneur ou celui de sa famille. Elle avait déjà encoché une deuxième flèche et visait cette fois l’entrejambe du forgeron qui semblait sur le point de s’effondrer. Pleine de hargne, sa voix glaciale claqua comme un fouet.
- Voilà comment JE vois les choses. Personne ne voudra accompagner un homme aussi prétentieux, suffisant et bon à rien que vous, si ce n’est moi, car je serai la seule à avoir un soupçon d’intérêt pour votre misérable personne étant donné ce que mon père a pu laisser entendre. Alors vous allez ravaler votre ton suffisant, vous allez rentrer chez vous et vous préparer pour partir demain à l’aube. Et je dis bien à l’aube !
- Mais… mais c’est impossible, il me faut au moins deux jours pour tout…
- Très bien, deux jours alors ! A l’aube du troisième jour, devant chez moi. Je ferai des recherches sur l’Olath en attendant. Ne soyez pas en retard.
Et sans attendre la réponse du forgeron médusé, elle récupéra sa flèche, la rangea et sortit, lâchant une dernière phrase.
- Et l’honneur n’est pas une question de sexe, c’est une question de volonté. Chose dont vous semblez manquer cruellement, restant là à vous vautrer au lieu de prouver votre talent !
Elle le planta là, énervée par les paroles que ce cancrelat avait osé lui cracher au visage, à elle. Personne ne lui manquait de respect avec autant d’assurance sans s’en mordre les doigts et celui-ci ne ferait pas exception. Il pouvait douter de ses capacités, mais en aucun cas lui suggérer d’abandonner et d’entacher son honneur. Quel genre d’homme pourrait penser cela ? Un lâche, voilà ce qu’était ce type aux yeux de Hatsu. Et dire qu’elle allait devoir protéger cet homme…
Il la rattrapa alors qu’elle sortait du bâtiment, lui agrippant le bras avec un regard furibond. Les deux se défièrent du regard sous les yeux médusés et intéressés des passants et des filles de la maison. Hatsu retira lentement la main du forgeron de son bras en lui tordant les doigts tandis qu’il lui renvoyait un regard où le mépris, la haine et une part d’étonnement se mélangeaient. Aucun des deux ne semblaient vouloir baisser les yeux le premier et leur affrontement silencieux aurait pu durer longtemps si un homme ne s’était pas mis à toussoter pour attirer leur attention afin de pouvoir entrer à son tour dans la maison. Les deux adversaires silencieux se regardèrent à nouveau et le forgeron rebroussa chemin, retournant dans la Maison Rouge. Il tourna légèrement la tête vers la rue avant de passer la porte.
- J’y serai, soyez prête, je déteste attendre.
Un sourire victorieux s’étala sur les lèvres de la jeune ynorienne tandis qu’Onoda disparaissait dans la chaleur parfumée du lieu des vices et des plaisirs. Fière d’avoir obtenu l’assentiment du forgeron récalcitrant, elle se dirige d’un pas assuré vers sa maison. Il lui restait cependant encore un obstacle à franchir. Et à côté de ça, la discussion avec le forgeron aurait l’air d’une visite courtoise et amicale.