Les Habitations

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Yuimen
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Les Habitations

Message par Yuimen » jeu. 4 janv. 2018 15:20

Les habitations
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De grandes bâtisses qui se serrent les unes contre les autres, avec leurs jardins et parcs respectifs bien délimités. Des maisons de famille vétustes, richement décorées. A certains endroits de la ville, on trouve des quartiers pauvres où les bâtiments sont délabrés, mais la majorité des résidents vit dans de riches villas, ou de grandes masures.
Ici, vous êtes chez vous.

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Madoka
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » sam. 19 janv. 2019 14:53

J'entends les oiseaux chanter et piailler dans le jardin. J'ai finalement appris à apprécier ce son au matin, un peu d'innocence, de simplicité avant que tout ne dégénère, car à un moment tout finit par dégénérer. Je hais les réveils. Ils n'arrivent jamais au bon moment, soit trop tôt quand je dors bien, soit trop tard quand je dors mal. Et ce matin, c'est encore pire. La veille a été une journée particulièrement dure pour moi, émotionnellement dure en plus de douloureuse. Me réveiller dans cette maison presque vide ne fait que me rappeler mon arrivée la veille au matin quand j'avais le plus grand besoin de présence et de soutien et que je n'ai trouvé que vide et froideur.
C'est mon deuxième matin. Le deuxième depuis … Combien encore vais-je devoir en subir des réveils comme ça, à me torturer, à repenser à la chose ? Jusqu'à la fin ? Elle a déjà eu lieu, enfin aurait dû. Ses mots qui résonnent dans ma tête à mon insu mettent mon corps au bord de la convulsion. «Revenue d'entre les morts.»
Naïvement persuadée que lui seul pouvait m'aider dans cette épreuve, j'ai pensé que revenir ici et parler à mon mentor pourrait tout résoudre. Mais il n'était pas là. Il est absent, parti on ne sait où et les deux personnes restées ici ne le savent soi-disant pas non plus.

J'ouvre les paupières, le cœur au bord des lèvres et comme si ce n'était pas assez détestable en état, se trouve à la porte de ma chambre le dernier humain sur terre que je voulais voir. Chumaka, le secrétaire bras droit lèche cul de Keyoke, mon mentor et protecteur. Il affiche sa mine hautaine derrière ses petites lunettes rondes ridicules, son regard à la limite de la suffisance et sa bouche pincée ; une attitude qu'on connait tous ici qui veut dire : j'attends une explication.
((Et ben tu vas l'attendre longtemps. Tu chieras de la poussière avant qu'j'ouvre mon bec en premier.))

Je n'ai aucunes explications à lui fournir, aucunes excuses à lui soumettre, aucuns regrets à lui pourvoir. Il me regarde comme un résidu de crottin de cheval sous sa semelle. J'espère pour lui qu'il n'osera pas dire un mot sur mon attitude d'hier soir car, bien que déshonorante à plus d'un point, il n'est pas en position de me juger ouvertement … pas s'il veut qu'on parle ouvertement de déshonneur à plus grande échelle.
Malgré ma situation personnelle indubitablement complexe et déstabilisante pour moi, malgré l'animosité flagrante à l'égard de son fils, j'ai passé la soirée sous une pluie battante à veiller sur lui pendant qu'il tentait de sauver sa peau et l'honneur de sa famille. J'ai dû suivre leur plan foireux et suis revenue trempée jusqu'à la moelle, congelée, blessée et sans le moindre indices sur la bande qui a piégée son abruti de fils. Tout ça pour n'entendre de sa part que reproches et accusations mensongères, me rabâchant sa vieille rengaine comme quoi je ne fais que m'amuser et ne prend rien au sérieux, me prédisant une vie courte si je continuais ainsi. "Une vie courte"
Les trois mots de trop pour moi à ce moment. Au fil des ans, j'ai fini par m'habituer à son jugement, au fait qu'il ne me voit que comme un parasite mais hier, j'ai lamentablement craqué. La fatigue tant physique qu'émotionnelle, l'absence de Keyoke, l'absence de souvenirs quant à ma mort et le profond chamboulement causé par mon retour insensé et incompréhensible, m'ont laissé sans armure. Je me suis emportée, j'ai flanché face à lui. Je me suis mise à pleurer dans les bras de la vieille Nonj' et me suis évanouie comme une mauviette.
Je n'ai pas l'intention d'enfouir tout ça sous une montagne de déni … mais pour l'instant, le silence suffira.

Après quelques secondes à se toiser en irdak de faïence, Chumaka fait un pas de côté pour laisser entrer un autre homme, un semi-elfe pour être exacte, du nom de Morlet.
((Nom d'une … catin vérolée. Il était là, bordel de bordel.)) Quand le karma se déchaine, il ne le fait pas à moitié. Cela me revient maintenant que je le vois. Il était là pour assister à ma déchéance. C'est son odeur que j'ai senti lorsque j'étais à moitié dans les vapes. Je me souviens aussi avoir ressenti de la joie de le savoir là pour moi … peut être que j'étais droguée en fait, pas seulement fatiguée.
Cet enfoiré est en train de sourire en plus. Si Chumaka trouve que je ne prends pas la vie assez au sérieux, il devrait se pencher sur le cas de l’elfe bâtard derrière lui afin d’ajuster son jugement.

- J’ai fait appeler ce … Monsieur, m’informe justement Chumaka sans oscillation dans la voix, selon d’anciennes directives du Maître.
Connaissant la fouine, cela veut tout simplement dire qu’il ne veut pas en savoir plus, ni qui il est ni ce qu’il fait, ni pourquoi Keyoke a pris un jour la peine de lui donner une consigne le concernant
((D'anciennes directives …)) me répété-je alors.
- Anciennes de combien exactement ? Demandé-je en scrutant la pièce à la recherche de mes vêtements.
- Quelques années déjà, six ou sept il me semble.

A peu près à la même époque où Morlet a refait surface dans ma vie, alors qu'il s'était évaporé dans la nature lorsque je rentrais comme servante à la Maison Rouge.

- Et vous voulez vraiment le mêler à cette histoire ? On peut se passer de lui, continué-je en forçant le ton pour paraître volontairement acerbe afin de masquer le soulagement visqueux de le savoir là. Il n'est pas fiable.
- Après l'échec d'hier soir, je pense que de l'aide ne te sera pas superflue.
L'autre dans son dos ponctue la phrase en bombant le torse, tel un paon en terrain conquis, tandis que je serre les dents et ravale le fiel dans ma gorge sèche. Le véritable échec n'est même pas de mon fait et s'il s'agissait de n'importe qui d'autre que moi, ce cancrelat aurait parlé de simple contretemps au lieu d'échec.

- Faites comme bon vous semble, il ne s'agit que de votre réputation après tout. Qu'est-ce qu'une rumeur dans cette ville, si ce n'est une ancre à votre cheville.
Son sourcil frémit et ses yeux, luisant d'une éternelle antipathie à mon égard, me toisent une seconde ; avant de replonger vers son espèce de pupitre portable qui lui permet de prendre des notes tout en marchant. Espérer se débarrasser d'une mauvaise rumeur, fondée ou pas, dans cette ville est plus utopique que de faire comprendre le concept de pacifisme à un Orque. Il a peut être réussi à amadouer une poignée de milicien, à les convaincre de garder le silence sur son cambrioleur de fils en échange de l'expulsion de ce dernier … il n'aura pas assez d'une vie d'immortel pour faire de même avec ses pairs Oraniens.

- Nous devons nous rendre à la milice. Reprend-il avec un calme qui me fait grincer des dents.
((Mon idée depuis le début !!))
Nous devons y envoyer quelqu'un qui possède un statut neutre. Il faut pouvoir être en mesure d'imposer notre demande. La seule qui convient est Kasumi, et crois-bien que cela me chagrine d'avance.
- Même pas en rêve ! Certainement pas ! Allez-y vous-même.
- Je ne peux pas. J'ai déjà joué ma carte, je suis leur débiteur maintenant.
- Y'a qu'à y envoyer un messager alors, le genre qu’on envoie tout le temps.
- Ils ne feront que prendre note de notre problème, lui promettre qu’ils enverront quelqu’un … et mettre le dossier dans la pile sans importance.
- Hors de question j'ai dis. Allez-y vous-même et apprenez à assumer vos actes et ceux de votre fils au lieu de vous défilez.
- Je n'aime pas beaucoup ton attitude.
- Et je n'aime pas du tout votre idée. Autant ne pas y aller du tout.
- Nous n'avons plus le choix depuis que tu as laissé leur chef se faire arrêter par la milice. Je ne devrais pas avoir à me battre pour te convaincre. Fais-moi confiance pour en parler au maître, je ne le laisserai pas être trompé par une peste incompétente.
((Trompé ?!? espèce de résidu de foutre recraché))
- Et quand ferez-vous votre si précieux rapport ? Quand vous saurez enfin où le trouver, Ô grand fidèle et aveugle secrétaire.

Le regard insistant de Chumaka me toise avec une rancœur à peine dissimulée par son professionnalisme. Ses lèvres frémissent et j'entends presque ses pensées tenter de me pourfendre le cœur et l'âme. Je me retiens pour ma part de faire preuve d'insolence et soutiens son regard sans sourciller.

- Vous m'avez dit savoir y faire, dit-il soudain à Morlet en se retournant vivement, faisant voler sa longue tresse toujours impeccable. Je vous la laisse, elle est impossible.

((Savoir y faire ? J'voudrais bien voir ça.))

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Madoka
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » sam. 19 janv. 2019 15:06

Le petit homme aux lunettes rondes traverse les couloirs, j'entends ses chaussures claquer dans les escaliers. Morlet referme la porte en papier de riz après le départ du secrétaire et se met à faire les cents pas dans la petite pièce.

- C'était nécessaire ? Demande-t-il, faisant surement référence à mon attitude pour congédier Chumaka.
- Oui, répond-je alors simplement, pas franchement d'humeur à lui expliquer pourquoi.
- Bien, conclue-t-il après avoir longuement soutenu mon regard.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ?
- T'as pas entendu ? Monsieur Parfait a donné des directives. Vois-moi comme l'humble sangsue de madame.
- Qu'est-ce que tu sais de notre affaire ?
- Les grandes lignes a priori. Son fils est un parieur invétéré qui s'est fait avoir comme un bleu lors de paris truqués et qui doit de grosses sommes d'argent à des types pas commodes. Ils lui ont proposés de rembourser sa dette en cambriolant la demeure de Monsieur Parfait … et si tu veux mon avis, ce n'est pas un hasard.
Comme d'habitude, tu t'es retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, tu l'as choppé pendant le vol et te voilà embourbée dans une histoire qui ne te concerne pas et tout ça pour quoi ? … pour l'honneur et la réputation de Monsieur parfait.
Nonj', par contre, m'a raconté votre altercation avant que j'arrive. Elle est inquiète et, de tous ici, elle est la seule à avoir un avis impartiale.


Je lève les yeux vers lui, étonnée d'apprendre que non seulement il connait la vieille gouvernante muette, qu'il connait le langage des signes mais surtout, qu'elle lui fait assez confiance pour se confier à lui. J'ai vraiment du l'inquiéter en effet.
- J'ai eu une mauvaise soirée, expliqué-je en essayant de ne pas trop en dire. Tout s'est mal passé, le temps, le plan, la course poursuite. Que Chumaka me haïsse depuis des années je m'en fous mais, avoir à collaborer avec lui pour aider un connard imbu et faible, c'était trop.
- Trop ? Rien n'est trop pour toi, t'es intouchable. T'as connu pire comme plan foireux, j'en sais quelque chose, ce sont souvent les miens.
Intouchable … un compliment ou ce qui, de sa part, y ressemble. Je reste muette et me force à fixer un pli de la couverture dans laquelle je suis encore emmitouflée. Je me sens désorientée et confuse pour un simple mot dont je ne saisis même pas le sens.
- J'ai eu une mauvaise passe, c'est tout. Ça arrive, arrivera encore et je ferais au mieux.
Lamentable. Il faut vraiment que je me reprenne et vite.
- T'es malade ?
- Non.
((Tsss …)) Je parle trop vite. Il me donne l'occasion de trouver une excuse, une raison suffisamment valable pour qu'il me fiche la paix et qu'est-ce que je fais … je réponds naturellement par la vérité.
Décidément, je ne suis plus moi-même.

Plus rien maintenant ne semble l'arrêter. Il continue à chercher un sens à ma réaction d'hier soir. Je lui raconte alors en détail le combat contre le trafiquant chauve et les deux miliciens. J'accentue mon récit sur la sous-estimation dont ils ont tous fait preuve à mon égard, la manière dont ils ont voulu me mettre à l'écart comme si j'étais insignifiante à leurs yeux, aussi dangereuse qu'un nourrisson. Et la manière dont j'ai renversé la tendance en faisant ce que je sais faire le mieux : l'insolente.
Je ne peux pas lui expliquer qu'à ce moment j'ai eu l'impression de me retrouver. Et même si ça n'a duré qu'une minute, je me suis enfin sentie vivante, électrisée par l'envie d'en découdre avec plus fort que moi et prouver qu'un microbe comme moi sait y faire.
Mais cela ne lui suffit pas et il me presse de questions, de détails, de raisons quant à ma réaction disproportionnée lors de mon entretien avec Chumaka en rentrant. Il me pousse à bout et je ne suis plus moi-même, trop faible, trop fragile, trop à cran. Je suis tiraillée entre mon besoin de parler et mon incapacité à lui faire confiance malgré son évidente inquiétude. Une inquiétude d'ailleurs incompréhensible, inattendue et effrayante.

N'en pouvant plus, je lâche tout, j'évacue ces mots qui me torturent et me rongent les entrailles.

- Je suis morte Morlet ! M'écrié-je en agressant du regard cet homme soudain pétrifié, aux pupilles dilatées dans lesquelles j'aperçois l'ombre de mon reflet et l'émotion insoutenable qui s'en dégage.
Décédée, crevée, clamsée et pourtant me revoilà. J'étais dans le temple de Rana sans savoir d'où je venais. Bienvenue mademoiselle ! Mais surtout pas d'panique.
Oh et attend le meilleur. Cadeau d'la maison. Aucuns souvenirs, pas de où, pas de qui, pas de comment, pas de quand, pas de pourquoi, RIEN !! Ah si pardon, selon les prêtres il suffit d'avoir la Foi. Ah merci hein ! La foi en qui d'abord ? Hein !? La foi en quoi putain !! Je suis quoi maintenant Morlet, je suis quoi ?


Brusquement, il tend les mains vers moi. Je chasse ses bras puis ses mains qui s'avancent inexorablement et atteignent mes joues. Je sens ses doigts passer sur mes oreilles et se glisser dans mes cheveux, je sens son front se poser contre le mien. Je me débats encore sans grande conviction car son contact me fait un bien fou, la pression sur mes tempes, son souffle sur mon visage, sa chaleur corporelle me donne l'impression d'être dans un cocon. L'étrangeté et l'embarras de notre situation arrivent à peine à supplanter le calme qui m'étreint, comme sorti de nulle part. Il murmure des mots que je fais semblant de ne pas entendre car je sais qu'il n'aurait pas voulu que je les entende.
Les minutes passant, l'incongruité de son acte devient pesante et nous nous redressons, chacun évitant le regard de l'autre sans y arriver.

- C'était … bizarre, dis-je péniblement avec toute la niaiserie du monde au bord des lèvres.
- M'en parle pas, répond-t-il en tentant de reprendre aplomb.
- Ce qui me fait le plus mal, c'est d'être revenue changée.
- Changée en quoi ? Demande-t-il en plissant les yeux.
- Pas physiquement ! Bon sang ! Passe-moi mes vêtements.
Je suis plus sensible … ou même sensible tout court en fait. Je ressens des trucs, je ne sais pas trop comment dire.

- Des émotions …
- Ouais voilà c'est ça. Mais des vraies en plus, qui viennent du ventre et tout.
- Oh oh ! fait-il en ricanant. J'me fais pas de soucis pour ta carapace, elle va repousser. C'est le choc. Imagine, je t'ai en face de moi et j'ai du mal à en croire mes yeux.
- Mais, tu me crois ?
- Bien sûr ! Même si ça bouleverse beaucoup, beaucoup de savoirs et de croyances. Je te crois.
Et donc … imaginons deux secondes que c'est quelque chose qui ne nous effraie pas et de tout à fait courant …

- Tu veux dire que t'as jamais connu quelqu'un qui … ? Lui demandé-je en remuant les mains pour ne pas prononcer les mots.
- Par tous les Puissants non ! Tu m'vois côtoyant un chouchou des Dieux ?
L'intensité dans son regard s'est modifiée. Il est redevenu lui-même, jamais raisonnable mais souvent sensé et toujours pertinent.
- Faisons comme si, dis-je en me callant sur lui.
- Par exemple. Si tu étais revenue pour être différente, t'en aurais même pas conscience parce que c'est toute ta mémoire qu'Ils t'auraient enlevée, pas uniquement les événements précédents ton décès. Sa voix déraille légèrement sur le dernier mot.
- Les prêtres m'ont dit de ne pas chercher à savoir ce qui s'est passé.
- Pfff ! Tu fais c'que tu veux. Si ça te démange de savoir, tu vas faire que tourner en rond en leur obéissant. Si t'en ressens le besoin, fais-le c'est tout.
- Et après ? Qu'est-ce que je suis censée faire ? Reprendre ma vie ? A quel moment exactement. Retourner à la Maison Rouge et attendre que Keyoke réapparaisse … je ne suis pas sûre d'en être capable.
- De quoi ?
- De l'attendre et de recommencer à le servir aveuglément. Avant qu'il ne m'envoie me cacher à Kendra Kar, je voulais lui en parler. Je ne voulais plus me contenter d'obéir sans savoir de quoi il en retourne, savoir à qui le fruit de mon espionnage était destiné, avant de le dévoiler.
- Si le plus fidèle et préféré de ses pions commence à penser, Monsieur Parfait va se faire des cheveux blancs.
- J'ai toujours confiance en lui.
- Mais tu veux savoir au lieu de suivre …

((Savoir au lieu de suivre …)) Les mots sont justes et sans doute est-ce la raison de ma difficulté à me reporter uniquement sur la Foi en ce qui concerne mon retour.
Il n'a pas tort non plus sur un autre point. Le fait de rester dans l'incertitude m'est impossible, je dois savoir … dussè-je passer ma vie à remonter toutes les pistes.

- On s'est séparé il y a combien de temps à Kendra Kar ?
- ça fait plusieurs mois, presque un an maintenant, pourquoi ?
- Mon dernier souvenir date du lendemain.
Je lui décris alors les quatre personnes rencontrées devant le bâtiment des dépôts. Je peux les décrire en détail, jusqu'à la longueur des ongles ou la blancheur des dents s'il le faut, mais je suis tout bonnement incapable d'en nommer un seul. Je me souviens plus difficilement de l'aspect du collier que la plus jeune des quatre a offert a chacun de nous, puis plus rien. La vision se trouble, les visages se confondent et deviennent brusquement le prêtre de Rana, posté à côté de mon linceul.

- Ton choix est donc fait, dit-il après m'avoir patiemment écouté.
- Je veux savoir et comprendre.
Et je ne fais pas seulement allusion à la recherche des événements de ces derniers mois. Que cela soit imprudent, préjudiciable ou périlleux.
- Bien, alors on torche cette histoire de vol … et on part pour Kendra Kar !
- On ? Ma vie, ma mémoire, ma quête.
- Ouais, cause toujours petite fille. Hors de question de laisser une telle occasion me passer sous le nez.
Mais avant d'en arriver là. Revenons à cette histoire de Kasumi. Qui c'est ?
((Savoir y faire … enfoiré !))
- C'est une parente de Keyoke, une nièce au second degré si je me souviens bien.
- Elle est en ville ?
- Elle n'existe pas. Enfin peut-être, je n'ai jamais vraiment su. Elle est supposée vivre dans le fief de Keyoke, loin au sud. Il reçoit énormément de courrier de sa part et il y a un portrait d'elle dans la galerie … mais je ne l'ai jamais vu. A chaque courte apparition de Kasumi ici à Oranan, c'était quelqu'un de différent sous le maquillage et qui joue son rôle.
- Alors où est le problème ?
- C'est une peste arrogante, une bêcheuse imbue d'elle-même et méprisante.
- Et ?
- Et je sais pas faire, voilà. La vieille dégueu, le mendiant, le vendeur ambulant, la prostituée … c'est le genre que je fais.
- Sers-toi de ce que tu as appris à la Maison rouge.
- Là bas, on charme, on séduit, on enchante ... c'est différent. Kasumi, c'est l'antithèse du charme.
Mais on n'a pas le choix, si la moitié seulement de ce qui se dit en ville à propos de ces aventuriers arrivés en masse ces derniers mois est vrai ; alors un simple messager ne suffira pas.

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Madoka
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » sam. 19 janv. 2019 15:11

Je guide Morlet jusqu'à la galerie afin de lui montrer l'étrange beauté glaciale qu'est la fameuse Kasumi.
Un sourire inexistant, des yeux hautains ourlés de noir, des sourcils très fins, une bouche barrée par un rouge à lèvre prune au milieu des lèvres, des pommettes saillantes, des joues creusées, un cou longiligne et une coiffure défiant toute logique. Ses vêtements somptueux le sont toujours trop pour l'occasion. Tout le monde la connaît, tout le monde la dit d'une fermeté juste en négoce et d'un insupportable air de supériorité … mais personne n'est capable de la décrire dans la vie quotidienne.

Je lui fais ensuite découvrir ma pièce préférée de toute la maison, là où mon amour du déguisement a éclot ; là où sont exposées des robes de tous pays, de la plus simple à la plus riche ; où se trouve le maquillage, les perruques, les résines, huiles et argiles servant à créer des faux nez, des pommettes, front ou oreilles. Au premier abord, on ne voit qu'une pluralité de flacons, de pots et bocaux, une grande armoire ouverte sur des costumes de ville ou de scène à la fois masculin et féminin, de grands miroirs dominant des coiffeuses de bonne facture et leur banquette de velours carmin qui n'ont rien à envier aux alcôves du temple des plaisirs ; ainsi que de nombreux paravents de papier de riz peint de la main de Nonj'.
D'ordinaire, car la pièce est presque vide.

Lorsque Chumaka nous rejoint, je dissimule mon humeur accusatrice derrière un masque d'étonnement et l'interroge du regard, de crainte que mon ton ne soit pas aussi contrôlable que mon faciès.
- Shou-Hsing n'est pas en cause, dit-il promptement en défendant son cambrioleur de fils. Le maître a fait porter tous les costumes, robes et instruments de musique dans son domaine il y a plusieurs semaines en prévision Du Mariage.
Sous-entendu, ton absence injustifiable ne t'autorise pas à en savoir plus sur "ce" mariage.
- Donc il est là bas ?
- Je n'ai pas dis cela.
- Et comment je fais moi pour ressembler à la garce sans tout l'attirail ? Fais-je en serrant les poings tant l'envie de lui enfoncer le nez dans le crâne me démange.
- Je comprends mieux que cela vous chagrine, ajoute Morlet en reprenant les propos de Chumaka.

Il nous toise un instant, avant de baisser les yeux. Je fais le tour des alternatives et, avant qu'il ne rouvre la bouche, je lui fais signe qu'il peut s'en aller et lui dis que je m'occupe de tout, me dispensant de rajouter "comme d'habitude", lorsqu'il passe la porte.

Morlet ne dit rien mais son regard parle pour lui.
- Ce n'est pas parce qu'on se déteste, qu'on ne sait pas travailler de concert, expliqué-je alors comme si ça coulait de source.
- Typiquement Ynorien ! Répond-t-il d'un soupir moqueur dont le sens m'échappe. Toutes ces histoires d'honneur du groupe avant celui de l'individu vous rend tellement hypocrite que t'en arrive à ne pas être honnête envers toi-même.
- Quel mal y-a-t-il à cela ? Je devrais obliger mon entourage à supporter mes humeurs à tout bout de champ ? "J'suis comme ça, c'est ma nature alors faites avec !"
- Et pourquoi pas !
- Je ne suis pas une égoïste.
- Et pourquoi faire ce que tu veux, une fois dans ta vie, ferais de toi Une égoïste ?
- Je fais très souvent ce que je veux ! Lâché-je un peu trop vite.
- Quand ? T'as un exemple sous la main ?
- Et bien … J'ai choisi d'entrer à la Maison Rouge. Par envie.
- Et le besoin de survivre en trouvant un travail et de quoi manger ! Tu parles d'une envie !
- Toi non plus tu fais pas c'que tu veux quand il s'agit de boulot … on en est tous là.
- Faux, si j'ai pas envie de me bouger l'cul, je refuse une affaire.
- T'es patron j'te signale, c'est facile pour toi.
- Non, je sais simplement prendre soin de moi, à l'inverse de vous autres !
- En attendant, t'es là aussi ! Et surement pas pour ton bien-être.
- Exact, c'est pour l'argent !

Pour l'argent. C'est toujours ce qu'il répond lorsqu'il débarque dans ma vie soit disant à la demande de Keyoke. J'y ai cru pendant quelques temps car après tout, c'est plus ou moins son métier ; mais au fil des mois j'ai compris qu'il y avait autre chose. Son attitude envers moi est souvent illogique, il me ment constamment mais semble réellement s'inquiéter ; je le sais individualiste voir carrément misanthrope mais me côtoie depuis mon enfance et ne cesse de me rappeler qu'en cas de coup dur, sa porte est toujours ouverte, moyennant services. L'accord entre les deux hommes reste d'ailleurs un mystère, Keyoke joue sur son autorité pour m'empêcher de le questionner sur ses motivations ; et Morlet me ment ouvertement sur la nature de leur relation.

- Le sujet est clos, fais-je en le toisant d'un regard noir. Si être honnête envers toi-même, comme tu le dis si bien, nécessite de me prendre pour une idiote, abstenons-nous de toute discussion.

