Le Camp de la Déportation

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Yuimen
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Le Camp de la Déportation

Message par Yuimen » mar. 2 janv. 2018 15:06

Camp de la déportation

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"Toi qui entre ici abandonne tout espoir "


Voilà comment t'accueille le camp de la déportation d'Omyre, gravé dans la roche en plusieurs langues sur le porche de l'immense muraille. Ces mots sont les derniers que les prisonniers verront, car personne ne ressort de cette prison où l'esclave ne se différencie plus du prisonnier.

Il naquit dans la roche, au pied d'une falaise, pendant la grande guerre. N'étant, à ses débuts, composé que de quelques bâtiments, il devint, les années passant, grâce au travail des forçats, leur sueur, leur sang et leur vie, le symbole l'enfer sur Yuimen.

On ne sort pas du camp: gardé par trois enceintes fortifiées rejoignant le mur naturel d'un falaise à pic, le seul point d'accès est une lourde porte en olath doublée de deux herses qui ne s'ouvrent que pour les relèves et les arrivées des soldats. Le personnel est composé de garzoks, de sektegs et de trolls principalement, ceux-ci vivant dans les installations de surface construites par les prisonniers. Les geôles, elles, s'enfoncent au plus profond de la falaise, épais couloir sombre, glacial, résonnant des cris de torture et de folie de ses habitants, à mesure que les galeries creusées par leur futurs habitants s'étendent. Le travail à la surface reste un privilège pour ces esclaves, les bagnards y travaillent à la réfection et à la construction de nouveaux bâtiments via le travail d'une carrière à même la falaise et d'une mine à l'intérieur de la montagne, ainsi qu'à l'exploitation des terres fertiles entre la première enceinte et les deux autres qui ne sont séparés que d'un fossé d'une dizaine de mètres pour éviter toute évasion. Ces plantations servent principalement à nourrir l'armée oaxienne à moindre coût, mais une partie est gardée pour la subsistance du camp, ou plutôt de ses gardes puisque les prisonniers y sont affamés. Une véritable hiérarchie au sein même des captifs s'est créée, impitoyable et funeste, ceux de la surface dominant ceux des galeries. Plus votre cellule est profonde sous la falaise, plus vous êtes en bas de l'échelle, afin que de limiter les trajets des esclaves de surface, ceux des galeries creusement littéralement donc leurs propres cellules. Cependant, la corruption est reine au sein de cet enfer et les privilèges comme le travail en extérieur, bien que restant très dur, dépendent souvent du bon plaisir des gardiens et de leurs affinités avec certains ou certaines esclaves.

A la tête de cette forteresse de souffrance, le grand régent, un Elfe bâtardé du nom de Juste Kalel, remplaçant son prédécesseur Liam de Falek. C'est un sadique de la pire espèce qui dirige son établissement d'une main de fer, avec ruse. Mais c'est un gérant cupide et intelligent, récupérant sa main d’œuvre pour seulement quelques yus parmi les esclaves invendus des marchés de l'empire. Les prisonniers forment une troupe hétérogène d'âmes perdues d'humains, d'elfes, nains, segteks, aldrydes... S'ils ont survécu au voyage jusqu'aux terres garzoks, ils s'engouffreront dans la gueule puante de ce purgatoire pour périr.

Toi qui entre ici, prie pour que ton agonie soit courte.

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Sigyl
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Re: Le Camp de la Déportation

Message par Sigyl » mer. 22 mai 2019 21:23

"La première mort est l'oubli."
Quelque part dans un coin de sa tête, cette phrase résonnait. Comme une migraine nichée dans la nuque, lancinante, elle revenait.
Si bruyante était sa tête que le son des gouttelettes s'écrasant par terre semblait comme un tempo, une litanie murmurée par nul autre qu'un esprit fracturé. Parlait-il ? Ou bien ne faisait-il que penser ? Peut-être était-ce les deux à la fois.