Nos regards se croisent, noirceur et fausse placidité se mélangent sans ciller. Ni sa bouche ni ses lèvres ne frémissent dans une veine tentative d'excuses ou de contestations narquoises.
((Qui ne dit mot consent)) Me dis-je alors à part moi, ne sachant pourtant s'il faut le prendre pour une preuve de sa perfidie à mon égard ou à l'inverse, comme son premier geste vraiment honnête … préférant le silence à ses continuels faux semblants.

- Je dois me rendre à la Maison Rouge. Dis-je alors sans transition. Discrètement, je ne sais pas comment Keyoke a justifié mon départ. Tu peux t'arranger pour être à la porte de derrière avec un chargement deux heures après les autres livraisons ?
- Facile, me répond-t-il avec un demi-sourire sans rajouter quoi que soit.

Je fouille dans une des commodes basses et en sort un large chapeau de paille de riz. J'inspire profondément, enfouis les dernières minutes sous une telle masse de déni qu'un fanatique n'y retrouverait pas le nom de Son Dieu et m'avance vers la sortie.
- Bon … allons-y.

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Hatsu Ôkami
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 25 janv. 2019 17:04

Une porte de sortie



Comme elle l’avait prévu, Hatsu s’ennuyait profondément ce soir-là. De nombreux invités étaient présents, dont la famille de celui que ses parents avaient choisi pour elle. Et évidemment tout le monde semblait ravi, tout le monde rigolait, tout le monde semblait fêter la nouvelle avec grand enthousiasme.
« Tous des hypocrites, tous autant qu’ils sont. » c’était à peu près l’état d’esprit dans lequel Hatsu était au début. Puis son « futur mari » lui proposa une balade dans le jardin. Au vu des regards insistants et encourageants, elle se força à accepter et la voici, en train de marcher silencieusement aux côtés d’un homme qu’elle ne connait pas. Elle n’avait même pas retenu son prénom d’ailleurs. Après avoir pu le voir en détail, elle admit qu’il avait un certain charme et qu’il ne semblait pas être un mauvais bougre. Mais elle ne l’avait pas choisi, et cela l’empêcha tout simplement de vouloir faire le moindre effort pour essayer de s’attacher à cet homme, aussi gentil et beau soit-il. L’homme sembla tout aussi mal à l’aise qu’elle mais il fit le premier pas au moins.

- Parlez-moi un peu de vous. Ce que vous aimez, ce que vous détestez par exemple.

Hatsu s’arrêta et regarda son interlocuteur dans les yeux. Elle aussi était curieuse, mais pour des raisons différentes.

- Cette situation ne vous gêne donc pas ?

Nouveau silence, pesant cette fois.

- Vous n’avez guère l’air d’accepter notre future union. C’est pourtant la tradition, vous deviez le savoir.

- C’est une tradition en effet. Ce n’est pas pour autant que j’apprécie devoir abandonner mon libre arbitre et m’enchaîne à un parfait inconnu. Sans vouloir vous offenser.

Oh si elle voulait l’offenser, elle voulait qu’il prenne la mouche, qu’il s’énerve et qu’il annule tout. C’est ce qu’elle voulait, bien plus que tout autre chose en cet instant présent. Mais il se contenta d’un sourire qui se voulait sans doute enjôleur. Cet homme était un séducteur, elle le sentit à cet instant, il avait l’habitude de côtoyer des femmes et de leur faire faire ce qu’il veut. Mais elle n’était pas comme ça, cela ne fonctionnerait pas.

(Les parades nuptiales humaines sont d’un ennui…)


Elle reprit sa marche silencieuse à travers le jardin. Elle admira les sentiers de pierres blanches, les harmonieuses créations florales et végétales que sa mère et leurs serviteurs s’employaientt à entretenir chaque jour, coupant, effeuillant sans relâche chaque plante et arbustes. C’était ainsi que sa mère aimait la beauté, parfaite et ordonnée, selon ses critères à elle. C’était pour cela qu’Hatsu était tirée à quatre épingles lorsqu’elle arrivait ici. Pas un cheveu ne devait dépasser, pas un pli ne devait se voir, pas un geste ne devait être de trop ou mal effectué. Sa mère veillait au grain et cela dans tous les aspects du quotidien, dans tous les aspects de sa vie.
Perdue dans ses pensées, elle n’entendit pas son « fiancé » approcher, se poster derrière elle et poser ses deux mains sur ses épaules. Ce contact non désiré la fit frémir, encore plus lorsqu’elle sentit le souffle de l’homme dans son cou. Elle l’entendit distinctement inspirer plusieurs fois, comme s’il la reniflait. Répugnant. Elle perçut la voix grave et hors du temps de Loup dans son esprit.

( Les loups se reniflent. Où est le problème jeune louve ? )

(Je suis humaine. Renifler quelqu’un c’est… déplacé. )

(Si compliqué… )

Elle le sentit las. Lui aussi s’ennuyait visiblement. Elle s’en occuperait plus tard, elle devait d’abord s’échapper de l’emprise de son « merveilleux » fiancé. Elle se retourna donc, le forçant à la lâcher. Elle arbora un sourire factice qui ressemble davantage à un rictus qu’autre chose. Elle d’habitude si maître de son attitude, elle rêvait de frapper l’énergumène qui osait poser ses sales mains sur elle. Mais elle ne pouvait pas. Pas encore.

La soirée continua, interminable. Echanges de politesses forcées avec des gens de bonnes compagnies, la fine crème de la bourgeoisie et de a noblesse Ynorienne. Une bande d’hypocrites véreux et incapables pour Hatsu, juste bons à se plaindre ou à se vanter. Et dire qu’elle aurait dû finir comme eux, cela la répugnait. La réception commença à se terminer enfin, après plusieurs heures interminables qui faillirent avoir raison de la patience d’Hatsu, son fiancé s’évertuant à lui faire passer une bonne soirée, ce qui la mettait dans un état d’énervement presque permanent. Elle réussit à se contenir mais sitôt le fiancé partit, elle s’enferma dans sa chambre pour y hurler sa frustration et son mécontentement. Et dire qu’elle avait failli apprécier cette vie. Comment aurait-elle pu ?

(Chasse ! Traque ! Festin ! )

Hatsu soupira. Elle avait à faire en ville le lendemain mais elle irait en forêt juste après. Loup n’était pas le seul à vouloir s’évader de la prison qu’était devenue sa maison au fil des semaines. Elle se coucha et s’endormit rapidement, épuisée par cette journée.
Le lendemain elle se prépara en vitesse, enfilant une tunique, un pantalon, des bottes, ses brassards et installa son arc sur son dos et son carquois à sa ceinture. Elle devait aller en ville pour acheter quelques flèches supplémentaires et mieux valait qu’elle y aille avant que sa chère mère ne soit debout. Peine perdue, car cette dernière l’attendais de pied ferme et ne semblait guère de bonne humeur.

- Peut-on savoir où tu comptes aller dans cet accoutrement ridicule ?

Hatsu leva les yeux au ciel mais ne lui répondit pas ce qu’elle pensait, sinon une dispute serait inévitable.

- Je vais en ville, j’ai des courses à faire…

- Et tu penses que c’est une tenue décente pour une fille de ton rang ? En plus avec ce stupide concours, les rues sont pleines de monde, je ne veux pas que tu…

-Mère, vous aviez accepté que je fasse ce que bon me semble avant d’accepter le mariage, alors pour l’amour de Rana, laissez-moi faire ce que j’ai envie!

Elle passa en trombe devant sa mère et sortit par la grande porte, saluant distraitement les serviteurs. Elle marcha d’un pas rapide vers le centre-ville, évitant les passants qui se faisaient de plus en plus nombreux et parvint enfin chez le forgeron. Mais celui-ci était absent. Elle se renseigna à son apprenti qui lui répondit distraitement qu’il était partit au conseil pour une histoire de concours. Hatsu fronça les sourcils. Encore cette histoire de concours ? Elle en demanda un peu plus, agaçant le jeune homme qui répondit de mauvaise grâce.

- Un concours de forgeron, c’est le conseiller Gale qui a eut cette idée. De quoi il se mêle lui, il n’est même pas Ynorien…

- En quoi consiste le concours ?

- Tu lâches pas l’affaire hein ? J’crois me souvenir que chaque forgeron doit trouver un métal précieux et créer une pièce particulière avec. Et comme c’est dangereux, ils doivent être accompagnés d’un garde du corps volontaire. C’est bon tu as fini ?

Oui, elle avait fini. Un large sourire étira son visage. Elle avait enfin un moyen de quitter la maison. Elle remercia le jeune homme qui retourna à son travail en ronchonnant puis prit la direction du Conseil. Au moins elle n’aurait pas perdu sa journée à venir en ville malgré l’absence du forgeron.
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » lun. 28 janv. 2019 15:55

Confrontations

Le retour dans la demeure familiale fut calme et Hatsu en profita pour se changer avant que sa mère ne lui tombe de nouveau dessus. Mettre des robes, des foulards et autres bijoux l’ennuyait de plus en plus et passer deux heures à se préparer pour recevoir à peine un compliment l’exaspérait au plus haut point. Mais elle fit un effort pour la bonne cause, pour son aventure prochaine loin de la ville et de ce qui l’étouffait chaque jour un peu plus. Habillée d’une robe simple mais esthétique d’une belle couleur bleue rehaussée de fil d’argent et marquée du blason familial dans le dos de cette même couleur argentée, de chaussures assorties et coiffée avec des épingles en argent elles aussi, elle descendit dans la pièce à vivre où son père discutait avec un illustre inconnu. Elle salua ce dernier, embrassa son père et fut présentée à l’homme qui se trouvait être un nouveau partenaire commercial de l’entreprise familiale. C’était un Kendran d’une quarantaine d’année, bien bâti et avec les mains d’un homme qui a obéi aux ordres pendant des années avant de pouvoir en donner à son tour. Il salua élégamment Hatsu sans trop en faire et sans la reluquer, ce que la jeune femme apprécia. Elle échangea quelques banalités avec cet homme qui semblait jovial et bien plus sympathique que tous les autres partenaires de son père qu’elle avait pu rencontrer. Elle prit finalement congé, sachant qu’il était de mauvais ton de déranger trop longtemps son père pendant une rencontre comme celle-là, et alla prendre place dans la bibliothèque, cherchant un livre qui lui permettrait d’en apprendre un peu plus sur l’Olath et comment en dénicher.

La bibliothèque de la demeure était une des pièces qu’Hatsu fréquentait le plus après sa chambre. Elle y passait souvent des heures entières, assises entre deux étagères, parfois à même le sol, captivée et souvent sourde à toute activité extérieure. La pièce, spacieuse et sentant le bois et le papier vieilli, était son sanctuaire. Ses parents ne venaient que rarement ici, ayant aménagés la bibliothèque davantage pour le prestige d’en avoir une que pour l’utiliser. Mais Hatsu ne s’en privait pas et elle était certaine de trouver quelque chose sur l’Olath parmi les centaines d’ouvrages que contenaient les hauts rayonnages de cet antre du savoir. Elle commença donc à fouiller, posant pêle-mêle une quinzaine d’ouvrages ou de parchemins sur une table en bois après avoir trouvé les titres prometteurs, sortant une carte détaillée de la région et elle alluma quelques bougies histoire d’avoir une lumière suffisante pour lire pendant un moment. Puis elle s’attela à la tâche, passant le reste de la journée enfermée dans la bibliothèque. Elle sentit l’esprit de Loup s’ennuyer mais celui-ci ne dit rien, se contentant d’attendre, patiemment.

Après plusieurs heures, elle s’étira et bailla bruyamment, loin de sa retenue habituelle. Elle avait trouvé des informations intéressantes, mais loin d’être réjouissantes sur les endroits où l’Olath pourrait se trouver dans la région. Tous étaient sombres et probablement dangereux, hantés par des morts relevés par une sombre magie ou habités de créatures obscures et meurtrières. Elle n’était pas découragée, simplement un peu anxieuse. Elle se leva, rangea les différents ouvrages avec délicatesse et sortit en frottant ses yeux fatigués d’avoir épluché autant d’ouvrages. Ses parents étaient réunis dans la pièce à vivre et discutaient d’une manière animée qui leur était peu commune. Lorsqu’elle entra, les deux se turent et Hatsu sut immédiatement qu’elle était au centre de leur dispute. Elle s’installa sur un des fauteuils après avoir attrapé un rafraichissement et attendit que l’un de ses deux parents commence les hostilités. Cela ne tarda pas, sa mère lui jeta un regard furibond.

- Nous avons eu vent de rumeurs plus qu’inadmissibles ton père et moi. Tu aurais été vu entrer dans la Maison Rouge et en ressortir au bras d’un homme qui n’est pas ton fiancé. Peux-tu nous expliquer ?

Hatsu réprima un sourire. On l’avait vu au bras de Fuji Onoda ? Incroyable cette façon dont les gens avaient l’art de déformer ce qu’ils voyaient ou entendaient. Elle vit son père tenter de calmer son épouse en lui attrapant et serrant doucement la main, lui intimant de se maîtriser. Hatsu lui lança un regard reconnaissant avant de répondre le plus calmement du monde.

- La rumeur a été grandement exagérée. Je suis effectivement entrée dans la Maison Rouge pour trouver un homme, mais je suis ressortie seul et il m’a attrapé le bras, nuance. Ne vous emportez pas, laissez-moi vous expliquer qui est cette personne et je pense que vous devinerez sans mal les raisons. Je suis allée là-bas car je devais retrouver Fuji Onoda et que l’on m’a dit qu’il s’y trouvait. Il n’y a rien entre nous qu’une collaboration tout sauf amicale.

(Et quand bien même cela n’aurait pas été le cas, cela ne vous aurait en aucun cas regardé.) pensa-t-elle en son for intérieur. Sa mère la regardait en fronçant les sourcils, cherchant à déceler une quelconque faute dans sa réponse, mais ce fut son père qui, le premier, comprit la situation. Il avait toujours été plus vif d’esprit que son épouse et il comprenait également mieux sa fille que quiconque.

- Fuji Onoda, le forgeron réputé ? Aurais-tu, à tout hasard, été voir le conseiller Gale récemment ?

Son épouse se tourna vers lui tandis qu’un fin sourire apparut sur le visage d’Hatsu qui savait que son père avait compris. Celui-ci soupira en entreprit d’expliquer la situation à sa femme. Celle-ci resta silencieuse tout du long, mais elle explosa une fois que son mari eut refermé la bouche. Sentant venir la tempête, Hatsu avait posé son verre et son père avait légèrement reculé.

- Non mais c’est une plaisanterie. Toi, la première née des Ôkami, la prochaine cheffe de famille, tu vas participer à un concours ridicule en te faisant passer pour une escorte ? Tu vas déshonorer notre famille, nous trainer dans la boue et tu trouves ça correct ? Apprends à rester à la place qui est la tienne et laisse aux fous et aux inconscients le soin de partir à l’aventure ! Il n’est pas question que tu participes à cela tu m’entends ?!

Hatsu serra les poings, tentant de garder un visage détendu mais sa mâchoire, était crispée et elle répondit avec une hargne qu’elle ne put retenir. Sa mère n’avait pas une seule fois pensé à la sécurité de sa fille. Non, elle ne pensait qu’au nom de la famille. Pour Hatsu aussi cela était important, mais elle était sa fille, pourquoi ne pouvait-elle pas accepter ses choix et s’inquiéter pour elle ?

- Déshonorer notre nom ? Vraiment ? En participant activement à l’effort de guerre et en prouvant que je suis apte à faire quelque chose de mes dix doigts ? N’essayez pas de me faire croire que c’est cela qui vous gêne. La vérité c’est que vous ne supportez pas que je fasse autre chose que ce que VOUS avez prévu pour moi. Et bien je vais être claire. Je ne vais PAS épouser cet imbécile, je ne vais PAS vous obéir aveuglément et je vais participer à l’Erementarīfōji, avec ou sans votre accord. J’ai déjà donné mon nom et ma parole, me rétracter serait un déshonneur. SI cela vous fait si peur, vous comprendrez cela sans mal. N’est-ce pas, Mère…

Hatsu était ravie de l’effet qu’avaient eu ses paroles sur sa mère qui resta mouchée face à la violence du ton et des arguments employés par sa fille. Son père, en revanche, ne fut pas aussi facile à berner et il enchaîna, avec un calme tout ynorien.

- Hatsu, ta mère et moi sommes simplement inquiets de ce qui pourrait arriver. Surtout en compagnie de ce Onoda. Il est un très bon forgeron, mais c’est un homme vicieux et pervers et le laisser seul avec notre seule fille… comprend que cela nous gêne. De plus, nous sommes tes parents, tu n’as pas l’autorité nécessaire pour faire ce que tu veux sans notre accord préalable. Tu le sais et c’est…

- Et Ryo alors ? Il a choisi l’armée et vous l’avez laissé faire ! Il risque sa vie et vous le laissez faire ! Il va peut-être mourir et VOUS LE LAISSEZ FAIRE !

Cela n’avait rien à faire dans la conversation, mais elle rongeait cela depuis des mois et l’occasion était trop belle. Elle allait leur faire admettre que ce qu’ils avaient fait à son insu était mal et qu’ils auraient dû lui demander son avis tout en essayant de retenir son jeune frère avant qu’il ne parte combattre.

- Vous laissez mon petit frère risquer sa vie sans rien dire, sans même essayer de le retenir, mais moi, je dois faire ce que vous voulez, me priver de ma liberté et épouser un type que je n’aime pas ? Et tout ça pourquoi ? Parce que je suis une fille et parce que voulez conserver la notoriété de notre famille de Noble ! J’en ai… marre ! Je ne suis pas votre jouet, je suis votre fille et j’estime avoir le droit de faire ce que j’ai envie de ma vie. Osez me dire que c’est juste ! Osez me dire que vous voulez mon bien et non le vôtre ! Osez me dire que vous en avez quelque chose à faire de mes sentiments ! Osez me le dire en face !

Il y eut un long silence gêné, pesant, dans lequel les deux parents regardèrent leur fille comme si elle les avait poignardés à plusieurs reprises. Ils se regardèrent ensuite, gênés, ne sachant quoi dire. Alors Hatsu, les yeux embués, murmura.

- Vous ne pouvez pas… j’en étais sûre… je vous déteste…

Elle se leva et sortit en trombe de la pièce avant d’aller dans sa chambre où elle ramassa son paquetage contenant sa tenue de chasse. Elle attrapa son arc et son carquois et sortit de la maison sans jeter un regard en arrière. Elle vit son père courir vers elle et elle décida de courir pour lui échapper, même si sa tenue était plus faite pour l’apparat que pour la course. Mais celui-ci s’arrêta sur les limites de la propriété et l’appela seulement. Cela lui brisa le cœur. Il ne pouvait même pas risquer de lui courir après pour ne pas ternir l’image de la maison Ôkami. Elle se sentit trahie et disparut dans les ruelles rendues sombre par la tombée de la nuit, ravalant les larmes qui lui brûlaient les yeux.

(La Chasseresse quitte enfin son antre…)

(Ce n’est pas définitif Loup !)

(Nous verrons petite louve, nous verrons…)
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le lun. 28 janv. 2019 21:15, modifié 1 fois.
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » lun. 28 janv. 2019 17:34

La définition d'avoir une discussion à sens unique, c'est discuter avec une muette dont les mains sont occupées à vous habiller et vous maquiller.
Quitte à devoir me transformer en une peste excentrique et arrogante pour rendre service à une sale fouine malfaisante ; j'ai voulu que ça soit fait dans le bureau de mon protecteur, absent de la maison pour une raison que j'ignore encore malgré la fouille du dit bureau. Non'j est appliquée, bien qu'elle aussi soit contre cette idée de me faire passer pour la nièce de Keyoke afin d'aller demander à la milice d'enquêter sur notre cambriolage. La situation est devenue beaucoup trop complexe. Le maître absent, le fils de son second qui cambriole la maison pour le compte d'une bande dont personne n'a entendu parler, le dit second qui n'a que moi sous la main pour les aider à découvrir qui ils sont et où sont les objets volés, et moi qui suis bien trop tracassée par l'absence du maître et mes déboires personnels.
J'ai voulu être ici parce qu'on se sent à l'étroit. C'est petit et encombré, peu ou pas de lumière naturelle et il y a toujours une odeur de vernis et d'encre qui me plonge à minima dans un état d'esprit réflexif. Partout ailleurs les choses me semblent changées ou nouvelles et mes tracas insurmontables, pas ici. Ici, j'arrive à faire le point sur mes récentes découvertes quant à la nature de la mort, une découverte qui remet en question absolument toutes mes croyances, absolument tout ce sur quoi est basée notre culture. Dois-je tout remettre en question pour autant ? Après tout, les croyances sont ce qu'elles sont et elles ne sont pas le reflet de la vérité.
Lorsque je lui ai avoué que j'étais mystérieusement morte et revenue des enfers, mon ami Morlet m'a appelé la chouchou des Dieux pour me faire sourire et m'aider à relativiser les tenants de cette nouvelle vie. Sans aller jusque là, il y a dans nos légendes des héros qui ont réussi des actes incroyables, vécu des âges impensables et même voyagé au-delà de notre monde. Il y a forcément une raison à mon retour et une raison aussi à ma perte de mémoire quant aux circonstances de ma mort. Comprendre tout cela est d'une grande importance pour moi mais une telle quête ne pourra commencer qu'une fois que j'aurais retrouvé ma stabilité d'esprit et le contrôle de mes émotions.

- Regarde, dis-je au reflet de Non'j dans le miroir pour couper court au flux de mes pensées.
La gouvernante muette jette un coup d'œil à la bourse que je tiens dans la main pendant qu'elle me torture les cheveux, elle hausse un sourcil et montre le bureau du maître.
- C'était dessus.Rétorqué-je aussitôt pour me défendre de posséder quelque chose qui ne m'appartient pas. Le dessin de la grue gravée dans le cuir, il y a le même sous un des fūrin du jardin, avec un poème qui ressemble à une devinette, et sur un tiroir de son meuble bizarre. Elle n'a pas l'air étonnée, simplement préoccupée mais n'en bouge pas les mains pour autant. Je continue à penser à voix haute tout en surveillant son expression. Ce n'est pas le premier symbole à être à la fois dans le jardin sous les lanternes et ici. J'ai trouvé le premier par hasard hier matin quand la fouine et son bâtard se disputaient.
Non'j claque de la langue en me toisant sévèrement. Le message est clair, elle n'aime pas quand j'insulte les membres de cette maison même si elle ne les porte pas dans son cœur non plus. J'abdique en levant les yeux au ciel.
- Chumaka … et son fils.
Tu sais que la commode à tiroir n'a pas de serrures ni même de poignées cachées ? Keyoke m'a dit un jour qu'il y avait un tiroir pour moi, que je pourrais l'ouvrir quand j'aurais compris comment … et trouver lequel c'est.


Non'j s'arrête une seconde et pose sur moi un regard peiné et préoccupé. Bien sûr qu'elle sait tout cela, elle sait tout ici.

- Dis, est-ce que le maître a eu beaucoup de protégés avant moi ?
Elle hoche la tête.
- Je ne suis pas la première à avoir remarqué ça n'est-ce pas ? C'est une sorte de test ? Il veut savoir si on est assez observateur pour le remarquer et assez malin pour résoudre l'énigme ?
Elle ne hoche pas la tête et je prends cela pour une confirmation.
Je ne lui dis pas que la grue je l'ai aussi vu en ville, aux portes d'une vieille bâtisse délabrée. Une vieille règle plus qu'assimilée on dirait car même à une muette, je n'en parle pas. Je ne lui dis pas non plus que j'ai l'intention de déchiffrer le message et de trouver le moyen d'ouvrir ce tiroir, même si ce n'est pas le mien.

La fin de l'habillage se fait dans un silence de plomb. Ni elle ni moi n'aimons ce qui se joue derrière ce simple déguisement. Je doute qu'elle approuve l'attitude de Chumaka ces derniers jours et ses insultes envers moi mais que peut faire une vieille gouvernante face à celui qui commande en l'absence de Keyoke. Je sais qu'elle m'aime bien malgré ce que je suis et je sais qu'elle n'aime pas le fils de Chumaka, un avorton indigne de sa famille. Je la sens peinée depuis le début de cette discussion. Je n'ai moi-même pas osé lui demander si mes prédécesseurs étaient encore en vie, ou combien, car je sais qu'elle n'aime pas la manière dont ils nous envoient faire le sale boulot.

Non'j se recule et pose sur moi son éternel regard en demi-ton. Certes je suis belle là dedans, qui ne le serait pas. Après tout, Kasumi est supposée être déroutante, une beauté glaciale dans des habits extravagants. Pourtant, c'est une étrangère qui me fait face dans le reflet du miroir, son nez est plus allongé, sa bouche plus petite, ses pommettes plus hautes, ses sourcils plus courbés ce qui lui donne un regard naturellement hautain, le pigment blanc sur ma peau me brûle le visage et la coiffure pèse lourd. Ma tenue récupérée à la Maison rouge est somptueuse et j'aurais mille fois préféré la porter là bas, là où elle avait sa place.
Ce rôle, je n'aurais jamais dû avoir à le jouer et cela nous le savons toutes les deux. Je suis faite pour rester dans l'ombre pas pour me pavaner en reine des pétasses.

- Bon ! Tu sais où on va ?
- Droit à la catastrophe, mime-t-elle en remuant ses petites mains fripées.




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Re: Les Habitations

Message par Madoka » lun. 28 janv. 2019 17:53

Arrivée devant la maison "Fuun" mes porteurs n'osent pas lever les yeux vers moi. Ils me tendent une grande ombrelle en bambou afin de me protéger de la pluie et me tournent le dos aussitôt.
Je rejoins rapidement la porte, fais sonner la cloche et attends, bien consciente que les rares personnes à faire l'aumône à ces filles se contentent de mettre quelques yus dans la boite sur la première marche de l'escalier et que les commanditaires habituels ne sont ni maquillés ni habillés comme moi. Cela prend donc un peu de temps et j'entends des pas aller et venir vers la porte. J'actionne une nouvelle fois la cloche et soudain, un panneau s'ouvre au milieu de la porte, à peine assez grand pour apercevoir les yeux de la petite.

- Nous vous remercions de votre générosité Kisha-sama.
- Je souhaite m'entretenir avec vous.
- Oh non, il y a la maladie ici Madame. Nous ne pouvons pas.
Je sors la bourse gravée et lui montre à travers le panneau.
- J'insiste.
La petite hésite. A sa mine je sens que quelque chose ne va pas, et pour cause, connaissant mon mentor et son sens du protocole, ses visites doivent être programmées et minutieusement orchestrées. Il leur faut une preuve, quelque chose qui relie Keyoke aux Ombres.
- Euh. Je me racle la gorge avant de continuer à mi-chemin entre l'affirmation et l'interrogation.
Suivante non éclairée mais dévouée …
Ses sourcils s'arquent et ses yeux me sondent, patients.
Je m'attache aux pas dans la journée, continué-je avec un peu plus d'insistance.
Elle cligne des yeux, inspire profondément et après une seconde d'hésitation formule à son tour
- Nichée dans les profondeurs de l'âme, je donne vie aux pensées infâmes
- Si toutefois je suis née de la lumière, c'est dans l'obscurité que je prospère.

Je perçois une voix dans son dos, plus mature et plus autoritaire. Je ne saisis pas tous les mots mais aussitôt la petite referme le panneau et la porte s'ouvre en grinçant.
L'endroit n'a pas changé malgré les années, tout a l'air en aussi mauvais état. Les habitantes non plus n'ont pas changé, toujours cette impression d'être sales et malingres dans leurs habits rapiécés … mais si on prend le temps d'observer au lieu de détourner le regard, on voit que leur dents sont saines et leur corps tout sauf maigres. A y regarder de plus près, je me sens ici comme dans une salle rempli de miroirs reflétant le passé ; tant nous faisions en sorte de nous ressembler les unes les autres.
- Merci, dis-je en faisant mine de ne pas remarquer leur nombre, ni la quantité d'armes prêtes à fondre sur moi. Pardonnez-moi pour cette visite des plus inhabituelles mais j'ai besoin de l'aide des Invisibles pour aider votre bienfaiteur.
Je n'ai guère de temps à perdre en préliminaires. Je les interpelle directement avec un terme que seules les habitantes utilisent, ou du moins utilisaient à mon époque … et vu leur réaction, cela non plus n'a pas changé.
- Rengainez-moi ça, je ne suis pas venue en ennemie. J'ai fait partie des vôtres, il y a bien des années.
- Vous ? Ricane alors la petite de la porte d'entrée.
- Aucune de nous n'est ce qu'elle semble. Oubliez mes habits, et mon visage car il n'est pas le mien.
Les plus jeunes s'éloignent, laissant les plus âgées continuer la discussion. Il n'est pas facile de leur donner les garanties qu'elles veulent quant à mes liens avec leur bienfaiteur, et cela sans doute en raison de notre méconnaissance mutuelle de sa personne. Ce que je sais de lui, elles l'ignorent, ce qu'il leur fait savoir de lui ne sont qu'une partie de la vérité. Elles finissent par accepter de m'aider après leur avoir prouvé que j'étais effectivement l'une des leurs … et surement l'une des rares à être encore en vie et en ville à mon âge.
La soudaineté et le mystère entourant l'absence de Keyoke ne les accablent pas autant que moi, habituées à ne le voir qu'irrégulièrement, mais elles acceptent tout de même d'écouter et surveiller les personnes de son entourage que je leur indique. Je leur explique ensuite en quelques mots les soucis qui m'amène. Le cambriolage de la demeure de leur bienfaiteur et l'identité de la personne responsable : le fils de l'administrateur de Keyoke. Mon maître est un homme qui passe pour contrôler absolument tout ce qui arrive dans sa vie, son domaine, sa demeure et ses affaires, qui se targue d'être quelqu'un d'infaillible, qu'on ne peut duper ou tromper. Autant dire que se faire avoir par un type dont la réputation est d'être un parasite inutile peut avoir des conséquences sur la sienne, sans parler du fait que certains des objets volés sont apparemment aussi dangereux qu'inestimables. Leur part du travail concernera ceux à l'origine du vol. Une bande assez récemment arrivée en ville qui œuvre dans les salles de jeux et de paris, qui commerce à grands renforts d'arnaques, paris truqués, menaces et chantages. Je leur indique la taverne où ils avaient donné rendez-vous au parasite, la salle de jeu où il s'est fait arnaqué à plusieurs reprises et l'endroit où j'ai perdu leur trace. Je leur décris en détails la femme aux cheveux de paille qui m'avait filé entre les pattes, ainsi que le chauve qui semble être le chef bien qu'il soit sans doute encore emprisonné, et la dégaine de ceux que je n'ai pas pu voir de près. Nous convenons d'un signe afin de nous reconnaître facilement en ville car j'ai bien l'intention, même si la milice accepte d'envoyer les leurs questionner les habitants des docks, de traîner dans le coin moi aussi, dans une tenue plus appropriée.

Je les quitte deux bonnes heures plus tard, les termes du contrat et du paiement conclus … et ma promesse de ne parler de notre accord à personne, pas même Keyoke lorsqu'il aurait vent du cambriolage dans sa demeure.
La pluie a cessé pendant mon entrevue avec les Ombres de l'Infortune et lorsque j'arrive près de mon palanquin, j'aperçois une chose qui soudain me fait me sentir plus stupide que jamais. Mon ombre … visible le temps d'une minute tandis que le soleil parvient à se faufiler parmi les épais nuages qui obscurcissent le ciel d'Oranan.
((L'ombre !)) C'était pourtant pas si compliqué. ((Je m'attache aux pas dans la journée !!)) Reste à savoir si la solution de l'énigme me permettra d'ouvrir le compartiment dédié aux filles.

Le soleil est presque couché. Un dilemme qui n'en est pas un se présente alors. Avancer pour eux ou avancer pour moi. Pour une fois j'ai la possibilité d'en savoir plus sur les mystères enrobés de secrets qui englobent la vie de mon protecteur. N'est-ce pas ce que j'ai dis il y a quelques heures, qu'à partir de maintenant je souhaitais savoir au lieu de suivre aveuglément. Je veux faire partie de son univers, intégralement et ce n'est pas en restant un pion toute ma vie que je vais m'intégrer à quoi que ce soit.

- On rentre, dis-je aux porteurs.
- M… Mais
- On ne discute pas.

((Merde aux autres !)) Cette fois, plus de détours, plus de tergiversations, plus de devoir envers qui que ce soit d'autres que moi, plus de règles, plus d'obligations de je ne sais quoi envers je ne sais qui, plus rien d'autres que moi, moi, moi et moi.
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » mar. 29 janv. 2019 00:12

Deux jours.
Deux jours et trois nuits que j'essaye d'ouvrir ce satané compartiment.
Je me suis encore endormie dans le bureau, par terre cette fois et ma joue colle au plancher.
Ma résolution de ne pas m'enquiquiner avec leur histoire n'a tenu que la première nuit. Je n'ai pas vu mon lit depuis, occupée à me faire des nœuds au cerveau ici quand je ne suis pas dehors à tenter de faire avancer leur enquête. Je suis obligée de l'admettre, j'ai été plus efficace dehors qu'entre ses murs. Avec les filles, nous avons retrouvé la trace de la femme blonde et réussi à retrouver leur planque. Aujourd'hui, je dois me rendre à la milice pour leur faire part de nos avancées en espérant qu'ils acceptent de prendre en compte mes informations alors que je leur ai refusé de connaître l'identité de mes "enquêteurs".


Soudain, mon éternelle sangsue unique et préférée plus connue sous le nom de Morlet fait irruption dans le bureau. Le monde n'avance décidément plus droit. Je n'ai même pas la force de lui dire qu'il n'a rien à faire dans cette pièce, que personne, pas même moi, n'a à y faire d'ailleurs. Quand bien même le lui dirais-je, il resterait là droit dans ses bottes, fier et insolent.

- Quoi encore ?!? Dis-je en grognant.
- Je t'apporte à manger. Dit l'elfe bâtard en faisant la grimace.

Manger. Encore une chose que j'oublie de faire en ce moment. Et me laver aussi d'ailleurs. Les effluves qui m'assaillent lorsque je me redresse me piquent le nez et me montent les larmes aux yeux.

- Un messager vient d'arriver, Kasumi est attendue à la milice.
- C'était prévu.
- N'y va pas.
- C'est qu'une façon de parler.
- Non Mado. C'est un piège.
Cela ne peut être une entourloupe ou un stratagème motivationnel tordu. Il est beaucoup trop sérieux et cela ne lui arrive que très rarement. Je ne dis rien sur le coup, les seuls mots qui me passent par la tête sont quoi, qui, quoi et quoi. Il s'assoie en face de moi et continue, la mine grave.
- J'ai un ami gratte-papier à la milice. Je ne sais pas pourquoi Chumaka est super furieux et désespéré mais…
- Ça je peux t'le dire. Pour enfin convaincre la milice que l'homme qui était dans leur prison était le chef du récent réseau de voleurs, j'ai du leur dire que la mystérieuse personne qui a aidé les miliciens à l'arrêter travaillait pour moi, et de fait qu'on était au courant que le fils de Chumaka était de ceux qui avaient cambriolé la maison bien avant que des officiers ne viennent nous prévenir qu'il avait avoué son crime. Donc bien avant que Chumaka ne leur demande une faveur en acceptant de bannir son fils en échange de leur silence quant à son implication. Et donc, finit la faveur et bonjour la prison.
- Et pourquoi il aurait avoué c'trou duc ?
- Ben, le soir où il devait aller payer sa dette, je l'ai suivi et quand il est sorti de la taverne, il m'a un peu agacé alors j'lui ai démoli la tronche.
- J'vois pas trop le rapport.
- Ben les gars de la bande sont sortis de la taverne au même moment alors je les ai filé et j'ai … un peu laissé Shou-Hsing en plan, à moitié inconscient. Il a dû être retrouvé par une patrouille. Je ne peux empêcher mon sourire d'apparaître, ce simple souvenir est littéralement un petit rayon de soleil.
- En plus tu trouves ça drôle ?
- Oh hé ça va hein, t'as jamais fait de boulette toi ?
- Si, peut être. Toujours est-il que maintenant il est décidé à sacrifier Kasumi pour te renvoyer la balle. Si tu vas à la milice déguisée … tu seras arrêtée.
- Arrêtée ? Mais pourquoi ?
- Me demande pas comment, ça s'est passé à huis clos, mais il a réussi à les convaincre que c'est Kasumi qui les faisait chanter, que tout était une manœuvre pour prendre la tête de la famille et agrandir son réseau de malfaiteurs.
- Quoi ??? Mais ça tient pas debout c'est dingue.
- Peu importe, ce qui est fait est fait.
- Non !! Non, non, non et non. J'me casse le cul depuis des jours pour leurs conneries et parce que son fils doit assumer ses actes, moi je dois finir en prison pour rien ?!? NON !
- Pas toi … Kasumi.
- C'pareil !
- Non. Mado, pas du tout. Aussi malin soit-il, il n'a pas réussi à te placer toi, Madoka, dans l'affaire. Parce que t'es qu'un pion qu'on déguise, t'as oublié ? Sans nom, sans visage, sans existence, un petit pion blanc comme neige … qui cette fois n'a tué personne.
- Pas encore …
- Tsss …
- Ouais ça va, j'sais bien que c'est pas la solution mais t'avoueras que c'est tentant.
- Bref … le fait est que tout est en passe de devenir politique ET t'es trop propre pour la politique, t'en ai encore à parler d'assumer ses actes quand eux ont déjà trois pigeons à sacrifier à leur place.
Donc, tu n'iras pas à la milice. Tu fais en sorte de …

- J'te préviens que si tu me demandes de fuir ou de me cacher, je réponds plus de rien, dis-je en lui coupant une énième fois la parole tant je me sens tiraillée et nerveuse.
- Tsss, fuir c'est pour ceux qui manquent d'imagination. J'te parle pas d'ombre cette fois, mais de lumière. Toi, Madoka, tu vas aller prêter main forte au Conseil. L'Erementarīfōji vient de débuter. Le conseil a choisi les huit candidats et chacun recherche une escorte … tu seras l'un d'elle. Il ne s'agit pas de se planquer en partant en voyage, il s'agit de revenir et de te faire un nom. Chaque forgeron ne peut avoir qu'une seule personne pour l'escorter, t'en es tout à fait capable … mais hey, même super chiant, tu le démolis pas hein !

C'était incroyablement tentant. Laisser Chumaka dans sa merde après avoir traîner le nom de Kasumi, nièce de son maître, dans un bourbier impérissable. Avoir un but, un objectif tellement éloigné de mes tourments. Me remettre en selle pour aider mon peuple sans avoir l'impression d'en trahir une partie.

- Je ne peux pas partir sans avoir ouvert ce truc. C'est ma seule chance. Quand Keyoke sera de retour, je ne pourrais plus avoir mes réponses.

Un bruit dans notre dos fait soudain sursauter les tréfonds de mes entrailles. Est-ce qu'il est comme les mauvais esprits de nos contes, si on prononce trop son nom … il apparaît pour vous châtier ?

- Non'j ma grande. Content que tu arrives enfin, s'exclame Morlet d'une voix particulièrement guillerette.
Un frisson de soulagement me parcoure le dos à m'en faire trembler.
Ils échangent discrètement quelques mots en langue des signes puis Morlet se tourne vers moi avant de repartir.

- T'as jusqu'à l'heure du repas. Ouvert ou pas ouvert, lavée ou pas lavée, prête ou pas prête … tu dois être au bâtiment du conseil avant que Chumaka ne revienne. Bonne chance !!

Il en a de bonnes lui. Ouvert ou pas ouvert, j'ai tout essayé. J'ai plongé la pièce dans l'obscurité la plus totale, je me suis galérée à ne plonger que le compartiment dans l'ombre, j'ai écrit le signe puis le mot sur le bois dans plusieurs langues, j'ai découpé le signe dans du papier pour le projeter en ombre comme dans un théâtre d'ombre, j'ai fais la même chose avec le mot grue, j'ai même découpé le dessin d'une grue … rien. Ce truc n'a pas de serrures et ça me rend folle rien que d'y penser, comment on ferme quelque chose sans serrure.

La vieille Non'j s'installe sur le fauteuil et m'observe en souriant comme on sourit devant un chiot qui cherche à se mordre la queue.
- J'ai l'air débile hein ?
- Non, signe-t-elle. Simplement obsédée. Tu ne peux pas l'ouvrir seule.

D'un geste, elle me fait taire et me montre le pain et le fromage déposés par Morlet. Elle me dit qu'il fait à peine jour, que j'ai le temps de manger et de l'écouter.

De tous les protégés de Keyoke, je suis la seule à ne pas avoir le don de magie car il les choisit comme ça. Ce n'est pas qu'il pense que les gens sont moins capables sans magie mais il pense que les détenteurs de fluides sont voués à plus grands destins. Mes parents avaient tous deux des dons extraordinaires, il pensait que ça ne serait qu'une question de temps avant que mes dons ne se développent.
Je manque de m'étouffer à cette révélation. Les souvenirs de mes parents restent profonds malgré les années, surtout leurs bras, leurs paroles, leur chaleur, leur amour. Je ne me suis guère appliquée à m'imprégner de leurs faits martiaux pourtant nombreux … mais j'étais intimement persuadée que Keyoke ne les connaissait pas. Durant mes premières années avec lui, il m'avait tant questionné à leur sujet et moi restée tant muette que je pensais avoir sauvegardé leur mémoire pour moi, en paix et à l'abri dans mon esprit. Mais cela aussi n'était que mensonges. "Ses secrets ont des secrets" N'est-ce pas comme ça que je me le représente depuis des années. En faire personnellement les frais est moins facile à gérer que je l'imaginais.
Non'j perçoit ma détresse et ma fureur. Elle tente de m'expliquer mais j'y coupe court et elle reprend son récit.
- Je connais leurs noms et leur vie … et même leur mort car j'y étais.

Cette absence de don et même cette révulsion qu'on me connait vis-à-vis de la magie l'a profondément chagriné car d'après elle, j'étais la plus prometteuse parce que la plus insensible. Il ne savait pas et ne sait toujours pas s'il doit m'intégrer pleinement à son monde et il est clair pour elle que je ne peux pas continuellement tourner autour comme une lune.

- Pourquoi me dire tout cela ? Pour que je ne revienne jamais ? Je ne sais que penser, que ressentir, et j'ai peur de lire ce qu'elle veut me dire.

Non, signe-t-elle.
C'est pour que je comprenne en quoi il m'est impossible d'ouvrir ce tiroir ou le mien. Ce que je prends pour un test n'en est pas un. Ce que j'ai découvert par hasard n'a pas à l'être car le Maître montre tout ce système à ses recrues quand il les sent prêts. Il n'y a que huit compartiments scellés, le reste n'est que peinture en trompe l'œil pour donner l'impression qu'il y en a des dizaines. Huit comme les éléments et la magie runique fait le reste. ((Une magie que je ne connais même pas de nom.))
Et c'est pour ça qu'elle se décide à tant m'en dire, parce qu'elle ne veut pas me voir devenir folle à tenter l'impossible.

- Tu n'as pas dis impossible, tu as dis pas toute seule.
- Oui, parce que tu possèdes un objet qui pourra t'aider. Le seul cadeau que je t'ai offert.
Je passe mes doigts dans mes cheveux sales et touche mon serre-tête avec une appréhension toute nouvelle.
- C'est quoi ce plan Non'j, qu'est-ce que j'ai sur la tête depuis des mois ?
- Un objet imprégné de fluides d'Obscurité.
A ma grande stupéfaction, je ne me sens pas au bord de la nausée. A vrai dire, je crois que j'ai dépassé le stade de l'écœurement et dois pas être bien loin du déni absolu. J'ai plus la force de m'offusquer, je suis trop fatiguée et je ne saurais pas bien par quoi ou qui commencer. Je ne suis pas à un monde de plus qui s'écroule alors je me contente de grimacer et de lui dire que je la hais, sans grande conviction parce qu'elle, au moins ou a priori, a voulu m'aider … à l'inverse de celui en qui j'ai placé toute ma confiance qui n'a fait que me pousser comme une petite touffe de poussière en attendant de me balayer.

- Je peux t'aider à ouvrir celui-ci si tu y tiens, bien que je ne sache pas pourquoi … aucune réponse à tes questions se trouve ici.
Mes poils se hérissent à la simple pensée du mot magie. Je lui demande de faire vite car mon consentement ne pourrait supporter le poids d'une réflexion. Je place une main sur le compartiment, ferme les yeux et pense à une vague. Une vague dense et de couleur noire qui s'enroule autour de ma main et engloutit la paroi du meuble. Je n'ose ouvrir les yeux de peur de réaliser que ma main est réellement voilée d'Ombre. Je me concentre pour retenir un flot d'images et de pensées où la magie prendrait possession de moi, que mon pire cauchemar ne devienne réalité.
Lorsque j'ouvre les yeux en sentant sa main sur mon épaule, une porte s'est ouverte. Pas un tiroir comme je l'ai toujours cru. Non'j me signe de me dépêcher, que perdre du temps n'est pas nécessaire dans ma situation et qu'elle va elle aussi quitter la maison pour quelques heures.

Mon attention est toute entière à ce trésor devant moi, convoité depuis peu mais dont le contenu, je l'espère, répondra à une convoitise plus profonde. Cependant, mon désenchantement est rapide, comme l'avait prédit la vieille gouvernante. Il n'y a que des notes de la main de Keyoke sur des infos pour le moins décevantes à mes yeux mais il y a là de quoi faire tomber des têtes.
J'ai trié la moitié des papiers lorsqu'un nom attise mon intérêt. "Le temple des plaisirs". Un mot perdu au milieu d'une centaine, définit comme un lieu de débauche où est allé un homme définit lui comme sans morale. Un homme qui va servir de pigeon pour un autre, encore un. Un homme dont le nombre de visite au temple lui vaut d'être le sacrifié pour le crime d'un autre. C'est apparemment un tiers qui aurait tout arrangé, un homme de confiance, peu influent mais honnête, un ancien collaborateur d'un homme très influent récemment décédé lors d'un duel. Il me faut quelques secondes pour assimiler ce que je vois et les choix qui s'offrent à moi. Replacer le papier et n'avoir que ma voix et ma mémoire comme preuves ou le voler et prendre le risque que Keyoke s'aperçoive de l'intrusion. Quelques secondes pour décider de le prendre, n'ayant ni envie de me tromper de noms ni le temps de le réécrire. Une sorte d'acte de rébellion qui me fait un peu sourire. Je referme le meuble, nettoie rapidement la pièce des traces de mon séjour et file me préparer.

La maison est plus silencieuse que jamais et cette fois, je m'y sens bien … étonnamment bien malgré les révélations, l'étalage du mensonge qu'a été une partie de ma vie et l'amertume de devoir abandonner si près du but. Peut être est-ce l'excitation du chapardage, l'idée de pouvoir mettre Chumaka en échec ou la possibilité de voler de mes propres ailes.

Je file dans ma chambre et me prépare en vitesse. Je me lave, me coiffe d'un chignon tenu par une série d'épingles plus ou moins grandes et de deux grands pics d'où pendent des perles. Je me vêts de la tunique distinguée offerte par Pulinn. Je range la totalité de mes affaires dans le sac, le nécessaire de toilettes, la bague de lien, les gants de combat puis file vers la cuisine. Là bas j'y prends quelques provisions de secs et une gourde ainsi qu'un briquet et amadou. Dans la dépendance je prends de la ficelle et une corde. En enfilant ma cape je me surprends à chercher mes armes, me remémorant alors que tout ou presque était perdu. Il ne me sert à rien de fouiller la maison car des armes, il n'y en a pas.
En revanche ce qu'il y a ici, c'est la chambre et le bureau de Chumaka. Deux pièces relativement petites mais outrageusement décorées. L'envie de dévaliser son antre me picote les doigts mais je me contente d'y pendre quelques bijoux pour faire du troc, une bourse bien remplie et ces drôles de caillou gravés.

Il me reste assez de temps pour passer à la maison "Fuun" afin d'y déposer de l'argent et un mot leur demandant de cesser leur travail sur notre affaire. Elles n'en seront pas aussi peinées que moi, n'y étant pas mêlées directement mais je gage que certaines auraient apprécier aller jusqu'au bout. Je devrais pouvoir me présenter au bâtiment du Conseil largement avant que Chumaka ne se rende compte que quelqu'un m'a prévenu de son piège.

Sur le pas de la porte je me retourne et observe les lieux. C'était, jusqu'à aujourd'hui, mon terrain de jeu, l'endroit où je me sentais le plus en sécurité. A partir de maintenant, ses murs abriteront des souvenirs sombres et une douloureuse remontée vers la réalité, ma nouvelle réalité. Il m'est impossible cependant de savoir si c'est un adieu ou un au revoir.
Modifié en dernier par Madoka le jeu. 7 févr. 2019 11:30, modifié 2 fois.

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Oljyn
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Re: Les Habitations

Message par Oljyn » mar. 29 janv. 2019 15:47

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" In-co-rri-gible. "

" Aïe !"

Elle n’y va pas de main morte. Essuyant les stigmates de mon combat avec un chiffon humide pour en nettoyer le sang. Les gardes nous avaient laissé récupérer nos affaires et même rentrer dans la ville sans trop nous bousculer. Ils se sont contentés de nous regarder de travers et de nous prévenir que la prochaine fois se serait la prison. Nous avons simplement inclinés la tête avant de traverser la cité sous les regards ahuris des habitants. Nous voilà maintenant chez moi, ou plutôt chez mes grands-parents. Habitation assez grande, dont l’intérieur est décoré de divers vases, tableaux et petites sculptures. Pris en charge par ma mère et ma grand-mère qui s’occupent de nettoyer et recoudre nos plaies. Sous l’œil courroucé de mon grand-père qui craint que cette histoire ne vienne encore ternir la réputation de sa boutique. Vieil Ynorien aux cheveux et à la longue moustache blanche, vêtu d’un kimono bleu. Les traits fatigués par l’âge. Ma grand-mère paraît encore jeune à côté de lui. Elle porte une robe et un tablier encore plein de farine étant donné que nous l’avons surpris alors qu’elle était en train de faire du pain. Les cheveux en chignon, commençant à peine à se parsemer de gris. Elle arbore un sourire amusé qu’elle essaie de dissimuler en se mordant les lèvres. De petites pattes d’oies se forment aux coins de ses yeux. Ma mère, elle, qui est en train d’essayer de m’arracher la peau du visage avec son chiffon, ne sourit pas du tout. Elle me fait même penser à mon père à cet instant. Les sourcils froncés, la mâchoire serrée. Elle me sermonne une fois de plus sur ma conduite. Les cheveux détachés, habillée d’une tunique aux couleurs pâles. Elle serait ravissante si elle n’était pas tâchée de sang.

" Tu veux participer à un concours où tu es chargé d’escorter un forgeron et la première chose que tu trouves à faire c’est de te battre avec lui aux portes de la cité ! "

" Il l’a bien cherché. "

Rétorquais-je alors qu’elle accentue la pression sur une bosse, probablement volontairement. J’entends un rire léger venant de la chaise un peu plus loin où est assis le forgeron qui reçoit le même traitement de faveur, bien qu’un peu plus doux, de ma grand-mère.

" C’était un malentendu. "

" Un malentendu qui vous donne une superbe réputation alors que le concours débute à peine ! "

Vocifère ma mère, ponctuée d’un léger grognement de la part de mon grand-père. Il ne m’apprécie pas. Je le sais. Dès le premier jour il m’a regardé de travers. Pour autant, je ne cherche pas spécialement à le mettre en colère. J’ai parfois l’impression que ma simple existence suffit. En jetant un œil vers lui je remarque d’ailleurs que son regard courroucé est fixé sur moi.