D'abord, il fallut cligner fortement des yeux pour deviner si ceux-ci étaient ouverts ou fermés, tant la pénombre était totale. Un rituel quotidien qui s'enchaînait par une simple vérification de son état général. Deux bras, deux jambes, quelques haillons pour se couvrir. Chaque mouvement déchirait le silence ambiant par le râclement de ses chaînes sur le sol. Si les entraves étaient lourdes, leur étonnante amplitude étaient un véritable privilège qu'il avait su pleinement apprécier : la plupart étaient forgées par "race", et Sigyl avait de par sa taille hérité de celles d'une large bête, de celles qui rôdent dans les galeries.

Comme réveillée par les mouvements de Sigyl, une voix siffla non loin de lui. Mais de voix, elle n'avait que le souffle et l'articulation. Il s'agissait bien d'un râle mourant, la fuite lente et épuisante d'une âme muant hors de son enveloppe charnelle. Les ténèbres semblèrent alors s'animer dans leur noirceur profonde, et Sigyl sourit.
La nuit s'abattait sur eux, et enfin, leur récompense approchait. Ce souffle, ce soupir si lointain pouvait aussi bien être le sien que celui d'un autre. Mourrait-il ? Son corps était meurtri, fatigué, et son estomac avait déjà cessé d'appeler à l'aide pour un peu de nourriture. La lassitude de ses mouvements était telle qu'il lui semblait bouger plus rapidement que son corps : Sa main se refermait quelques secondes après qu'il lui en eut donné l'ordre, et tremblait si fort qu'il ne pouvait apparemment rien tenir dedans.

Pour cela, il avait été descendu. Plus profondément encore, dans des galeries maudites par ses habitants, parmi les morts et les mourants. Sans le passage régulier de sektegs armés venus récupérer quelques maigres possessions, ou bien un repas gratuit auprès des trépassés, l'endroit aurait pu facilement être qualifié de charnier. Les plus optimistes optaient pour le terme de catacombe, comme si la fosse était aménagée pour leur dernier repos.

C'était à l'idée d'un tel repos qu'un homme, seul, souriait. Phaïtos, la Nuit dont on ne revenait pas, allait venir pour lui. Le râle se fit plus poussif, plus pénible. Chaque inspiration était une lutte de chaque instant. Bientôt, une inspiration fut manquée. Puis une nouvelle fois. Cette fois, le silence s'abattit. Il n'y eut aucune violence, aucun pleur, aucune agitation. Car telle était la douceur maternelle de la Nuit dont on ne revenait pas. L'étreinte rassurante d'une mère à son enfant blessé, la promesse peut-être mensongère d'une meilleure condition. Un souffle passa, et l'obscurité ne fut bientôt qu'une pénombre inanimée, silencieuse sinon martelée de gouttes répétitives.

Cligner des yeux. Bouger les bras. Le rituel reprit alors que Sigyl se découvrait vivant, respirant calmement, apaisé. Pas de chance pour cette fois.
Doucement, sa tête se tourna vers l'heureux élu dont les traits n'étaient qu'une silhouette de noirceur. S'arrachant à l'ankylose qui le paralysait, sa crispation pré-mortem, il tâtonna tel un aveugle d'une main le sol de l'autre la paroi. Ses doigts rencontrèrent alors une jambe, affreusement maigre, qu'il palpa afin de mieux la deviner. Il lui semblait qu'il aurait pu en faire le tour d'une seule main, et pourtant de tels traits étaient restés doux sous la fin approchante.

Un ventre creusé qu'aucun souffle ne gonflerait plus, qui ne gronderait plus jamais famine. Une poitrine menue, mais féminine, et enfin une gorge soyeuse parfaitement détendue. De ses deux pouces, il la caressa comme un amant cajolerait sa dulcinée, car ses dernières paroles ne seraient jamais connues, son nom prononcé, sa requête finale exaucée. La Nuit dont on ne revient pas était une maîtresse cruelle, car pour ceux qui ne souffraient pas de son ultime récompense, elle n'était que mystères et contes inachevés. Sigyl caressa, toujours aveuglement, le visage fin que personne ne verrait plus. Une histoire s'y racontait toujours, mais il ferma avant toute chose ses paupières déjà mi-closes. Il n'avait aucun regard à soutenir, aucune plainte à écouter, et c'était mieux ainsi pour lui.