" Alors Oljyn, tu veux venir avec moi chercher du Gravilay. C’est ça ? "

Je quitte des yeux le regard accablant dardé sur moi pour me tourner vers le forgeron, lui répondant d’un simple hochement de tête.

" Sais-tu au moins où on peut en trouver ? "

" Le conseiller m’a parlé de vieilles forêts. "

" Exact. "

Répond-il avant de s’excuser auprès de sa guérisseuse pour saisir une carte de Nirtim dans son sac qu’il étale sur la table avant de poursuivre.

" Et pour réaliser une armure de plates il m’en faut un paquet. Nous allons donc nous rendre dans une des forêts les plus anciennes du monde. "

Je sens un tremblement dans la main de ma mère. Sa colère se mue peu un peu en inquiétude. Je pose une main sur la sienne alors qu’elle entreprend de nettoyer le sang séché sous mon nez. Je lui lance un regard rassurant. Sans un mot, elle incline la tête pour se mettre à l’écart, me laissant le chiffon pour me laver moi-même tout en observant le doigt de Kazuto se promener sur la carte en détaillant ce qu’il a prévu.

" Elle se trouve ici. Dans le Duché de Luminion entre le fleuve Kokyo et le lac de Hynim. "

Il tapote du bout de l’index une vaste étendue de bois couvrant tout le sud des montagnes avant de continuer.

" Théoriquement, il nous faudrait presque deux mois pour atteindre le cœur de la forêt. Pour gagner du temps nous allons devoir quitter la route et couper à travers les plaines. "

Ma mère l’interrompt, sans parvenir à dissimuler son inquiétude.

" Ce n’est pas trop dangereux de quitter la route ? "

" Nous n’avons pas le choix si nous voulons être revenu avant la fin du temps donné. "

Répond-il doucement. Presque navré. J'aurais bien rajouté que c'était sans doute pour ça qu'il avait besoin d'une escorte mais le regard qu'ils se lancent tous les deux me coupe dans mon élan. Ma mère avait dit le connaître. Pourtant ils agissent comme si ce n'était pas le cas. Ma mère détourne même le regard alors que mon grand père pousse un autre de ses grognements fins avant de laisser s'échapper une volute de fumée bleu de ses narines.

Le forgeron continue. Il pointe son index sur Oranan et le déplace en suivant le trajet prévu tout en le commentant.

" Nous partirons vers l’est jusqu’aux montagnes. Ensuit nous longerons le lac de Nostyla vers le sud. Nous passerons entre la forêt de Nostyla et des Faeras puis nous longerons la montagne jusqu’à Gamerian. Nous y prendrons un peu de repos et le matériel nécessaire avant de plonger dans la forêt. Vers l’est. "

Il me jette un regard. S’assurant sans doute que j’ai bien compris. J’hoche la tête. Pour moi tout est limpide. Je suis impatient de partir et visiblement je ne suis pas le seul car Kazuto a également l’air de trépigner d’impatience.


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Hatsu Ôkami
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » mar. 5 févr. 2019 21:50

Mises au point


Hatsu passa une journée en forêt, ne rentrant que tard le soir, sale et trempée à cause des nombreuses averses qui avaient sévi durant la journée. Elle s’en fichait royalement, affichant une mine réjouit. Demain était le grand jour, elle allait enfin partir pour débuter sa première aventure. Elle avait traqué sa proie toute une journée, sans se lasser, la suivant sans relâche et lorsque l’animal, fatigué, avait abandonné, elle avait renoncé sur les conseils de Loup.

(Chasser n’a d’intérêt que si la proie souhaite vivre !)

Elle était donc revenue en fin d’après-midi à Oranan et était arrivée devant les portes de la demeure familiale. Elle savait très bien que ses parents allaient lui sauter dessus à peine aurait-elle posé un orteil dans le hall, mais tant pis. Elle avait suffisamment fui, il était temps pour elle d’affronter ses parents, quitte à se les mettre à dos. Elle franchit donc le portail et traversa l’allée de pierres blanches pour atteindre le perron. Elle ouvrit la porte d’un coup sec avant d’entrer, attendant l’inévitable. Mais seul le silence l’accueillit. Etonnée, elle mit quelques secondes avant de bouger de nouveau puis se dirigea vers sa chambre en regardant autour d’elle mais sans voir personne. Elle se lava avec bonheur, nettoya ses vêtements et enfila une tenue simple mais élégante. La nuit commençait à tomber lorsqu’enfin ses parents rentrèrent. Ils la trouvèrent dans la pièce principale, lisant un livre comme à son habitude. Elle les salua et un silence froid s’ensuivit. Hatsu percevait l’irritation de sa mère, mais étrangement celle-ci n’était pas dirigée contre elle.

Son père s’installa en face d’elle et ils discutèrent un moment. Elle leur expliqua ce qu’il l’avait poussé à s’inscrire, qu’elle voulait prouver aux autres, à eux et à elle-même, qu’elle pouvait faire quelque chose de sa vie. Il l’écouta sans rien dire tout le long et lorsqu’elle eut fini, il la regarda un long moment avant de se lever et de quitter la pièce. Il se retourna avant de sortir.

- Il n’y a plus rien à dire, ton honneur est en jeu, tu te dois de participer. Mais sache que cette décision pourrait nous coûter cher.

Elle se demanda ce qu’il entendait par là. Avait-il été menacé ? Parlait-il de la notoriété de la famille ? De la fortune pourtant colossale et protégée ? Les Ôkami ‘étaient certes plus la famille puissantes qu’ils étaient avant l’instauration de la République, mais ils étaient loin d’être en déclin et les chefs successifs avaient su garder une influence certaine et une réputation plus qu’importante. Hatsu avait du mal à voir où il voulait en venir. Cela dut se voir sur son visage car con père soupira.

- Ta vie est en jeu Hatsu et, quoi que tu penses, nous sommes tes parents. Si nous avons laissé partir ton frère, c’est parce que nous savions qu’il n’irait pas en première ligne, j’ai fait jouer mes relations et il n’ira pas au front comme le premier paysan venu. Mais toi… nous ne savons pas sur quoi tu vas tomber.

Hatsu se sentit mal et terriblement stupide en entendant cela mais elle fit de son mieux pour garder un visage neutre. Elle se contenta de se lever et d’enlacer son père qui, surprit, mit quelques secondes à réagir avant de lui rendre son étreinte.

- Je suis désolée d’avoir pensé que vous aviez envoyé mon frère à la mort. Je serais prudente, c’est promis.

Elle regarda sa mère qui semblait toujours furieuse mais qui ne fit aucun commentaire et la discussion s’arrêta là. Elle passa une partie de la soirée à préparer ses affaires, remplir son carquois de flèches, vérifier son équipement et elle alla se coucher tôt. Le lendemain elle se replongea dans les ouvrages de la bibliothèque, sûre de toruver ce qu'elle cherchait sur l'Olath. Plusieurs endroits semblaient correspondre à ce qu'elle avait en tête, mais nombreux étaient les endroits qu'elle jugeait bien trop dangereux, notamment ceux qui approchait bien trop des frontières d'Omyre et de la ligne de front avec les armées d'Oaxaca. Elle vit que ses parents évitaient le sujet de son départ lors des différents repas et cela lui convint parfaitement. Sa mère affichait un visage froid et contrarié tandis que son père paraissait davantage soucieux. Lorsque vint la nuit, Hatsu se retira dans sa chambre, elle vérifia une dernière ses affaires avant de se coucher. Elle eut du mal à trouver le sommeil, excitée et angoissée qu’elle était par son départ prochain. Lorsque le ciel commença à s’éclaircir, elle se leva et se prépara sans faire de bruit.

Peine inutile puisque ses deux parents l’attendaient en bas. Ils la détaillèrent lorsqu’elle se présenta face à eux. Ils semblaient étonnés de l’apparence de leur fille mais ne firent aucun commentaire à la grande surprise de la jeune femme. Les adieux furent brefs mais Hatsu remarqua très bien les yeux presque larmoyants de sa mère qui faisait tout pour garder le visage légèrement désapprobateur. Hatsu comprit qu’elle essayait de garder la face, mais elle aurait aimé qu’elle soit un peu plus honnête lorsqu’ils n’étaient que tous les trois.

Une bruit de sabot sur les pavés se fit entendre et la jeune femme quitta donc le cocon familiale avec une certaine excitation mêlée d’appréhension. Lorsqu’elle franchit le portail, elle vit Onoda, installé sur une charrette tirée par un cheval à la robe blanche. Elle le salua d’un signe de tête, légèrement surprise qu’il soit à l’heure, installa ses affaires à l’arrière et se posta à ses côtés. Il ne fit pas mine de l’aider à monter mais elle ne lui laissa pas l’occasion de se moquer, elle était suffisamment adroite pour ne pas se ridiculiser et se débrouiller seule. Une fois qu’elle fut installée, le chariot s’ébranla sous les directives du forgeron et elle s’éloigna de la maison familiale. Elle jeta un bref coup d’œil en arrière, attirant les sarcasmes de son compagnon.

- Et bien ? On a du mal à quitter le nid ? La courageuse Ôkami va-t-elle se dégonfler ?

Elle lui lança un regard torve mais ne répliqua pas, élargissant le sourire narquois du forgeron qui, sûr de lui, enchaîna.

- J’imagine que vous avez prévu de passer par de larges routes, de demander de l’aide de valeureux combattants pour ne pas abîmer vos frêles et jolis bras.

Elle le regarda comme s’il était stupide et un sourire machiavélique se dessina sur son visage.

- Bien sûr que non voyons. Nous allons vers Omyre, la région regorge d’Olath d’après mes recherches.

Le forgeron pâlit instantanément en entendant cela.

- Vous n’y pensez pas ?! Il y a des horreurs inimaginable là-bas, des Garzoks, des bêtes tous droits sorties de cauchemars. Je refuse d’aller là-bas et vous ne pourrez pas m'obliger à...

- Qui se débine maintenant ?

Il y eut un silence pendant lequel les deux se firent face et le forgeron souffla de dépit et se concentra de nouveau sur le trajet. Hatsu était ravie d’avoir réussi à fermer le clapet de ce petit noble imbue de lui-même mais il avait raison sur un point, elle devait lui dire où ils allaient. Elle sortit la carte de Nirtim qu’elle possédait et pointa du doigts divers endroits possibles qu’elle avait repéré d’après ses lectures.

- Ici, il y a une vieille forteresse abandonnée qui a servi de prison pour un peu tout le monde au fil des siècles, j’imagine que l’Olath y sera abondant mais elle est assez éloignée. Plus proche il y a un cimetière… enfin j’appellerai plutôt ça un charnier mais même constat, par contre il risque d’y avoir des morts-vivants ou autre joyeuseté de ce genre. Pareil pour la forteresse mais moins je pense. Dans les deux cas il faut passer par la route de la forêt Nostyla.

Le forgeron, malgré son air hautain habituel, écoutait attentivement les observations et propositions de la jeune femme. Il avait beau ne pas être convaincu de son talent, il reconnut néanmoins qu’elle était consciencieuse dans son travail. Mais jamais il ne le dirait à haute voix, il était bien trop fier pour ça. Elle continua et le forgeron l’écouta tout en guidant le chariot en dehors de la ville.

- Il y a aussi ce... truc dans le comté de Bouhen… En fait je n’en suis pas sûre, ça ressemble davantage à des affabulations d’ivrognes mais je l’ai tout de même noté. Une sorte de tour immuable qui aurait servir de tombeau et de temple à Phaïstos. Pour moi ce sont des fables. Je pense que…

- Que ce sera parfait, allons voir cette fameuse tour !

Hatsu regarda le forgeron d’un œil suspicieux mais celui-ci semblait parfaitement sérieux. Il avait sauté sur l’occasion d’ennuyer sa compagne de route, évidemment, mais lui-même s’étant renseigné, il savait où dénicher de l’Olath dans le comté de Bouhen et la tour était sur la liste. Non seulement il énervait celle qui l’accompagnait en choisissant le lieu qu’elle voulait éviter, mais en plus il était certain de trouver ce qu’il voulait sans avoir à aller dans des coins trop dangereux. Une pierre deux coups.

- Très bien, va pour Bouhen alors.
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » jeu. 18 avr. 2019 17:49

Noblesse et bassesses


Hatsu prit son temps pour retourner chez elle. Elle déambula encore un moment dans les rues de la ville avant de trouver elle-même son comportement ridicule et de se diriger vers la demeure familiale. Lorsqu’elle arriva devant le portail en bois qui délimitait l’enceinte, elle inspira longuement avant de descendre de cheval et d’entrer. Elle fut accueillie par un des serviteurs qui eut l’air à la fois ravi et choqué de voir la jeune femme. Il fallait avouer que l’apparence de la jeune femme était loin de celle qu’elle arborait habituellement. Si son visage n’avait pas changé, sa tenue sale et déchirée et ses cheveux en pagaille auraient rendu impossible à quiconque de voir là l’aîné des Ôkami. Le serviteur couru aussitôt pour prévenir la maisonnée et préparer l’arrivée de la jeune femme qui se sentit déjà épuisée rien qu’en imaginant la suite. Elle prit néanmoins le temps de conduire Yoru sous un abri, le dessella et veilla à ce qu’on s’occupe de lui le temps qu’elle fasse la surprise à son père.

Lorsqu’elle entra enfin dans le hall d’entrée, elle inhala avec une certaine joie l’odeur typique qui emplissait toujours la demeure familiale, mélange d’odeurs de bois verni, de plantes aromatiques et d’encens dont sa mère avait une consommation excessive pour purifier l’air intérieur. Elle se déchaussa à l’entrée et se dirigea tranquillement vers la salle de séjour, saluant au passage les quelques serviteurs qu’elle croisait. La plupart la saluèrent avec étonnement, la faisant sourire. Lorsqu’elle arriva devant la porte de la pièce, elle fit coulisser le panneau pour tomber nez à nez avec ses deux parents qui semblaient l’attendre. Son père se leva et l’embrassa tendrement malgré son accoutrement et son hygiène toute relative, la prenant dans ses bras en remerciant Rana qu’il ne lui soit rien arrivé. Sa mère fut plus sobre, souriant tout de même en embrassant sa fille malgré le plissement de nez qui fit comprendre à Hatsu qu’elle avait vite intérêt à prendre un long moment dans la salle de bain si elle ne voulait pas prendre des réflexions en cascades.

Ce fut donc la première chose qu’elle fit, abandonnant ses parents avec un sourire tendre, leur promettant de les rejoindre sitôt apprêtée. Elle monta à l’étage, passant devant la chambre de son frère dont elle effleura la porte du bout des doigts en soupirant, avant d’entrer dans la sienne. Elle choisit une tenue simple et disparut dans la salle de bain pendant une bonne demi-heure, faisant disparaître la moindre trace de son voyage, ressortant comme si elle n’avait jamais quitté la maison. Elle privilégia une tenue longue malgré la saison, préférant pour le moment cacher les cicatrices à ses parents. Elle descendit en attachant ses cheveux en un chignon lâche, rejoignant le couple dans la même pièce, s’installant avec eux. Et les questions commencèrent. Elle y répondit honnêtement, passant simplement sous silence ses blessures et la nécromancienne à qui elle avait promis de ne pas mentionner l’existence à qui que ce soit. La plupart des conversations avec Onoda furent également passées sous silence, notamment les dernières qu’elles gardaient en réserve.

Si sa mère sembla parfois horrifiée par ce que sa fille avait vécu, le père lui semblait plutôt fier de sa fille, bien qu’il émit une certaine réserve.

- Tu es… courageuse, mais quelque peu téméraire. Enfin, je ne vais pas te sermonner, tu as fait de ton mieux et tu es revenue saine et sauve, c’est tout ce qui compte. J’espère qu’Onoda a été reconnaissant.

- A sa manière, oui.

Ce qui était vrai, mais elle n’entra pas davantage dans le détail. Lorsque les questions s’épuisèrent, sa mère lui donna en quelques points les dernières nouvelles de la ville. Hatsu écouta d’une oreille distraite, ayant peu d’intérêt pour le boudoir de madame Jory ou les fiançailles du fils Kadrac dont elle n’avait aucun souvenir de toute façon. Non, ce qui l’intéressait était très précis et elle le fit savoir, interrompant sa mère d’un geste, parlant d’une voix calme mais anxieuse.

- Mère… Je veux simplement savoir si Ryo va bien. Avez-vous des nouvelles ?

Les deux époux échangèrent un regard qui fit froncer les sourcils d’Hatsu dont le cœur se mit à accélérer.

- Il va bien. Il a démarré une formation d’officier, il est directement sous les ordres de son capitaine…

Le soupir de soulagement qu’elle poussa n’échappa pas à ses parents qui semblaient néanmoins toujours mal à l’aise, le père changeant rapidement de sujet, voulant savoir quelques précisions sur certains événements, mais Hatsu l’arrêta avec un sourire.

- Avant ça, pourriez-vous venir dehors ? J’ai quelque chose pour vous.

Sans attendre de réponse, elle se leva, précédant ses parents qui avaient tous les deux un air intrigué. Elle sortit, remontant d’un pas vif le tracé de cailloux blancs qui entourait la maison avant de s’arrêter devant Yoru, affichant un large sourire.

- Tada ! J’ai pensé que cela vous manquait, alors je me suis permis de le ramener. Son propriétaire n’en aura plus l’utilité… Humm… Je l’ai baptisé Yoru au vu de sa couleur. Je ne suis pas encore certaine qu’il reconnaisse le nom mais cela viendra. Qu’en pensez-vous ?

Le visage stupéfait, mais ravi, de son père agrandit le sourire qui s’était dessiné sur son visage, bien que le regard réprobateur de sa mère lui assurait qu’elle n’était pas aussi enthousiaste que son mari. Celui-ci s’avança et, écoutant sa fille qui lui conseilla d’être calme et de faire des gestes lents, expliquant le caractère impétueux de l’étalon, il tendit la main, atteignant le nez qu’il caressa doucement, souriant comme un enfant à qui l’on venait d’offrir le plus beau cadeau de sa vie. Il admira le destrier qui resta calme face aux caresses du patriarche.

- Il est splendide… Tu es sûre et certaine de ne pas vouloir le garder pour toi ? Tu en aurais le droit.

La jeune femme secoua la tête, son regard se posant néanmoins sur l’animal qu’elle caressa doucement avant de répondre.

- Pour le moment je ne suis pas très sereine à l’idée de le chevaucher. Un jour peut-être. Pour le moment, considérez que c’est un cadeau de ma part. Enfin, s’il vous accepte sur son dos. Il est extrêmement capricieux, je préfère vous prévenir.

La dernière remarque tira un sourire amusé à son père et fit hausser un sourcil à sa mère qui n’avait pas décroisé les bras durant tout l’échange. Elle s’abstint néanmoins de tout commentaire ou reproche et précéda le duo lorsqu’ils rentrèrent, félicitant néanmoins Hatsu pour son idée « bienveillante » envers son paternel. Hatsu comprit au ton employé que son idée était loin d’en être une bonne aux yeux de sa mère qui avait peur que son mari ne soit de nouveau victime d’un accident, mais la jeune fille était persuadée que son père serait plus vigilant qu’avant.

Après une bonne dizaine de minutes à flatter l’encolure et les flancs du cheval, ils furent de retour à l’intérieur et, comme Hatsu le redoutait, sa mère enchaîna presque aussitôt sur la seule chose qu’elle n’avait pas envie d’aborder.

- Les Yamada ont été quelque peu surpris de ton départ, mais ont été magnanimes et nous les recevrons donc pour commencer les préparatifs de votre union.

Hatsu retint un soupir exaspéré de justesse. Elle avait eu l’infime espoir que son voyage fasse renoncer son prétendant, mais visiblement ce n’était pas le cas. Elle avait toujours en tête les suppositions du forgeron et, tandis que sa mère faisait mille-et-unes prévisions pour la fastueuse cérémonie, Hatsu cherchait à trouver les mots pour aborder le sujet. Elle ne voulait pas qu’ils se braquent face à des accusations, elle devait donc être plus subtile que ça.

- Pardonnez mon interruption Mère, mais qu’avons-nous à gagner là-dedans ? Je veux dire, il est de coutume que la femme prenne le nom du mari et, ce faisant, c’est comme si les Yamada absorbaient notre famille. Arrêtez-moi si je me trompe, mais où est notre intérêt là-dedans ?

La question prit le couple de court qui se tut et s’entre-regarda d’un air gêné, faisant froncer les sourcils de la jeune femme. Quelque chose clochait, elle en avait la certitude à présent. Mais malgré sa persévérance, ils assurèrent que sa famille en sortirait grandie. Pas dupe, Hatsu ne crut pas une seconde à leurs histoires et se promit de trouver le fin mot de l’histoire, d’une manière ou d’une autre.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le dim. 21 avr. 2019 23:30, modifié 2 fois.
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » jeu. 18 avr. 2019 20:47

Ce fut quelque peu énervée que Hatsu remonta la rue menant à la forge des Onoda. Elle avait eu pour idée d’aller régulièrement voir comment le forgeron s’en sortait avec le métal de l’ombre, sa curiosité quant à la façon dont il allait le manier pour le transformer en armure étant trop forte pour la freiner dans son idée malgré la rencontre désagréable qui venait d’avoir lieu. Le bruit du métal martelait s’entendait avant même que la jeune femme ne frappe à la porte. Lorsqu’elle donna les trois coups, un jeune homme vint lui ouvrir, la détaillant avec surprise, mais la laissant entrer avant de la conduire au forgeron qui était loin de la vision dont elle avait de son compagnon de voyage. Couvert de crasse et le front perlant de sueur, il était penché sur un foyer et releva la tête en entendant son apprenti approcher, ses yeux s’écarquillant en voyant la jeune femme approcher en découvrant la forge avec des yeux curieux. Ouverte d’un côté pour aérer, la forge comptait pas moins de trois foyers, au moins le double d’enclume et des objets divers comme des marteaux ou des pinces étaient visibles un peu partout, sans compter les râteliers et mannequins qui côtoyaient les imposants soufflets. Retirant ses épais gants en cuir, le forgeron fit un signe à l’un de ses apprentis qui vint le remplacer tandis qu’il s’approchait d’Hatsu.

- Ôkami ? Que faites-vous ici ?

- Bonjour à vous aussi. Je venais voir comment vous vous en sortiez. J’ai beau avoir accompli ma part, la compétition n’est pas terminée. Vous voulez un coup de main ?

La mine effarée du forgeron laissa la place à son habituel sourire moqueur.

- Vous savez forger maintenant ? Vous êtes pleines de surprises !

- Ne soyez pas ridicule. Je suis simplement curieuse à propos du métal. Ce n’est pas tous les jours que vous forgez de l’Olath pas vrai ?

Le forgeron prit un air sérieux et lui fit signe, l’amenant à l’endroit où deux apprentis semblait faire continuellement chauffer un pot en pierre où reposait une étrange substance sombre.

- C’est ?...

- L’Olath oui. Curieux métal. Vous voyez, la difficulté pour la faerunne, c’est qu’il est très léger, trop léger, il faut être très vigilant. Celui du gravitay à l’inverse, c’est qu’il est très lourd et difficile à manipuler. L’Olath… et bien comme vous voyez, il reste sombre, ce qui fait qu’il est très difficile de savoir s’il est à la bonne température, puisqu’il ne rougeoie pas contrairement aux autres. Même le Xiuhl, pourtant déjà rouge naturellement, voit sa couleur changer, mais pas l’Olath.

- Comment faites-vous alors ?

- Je vais demander à mes apprentis de le toucher pour voir.

La remarque fit lever les yeux au ciel d’Hatsu et fit pâlir les deux apprentis avant qu’Onoda ne s’esclaffe, les yeux apeurés des deux jeunes gens devenant aussitôt étonnés. Hatsu imagina qu’Onoda n’était pas du genre à beaucoup rire pendant son travail.

- Heureusement, je suis un excellent forgeron, j’ai donc la solution, mais cela nécessite une attention constante sur la chaleur des foyers. Mes yeux ne me trompent jamais.

- Me permettez-vous de vous voir à l’œuvre ?

Le regard entendu d’Onoda lui tira un rictus exaspéré, mais elle fut ravie lorsqu’il accepta. Elle l’observa donc activer les soufflets à intervalles réguliers et très précisément, activant les flammes du foyer jusqu’à ce que ses yeux se plissent et qu’il fasse un signe. Aussitôt, un apprenti le remplaça et, saisissant une paire de pinces, il attrapa le pot dans lequel le métal fondu reposait, le versant dans une matrice. Il attendit quelques minutes, s’occupant de vérifier le raffinage du métal brut par ses apprentis, avant de revenir à la matrice. Il s’installa sur un t’apis d’osier au sol et, d’une main experte, fit sauter la plaque métallique complètement noire de la matrice, la posant sur une enclume où il s’attela à la marteler. Si au premier abord Hatsu pensa que les coups servaient surtout à débarrasser le métal des impuretés, elle changea d’avis en voyant la plaque prendre forme, s’arrondissant légèrement au fur et à mesure des coups précis portés par le forgeron.
Régulièrement, il posait la plaque dans le foyer pour qu’elle ne refroidisse pas complètement avant de la marteler de nouveau. Ce petit manège dura un moment jusqu’à ce que le forgeron ne plonge la plaque dans le bac d’eau situé à ces côtés, avant de présenter la plaque ainsi terminée à Hatsu. Longue d’une soixantaine de centimètres et large d’une vingtaine, elle était légèrement incurvée.

- Ceci, jeune Ôkami, est une des pièces servant au plastron. J’aurai pu mouler une armure complète directement, mais j’ai choisi de partir sur le design traditionnel. Cela demande plus de travail, mais le résultat est bien plus agréable visuellement que ces boites de métal que les mercenaires nous demandent maintenant, et tout aussi protecteur si ce n’est plus. Qu’en pensez-vous ?

- C’est votre compétition, mais l’idée est plaisante.

- Vous souhaitez toujours participer ?

- Tant que vous ne me demandez pas de toucher le métal en fusion.

Le forgeron éclata de rire et indiqua à Hatsu où trouver une paire de gants et un tablier de protection. Elle passa une bonne partie de l’après-midi au cœur de la forge, faisant des tâches simples tout en observant le forgeron travailler le métal avec une dextérité qui l’impressionna. Elle dut reconnaître qu’il n’avait pas volé sa réputation, les masses de métal inertes semblant prendre forme sans que le forgeron ne fasse le moindre effort, faisant plier à sa volonté ces sombres pièces métalliques. Onoda ne semblait jamais quitter sa forge tandis que ses apprentis faisaient des roulements, l’un d’eux expliquant qu’ils devaient veiller à garder la forge active, même de nuit pour éviter de passer chaque jour plusieurs heures à devoir rallumer chaque foyer, ce qui leur ferait perdre un temps considérable.
Lorsque le forgeron sortit finalement de la forge, il invita Hatsu à venir boire une coupe, ce qu’elle accepta volontiers. Débarbouillés et assis en tailleurs sur des coussins, les deux compères discutaient en attendant que l’on leur apporte une bouteille.

- Alors, vous pensez gagner ?

- Cela me semble fort probable. J’avais dans l’idée de soudoyer les jurés…

- Onoda…

- Mais cela sera inutile finalement.

- Qu’entendez-vous par là ?

- Et bien, nous sommes les seuls à être rentrés pour le moment. Pas de concurrents, pas de doute sur le vainqueur. Même si gagner par forfait n’a rien de très glorieux, ce n’est pas très satisf… Ôkami ?

Le visage d’Hatsu avait pâli en apprenant qu’ils étaient pour le moment les seuls à être revenus de leur expédition.

- Vous vous en faites pour Himatori, enfin plutôt son protecteur c’est ça ?

- Et bien… C’est qu’il ne reste que peu de temps et…

- Et quand bien même ils ne seraient pas là à temps, cela ne veut pas dire qu’il leur soit arrivé malheur. Vous êtes sûre que ce n’est qu’un ami ?

- Qu’allez-vous insinuer ?

- Rien de plus que ce que je ne viens de dire. Mais quand vous vous inquiétez autant pour quelqu’un, un homme qui n’est pas de votre famille qui plus est, il y a matière à se poser des questions.

- C’est ridicule, je m’inquiétais pour vous je vous signale !

- Pour une question d’honneur, de fierté et pour une mission. Mais vous vous inquiétiez pour lui dès le début et pour de toutes autres raisons. Soyez honnête Ôkami.

- Je le suis. C’est un ami, rien de plus ! Et il est normal que je m’inquiète pour un ami non ?

Le forgeron eut une moue dubitative, montrant clairement qu’il n’y croyait pas vraiment, mais Hatsu n’essaya pas davantage de le convaincre, cela ne ferait que le conforter dans son idée, elle en était convaincue. Ils discutèrent encore un moment et Onoda accepta qu’elle passe régulièrement pour voir l’avancement de la fabrication de l’armure. Elle quitta le forgeron tandis que la soirée commençait, légèrement fatiguée après cette journée. Les paroles du forgeron l’accompagnèrent le long du trajet jusqu’à chez elle. Elle essaya néanmoins de se persuader que tout cela n’était rien de plus que les élucubrations d'Onoda.

(Ça ne veut rien dire, rien du tout.)
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 19 avr. 2019 17:10

Les jours suivants se succédèrent et se ressemblèrent. Hatsu partait le matin, se rendant inlassablement au terrain d’entraînement où elle continuait de travailler la technique qu’elle essayait de mettre au point. Elle vit souvent les deux jeunes archers rencontrés précédemment et s’amusa de leurs tentatives de tirer les yeux bandés, rigolant beaucoup moins lorsqu’une flèche manqua de peu de la toucher alors qu’elle récupérait ses flèches, les deux jeunes s’excusant platement. Elle hésita à les surveiller, mais ils prirent une décision censée – ou en tout cas moins insensée – en se bandant les yeux à tour de rôle pour éviter ce genre d’accident. Hatsu, quant à elle, commençait par des tirs simples, puis sur appui avant de finalement consacrer la majeure partie de ses matinées à son attaque après roulade. Si dans l’ensemble la technique lui permettait de rouler à une distance permettant un tir immédiat sans perdre l’équilibre, le gros point noir était la précision qui avait tendance à être faible. Elle tirait immédiatement après la roulade, sans vraiment viser, envoyant souvent la flèche à côté, mais elle se disait qu’elle n’aurait pas toujours la possibilité de viser correctement et continuait donc d’entraîner ses réflexes plus que sa visée. Cela paya, plus ou moins et d’un tir sur trois réussi, cela passa à un tir sur trois manqué au fil des jours. Toujours trop selon elle, surtout contre une cible immobile et inoffensive, mais c’était toujours ça de pris. Elle n’avait pas l’occasion de l’utiliser contre quelqu’un et si elle pouvait l’éviter elle ne s’en servirait pas, mais tout pouvait arriver.

Elle rendit visite à Onoda presque tous les jours, voyant l’évolution de son travail à mesure qu’il avançait. Elle était impressionnée par la qualité de son travail, mais surtout par la dévotion qu’il mettait à l’ouvrage, passant des heures sans lever le nez de sa forge, recommençant inlassablement si une chose ne lui semblait pas assez parfaite pour ses yeux aguerris. Autant dire que ses apprentis semblaient épuisés. Hatsu fut d’ailleurs surprise en constatant que l’homme semblait absolument dévoué corps et âme à son travail, bien plus qu’elle ne l’avait imaginé. Mais le forgeron ne se limita pas uniquement à l’armure et lorsque la jeune femme voulut en savoir plus, il lui rendit un sourire énigmatique.

- Cette compétition est certes basée sur la fabrication d’une armure, mais il me reste un peu de métal, j’espère bien pouvoir ajouter un petit supplément voyez-vous ?

Petit supplément qui surprit quelque peu Hatsu lorsqu’il eut enfin terminé l’ouvrage entièrement, quelques jours seulement avant le temps imparti. La jeune femme observa le résultat, fascinée par la façon dont le métal semblait absorber la lumière et ne renvoyait absolument rien tout en étant totalement lisse comme du verre. Le détail ajouté par Onoda lui semblait étrangement adéquat, bien qu’elle émit quelques réserves.

- Un sashimono ? Ce n’est pas un peu « m’as-tu-vu » ?

- C’est exactement le but recherché. J’avais pensé à un fourreau, mais c’est trop banal, un sashimono c’est bien plus tape-à-l’œil et c’est exactement ce qu’il faut pour attirer le regard sur ma création. De plus, on peut facilement l’enlever pour s’en servir d’arme, regardez.

Joignant les gestes aux paroles, il montra qu’il était effectivement facile de retirer le sashimono, même pour le porteur et de s’en servir pour se défendre si une arme venait à faire défaut. L’armure semblait prête et Onoda assura qu’elle serait fignolée jusque dans les moindres détails, ajoutant gravures et armoiries oraniennes en plus des ornements habituels. Hatsu trouvait cela quelque peu étrange de décorer à ce point une armure, mais Onoda lui certifia qu’un noble sur un champ de bataille voulait qu’on le reconnaisse pour vanter ensuite ses faits d’armes. Sans compter que cela pouvait stimuler les hommes sous ses ordres.
Une fois les arrangements effectués et la journée de travail terminé, Hatsu laissait Onoda se reposer et rentrait chez elle, mais un soir, Onoda l’invita de nouveau à discuter, ce que le jeune femme accepta. A présent qu’ils pouvaient discuter sans s’envoyer des horreurs au visage, elle appréciait la compagnie du forgeron. Servant un alcool de fruit doux et léger, il lui invita à prendre place avant de faire de même. La salle dans laquelle le forgeron l’avait amené était un petit salon traditionnel donnant sur un jardin typiquement oranien . La pièce était lumineuse, les murs richement décorés de gravures et dessins, mais sans que cela ne soit trop ostentatoire, contrairement à ce qu’elle aurait pu imaginer d’Onoda.

- J’ai demandé à quelques contacts de faire de petites recherches pour moi

- Déjà ? Vous n’avez pas perdu de temps.

- Votre bonheur me tient à cœur voyons.

La remarque tira un sourire à Hatsu qui l’invita à continuer après une gorgée du liquidé bleuté qui lui tira une grimace lorsqu’il lui brûla la gorge, sa réaction amusant le forgeron.

- Oui ça peut surprendre au début, buvez-le doucement, c’est très traître comme alcool. Pour en revenir à notre sujet, ils n’ont rien trouvé de très probant. Cela ne fait que quelques jours, mais je tenais à vous le dire tout de même. Votre fiancé est également en ville.

- Je sais, nous nous sommes malencontreusement croisés au terrain d’entraînement.

- Cela s’est mal passé ?

- Disons qu’il aurait pu avoir à reconsidérer un changement de carrière. Difficile d’être militaire de terrain avec une main en moins.

Le forgeron écarquilla les yeux avant d’éclater de rire, une esquisse de sourire se dessinant sur le visage de la jeune femme.

- Ah vous êtes un sacré personnage. Qu’est-ce que je disais…. Ah oui, rien du côté de vos parents ?

- Leur attitude est étrange, surtout concernant l’avenir de la famille ou quand je pose des questions sur mon frère… Je n’aime pas ça. Je sens qu’ils me cachent quelque chose de crucial et que ça va me tomber dessus comme une enclume le jour où je l’apprendrais.

- Voulez-vous que je me renseigne sur l’état de santé de votre frère ?

Elle leva un visage plein d’espoir vers le forgeron.

- Vous pourriez faire ça ?

- Je peux, ce n’est même pas très difficile, mais cela prendra un peu de temps, il faut que je trouve son affectation.

- Je sais qu’il est dans le Nord, mais c’est tout.

- Cela suffira. SI j’ai la moindre information, j’enverrai quelqu’un vous transmettre la nouvelle.

- Merci Onoda. Vraiment.

- Tout n’est que politique très chère. Vous êtes la prochaine cheffe de famille, tisser des liens avec vous ne peut être que profitable pour moi.

Hatsu leva les yeux au ciel devant la réponse du forgeron, choisissant d’en rire. Elle n’était pas dupe, mais elle comprenait la démarche du forgeron.

- Ma famille saura se souvenir de votre aide, soyez-en assuré.

Onoda leva une coupe en direction de la jeune femme, un sourire entendu s’affichant sur leurs deux visages.

- A notre partenariat futur, Ôkami.
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 19 avr. 2019 17:25

Une fois le toast porté et les discussions entérinées, Hatsu souhaita bonne chance au forgeron, lui assurant qu’elle serait présente lors de la remise des prix au grand vainqueur. Qu’Onoda remporte la compétition ou non, la jeune femme était très fière d’avoir pu participer à cela et juste cela lui suffisait. C’était donc de bonne humeur qu’elle rentra chez elle, tombant aussitôt la porte ouverte sur sa mère qui arborait un air contrarié.

- Où étais-tu encore passée ? Tu es couverte de terre et de… c’est de la suie ?

- Entraînement et forge, comme tous les jours de cette semaine. Qu’est-ce qui vous tracasse Mère ?

- Les Yamada ont finalement répondu, ils viendront dans trois jours.

- Trois jours ? Mais… c’est le jour de la remise des prix pour l’Erementarifoji ! Je dois y assister !

- Tu feras ce qu’il convient de faire jeune fille. Les Yamada ont affirmé qu’ils seraient là aux alentours de vingt heures et ils sont très ponctuels, alors tu as intérêt à ne pas nous décevoir.

Hatsu serra les poings et la mâchoire pour ne pas lâcher une réplique cinglante et se contenta de contourner sa mère pour grimper à l’étage, fermant la porte de sa chambre d’un coup sec avant de donner un coup de pied dans sa commode, la douleur sur ses orteils la lui faisant regretter immédiatement. Elle s’installa sur son lit en soupirant. Voilà qu’elle allait devoir jongler entre la cérémonie et la soirée avec les Yamada, merveilleux. Elle pouvait assister aux deux, mais elle ne pourrait pas s’éterniser à la première et cela l’ennuyait, elle aurait aimé profiter un peu des festivités, quels que puissent être les résultats finaux. Elle ne doutait pas de la qualité du travail du forgeron, mais tout pouvait arriver. Perdue dans ses pensées, elle sursauta lorsque trois coups furent frappés à la porte de sa chambre, suivit d’un quatrième. Elle reconnut immédiatement la façon de faire de son père et l’invita à entrer.

Le patriarche ouvrit la porte, offrant un sourire à sa fille dont il avait entendu la saute d’humeur. Il s’installa à ses côtés, parlant d’une voix qui se voulait apaisante.
- Tu veux en parler ?

- Que puis-je dire de plus ? Je n’ai pas le choix, en parler ne sert à rien.

Ils avaient souvent des petits moments similaires lorsqu’elle était plus jeune. Hatsu avait toujours été une fille émotive qui se laissait facilement déborder par ce qu’elle ressentait et son père avait toujours tenu à ce qu’elle projette ses émotions sur quelqu’un ou quelque chose, pour la canaliser. A la différence de Ryo, son frère jumeau, Hatsu gardait tout en elle jusqu’à l’explosion qui pouvait souvent faire des ravages tant le relâchement était violent. Elle avait fini par calmer ce trait de personnalité en grandissant, mais certaines choses ne disparaissent jamais vraiment.

- Tu sais bien que tu peux m’en parler. Tu restes ma petite fille, et pour ta mère aussi.

- Et vous m’avez vendu comme un vulgaire ornement de maison ! Et tout ça sans jamais vous inquiétez de ce que je pensais de toute ça.
Son père soupira.

- Ecoute… un jour tu comprendras que tout ça… c’est pour le bien de notre famille, et pour ton bien aussi. Il faut juste que tu nous fasses confiance et que tu acceptes ce mariage. Une fois cela fait, tu seras heureuse, je te le promets. Talabre est un homme charmant.

Hatsu eut un rictus méprisant en entendant les derniers mots. Elle avait beaucoup de mots en tête pour définir ce qu’était son fiancé. Mais charmant ? Certainement pas. Malgré l’insistance de son père et ses tentatives pour communiquer, la jeune femme resta obstinément muette, faisant abandonner le patriarche qui la laissa seule, non sans avoir lâché un soupir fatigué avant de quitter la pièce. Hatsu bouillonnait de rage et de tristesse.

(C’est ça ma vie ? Choisir entre la servitude volontaire et la fuite contrainte ?)

(Chasseresse peut fuir. Elle survivra et sera forte.)

(Tu ne comprends pas Loup… Je ne peux pas abandonner toute ma vie du jour au lendemain. J’ai besoin de ma famille. J’ai besoin de mon frère. Et je ne sais toujours pas s’ils sont victimes d’un chantage, ça me rend folle.)

(Trois jours. Fais-le parler.)

(Comme s’il allait me le dire…)

Mais l’idée n’était pas tombée dans l’oreille d’une sourde malgré tout. Si’il y avait bien quelqu’un contre qui elle n’aurait aucun remord à user de violence verbale, c’était bien son fiancé. Peut-être que cette soirée ne serait pas inutile après tout. Courbaturée par sa journée, elle se releva et se rendit dans la salle d’eau pour prendre un bain. Elle s’immergea dans l’eau chaude avec bonheur, fermant les yeux quelques instants. Ses yeux s’ouvrirent et se posèrent sur sa cicatrice sur le haut de sa cuisse avant qu’ils ne dévient sur celle de son bras. Elle les considérait avant tout comme des souvenirs de son aventure avant d’être des restes de blessures, mais elle tenait à les garder cachée pour le moment, ses parents se seraient insurgés et elle avait bien assez entendu de reproches venant de leur part pour le moment.

Une fois propre et habillée, elle se retira dans la bibliothèque, sa pièce préférée de la maison. Elle y passa une partie de la soirée comme à son habitude, ratant l’heure du repas, mais c’était bien le seul écart que ses parents autorisaient. Ils connaissaient l’intérêt de leur fille pour les livres, grimoires et autres parchemins, l’ayant grandement encouragé, et ils respectaient ses moments dans la pièce du savoir. Une des domestiques lui porta de quoi manger et la jeune femme la remercia en souriant, se replongeant bien vite dans la lecture d’un texte qu’elle avait déniché la veille, le trouvant particulièrement intéressant. Une ancienne légende qui ressemblait beaucoup à quelque chose qu’elle connaissait déjà.

(Dis-moi, Loup, une fois le Pacte accompli… que se passera-t-il pour moi ?)

(Deviendra Chasseresse.)

(Je serai toujours moi ?)

(Chasseresse sera toujours Chasseresse. Et Loup sera toujours Loup.)

(Tu me dis tout ?)

(Le moment venu.)

Hatsu soupira de frustration, mais Loup n’en démordit pas, n’ajoutant rien de plus. La jeune ynorienne passa une partie de la nuit plongé dans les livres, s’endormant finalement sans avoir trouvé ce qu’elle était venu chercher. Elle avait longtemps cherché des informations sur cette relation entre sa famille et cet esprit ancien, sombre et inconnu, mais sans trouver autre chose que de vague ressemblance ou similitudes dans des légendes vieilles de plusieurs siècles qui ne lui apprenait rien de vraiment intéressant ou utile.
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Madoka
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Re: Les Habitations

Message par Madoka » sam. 20 avr. 2019 00:22

Revoir ma ville, les couleurs chatoyantes de son ciel, de ses falaises et de ses côtes, revoir au loin les cimes enneigées des duchés me redonnent soudain le moral. Je me sens chez moi, en territoire connu où rien ne m’est étranger, où tout coule de source.
Il pleut, il vente, le froid matinal me pique la peau et me fait frissonner, les rues sont remplies de monde, d’agitation et de bruit ; un boucan assourdissant qui tranche avec le profond silence de nos journées dans le désert. Je redécouvre ma ville et ne l’aime que plus encore.

Des gardes sont venus à notre rencontre pendant que nous déchargions les cales de l’Allégresse, souhaitant connaître nos noms, le contenu de nos paquetages et les raisons de notre venue. Mon nom est passé pour anecdotique mais celui de Sam a été reconnu. Ils l’ont appelé “Maître Sinari“ et ont multiplié les formules de politesse, de bienvenue, les questions quant au métal qu’il doit utiliser et quelle pièce il compte forger. Loin d’être intimidé, Sam s’est lancé dans une série d’explications que j’ai eu peine à traduire tant il était plein d’entrain. Il était de nouveau là, le forgeron rencontré au sablier du temps, le forgeron impatient de montrer aux Humains, aux siens et au monde ce dont il est capable. Il ne s’est pas épanché sur les détails de sa prochaine œuvre ou sur la nature du métal qu’il forgera, prétextant que la beauté de la découverte réside dans le secret qui la précède.
En réalité, il ne sait toujours pas s’il a assez de minerai métallique pour forger l’armure demandée.

Lorsque la charrette est attelée à la jument, nous nous hâtons de rejoindre la forge de l’armée d’Oranan, apprêtée spécialement pour les concurrents le souhaitant. Plusieurs personnes nous aident à décharger les blocs de roche et Sam supervise tout d’un œil affûté. Lorsque la dernière caisse est déchargée et emmenée près des foyers, je vide la charrette de mes affaires.

« Bon. A toi de jouer maintenant Sam, ton rêve est à portée de mains.
- J’ai hâte de me remettre au travail, je n’ai jamais passé autant de temps sans toucher un marteau ou une tenaille. »

Disant cela, il se vêtit d’un tablier épais et sort les dits outils d’une besace en cuir plus vieille que lui.

« Une dernière chose avant de t’y mettre. Je voudrais que tu gardes Blanchette et la charrette. Que tu gagnes ou pas, elle te sera utile et en plus elle t’adore.
- Je … Je … Je ne sais pas quoi répondre. Signe-t-il après avoir pétri ses doigts et froncé tant des sourcils qu’il porte encore une marque rouge entre les yeux.
- Commence par j’accepte. Ensuite tu peux louer ma générosité et ma bonté d’âme si tu le souhaites, je n’en rougirais pas.
- J’accepte. »

Il me sourit effrontément avant de me sauter dans les bras. Il se met au travail aussitôt, rejoignant la grande table où une première caisse de minerai a été renversée. Je reste plusieurs minutes à l’observer et je dois bien admettre que je suis admirative du dynamisme dont il fait preuve, de la manière dont il s’organise donnant l’impression qu’il est partout à la fois.






Je prends mon temps pour marcher dans les rues, pour apprécier la foule, le bruit, les odeurs et les couleurs. Je prends mon temps pour rejoindre le seul endroit où je sais être la bienvenue, même si il faut pour cela admettre un jour qu’il est mon ami ; ce qui n’arrivera jamais. Devoir aller à l’auberge serait encore pire, j’aurais l’impression d’être en visite dans ma propre ville.

L’endroit est une taverne de petite taille, connue par beaucoup de voyageurs car il est dit qu’elle est destinée à tous ceux qui ne sont pas bien vus dans les autres tavernes. Au départ, le patron la voulait réservée aux autres races que les humains mais peu à peu certains marins de pays comme celui que je viens de traverser s’y sont regroupés, s’y sentant plus à l’aise car ici, on est plus vraiment à Oranan. La taverne porte un nom qui donne la chair de poule aux plus superstitieux d’entre nous. “Les quatre chats noirs.“

Quand je passe la porte, je sens une multitude de regard se poser sur moi et le bruit de fond s’amenuise à chacun de mes pas jusqu’à ce qu’un profond silence accompagne mon arrivée au comptoir. La personne de l’autre côté du comptoir chasse l’air de sa main et tout le monde retourne à son verre, son plat, sa discussion ou son jeu. C’est une taurion magnifique malgré sa mâchoire carrée et son expression sévère ; deux traits qui me font penser qu’elle a peut être un autre sang que celui des elfes verts qui coule dans ses veines. Elle me demande ; sur un ton qui vous donne la réponse dans la question ; si je me suis trompée de taverne.

« Morlet est dans le coin ?
- Et qui le demande ?
- Bonté divine !! T’es revenue quand ?
- Ce matin. »

Le semi elfe noir me regarde comme si c’était la première fois qu’il me voyait. Il y a dans ses yeux la même expression que le jour où je suis allée au Conseil, et qui me fait froid dans le dos car elle est amicale, presque affectueuse.

« Et c’est moi que tu visites en premier.
- Le seul, si tu acceptes de m’héberger quelques jours. »

Il me fait signe de monter à l’étage. Dans mon dos, je sens à nouveau tous les regards se poser sur moi car ici il n’y a qu’une règle fondamentale ; l’étage est interdit. Morlet est une vieille connaissance et pour reprendre une expression consacrée, une connaissance des plus intimes.

Pendant de longues heures je lui raconte en détail comment s’est déroulée l’aventure qu’a été l’escorte de Sam Gadgo, le forgeron Sinari muet. Lui seul peut m’entendre narrer les combats et les termes du contrat passé avec des hommes du clan Yimni sans sourciller ou me juger. Il a aussi été le seul à qui j’ai révélé être morte et ressuscitée.

« Tu sais, j’ai appris quelque chose de marrant au retour. Selon la description du mot, tu serais mon ami.
- Impossible, je ne suis pas recommandable.
- Tout juste. »

Nous trinquons à nos valeurs morales tendancieuses et à nos affinités peu estimables. Il avait raison sur un point lorsqu’il m’a convaincu de m’inscrire au concours. Aussi difficile que fût cette épreuve, elle m’a permis de comprendre que je n’avais pas besoin de rester dans l’ombre de mon maître pour vivre ma vie ; qu’il était plus que temps que je prenne mon envol.

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Hatsu Ôkami
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » mer. 1 mai 2019 15:27

Les célébrations ayant suivi l’Erementarifoji firent un temps oublier la soirée qui s’annonçait à Hatsu. Retrouver Kage avait été une surprise plus que bienvenue et savoir qu’ils allaient passer l’après-soirée ensemble lui mettait du baume au cœur. Hélas, la réalité la rattrapa lorsqu’elle fut de retour, aussitôt prise en charge par sa mère qui lui ordonna de s’apprêter. Hatsu obéit de mauvaise grâce, enfilant une robe émeraude qui la mettait en valeur, se maquillant légèrement et se coiffant d’une tresse complexe dans laquelle sa mère ajouta un lotus blanc, ce qui fit grincer les dents de la jeune fille sans que sa mère ne comprenne pourquoi ce point en particulier l’énervait. Sur les coups de vingt heures, la famille était prête et leurs invités arrivèrent précisément à l’heure. Le patriarche, sa femme et son fils pénétrèrent dans l’enceinte, escortés par l’un des domestiques de la maison et flanqués de quelques miliciens travaillant pour la famille. Hatsu roula des yeux devant la théâtralité avec laquelle tout se jouait devant elle, gardant malgré tout ses lèvres closes. Elle devait la jouer fine ce soir et ne pas provoquer son fiancé sans raison, elle avait besoin d’informations et elle les aurait.

Le début de la soirée se déroula calmement, chacun des membres présents redoublant de formules de politesse qu’Hatsu trouvait de plus en plus forcées. Elle remarqua cependant que son père semblait mal à l’aise dès que le patriarche Yamada posait les yeux sur elle ou qu’il lui posait des questions, comme s’il avait peur qu’Hatsu ne commette une bourde. Ce qu’elle ne fit pas, jouant la comédie jusqu’au bout, surprenant ses parents qui s’attendaient à devoir intervenir pour empêcher leur fille de ruiner complètement la soirée. Mais Hatsu fut aussi diplomate et courtoise que possible, malgré son bouillonnement intérieur qui ressortait parfois par une crispation de la mâchoire ou des poings lorsque son fiancé devenait un peu trop familier à son goût. Elle lutta pour ne pas lui pulvériser le nez lorsqu’il se pencha vers elle pour lui murmurer quelques mots à l’oreille, la sensation de souffle lui procurant un frisson de dégoût qui fut cependant mal interprété par son fiancé, qui eut l’air ravi de son petit effet.