Doucement, il glissa ses mains dans la chevelure fragile, cassante et pourtant si longue percée d'oreilles pointues. Les défunts perdaient à leur départ le don de la vision, mais le deuil était pour eux tel à une prière, toujours entendue sans espoir de réponse. D'un revers de main, dans une maladroite caresse presque ritualisée, il glissa sur une joue creusée par la maltraitance, et dont le tissu se révélait toujours aussi fin, élégant. Il tenait en ses mains une tapisserie finement brodée, et serait sans doute le dernier à le faire.

Personne n'avait d'attaches dans le charnier. Personne pour vous pleurer. Et pourtant, lorsque passait la nuit et que votre souffrance prenait fin, vous trouviez un amour gratuit, inconditionnel. Comme une poupée fragile menaçant de partir en poussière, l'elfe se vit soulevée dans un concert de craquements d'articulations endolories, et portée le long de l'étroit corridor creusé par la sueur de Sigyl. Deux yeux brillèrent alors dans le noir, et ce regard suivit la silencieuse procession jusqu'à son arrêt quelques pas plus loin.

Là, dans la roche, quelques trous révélaient l'origine du surnom de "Catacombes". Etroit, brut, le réceptacle de l'elfe se fit honorer de son éternel fardeau dans un silence pesant. S'assurant, toujours à l'aveugle, que la défunte repose confortablement, Sigyl murmura. Plus faible encore, que le dernier soupir de cette dernière, la complainte de son dernier gardien vint la rassurer au creux de son oreille, alors que ses doigts caressaient tendrement ses mèches inertes.


- "...et quand tu parviendras à ses pieds, tu t'inclineras par trois fois. Et chaque fois, la Nuit te posera une question. Tu devras être franche, car aucune réponse n'est mauvaise."

La silhouette à ses côtés se releva lentement, glissant son dos contre la paroi pour s'aider, avant d'entamer quelques timides pas en avant.

- "...La première fois, il te sera demandé ton nom. Tu lui répondras alors comme je te l'ai dit. Franchement. Car ta vie fut une mémoire, elle est aussi celle des autres, alors tu énonceras chaque nom qui te fut donné. Par tes aimés, par tes amis, par tes ennemis."

Joignant le geste à la parole, Sigyl apposa doucement sa main sur les lèvres déjà froides de l'elfe.

- "La deuxième fois que tu t'inclineras, il te sera demandé qui tu étais. Tu répondras alors par chaque action, bonne ou mauvaise, que tu as entrepris. Les plus courageuses et les plus honteuses. Tu n'y suivra aucun jugement, alors tu parleras comme je te l'ai dit. Franchement."

Ce qui se révéla être un chétif gobelin tendit alors la main pour venir doucement récolter la bourse encore accrochée aux haillons de leur camarade départie.
Sigyl n'y vit pas là un affront, et poursuivit alors que le contenu était soigneusement analysé par l'être qui, lui, voyait dans le noir.


- "La troisième fois que tu t'inclineras, ne réponds rien. Déjà, tu ne seras plus que mémoire et poussière. Et même là, tu attendras que cette mémoire s'efface. Tu perdras tes noms, chacun. Tes actes deviendront mémoire, et ces mémoires là aussi s'effaceront."

La silhouette se tourna vers lui à en juger la source de sa voix aigue mais fatiguée, après une certaine attente respectueuse :

- "C'tout ? On s'efface ? Hein ?"

Sa prière achevée, Sigyl recula avec précaution pour ne pas percuter le gobelin et se contenta de hausser les épaules, avant de tâtonner vers son point de départ.
"Non. La première mort est l'espoir."

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