La soirée semblait durer des heures, le repas également et Hatsu commençait à se demander s’il était possible de mourir d’ennui pour enfin échapper à tout cela. Le repas avait beau être délicieux comme à l’accoutumé, les conversations des autre convives l’ennuyaient profondément. Sa mère et celle de son fiancé parlaient surtout potins et ragots, ce qu’elle détestait. Et les hommes parlaient de sujets politiques ou économiques qui, s’ils semblaient plus intéressants, étaient quelque peu trop orientés à son goût. Lorsque le sujet de la guerre avec Omyre fut mis le sur le tapis et que son fiancé se mit à vanter ses exploits et donner son avis sur les stratégies employées dans les deux camps, Hatsu écouta plus attentivement, toujours très intriguée par ce qui se déroulait au front. Elle n’apprit hélas pas grand-chose, Talabre préférant se lancer des fleurs plutôt que de véritablement donner un avis constructif. Lorsque le repas se termina, les deux couples parentaux se dirigèrent vers le salon, le père d’Hatsu demandant à sa fille de faire visiter la maison à son fiancé pour « apprendre à vous connaître ». Hatsu grinça des dents mais obtempéra. Elle invita donc cordialement l’homme à la suivre et lui fit faire un tour complet du rez-de chaussée et des jardins avant qu’elle n’hésite pour se rendre à l’étage. L’étage était celui des chambres et Hatsu n’avait guère envie qu’il s’immisce dans sa vie privé, mais elle se força à monter, espérant être suffisamment au calme pour réussir à lui tirer les vers du nez pour de bon. Lorsqu’elle passa devant sa chambre, Talabre s’arrêta et Hatsu dut faire un violent effort pour ne pas lui encastrer sa tête dans le bois de la porte lorsqu’il lui demanda ce qu’était cette pièce.

- Ma chambre, rien de plus…

- Serais-tu gênée ? Voyons, nous serons mariés, tu n’as pas à avoir honte. A moins que tu ne caches quelque chose…

Piquée au vif, la jeune femme ouvrit la porte d’un coup sec et l’invita à entrer. Il détailla la pièce avec un léger sourire sur les lèvres alors qu’il refermait la porte.

- Très coquet. Ce sera parfait.

La jeune femme fronça les sourcils.

- Parfait pour quoi ?

Avant qu’elle ne comprenne, Talabre la saisit par le visage, la bâillonnant du même temps, avant de la conduire sur le lit où il la jeta avec violence avant de poser sa main sur sa gorge, l’autre retenant le bras qui avait tenté de le frapper. Il se pencha sur la jeune femme avec un sourire qui donna des sueurs froide à l’ynorienne.

- Belle et fougueuse, tu me plais vraiment.

- Vous n’êtes qu’un sale fils de…

Le coup qu’elle reçut la coupa dans sa phrase, un goût métallique se répandant dans sa bouche. Ses yeux emplis de rage croisèrent ceux de Talabre et ce qu’elle y vit la fit tressaillir. Il semblait mortellement sérieux.

- Tiens-toi tranquille, Hatsu. Ce mariage est important et tu ne vas pas tout gâcher.

- Je préfère encore quitter le pays et être déshéritée plutôt que de passer ne serait-ce qu’une journée avec vous.

- Ce serait navrant. Vois-tu, je suis capitaine, et un capitaine se doit de donner des ordres justes à ses hommes, ne pas les envoyer inutilement à la mort.

La jeune femme le regarda sans comprendre, lui tirant un sourire.

- Je protège ma famille. Je protégerais les parents de ma future femme, bien sûr, mais également son frère, qui est sous mes ordres…

La jeune femme se figea, ses yeux s’écarquillèrent et ses mains se mirent à trembler, de peur, puis de rage devant les paroles de Talabre.

- Vous… C’est comme ça que vous avez obligé mes parents ? En menaçant mon frère ?!

- Menaces ? Mais enfin de quoi parles-tu ? Il sera mon beau-frère, je ne pourrais jamais l’envoyer en première ligne ou en territoire hostile, seul et sans renforts. N’est-ce pas ?

Hatsu bouillonnait de rage devant la mine satisfaite de Talabre qui la retenait toujours. Et puis elle comprit que la vie de son frère dépendait entièrement d’elle, de ses actions et du bon vouloir de son « mari ». Elle était complètement pieds et poings liés. Lorsqu’elle cessa de se débattre, le sourire de Talabre s’élargit et il se pencha davantage sur la jeune femme, ses mains relâchant prudemment son bras et sa gorge sans qu’elle ne réagisse. Sa dextre remonta lentement le bas de la robe de la jeune femme tandis que ses lèvres se posaient brutalement contre celles de l’archère qui se mit à trembler. Lorsque la main atteignit sa cuisse, elle ferma les yeux et serra les poings tandis qu’une larme roulait sur sa joue. Talabre s’écarta enfin, un large sourire satisfait sur le visage.

- Bien, je pense que tu as compris. Tu es à moi, et tant que ce sera le cas et que tu obéiras, ton frère sera en sécurité. Ravi d’avoir pu mettre les choses au clair, chère Hatsu. J’attends avec impatience la belle cérémonie que nos parents organiseront… et ce qui suivra.

Et il sortit, laissant la jeune femme sur le lit où elle se recroquevilla en sanglotant, trop choquée pour penser à ne faire ne serait-ce qu’un pas en dehors du lit. Elle détestait cet homme, par Rana elle le haïssait. Et tout était encore pire que ce qu’elle avait pu imaginer. Son frère était l’équivalent d’un otage et les Yamada pouvaient imposer totalement leur volonté à elle et sa famille. Elle resta là un long moment, se sentant totalement impuissante. Puis la colère prit le pas sur le reste et d’un mouvement plein de rage elle se leva, empoigna son arc et son carquois et descendit en trombe, tombant sur ses parents qui la regardèrent, interloqués.

- OU SONT-ILS ?

- Hatsu ? Ils sont partis... mais que ?

- Vous saviez pour Ryo ! Pourquoi vous ne m’avez rien dit ?! Je vais tuer ce sale fils de Garzok purulent!

Son père la retint par le bras alors qu’elle se dirigeait d’un pas rageur vers la sortie et la lâcha aussitôt qu’il croisa le regard fou de rage de sa fille.

- Hatsu…

Elle l’ignora et sortit en trombe, bien déterminée à régler ça de manière définitive, quitte à finir emprisonnée ou mourir pour ça. Tout plutôt que de penser à ce qu’il pourrait lui faire et à ce que son frère pourrait endurer. Elle ouvrit le portail à la volée et disparut dans les ruelles de la ville sans un regard en arrière.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le lun. 13 mai 2019 12:23, modifié 2 fois.
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Vohl Del'Yant
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Re: Les Habitations

Message par Vohl Del'Yant » mer. 1 mai 2019 23:22

Vohl se poste en garde sur le bâtiment qui lui permet à la fois un accès relativement simple à la propriété Ôkami, surveiller quelques pièces, et surtout vérifier l'identité des invités. La jeune femme ne reste pas longtemps aux grilles : une femme d'un âge mûr lui intime de rentrer au plus vite : Hatsu disparaît de son champ de vision lorsqu'elle entre dans la maison. Les rues sont calmes et la nuit a fait rentrer la plupart des habitants chez eux, la majorité des étrangers dans les auberges, et les poivrots ne s'aventurent en général pas dans cette partie de la ville. Le silence est ponctué de trilles fatigués d'oiseaux tardifs, signalant aux enfants oraniens qu'il est l'heure de dormir. L'ambiance légère contraste singulièrement avec la noirceur des pensées de Vohl. Il est certain que venir était une mauvaise idée. Mais qu'était-il censé faire d'autre ? Laisser l'occasion de venger l'honneur de sa famille par confort d'une situation qu'il n'a pas choisi ? Bien sûr que non. Il se résout à observer. Dans le pire des cas, il demandera de plus amples informations à Hatsu cette nuit.

Une bruit d'armure remue le silence qui berce le quartier huppé. Plusieurs silhouettes apparaissent. Vohl ne reconnait pas les personnes jusqu'à ce qu'elles entrent dans la lumière des torches à l'entrée de la maison. Les flammes dansent au gré du vent et éclairent les visages de façon aléatoire, mais l'un d'entre eux - le plus jeune, une bonne trentaine d'années - lui est facilement identifiable. Un visage tant haï dont il ne peut que se souvenir : le capitaine Talabre. La mâchoire carrée, rasée de près, les sourcils soignés et les cheveux redressés en un chignon tenu par une broche d'or, le capitaine a indubitablement l'air de ce qu'il est : un militaire gradé. En tenue de parade, les épaulettes brillantes comme des miroirs... difficile de manquer la richesse et le statut qu'il veut exposer. L'assassin est certain d'une chose : son regard n'a pas changé. Sous ces sourcils marqués, les même yeux d'un brun chaud inspirant la confiance. L'homme possède un charisme certain, même dans cette tenue somme toute plus sobre que son armure de parade.

Les hommes qui l'accompagnent sont là pour le duel d'apparence des deux familles : les gardes de Talabre se placent devant la maison Ôkami, comme si la sécurité y était insuffisante. Le nombre de gardes aux abords de la demeure est maintenant suffisant pour l'appeler "Garnison Ôkami" : c'est ridicule. Mais un certaine classe est indéniable dans l'organisation militaire qui se dégage des professionnels. Vohl se retient d'accomplir sa vengeance sur l'instant. Il ne ferait que mourir. Et malgré l'impression qu'il donne dans ce costume, Talabre est un militaire entraîné : sa garde est permanente, il n'y a donc pas de certitude de pouvoir le prendre par surprise. Vohl enrage. Sa némésis est ici, à portée de main et pourtant intouchable.

Il a néanmoins la confirmation qu'il était venu chercher : les fiançailles de Hatsu sont avec cette créature sournoise, ambitieuse et dépourvue de scrupules. Il serre les dents. Le militaire disparaît à son tour dans la maison après avoir été introduit à grand renforts de domestiques de la maison et de miliciens. Un sourire narquois et acide : les hostilités courtoises ont débuté. Il y a fort à parier que la situation sera identique à l'intérieur. L'ynorien réfléchit : Hatsu avait l'air de trouver cet homme peu à son goût, il n'a donc pas réellement à s'en faire concernant les informations qu'elle pourrait lui transmettre. Mais à quel point est-elle fiable ? S'il se dévoile, il doit être certain qu'elle ne compromettra pas sa couverture - passer pour mort est indéniablement imparable, une résurrection ne manquerait pas d'en faire une nouvelle fois le cœur de cible de la milice.

Pendant qu'il s'interroge, pesant le pour et le contre, le fin croissant de lune s'élève dans le ciel. Ce dernier est déjà haut lorsqu'une subite agitation attire l'oeil de Vohl. A l'étage, des ombres bougent selon un rythme différent des passages réguliers des domestiques dans les couloirs. Une porte s'ouvre : l'ancien soldat regarde au travers de la fenêtre en face de lui. Il se passe quelque chose. Une personne pénètre dans la pièce dont il peine à percevoir les détails : il suppose la présence d'un lit, éclairé par les lueurs dansantes du couloir. Elle est rapidement suivi par une autre. Vohl plisse les yeux. Les épaulettes d'un jaune poussin ne trompent pas. Il reconnait la seconde silhouette instantanément pour l'avoir admirée et l'avoir rêvée pendant son retour à Oranan. Soudain, les deux silhouettes ne forment plus qu'une, se collant l'une à l'autre : le coeur du protecteur rate un battement. La femme se plie soudain en deux, comme pour enlever quelque chose au niveau de son ventre et se mettre à la hauteur du bassin de Talabre. Puis les deux silhouettes basculent sur le lit. La rage revient, accompagnée de la furie d'avoir été trahi. Le sang pulse sur ses tempes et des sueurs froides le parcourent de part en part. Ses yeux, habitués à l'obscurité, sont écarquillés par la peine et la fureur, et une curiosité délétère et morbide de l'évolution de la situation. Mais seul le pied de lit est visible depuis sa position. Il reste paralysé alors que les jambes des deux personnes se collent. Il ferme les yeux. Il ne veux pas en voir plus. Son cœur est en miettes, et son ressentiment à la hauteur des émotions qu'il a nié jusqu'alors.

Il s'allonge sur les tuiles de la bâtisse afin de ne pas chuter : le vertige qui le prend n'a rien à voir avec un manque d'alimentation ou un empoisonnement, cette fois. Il a été trahi. Son âme remplace progressivement la douleur par la haine. Les yeux fixés sur un ciel d'encre, il s'emplit de cette noirceur. Se laisse avaler par la nuit. Le vent chante à ses oreilles à l'unisson de ses pulsations cardiaques un désir de comprendre, mais aussi de faire payer cette trahison. Des éclats de voix lui parviennent, indistincts. Il remercie le ciel de ne pas avoir connaissance de leur teneur. Son âme est désertée par les sentiments. Quelques moments plus tard, il entend le départ de l'escouade des militaires. Pour l'avoir pratiqué plus souvent qu'à son tour, il en reconnait le rythme sans avoir besoin de les regarder. Les pavés résonnent pendant quelques instants. Vohl ne saurait dire combien de temps exactement. Il est perdu, quelque part dans la nuit. Les secondes qui passent ne sont que d'éphémères instants qui permettent à la bruine naissante de croire que des larmes roulent sur ses joues. Il n'en est rien. Il est perdu. Et dans son errance mentale, le vent semble lui susurrer un message...

Des bruits de talon suivent. Des pas désordonnés. Vohl tourne la tête. Il ne voit pas. Le toit gène. Est-ce qu'il doit se relever ? Peut-être. Ou pas. Les pas s'éloignent dans la même direction que les militaires. Le déserteur hésite à donner une confirmation à ses doutes. Encore. Et encore une fois, il cède. Il se redresse. La silhouette qui s'éloigne est une jeune noble vêtue d'une tenue verte émeraude, une fleur blanche dans les cheveux. Un lotus. En plus de le trahir, la garce s'amuse à le ridiculiser ! Ses sentiments reviennent au galop. Certains d'entre eux : la haine et la recherche de vengeance. Celle qu'il considérait, à tout le moins, comme une amie, suit le chemin emprunté par Talabre. Sans doute pour une visite nocturne. La colère embrase les sens de l'assassin. Il ne sera pas trahi une fois de plus cette nuit. Il s'élance. Sa proie disparaît à l'angle de la rue. Le chasseur double la vitesse, sautant d'un toit à l'autre en laissant à la nuit le souci de cacher ses déplacements. Les tuiles se succèdent sous ses pieds. Sans y penser, il franchit le vide dès que nécessaire de bonds imprudents. L'air siffle, encore et encore, à ses oreilles, une mélodie qui l'aiguillonne ; il s'envole, une nouvelle fois. D'une roulade, il se réceptionne sur la toiture suivante. Il rattrape bientôt la jeune femme. Elle se dirige vers le square où il était censé l'attendre ! Un dernier affront avant de jouer le second axe d'une trahison ? Le spectacle a trop duré. Il est temps de rappeler les artistes dans leur loge et de ranger les masques dans les malles. Et dire qu'il pensait avoir rencontré une noble honnête, à la recherche d'une voie, à la porte de deux mondes qui coexistent sans se croiser. Oh que son âme saigne et pleure. Un autre sang coulera ce soir. Seul un doute, faible, mais existant, oppose une résistance à ses projets.

Il se laisse tomber du toit devant la traîtresse. Sans lui laisser le temps de réagir, il bondit, franchissant la distance qui les sépare. Usant de sa force, il lance la jeune femme contre le mur, dans les ombres, là où même la lune n'a aucun regard. Il se rue sur elle pour la maintenir debout alors qu'elle chancelle. Sur la gorge de la jeune femme, trois pointes acérées se posent sans pour autant faire perler le sang. La main de Vohl tremble. Rana le maudisse. Il n'a jamais tremblé pour les traîtres. Son cœur se refuse encore à admettre la vilenie dont il vient d'être témoin.

"Ainsi, tu connais Talabre ! Vous êtes alliés ! Et je te pensais honorable... par les dieux, j'éprouvais... je ne sais quoi ! Et toi, tu pactisais avec LUI !"

La voix grave du noble déchu gronde comme le tonnerre, en un roulement constant.

"Tu as failli m'avoir, Hatsu Yamada ! Oh oui ! Mais failli seulement. Je vais te tuer, comme je tuerai bientôt Talabre."

Il arme sa main. Tant de sang a déjà coulé sur cette griffe. Mais tous - presque- étaient des ennemis déclarés. Ce soir, un espoir prendra fin. Il fiche ses yeux ardents dans ceux de Ôkami. Ce qu'il y voit le prend au dépourvu. De l'incompréhension, de la frayeur ? Des pleurs ? Est-elle donc si surprise de son sort ? Le visage de la jeune femme est inondé de larmes, qui coulent sur ses pommettes en délavant un maquillage discret, avant d'atteindre la bouche fendue, en passant sur une joue qui commence à bleuir. Vohl retient sa frappe, l'air indécis. A quoi sont dues ces marques ? Ce ne peut être lui. Il recule, se cachant un oeil, pris par un mal de crâne soudain. Il trébuche, et quelque chose s'échappe de ses affaires, tintant sur les pavés. Le bruit le fait revenir à la situation, et il s'approche en garde d'Ôkami, près à la détente. La jeune noble semble résignée, elle ne bouge pas. Vohl ne comprend pas. Les paroles sortent comme un feulement de chat blessé, trahissant la haine qu'il voue au capitaine oranien. Il est à un souffle de la jeune femme, tous les sens en éveil.

"Tu es avec lui. Tu es avec lui, n'est-ce pas ?"

Cette fois encore, la bruine fait mal son travail, glaçant les deux protecteurs sans masquer les diamants qui roulent sur leurs joues.

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Hatsu Ôkami
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » jeu. 2 mai 2019 15:41

Une ombre pour éclairer la nuit

Elle marchait d’un pas vif, le visage inondé de larmes qui s’étaient soudainement mises à perler lorsqu’elle avait quitté la maison. Elle voulait le tuer, par Rana elle voulait en finir avec lui, lui faire payer ce qu’il avait fait à sa famille, ce qu’il lui avait fait à elle et ce qu’il comptait faire ensuite. A l’idée même qu’il ne pose de nouveau ses mains sur elle, la jeune femme fut prise de violents tremblements, à mi-chemin entre la haine et la terreur. Elle avait été terrifiée et profondément choquée de la façon dont les choses s’étaient déroulées un peu plus tôt. Elle avait envisagé beaucoup de choses, mais certainement pas cela. Elle devait en finir, elle ne supporterait pas de devenir un jouet entre ses mains, d’être la catin d’un homme aussi répugnant que lui. Alors elle marchait, essayant de retrouver la trace de celui qu’elle désirait tuer si ardemment.

Elle se rendit cependant à l’évidence une fois qu’elle remarqua le silence ambiant. Elle ne savait pas où elle allait, elle était partie stupidement sans se renseigner. Et si elle pouvait aisément pister quelqu’un en pleine nature, en ville et dans son état, elle ne parvenait même pas à se repérer elle-même, marchant au hasard, son pas devenant de plus en plus incertain à mesure qu’elle se dirigeait au hasard. Elle reconnut enfin une rue et se souvint de quelque chose de crucial. Elle devait retrouver Kage non loin. Elle avait besoin d’oublier cette soirée, elle avait besoin de se confier à quelqu’un, aussi se dirigea-t-elle vers le parc où ils s’étaient donnés rendez-vous en espérant qu’il l’aiderait, d’une manière ou d’une autre, à oublier ce qu’il venait de se passer. Elle essaya sans succès de cesser de pleurer, mais elle n’en avait même pas la force.

Tout cela était trop pour elle. Elle était complètement piégée dans cet engrenage malsain conçue spécialement pour la lier définitivement à une ordure qu’elle haïssait à un point qu’elle n’aurait jamais cru possible. Elle tourna et retourna le tout dans sa tête sans trouver une seule échappatoire. Et plus elle y pensait, plus le souvenir de la soirée lui revenait en mémoire, oblitérant toute la joie qui avait été sienne quelques heures auparavant. De nouveaux sanglots lui échappèrent, silencieux et douloureux, qu’elle essayait malgré tout de contenir, ne voulant pas apparaître ainsi devant son ami. Perdue dans ses pensées, l’ynorienne ne vit pas l’ombre sauter de toit en toit avant de finalement atterrir à quelques mètres d’elle.

Entendant un bruit, elle releva la tête pour sentir qu’on la poussait avec force contre un mur contre lequel elle cogna avec force, gémissant de douleur, chancelant avant qu’une main ne la retienne d’une poigne ferme, trois lames se posant contre sa gorge. Une voix, chargée de haine et de souffrance, lui parla alors, sifflante de rage. Une voix qu’elle peina à reconnaître, une voix qui la terrifia, bien plus que le regard venimeux qui la scrutait alors.

- Ainsi, tu connais Talabre ! Vous êtes alliés ! Et je te pensais honorable... par les dieux, j'éprouvais... je ne sais quoi ! Et toi, tu pactisais avec LUI !

Kage… de quoi parlait-il ? Talabre ? A la simple évocation du nom de l’homme, la jeune femme trembla légèrement. Elle ne répondit pas, son esprit n’arrivait pas à cerner ce qu’il se passait, elle ne comprenait pas la haine dont il semblait faire preuve à son égard. Alliés ? Pactiser ? Mais de quoi parlait-il ? Elle le regardait sans comprendre, légèrement effrayée par l’homme qu’elle ne reconnaissait plus.

- Tu as failli m'avoir, Hatsu Yamada ! Oh oui ! Mais failli seulement. Je vais te tuer, comme je tuerai bientôt Talabre.

Pensait-il qu’elle se jouait de lui ? Jamais elle n’avait été aussi sincère qu’avec lui. Elle ne lui avait rien caché qui aurait pu lui faire du mal, elle n’avait jamais fait quoi que ce soit qui aurait pu lui valoir un tel déchaînement de haine. Alors lorsqu’il arma son bras, elle se résigna. A quoi bon ? Si même ceux qu’elle aimait lui tournait le dos, à quoi bon ? Le coup ne vint pourtant pas et le regard de la jeune femme croisa celui du jeune homme. Le sien, chargé de douleur et de peur, celui de Kage, charger de haine et d’hésitation face à la vision qu’elle lui offrait à cet instant. Elle pleurait de nouveau et il recula, comme frappé par une main invisible. Un tintement se fit entendre mais aucun des deux n’y fit vraiment attention dans la tension du moment. Il sembla se ressaisir, se remettant en garde face à une jeune femme qui appuyait son dos contre le mur.

- Tu es avec lui. Tu es avec lui, n'est-ce pas ?

Sa voix n’est qu’un sifflement haineux qu’elle sentit dirigé entièrement sur celui qu’elle détestait tout autant que lui. Elle se dit qu’elle devrait le contredire, lui faire comprendre qu’il se trompait. Savoir qu’il la haïssait lui comprima la poitrine et elle laissa échapper de nouvelles perles salées qui firent écho à celle de son ami. Il y eut un long silence tendu qu’elle ne parvenait tout simplement pas à briser. Trop de questions lui vrillaient la tête, elle n’arrivait pas à se concentrer suffisamment. Son regard accrocha alors un objet brillant qu’elle ramassa. Une sphère en verre que sa main tremblante remonta lentement. Puis des images lui parvinrent, des visages, des rires, une jeune fille qu’elle ne connaissait pas, et avec elle, des sentiments de tendresse qui semblaient l’étouffer tant ils étaient puissants. Les images se succédèrent, des souvenirs heureux, tous, qui se suivirent ainsi avant qu’un en particulier ne la fasse se figer et écarquiller les yeux. Son visage à elle, endormi et à peine éclairé par les premiers rayons du soleil. Le sentiment qui l’accompagnait, loin de la haine qu’elle arrivait à sentir en cet instant, fit remonter son cœur au bord de ses lèvres. Ce n’était pas qu’un simple sentiment amical ou une tendresse affectueuse, il y avait autre chose. Elle leva les yeux vers un Kage figé par ce qu’il venait de se passer. La résignation qui s’était emparée d’elle disparut aussi vite qu’elle était survenue et elle s’approcha du jeune homme, écartant les lames de sa main nue, ignorant la coupure qui entailla sa paume. Elle plongea ses prunelles dans celle de Kage, posant l’orbe de verre dans sa main libre.

- Jamais…

Un simple souffle, une dénégation de tout ce que le jeune homme avait pu croire sans qu’elle ne sache comment. Elle prit son visage entre ses mains, dans un geste d’une tendresse infinie. Elle aurait dû se sentir outrée qu’il pense qu’elle l’avait trahi d’une manière ou d’une autre, elle aurait dû s’énerver contre lui. Mais la seule chose qu’elle avait en tête, c’était le sentiment qui enflait dans sa poitrine, comme un écho au sentiment qu’elle avait perçu peu avant. Elle ne savait pas y faire face, alors elle n’essaya pas de le combattre, elle se laissa envahir tandis qu’elle parlait.

- Je ne sais pas ce que tu as cru voir ou cru entendre, mais c’est faux. J’ai toujours été sincère. Et je le suis encore.

Elle perçut le regard fuyant et le força à tourner la tête vers elle.

- Regarde-moi, je t’en prie…

Le ton suppliant dans sa voix était surprenant, mais elle ne voulait pas qu’il la rejette, pas lui, pas maintenant. Elle sentait que si cela arrivait, jamais elle n’arriverait à se relever de cette soirée maudite.

- Je ne suis pas avec lui. Tu n’as pas idée à quel point je le hais pour ce qu’il a fait, à moi et à ma famille. La personne avec qui je souhaite être, ce n’est pas lui, ça n’a jamais été lui et ça ne le sera jamais.

Elle fixa ses prunelles embuées dans celles du jeune homme. De nouveau cette tension qu’elle avait ressentie un peu plus tôt à l’auberge. Elle n’y avait pas fait attention alors, trop gênée par la manière maladroite qu’elle avait eu de lui dire au revoir. Mais à présent qu’aucun son ne leur parvenait, qu’aucun regard ne venait les gêner, elle ressentait avec force ce qu’elle s’efforçait de brider jusque-là. Cette sensation de chaleur qui remontait de son ventre jusqu’à sa poitrine, son cœur qui accélérait subitement sans raison apparente, son souffle qui devenait plus court soulevant sa poitrine avec plus de force qu’il ne devrait. Elle déglutit, tout cela étant nouveau pour elle, elle ne savait pas comment agir au-delà, elle ne savait pas quoi faire de plus. Cela suffirait-il à convaincre Kage ? Le convaincre que jamais, au grand jamais, elle ne l’aurait trahi, et certainement pas avec l’homme qu’elle haïssait le plus au monde.

- Kage… Crois-moi, s’il te plaît.

Elle ne souhaitait qu’une chose, qu’il comprenne, qu’il redevienne celui qu’elle connaissait, qu’il lui explique, qu’elle puisse lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur, qu’elle lui raconte tout. Et pour cela, elle devait arrêter de se voiler la face, arrêter de vivre à moitié et pleinement embrasser ce qu’elle ressentait et ce dont elle avait envie. Elle s’approcha de lui jusqu’à ce qu’il ne puisse voir que son visage. Elle sentait la fine bruine lui glacer la peau qui contrastait avec la chaleur du corps de Kage. Elle percevait les battements de son cœur, son souffle tout aussi tendu que le sien, les vibrations de son corps qui hésitait toujours, l’odeur qu’il dégageait et qui lui rappelait une certaine nuit. Dans cette allée, contre ce mur sombre jusqu’où la clarté lunaire ne parvenait pas, personne ne les verrait, personne ne les entendrait, personne ne saurait jamais rien. Ils restèrent immobile et silencieux, se regardant sans qu’aucun des deux ne fasse quoi que ce soit, jusqu’à ce qu’Hatsu ne murmure quelques mots, simple souffle rapidement emporté par la légère brise qui accompagnait la bruine.

- Dakishimete… Aho.*


* (Embrasse-moi/Enlace-moi... idiot)
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
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Vohl Del'Yant
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Re: Les Habitations

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 2 mai 2019 21:40

Dans les yeux de celle que son cœur peine à nommer traîtresse, il ne voit qu'une immense peine. Les larmes roulent sur les joues de la jeune femme, lavées des artifices mondains par la bruine glaciale. Les volutes de leurs respirations émaillent l'air de fugitives fumerolles : le souffle court, tous deux n'osent bouger. Un bruit cristallin seul rompt le silence. Sur les pavés humides, le globe de verre roule. Le ronin ne lui consacre pas un regard. L'incertitude mine Vohl, et là où son âme lui crie d'épargner, son coeur vacille, oscille tel un pendule entre deux secondes qu'il ne choisira jamais. L'immobilité s'éternise et même le silence devient complet. La sphère a arrêté sa course au pied de la première née des Ôkamis, qui détourne un regard perdu vers l'objet. Hésitante, elle se baisse pour la saisir délicatement, comme un enfant attrape avec précaution son premier papillon, comme une âme perdue touche l'espoir.

Ses yeux s'écarquillent tandis qu'elle remonte la sphère à son visage, et les frissons la parcourent alors que le cristal cache son visage. Les images défilent dans le cœur de verre : un visage fatigué aux traits familiers, celui de son père le prenant dans ses bras, le soulevant dans un ciel infini ; les journées à l'académie, entouré de ses amis d'enfance ; sa première leçon d'escrime, dans lequel son oncle l'avait laissé gagner armé d'une épée de bois. D'autres scènes encore rappelle à son âme le bonheur et la plénitude de ces instants, montrant au choix lieux, personnes appréciées et aimées. Dans un tourbillon de souvenirs, les sentiments de Vohl se déchirent en une bataille sans merci, où la méfiance piège la confiance et la haine défie l'amour. L'image de sa sœur vient émietter l'armure dont il tente de parer son cœur, l'image d'un jeune garçon blond lui ôte un bouclier mental. Un visage vient achever la défaite de son esprit. La figure pale d'une jeune femme, posé sur un oreiller plus blanc encore. Les sentiments qui remontent en lui le terrifient par leurs implications. Il s'est attaché à ce visage, à cette voix aujourd'hui muette.

La chaleur qui monte en lui a délaissé le feu rageur d'une haine pour les douces flammes d'un feu de camp. L'esprit du protecteur n'ose s'en approcher, de peur d'éteindre ce feu... ou de s'y brûler. Son corps est tétanisé, et ses yeux n'osent se détacher de ces visions. S'il s'ôte ce spectacle, que trouvera-t-il ? Comment espérer quelque chose de plus agréable que de se perdre dans les souvenirs heureux ? Aucun risque, jamais. Plus aucune souffrance. Un mémorial éternel aux instants pleinement vécus. C'est la chasseresse qui le maintient encore un peu dans ce monde, baissant la sphère, son visage s'inscrivant dans la continuité de la vision précédente. Vohl tremble encore, suffisamment pour qu'il le remarque. Il n'y prête pas garde. Le visage s'approche. D'une main, la silhouette écarte les lames, dans un geste d'une indicible tendresse, le tissu émeraude de la robe bruissant contre le tranchant des griffes. Dans ses yeux brillent quelque chose. Le jeune homme ne détache pas son regard d'elle, pas même lorsqu'un de ses tremblements fait goûter au fer le sang de la main archère. Son souffle se raccourcit encore à l'approche de la jeune femme qui entre dans sa garde ouverte. Il se redresse, comme à l'approche d'une menace qu'il ne peut contrôler. Leurs souffles se croisent, et les panaches de buée se mêlent dans un ballet que la brise balaie. Une main douce vient se poser dans la sienne, y laissant l'orbe de cristal. Pas un instant leurs regards ne se séparent, chacun puisant l'énergie que l'autre dégage, chacun cherchant l'âme de l'autre.

"Jamais..."

Une promesse. Un souffle seulement, et pourtant... tant d'espoir. Les mains de l'archère remontent vers son visage, caressant ses joues avant d'enfin s'y poser dans un geste d'une tendresse infinie. Les larmes se mêlent au filet de sang qui court sur sa joue, ruban carmin sur la toile tannée de sa peau. Paralysé par ses sentiments, Vohl ne résiste pas. Les douces paroles de la jeune femme emplit le silence ambiant sans qu'elle n'ait à hausser d'une once le volume de sa voix.

"Je ne sais pas ce que tu as cru voir ou cru entendre, mais c’est faux. J’ai toujours été sincère. Et je le suis encore."

Le poignard suspendu au dessus de son coeur plonge, transperçant l'indifférence qui pourrait le dévorer. Ce qu'il a vu dans la chambre... ne s'efface pas. Leurs silhouettes plaquées font revenir une fraction de cette sensation qui l'a désertée. Les flammes deviennent plus agressives, attisées par le souvenir récent. Ses yeux passent sur le lotus qui pare toujours ses cheveux. Il détourne le regard, comme pour cacher les sentiments bien plus doux qui l'animent, comme pour protéger un point faible. Elle le force à redresser la tête avec douceur. Tel un pantin, il se laisse manipuler à sa guise, indécis.

"Regarde-moi, je t’en prie… Je ne suis pas avec lui. Tu n’as pas idée à quel point je le hais pour ce qu’il a fait, à moi et à ma famille. La personne avec qui je souhaite être, ce n’est pas lui, ça n’a jamais été lui et ça ne le sera jamais."

Leurs yeux se rencontrent à nouveau pour ne plus se détacher. Dans ces yeux, une fierté préservée rencontre la supplique résolue de la jeune femme. Ses yeux sont encore humides et pourtant, une force nouvelle habille son regard. Ils sont si proches, et le contact de ses mains si douces... Sa poitrine pulse intensément, projetant son sang sans trêve. La brume qui les encercle n'a rien de surnaturel : la chaleur de leurs corps se mêlent dans l'air froid de la nuit sans qu'aucun ne frissonne. Autour d'eux dansent les fines gouttelettes dans les vents portés par la mer. Avançant encore, la jeune femme est maintenant à une main de lui. Vohl a fait son choix. Aussi dur qu'il ait été. Aussi violemment qu'il l'ait fait souffrir, il est certain que son âme a trouvé une place auprès d'un feu. Leurs corps vibrent à l'unisson dans les ténèbres protectrices.

"Kage… Crois-moi, s’il te plaît."

Il sent la tension dans ses mots, l'envie d'exprimer la même chose que lui. Ses yeux se perdent dans le regard où la résignation n'est qu'un lointain souvenir face à la détermination et le courage d'un changement. Le frisson qui le parcourt embrase ses sens : la douceur de la nuit, le froid de la bruine, l'éclat des étoiles au travers du manteau de ténèbres. La chaleur de la jeune femme, le parfum délicat de sa peau, ses lèvres rouges, la pâleur et la grâce de ses traits. Le feu de camps explose en un brasier alors qu'il accepte son choix.

"Dakishimete… Aho."

Délicatement, sa main rejoint les cheveux de la jeune noble, défaisant la coiffe élaborée en ôtant le lotus d'un blanc pur. Les cheveux cascadent sur ses épaules et la robe émeraude. Il saisit une des mains qui tient son visage, pressant délicatement les doigts de la jeune femme dans sa paume. Leurs mains se nouent autour de la fleur tandis que sa seconde main vient se placer dans le dos de la robe. Son visage s'approche encore de celui d'un ange descendu d'un monde ancien. Leurs souffles courts se mêlent un instant où leurs yeux se croisent. Son visage encore humide des larmes versées se penche davantage. Leurs lèvres se joignent avec un extrême délicatesse. Un son cristalin retentit lorsque la sphère de cristal rencontre les pavés. Les yeux clos, Vohl ne s'en soucie pas. Son monde se résume à la tendresse de cet instant, à la douceur de la peau, au parfum de ce baiser, la texture délicate de sa chair et à une fleur de lotus blanc au cœur rouge. Son arme rejoint les pavés lorsqu'ils reprennent leur souffle. Ses mains caressent le visage, le dos et les bras de la jeune femme. Leurs corps fusionnent dans les ombres lorsqu'il la serre contre lui. D'un coup de talon, il les projettent tous deux sur le toit du de la maison qui les cachait au fin croissant de lune. De surprise, la jeune femme se cramponne à lui. Il répète l'opération pour les catapulter sur le second et dernier toit, présentant un espace plat sur laquelle il la dépose délicatement Il la libère de son étreinte doucement, comme à regret, ne laissant qu'un bras autour de sa taille.

Il la regarde avec une tendresse si profonde qu'il sent sa poitrine sur le point d'exploser. À présent offerte aux yeux de la nuit, sa peau humide brille doucement et ses pommettes ont rosi. La surprise qu'il lit sur ses traits n'est pas l'essentiel de ce que trahir ses réactions.

"Je te crois... je te crois, Hatsu...Yaminohikari."

Autour d'eux, les toitures oraniennes luisent du reflet des astres sur la fine pellicule d'eau en de gracieuses courbes. Quelques ruelles sont éclairées par des torches, lumière semblant jaillir du ventre de la ville. Et plus loin, le Conseil semble flamboyer sous l'éclat des torches qui sont entretenues toute la nuit.

"Voilà ce que je voulais te montrer. Une ville, comme une vie, a bien des visages. Et il me semble que je te dois un nom. J'étais, suis et redeviendrai Vohl. Vohl Del'Yant."

A ses yeux, il lui semble que le nom lui dit quelque chose. Il hoche la tête, regardant tout autour de lui pendant qu'elle fouille ses souvenirs pour retrouver les éléments qu'elle cherche. En attendant sa réaction, il songe qu'il va devoir expliquer les liens qui l'enchaînent à Talabre.
Modifié en dernier par Vohl Del'Yant le ven. 3 mai 2019 21:05, modifié 1 fois.

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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 3 mai 2019 15:57

Peut-être n’aurait-elle pas dû… Elle ne souhaitait pas qu’il se sente obligé de répondre à ses sentiments. Lentement, la main de Kage s’approcha pourtant d’elle, cueillant la fleur de lotus qui ornait la complexe coiffure qu’il défit, les cheveux de la jeune femme cascadant en une masse sombre et lisse sur ses épaules. Elle n’avait toujours pas retiré ses mains de son visage, le caressant de ses pouces alors que la main du jeune homme se joignait à la sienne, leurs doigts s’entrelaçant autour de la fleur de lotus. Elle qui connaissait le langage des fleurs, le symbolisme ne lui échappa pas et lorsque la deuxième main se plaça dans son dos et que le visage s’approcha du sien, elle sentit son cœur tenter de s’échapper de sa poitrine. Leurs souffles se mêlèrent. Leurs yeux se capturèrent un instant avant qu’elle ne ferme les yeux. Délicatement, tendrement, les lèvres du jeune homme se posèrent sur les siennes, dans un baiser si tendre qu’elle se sentit brûler de l’intérieur. Tout, de son odeur à la douceur de ses mains, lui fit perdre pied et elle s’abandonna totalement à ce sentiment nouveau qui la submergeait. Lorsqu’il rompit le baiser, elle n’était plus vraiment là, ses yeux restaient clos tandis qu’il la pressait contre lui.

Elle voulut savourer ce moment, mais un brusque saut de plusieurs mètres la ramena de force à la réalité et elle se cramponna de surprise à Kage. Un deuxième saut, tout aussi inattendu, les emmena sur un toit où il la déposa doucement. Son cœur battait toujours la chamade, tiraillé entre ses sentiments et la surprise des derniers instants. Comment avaient-ils atterrit ici ? Elle n’eut pas le loisir de poser la moindre question, Kage lui répondant enfin, d’une voix douce qui lui tira un sourire soulagé, un sourire aussi tendre que ses paroles. « Yami no hikari », cela la fit sourire encore plus largement, bien qu’elle doutait de mériter ce genre de surnom de sa part.

- Voilà ce que je voulais te montrer. Une ville, comme une vie, a bien des visages. Et il me semble que je te dois un nom. J'étais, suis et redeviendrai Vohl. Vohl Del'Yant.

Ce nom… Cela lui disait quelque chose. Du moins le nom de famille lui était familier. Del’Yant, une famille noble elle aussi. Elle avait déjà croisé un homme et une jeune fille portant ce nom, elle en était sûre. Volh… Elle le regarda avec une surprise non feinte. Elle ne connaissait pas toute l’histoire, mais ce nom n’était pas synonyme de renommé ou de noblesse. Un paria, un traître même, selon certains, mort depuis un moment, ou du moins officiellement. Se moquait-il d’elle ? Non, il semblait si sincère et elle ne ferait pas de conclusions hâtives, pas alors qu’elle était parvenue à lui faire entendre raison. Et s’il disait cela, c’était qu’il lui faisait confiance, bien plus que tout ce qu’elle aurait pu imaginer et elle se sentit heureuse, fière et en même temps anxieuse à l’idée qu’elle soit gardienne d’un tel secret. Il lui confiait sa vie, en quelque sorte.

- Tu n’avais pas à te dévoiler… mais merci de me faire confiance, Kag… Volh. Et tu as eu raison, la vue est magnifique.

Son regard se perdit quelques instants dans le monde que le jeune homme voulait lui montrer. Une ville endormie dans une obscurité percée par les flammes vacillantes des torches de certains bâtiments. Une atmosphère calme et sereine, bien loin des tracas du quotidien, des intrigues et des dangers. Seule la fraîcheur du vent marin chargé d’eau pouvait ternir quelque peu les secondes qui s’écoulèrent ainsi, dans un silence apaisant et apaisé. Sentant toujours la main de Volh dans son dos, la jeune femme se rapprocha de lui. Elle était à la fois heureuse et inquiète. Heureuse du dénouement, heureuse de savoir que le jeune homme ressentait cela pour elle, heureuse de ne pas avoir été rejeté, d’avoir été si tendrement embrassé. Mais elle était inquiète de la suite. Jamais elle ne pourrait être librement avec lui, pas tant que la menace pèserait sur son frère et sur sa famille. Elle avait été égoïste à forcer ainsi ses sentiments. Mais en croisant le regard tendre de Volh, elle décida de l’être encore un peu, de profiter de la nuit, de s’affranchir des règles et des menaces, de se laisser aller à ce qu’elle n’avait jamais connu jusque-là.
Elle remarqua enfin qu’elle avait toujours la fleur de lotus dans la main. Fleur blanche à présent tâchée de carmin qui s’était répandu depuis la coupure qu’elle avait toujours à sa main et qu’elle avait tout simplement ignoré et oublié, la douleur n’étant rien en comparaison des autres sensations ressenties jusqu’alors. Une fois de plus, le symbolisme derrière la fleur blanche tâchée de rouge la fit sourire et elle montra la fleur à Volh.

- Si j’étais superstitieuse, je verrais là un présage intéressant…

Elle lui sourit malicieusement et replaça la fleur dans ses cheveux, faisant fi du sang qui risquait de maculer sa cheveleure. Avec une habileté certaine, elle attacha la fleur sur le côté de son crâne avant de sourire au jeune homme. Elle frissonna en sentant le vent chargé d’embruns caresser ses bras nus et traverser sa robe qui n’était certainement pas faite pour protéger sa porteuse du froid ou du vent. Elle aurait pu se plaindre, mais à la place, elle se colla à Volh, le dos contre son torse, profitant de sa chaleur corporelle pour combattre le froid. Elle resta ainsi un moment, sentant les bras du jeune homme l’enlacer timidement, la faisant sourire et rougir. Elle n’était pas totalement certaine de ce qu’il convenait ou non de faire, de comment agir, mais elle trouvait cela rassurant, comme une sorte d’innocence qu’elle conservait malgré tout.

Elle caressa distraitement le dos des mains de Volh, se perdant quelques instants dans la contemplation de la nuit. Elle frissonna et se tourna vers lui, ses doigts se perdant dans les cheveux humides et du jeune homme tandis qu’elle déposait un léger baiser sur ses lèvres, se hissant sur la pointe des pieds pour l’atteindre. Elle adorait la douceur avec laquelle il répondait à son geste, ses mains qui la pressaient contre lui. Elle soupira contre les lèvres de Volh, pressant plus fougueusement son visage contre le sien. Elle s’écarta lorsque son souffle commença à manquer, le visage rougit, une fine brume sortant de sa bouche et les yeux exprimant toutes les émotions qui la submergeaient. Elle se mit à rire nerveusement, cachant son visage contre le haut du torse de Volh.

- Excuse-moi. Tout ça est un peu inattendu et nouveau pour moi. Je n’ai jamais ressenti tout ça avant.

Elle releva les yeux vers le jeune homme, un fin sourire sur les lèvres, déposant un léger baiser dans son cou.

- J’ai beaucoup de questions, beaucoup de choses à dire aussi. J’aimerais qu’on profite, tous les deux, qu’on apprenne un peu l’un de l’autre si tu es d’accord. Dans un lieu moins ouvert ceci dit, il commence à faire froid et ma tenue n’est pas très adaptée pour crapahuter sur les toits en pleine nuit sous la pluie et face au vent.

Car elle grelottait à présent et ses bras nus étaient devenus froids comme la glace malgré le contact du corps de Volh contre le sien. Elle enfouit son visage dans son cou, se cramponnant à lui.

- On va où vous voulez messire Del’Yant ! En revanche, cette fois-ci, préviens avant de sauter. Sinon, je hurle et tu le regretteras une fois au sol !
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 17 mai 2019 00:03

La volonté du coeur

Hatsu se hâta de traverser les rues qui se remplissaient peu à peu de passants. Elle n’avait aucune envie que quelqu’un la voit alors qu’elle quittait la bibliothèque et ses pas rapides faisaient claquer ses chaussures sur les pavés. Elle était déterminée à présent et son arrivée chez elle ne passa pas inaperçue, la jeune femme rentrant en trombe avant de monter directement dans sa chambre, surprenant les domestiques et les gardes qui la croisèrent. Elle se lava rapidement, constatant le bleu qu’elle portait sur la joue en grimaçant. Elle s’appliqua à le faire disparaître à l’aide d’artifices qu’elle n’utilisait guère habituellement, mais elle suivit les conseils de Volh afin que personne ne se doute de rien. Une fois prête, elle redescendit plus calmement, tombant rapidement sur sa mère qui affichait un visage partagée entre l’angoisse et la colère. Sans un mot, elle invita Hatsu à se rendre dans le salon où ses parents et elle s’expliquèrent. Ils racontèrent comment les Yamadas avaient joué avec la vie de Ryo pour les obliger à ce mariage forcé. Plusieurs fois ils se confondirent en excuses devant une Hatsu impassible.

- Vous auriez dû m’en parler, vous n’aviez pas à garder ça pour vous.

- Nous espérions que cela se passerait au mieux malgré tout… Que comptes-tu faire ?

C’était le moment. Celui où elle devait commencer à mentir, à cacher son jeu pour que tout le monde se mette à croire à cette histoire de mariage.

- Je n’ai pas le choix. Je ne dirais rien à Ryo et je ferais le nécessaire pour qu’il soit en sécurité.

- Nous sommes désolés Hatsu…

- Pas autant que moi.

Et elle les planta là, se réfugiant dans la bibliothèque de la demeure jusqu’au soir, pour s’occuper l’esprit et réfléchir à la manière dont elle allait pouvoir faire ce que Volh lui avait demandé. A la seule pensée du jeune homme, elle sentit son corps réagir, obnubilant ses pensées quelques instants avant qu’elle ne se reprenne. Le soir, son plan était prêt. Rien de complexe, elle serait frontale, comme elle en avait l’habitude. La liste d’invité n’allait pas être difficile à récupérer. Faire en sorte que la réception ait lieu chez les Yamada en revanche… cela allait être plus difficile.

Elle attendit le lendemain, retrouvant sa mère qui s’entretenait avec une femme qu’elle ne connaissait pas mais que la matriarche présenta comme celle qui allait l’habiller pour le « grand jour ». Hatsu se retint de lever les yeux au ciel, affichant un sourire qu’elle voulait le plus aimable possible. Elle n’allait pas faire échouer le plan à la moindre allusion au mariage ! La jeune femme passa donc deux bonnes heures entre les mains de la préparatrice et en ressortit épuisée, physiquement et mentalement. Elle espérait ne jamais avoir à subir cela une deuxième fois. Les essayages, mesures et autres essais étaient un vrai enfer. Sa mère y avait de plus mit son grain de sel et avait prolongé inutilement la séance. Lorsque la préparatrice leur souhaita une bonne journée et termina par un « à demain », le sourire d’Hasu se fana aussitôt et elle eut une soudaine envie de tout laisser tomber pour fuir.

Elle passa le reste de la journée à aider sa mère qui fut surprise, mais ravie, de voir que sa fille s’intéressait à l’organisation. Bien sûr l’intérêt d’Hatsu était tout autre, mais elle apprécia tout de même de passer cette journée avec sa mère, même si la raison la rebutait. Elle finit par poser la question des invités à sa mère qui, loin d’être méfiante, fouilla dans un tas de paperasse pour en sortir une feuille bien trop longue au goût de la jeune fille. Elle la feuilleta et demanda si elle pouvait l’emprunter pour l’examiner, ajoutant qu’elle aurait peut-être quelques noms à ajouter. Elle s’enferma donc dans la bibliothèque avec la liste après l’accord de sa mère et entrepris de la recopier et d’y ajouter un nom qui allait sans doute surprendre quelques personnes, le principal intéressé en premier lieu. Cela lui prit plus de temps qu’elle ne l’aurait cru, mais elle rangea enfin la liste recopiée dans sa chambre avant de rendre l’original à sa mère, expliquant le choix de l’ajout et demandant une invitation officielle qu’elle irait transmettre directement dès qu’elle aurait convaincu les Yamada d’organiser la réception chez eux.

Le lendemain, alors qu’elle se préparait mentalement à aller chez les Yamada pour mettre en place le plan de Volh, une surprise de taille l’attendait alors qu’elle descendait au rez-de-chaussée. Un jeune homme était dans le salon, fringant dans son uniforme militaire, une épée pendant à sa ceinture et un sourire apparut sur ses lèvres lorsqu’Hatsu entra dans la pièce. La jeune femme se figea, détaillant rapidement le nouveau venu. Des cheveux auburn coupés courts surmontaient un visage aux trais fin et aux prunelles sombres qui ressemblaient à s’y méprendre aux siennes. Le jeune homme s’avança vers la jeune femme, ouvrant les bras en affichant un large sourire.

- Hatsu ! Tu m’as manqué ! Et toutes mes félicitations pour…

La réponse qu’il reçut, sous forme d’un coup de poing dans le menton, n’était pas vraiment celle espérée et il chancela, plus par surprise qu’à cause de la douleur, tombant sur le sol avec un regard étonné, se tenant la mâchoire comme s’il doutait de ce qu’il venait de se passer. La jeune femme lui jetait un regard noir, se frottant ses doigts endoloris, peu habituée à frapper quelqu’un.

- Je t’ai manqué ? Tu te fous de moi ? Pas une lettre en six mois ! C’était à se demander si j’avais une quelconque importance à tes yeux !

Et elle quitta la pièce sans un regard en arrière, s’enfermant dans la bibliothèque pour ne pas être dérangée. Elle fulminait. Elle aurait dû être contente de le voir, mais ce crétin n’avait rien trouvé de mieux que ça ? Après autant de mois sans nouvelles et la façon dont il était parti, elle n’avait pas pu le supporter, surtout en connaissant la raison de sa venue. Mariage, encore et toujours ce foutu mariage. Elle ne fut cependant pas tranquille bien longtemps, elle entendit la porte s’ouvrir doucement et se refermer de la même manière, des pas timides s’approchant ensuite de son coin de lecture. Elle entendit toussoter et releva les yeux vers un visage visiblement gêné.

- Hum… j’ai ramené du thé et des dango…

Elle observa quelques secondes le visage de son jumeau, intérieurement amusée de voir qu’il n’avait pas encore changé malgré la rigueur militaire. Elle hocha finalement la tête, retenant un sourire face à l’air visiblement soulagé de Ryo. Elle le vit poser son plateau sur la petite table où il servit le thé pour deux et lui présenta l’assiette contenant les friandises. Mais Hatsu ne bougea pas, replongeant plutôt dans la lecture du livre qu’elle avait entre les mains. Elle attendit qu’il prenne la parole, ce qu’il finit par faire après une longue inspiration.

- Ecoute, je sais que tu n’approuves pas mon choix… mais je ne vais pas m’excuser pour cela, j’ai décidé de rejoindre l’armée de mon plein gré, et même si tu n’es pas d’accord, je ne changerai pas d’avis.

Hatsu referma son livre d’un coup sec, se tournant vers son jumeau qui avait sursauté.

- Tu n’as absolument rien compris ! Je ne suis pas contre ton choix, je suis même contente que tu ais trouvé ta voie, Ryo.

Il sembla surpris, écarquillant les yeux.

- Quoi ? Mais… mais alors c’était quoi cette réaction à mon départ ? Et là quand je rentre ?

- Ce n’est pas ton choix le problème. Le problème, c’est que tu m’as annoncé la veille que tu partais, le problème, c’est que tu n’as pas jugé bon de parler avec moi du fait que tu allais quitter la maison, et peut-être MOURIR !

- Je… je ne pensais pas …

- C’est bien ça le problème, tu n’as pas pensé ! On a toujours tout partagé, et là, d’un seul coup, tu décides d’un truc aussi important sans même m’en parler ?

- J’avais peur que tu le prennes mal, que tu essaie de m’en dissuader. J’avais ma voie, et je ne voulais pas que tu m’enlèves ça.

Hatsu était outrée par les paroles de son frère. Et triste également.

- C’est comme ça que tu me vois ?

- Tu as toujours aimé tout contrôler autour de toi ! Dès que quelque chose ne va pas dans ton sens, tu fais tout pour l’empêcher ou le détruire. Alors quand Père a craint que tu ne prennes mal la nouvelle, je leur ai demandé, à Mère et à lui, de te le cacher jusqu’au dernier moment.

Hatsu resta sans voix quelques instants. Il n’avait pas totalement tort, elle détestait quand les choses lui échappaient. Mais de là à lui cacher la vérité, surtout une aussi importante…

- Je vois… j’imagine que je le mérite alors… J’étais contente pour toi Ryo, vraiment. Je m’inquiétais du fait que tu sois toujours en retrait, j’avais même peur que tu finisses par m’en vouloir, pour une raison ou une autre, d’être l’héritière et tout ce que ça implique.

- C’est ridicule, et tu le sais, je n’ai jamais voulu être à ta place. Par Rana j’aurai détesté être à ta place.

- C’est vrai… Mais quand tu es parti, j’ai cru que tu m’abandonnais et je t’en ai voulu.

- Ma mâchoire l’a bien compris. Tu frappes plus fort que je ne le pensais.

Elle leva les yeux au ciel, affichant un léger sourire malgré tout.

- Idiot… Tu m’as manqué.

Elle l’enlaça doucement, heureuse de retrouver une part d’elle-même. Ils passèrent le reste de la journée à discuter, chacun racontant à l’autre ses aventures, Hatsu s’amusant des tâches pour le moins ingrates que Ryo devait faire, lui étant à la fois angoissé et étonné par les risques qu’elle avait encouru. Et le mariage vint sur le tapis, mais même Ryo émit quelques réserves.

- Je ne suis pas très sûr d’avoir envie que ma jumelle se marie avec mon capitaine…

- Pourquoi donc ?

- Il discute souvent avec les officiers et ils parlent en détails de leurs… ébats, je n’ai pas spécialement envie d’entendre ce genre de choses concernant ma propre sœur.

Hatsu grimaça en imaginant la scène, se félicitant intérieurement de tout faire pour empêcher cela.

- Pour tout avouer, je n’en ai pas spécialement envie non plus. Un mariage arrangé, ce n’est pas vraiment ce que j’avais en tête, surtout avec un homme aussi vieux.

- Qu’est-ce que tu comptes faire alors ?

- Ce que je sais faire de mieux selon toi, empêcher ce que je ne peux contrôler…

- Est-ce que j’ai envie de savoir ?

Le sourire à la fois énigmatique et mauvais qu’afficha Hatsu tira une grimace à Ryo. Non, il n’en avait pas envie.
Modifié en dernier par Hatsu Ôkami le sam. 15 juin 2019 12:02, modifié 3 fois.
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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » ven. 17 mai 2019 00:08

La résidence des Yamada était située dans le même genre de quartier que là où elle vivait. La bâtisse, dans un pur style oranien, était plus petite que celle des Ôkamis, mais plus haute, comportant un étage de plus. Lorsqu’Hatsu arriva devant la porte, le garde en faction sembla surpris. Il se reprit bien vite en rencontrant le regard de la jeune femme et signala sa présence aux occupants des lieux, laissant la jeune femme sur le palier avec un air légèrement outré totalement factice. Elle devait passer pour une bonne fille de famille noble et le manque de civilité du garde était déjà un sujet dont elle aurait pu se plaindre si elle avait voulu. Ce fut Talabre en personne qui l’accueillit, l’air tout aussi surpris que son garde. Hatsu eut envie de fuir en revoyant cet homme qu’elle haïssait tant. Elle se força à garder un visage impassible, même lorsque la voix de Talabre lui donna envie de lui planter une flèche ente les deux yeux.

- Hatsu, il est… surprenant de te voir ici. En quoi puis-je t’aider ?

- Bonjour Talabre. Me laisser entrer serait apprécié, pour commencer.

Etonné par le ton hautain et la mine de la jeune femme, il s’effaça en l’invitant à entrer. Le hall, somptueux, était dans un bois lustré précieux et une douce chaleur emplissait l’atmosphère. Tableaux et statues décoraient les pièces et le salon dans lequel Talabre les installa était typiquement oranien, sobre mais agréable. On apporta rapidement un thé et des friandises et on les laissa seuls, face à face, autour d’une table. Hatsu prit le temps d’examiner quelque peu la vaste pièce, évitant autant que possible de regarder son fiancé qui, pas dupe, perçut très bien la gêne de la jeune femme, lui tirant un sourire carnassier. Il se décala, s’approchant d’une Hatsu soudainement tendue et qui frissonna lorsque la main de l’homme frôla sa joue, la même qu’il avait frappé quelques jours plus tôt. Prenant probablement ce frisson pour une certaine angoisse, il retira sa main, non sans garder son sourire. Hatsu bouillonnait de rage à l’intérieur et ce frisson était plus dû à sa retenue qu’autre chose. Poignarder Talabre ne lui apporterait rien, si ce n’est une satisfaction passagère, elle devait s’en tenir au plan, faire confiance à Volh.

- Je suis ravi de voir que tu es venue me voir ma douce, que puis-je faire pour toi ?

« Ma douce ». Elle crispa légèrement la mâchoire, se détendant avant de répondre. Il allait falloir qu’elle arrête de tiquer au moindre mot, sinon elle n’allait jamais tenir.

- Je venais m’enquérir d’un certain point. Il est censé y avoir une réception avant la cérémonie. Cette dernière se déroulant au temple de Rana, il serait logique qu’elle y soit…

- Mais cela ne te convient pas, n’est-ce pas ?

- C’est exact. Ce lieu n’est pas fait pour la débauche et la ripaille, je refuse catégoriquement qu’il s’y passe une quelconque réception. Cette cérémonie est déjà un affront en soi, je ne veux pas insulter Rana en plus.

- Un affront ? Tu parles de notre mariage tout de même.

- Ne me dites pas que vous espériez que je vous tombe dans les bras après ce que vous m’avez fait et dit ? Je tiendrai ma langue pour mon frère, mais n’espérez rien de plus de ma part.

- Et toi tu espères de moi que j’accède à ta demande ? C’est un peu hypocrite.

- J’estime que vous me devez bien cela, non ? Il n’a pas été facile de dissimuler la preuve de notre « engagement » sur ma joue, et si des rumeurs commencent à se répandre, cela ternira bien plus que ma seule image.

Talabre fronça les sourcils, semblant réfléchir. Puis il acquiesça rapidement.

- Fort bien, où souhaites-tu faire cette réception ? Dans une salle du Conseil ?

Il avait flairé l’appât, il ne restait plus qu’à faire en sorte qu’il morde à l’hameçon à présent.

- Par Rana, certainement pas ! Sachez que je ne vais pas me contenter de ça. Le manoir Ôkami est vaste, gardé, somptueux et probablement le meilleur choix possible. Il n’y a pas d’autres candidats sérieux pour accueillir autant d’invités prestigieux.

- Vraiment ? Je ne suis pas totalement d’accord, vois-tu ? Ma demeure, et bientôt la tienne, est bien plus appropriée, tu en penses pas ?

Elle haussa les sourcils, véritablement étonnée.

- La mienne ?

- Et bien oui, tu ne pensais tout de même pas que nous allions faire maison à part, tu devras t’installer ici, nous serons mariés.

Par Rana, elle n’avait absolument pas pensé à cela, certaine qu’elle était d’échapper à ce mariage. Cela la laissa pantoise quelques instants, laissant le temps à Talabre de s’amuser de sa surprise. Elle se reprit et décida de se servir de ce fait. Après tout, il lui offrait là une excuse parfaite pour que le plan de Volh se déroule au bon endroit, et il ne se méfierait absolument pas qu’elle accepte aussi vite.

- Je n’y avais pas pensé… très bien, cela me permettra de me familiariser avec les lieux j’imagine…

Talabre afficha un sourire à la fois ravi et supérieur et tendit la main, touchant l’épaule de sa promise.

- Ravi de voir que tu as finalement compris et accepté ce mariage.

Hatsu retira la main avec empressement, avant de se lever.

- Ne vous méprenez surtout pas Talabre. Je fais ce que j’ai à faire, mais n’espérez rien d’autre de moi. Ce que vous avez fait ne fera pas de moi quelqu’un qui vous aime, bien au contraire. Sur ce, je vais prendre congé, certaines obligations retiennent mon attention ailleurs. Je vous laisse organiser la réception, Mère se fera une joie de vous épauler, elle adore cela…

Il la raccompagna galamment à la sortie, l’attirant soudainement vers lui tandis qu’elle allait passer le seuil de la porte. Leurs regards se croisèrent et ce qu’y vit Hatsu ne lui plut pas du tout. Il y avait une envie et un sentiment de possession dont elle aurait préférait ne pas être l’objet.

- Tu finiras par comprendre que tout était dans ton propre intérêt, Hatsu Ôkami.

Elle se dégagea farouchement, Talabre levant les mains sans tenter de la retenir.

- Peut-être que si vous ne m’aviez pas forcé la main, les choses auraient pu être toutes autres. Il est trop tard à présent, alors ne rêvez pas trop Talabre.

Et elle quitta la demeure des Yamada sans plus de cérémonie, inconsciente du sourire qu’affichait son promis en rentrant chez lui. Elle marcha d’un pas vif, quelque peu énervée par l’entrevue, comme à chaque fois qu’elle verrait Talabre, elle en était convaincue. Jamais elle ne pourrait vivre avec cet homme, il fallait absolument que le plan de Volh fonctionne.

En rentrant chez elle, elle informa sa mère de la nouvelle et celle-ci devint presque hystérique en parlant très vite, affirmant que rien ne serait prêt à temps, qu’il fallait faire maintes et maintes choses, faisant lever les yeux de la jeune femme. Elle l’abandonna au soin de son assistante qui savait bien mieux gérer qu’elle ce genre d’attitude venant de sa mère. Elle avait autre chose à faire également. Elle rédigea rapidement une courte lettre à l’intention d’Onoda, qu’elle irait elle-même lui remettre pour éviter que les informations qu’elle contenait ne fuitent. Puis, comme prévu, elle ouvrit sa fenêtre, déposant une fleur de lotus blanche sur le rebord, veillant à ce que le souffle de Rana ne la fasse pas s’envoler par mégarde. Elle inspira profondément. Il ne lui restait plus qu’à attendre et à espérer que tout irait pour le mieux. Lorsque son frère frappa à sa porte pour lui proposer de passer du temps ensemble, il trouva une Hatsu accoudée à la fenêtre, le regard perdu vers l’extérieur, caressant distraitement les pétales d’un étrange origami en forme de lotus au cœur carmin presque noir.
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Re: Les Habitations

Message par Vohl Del'Yant » lun. 20 mai 2019 01:42

Après un détour pour suivre le parcours fixé par Sombre et un séjour inopiné dans la mer, et par le Bocchi pour la même raison, il s'octroie la liberté de se placer sur le toit du voisin grincheux qui avait appelé à la garde il y a deux nuit. Les reflets de la lune font briller plusieurs éclats métalliques : sur la plateforme, des chausse-trappes sont disséminés. Le ronin sourit. Il prend soin de ne pas perturber le dispositif, tout en notant mentalement la localisation de la maison. Le vent tourbillonne autour de lui. Vohl ferme les yeux, inspirant l'air frais. Il n'est pas loin de deux heures du matin : il s'élance vers la maison des Ôkamis.

Il rejoint avec appréhension le toit en face de la chambre de Hatsu. Les derniers souvenirs qu'il a de cette vision ne sont pas véritablement plaisants. Sur le rebord de la fenêtre, maintenue en place par un pétale de l'origami coincé dans la fenêtre, une fleur de lotus au cœur aussi sombre que la nuit attend. Vohl hésite. Son rythme cardiaque s'est emballé et l'envie d'entrer ne fait aucun doute. Ne serait-il pas plus sage, cependant, d'attendre la journée ? Il finit quand même par se décider. S'élançant du toit où il se trouve, il atterrit souplement sur le toit courbé du premier étage, juste sous la fenêtre visée. Il appuie doucement sur la fenêtre : celle ci s'ouvre en silence. Il remercie le ciel que la jeune femme ait pensé a laisser la fenêtre ouverte. Dans le cas contraire, il serait revenu le lendemain, mais circuler sur les toits au grand jour n'est pas forcément la meilleure idée qu'il puisse avoir.

Derrière la fenêtre, il ne distingue que le noir. Aucune lumière, aucun mouvement ne lui laisse entendre que son amante est à l'affût. Ce constat le fait sourire. Il doit s'attendre à tout. Vohl commence par pousser sans bruit la fenêtre avant d'entrer dans la pièce. Le battant s'ouvre sur une pièce spacieuse et assez peu encombrée. Malgré la présence d'une grande armoire de bois ouvragé et d'un bureau de bonne taille, la chambre n'en devient pas pour autant étroite. Il marche sur un épais tapis presque noir qui étouffe le bruit que ses pas auraient pu produire, mais là demeure, parfaitement entretenue, émet de toute façon aucun cri lorsque le ronin s'avance sur les lattes du parquet ciré. Son regard balaie l'ensemble de la pièce. Le teint pâle des murs, contrastant avec le bois sombre des meubles, est zébré d'ombres projetées par une unique bougie, qui achève de se consumer, abandonnée sur une table de chevet. La table jouxte un lit à baldaquin d'une taille plus que correcte, pour ne pas dire immense. Les piliers de bois ouvragés ont été choisis pour s'accorder à la couleur des poutres et de la laque appliquée sur les divers supports, et de ces milliers tombe de fins rideaux de soie couleur lilas. En suivant l'ombre projetée sur les murs, les yeux de Vohl se posent sur la décoration sobre, à l'opposé du luxe évident qui transpire de cette chambre.

Un éventail, fixé au mur, et un porte-manteau, sur lequel a été disposé un carquois et un arc, dont la corde est enroulée autour de la poignée pour ne pas la détendre. Voilà ce à quoi se restreint la décoration. Une efficacité cachée dans un écrin de faste. La silhouette d'une jeune femme est posée sur le lit, un livre encore à la main lorsqu'elle s'est assoupie, visiblement en pleine lecture. La vision de la chasseresse fait bouillir les entrailles de Vohl d'un feu ardent. Il se calme, profitant du silence pour observer la nuit, par la fenêtre ouverte. Son regard est de nouveau accroché par la flamme tremblante de la bougie, avant de glisser de nouveau sur la silhouette sculptée de l'assoupie. Il s'approche du lit dans un silence complet.

Il se penche vers la jeune femme, admirant le visage de la jeune femme qui se repose, un livre à la main, dans un kimono court d'un rouge vif. La ceinture du kimono, défaite, laisse apparaître la peau de la jeune femme, en dévoilant bien plus que ce que Vohl aurait trouvé décent chez une autre. Mais à la vue de celle que son cœur semble avoir choisi, une chaleur monte dans son corps, faisant battre son cœur plus vite et accélérant sa respiration. Il réfrenne ses ardeurs : c'est la jeune femme qui choisira son moment, et non son partenaire. Il contourne la chaise qui, tout comme le bureau, est enseveli sous une pile conséquente d'ouvrages dont Vohl ne retient pas les noms. L'un des parchemins, posé sur la pile, profite d'un courant d'air pour voler au pied du lit dans un doux bruissement de papier.

Vohl n'y prête pas garde. Après deux pas d'une démarche souple, presque féline, il est devant le visage de la jeune femme, chez laquelle le sommeil laisse transparaître une innocence désarmante, malgré le périlleux exercice dans lequel ils se sont engagés. Ses yeux roulent sous ses paupières ava't que ses sourcils ne se grincent, sans qu'il sache si cela est lié à un mauvais rêve ou au fait qu'elle ait inconsciemment perçu sa présence. Qui sait à qu'elles péripéties sont livrés les songes de la jeune femme... Il s'approche doucement d'elle pour effleurer ses lèvres carmines dans un baiser délicat pour la réveiller le plus tendrement du monde.

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Re: Les Habitations

Message par Hatsu Ôkami » lun. 20 mai 2019 17:24

Plongée dans la lecture d’un ouvrage retraçant l’histoire de l’archerie dans l’Ynorie qu’elle avait déniché au fond d’une étagère poussiéreuse de la bibliothèque familiale, Hatsu ne vit pas le temps passer, absorbée par la lecture comme à son habitude. Ce ne fut que lorsque le soleil couchant laissa la place à l’astre lunaire qu’elle se rendit compte de l’heure, le changement de luminosité l’empêchant de lire correctement. Soupirant, elle alla allumer une bougie qu’elle installa sur sa table de chevet, regardant un instant par la fenêtre qu’elle avait laissé ouverte.

(Pas aujourd’hui j’imagine…)

Pourtant, elle ne verrouilla pas sa fenêtre avant de se replonger dans sa lecture, la fermant simplement en laissant la possibilité de l’ouvrir de l’extérieur simplement en la poussant. Ses yeux parcouraient les pages noircies d’écriture, lisant avec avidité ce que d’autres auraient trouvé ennuyeux. La jeune femme était avide d’apprendre, depuis tout petite, quel que pouvait être le sujet. Si certains le faisait pour attirer l’attention lors des dîners, étalant leur savoir comme leur richesse, elle ne faisait cela que pour elle et pour son enrichissement personnel. Elle se devait d’apprendre ce qui était à portée, voilà tout. Notant l’heure tardive, elle se décida néanmoins à enfiler une tenue plus seyante pour dormir, enfilant à la va-vite un kimono qu’elle ceintura faiblement, trop occupée à lire son ouvrage dans lequel elle se replongea sitôt son kimono enfilé. Installée sur son lit, elle finit par cligner des yeux et bailler de plus en plus souvent, le sommeil venant finalement la happer malgré elle.

- Hatsu ! Hatsu répond !
Un adulte, les mains en porte-voix, criait le nom de la petite fille qui observait la scène en pouffant, cachée dans un buisson à l’orée de la forêt. Elle voyait nettement le petit garçon qui accompagnait l’adulte, même si leurs visages étaient flous et décida de continuer à s’amuser en allant plus loin. Sautillant entre les arbres, chantant une comptine dont les paroles semblaient lointaines, elle s’enfonça sans peur dans le sous-bois, observant avec curiosité et ravissement les merveilles que la forêt lui offraient. Papillons et libellules, lapins et oiseaux attiraient la fillette qui leur courait après en riant avant de s’en désintéresser en apercevant un autre animal ou une plante quelconque qui captait son regard. La forêt devint soudainement plus calme, les animaux semblèrent disparaître et les oiseaux quittèrent les lieux. Intriguée par un insecte qui se refugiait en vitesse sous l’écorce d’un arbre, la fillette ne perçut pas le changement d’atmosphère. Elle entendit en revanche nettement le sous-bois se déchirer pour laisser apparaître un animal à la fourrure grise, au long museau et à la mâchoire hérissée de dents pointues. Tombant nez à nez avec la fillette, l’animal se figea, retroussant les babines en signe d’avertissement. Pour lui, l’Homme était un danger et même un petit d’homme n’était pas à sous-estimer. Mais la fillette, inconsciente ou trop absorber par ses découvertes, se rapprocha du loup qui claqua la mâchoire. L’enfant s’arrêta, penchant la tête sur le côté, les poings sur les hanches, un air à la fois boudeur et sévère sur le visage, comme si elle allait gronder l’animal d’être aussi agressif. Elle ne semblait pas avoir peur et le loup commença à reculer en grognant. Elle ne semblait pas dangereuse, n’ayant pas ces objets brillant qui avait tué tant des siens, mais elle était étrange. Lorsqu’elle tendit la main en s’approchant lentement, le loup, intrigué, la laissa faire, continuant de grogner malgré tout pour tenter de la dissuader. Cela ne sembla pas affecter la fillette qui finit par poser sa petite main potelée sur le museau de l’animal qui cessa ses avertissements, plongeant son regard dans celui de cet enfant humain qui continuait de sourire. Il vit quelque chose derrière les prunelles sombres, quelque chose de puissant et de familier. Alors il comprit et laissa la fillette caresser sa fourrure en s’extasiant. Lorsque des voix se firent entendre, le loup se dégagea, poussant l’enfant du museau avant de disparaître, ignorant la voix fluette qui lui criait quelque chose. Laissée seul, l’enfant sentit quelque chose, une présence, quelqu’un n’était pas loin. Une ombre s’approcha d’elle, la faisant tomber sur le sol étrangement moelleux et se pencha sur elle…


… un fin baiser se posa sur les lèvres de la jeune femme qui s’éveilla, ouvrant des yeux embués. Un visage, d’abord flou, puis dont les traits se précisèrent, lui apparut. Elle mit quelques instants à émerger véritablement, à mettre un nom sur le visage dont les yeux chargés de tendresse la fixaient et dont le sourire l’hypnotisait.

- Que… Volh ?

Elle se frotta les yeux pour les débarrasser de la fine pellicule humide qui les recouvrait avant de fixer de nouveau son attention sur le jeune homme habillé de noir qui la regardait. Elle n’avait pas rêvé, c’était bien Volh qui était là, dans sa chambre, sur son lit, penché sur elle. Le rouge lui monta aussitôt aux joues, mais un large sourire se dessina sur son visage qui s’approcha de celui du jeune homme, lui volant à son tour un baiser.

- Je pourrais m’habituer à ce genre de réveil, méfies-toi.

Elle se redressa, plaquant sa main contre ses lèvres pour retenir un bâillement avant de finalement prendre conscience de la tenue qu’elle portait et de ce que celle-ci dévoilait. Son visage vira totalement au rouge et elle referma et ceintura bien vite son kimono, toussant pour masquer sa gêne.

- Hum… je ne t’attendais pas si tard... bref, j’ai ce qu’il te faut.

Voulant à tout prix passer à autre chose, elle se leva et se dirigea vers son bureau, farfouillant pour trouver un parchemin qui avait visiblement disparu, lui faisant froncer les sourcils. Balayant la pièce du regard, elle nota celui tombé au pied du lit et le ramassa, le vérifiant avant de finalement le tendre à Volh avec un sourire.

- Voilà, la liste complète des invités. Et la réception aura lieu chez les Yamada, Talabre a été plus facile à convaincre que prévu.

Elle précisa avec une certaine fierté l’avoir elle-même poussé à proposer l’idée et elle n’avait eu qu’à accepter sans que cela ne paraisse suspect. Elle se garda cependant de préciser la raison, elle ne voulait pas voir la colère embraser les yeux de Volh, pas alors qu’elle pouvait passer un peu de temps avec lui, même pour une raison qui leur pesait à tous les deux. Elle se montra curieuse ensuite, e savoir comment les choses s’étaient passés pour le jeune homme. Avait-il réussi à faire ce qu’il voulait lui aussi ?

- As-tu réussi à obtenir ce que tu cherchais de ton côté ?

Visiblement c’était le cas, mais elle n’en demanda pas plus. Elle avait bien compris qu’il n’allait pas tout dévoiler et elle avait sa petite idée sur la raison. La présence du conseiller Gale avait fait réagir Volh la dernière fois qu’ils en avaient parlé. Elle s’était doutée que le monocle du conseiller lui en dévoilerait bien trop s’il venait à lui poser des questions, ce qui ne manquerait pas d’arriver, elle en était convaincue. Il verrait facilement que quelque chose clochait et n’irait pas par quatre chemins. Mais pour l’heure, elle préférait profiter un peu de la présence de Volh, même si l’avoir dans son intimité était quelque chose qui la perturbait quelque peu. Elle le rejoignit néanmoins sur le lit, s’asseyant en tailleur juste à côté de lui, posant ses mains sur les siennes, les caressant de ses pouces, le couvant d’un regard tendre et interrogateur.

- Tu comptes repartir immédiatement ? Ou tu peux rester un peu ?
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