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Laggrat Gar vient nous rejoindre en tête du convoi nous faire part du rapport sur ses éclaireurs. Malgré son accoutrement bestial elle se montre tout aussi futée qu’Uthurg. Tenant ses Garzoks par la bride, ils lui obéissent au doigt et à l’œil et au cours des derniers jours elle les a mit à bonne contribution, prenant de l’avance sur la route pour nous éviter d’autres attaques.
« Nous avons encore repéré un groupe au nord. »
J’incline la tête et plisse les yeux dans un air de réflexion. Les groupes armés de Garzoks qui sillonnent la région se font de plus en nombreux et belliqueux.
« La fin de l’Empire d’Oaxaca doit se propager à présent. Les clans veulent en profiter pour étendre leurs territoires et le défendre. »
Commente Uthurg d’un ton las tandis que Laggrat explique à raison que nous aurons du mal à poursuivre le voyage sans devoir à nouveau nous battre. Elle a raison et si repousser une bande de Sektegs est à portée de combattants désordonnés, il en est autrement pour des clans Orcs déterminés à tirer profit de la défaite d’Oaxaca.
« Monsieur Bal-grel. »
Le Garzok se tourne vers moi, attendant la suite, habitué maintenant à ce que je l’appelle de cette façon.
« Faites passer le mot que nous allons faire une halte de un ou deux jours pour se reposer convenablement et se préparer à nous défendre contre des attaques de plus grandes envergures. »
Il incline la tête et détourne sa monture pour s’exécuter tandis que je confie à Laggrat le soin de nous trouver un lieu confortable pour s’y installer. A son tour elle incline la tête avant de faire passer la tâche à ses cavaliers qui se mettent à galoper dans des directions différentes.
C’est avant que la nuit tombe que l’un d’eux revient pour nous indiquer une voie à suivre vers un endroit convenable à plusieurs heure d’ici. Je décide donc de poursuivre le voyage malgré l’obscurité qui s’étale sur les plaines. Quelques lanternes sont allumés et tous redoublent d’attention pour signaler le moindre mouvement dans les hautes herbes jusqu’à arriver proche d’un étang que survolent des nuées de lucioles parfois désordonnés par le bond d’un poisson que l’on entend perturber la surface de l’eau. Je donne l’ordre d’établir le campement, insistant sur le fait que nous nous installons pour au moins deux jours. Les chariots sont alors disposés correctement, formant une barricade autour du campement, ne laissant qu’un mince espace pour en entrer et en sortir avec des montures ainsi qu’un accès libre au bord de l’eau où les chevaux sont menés pour se désaltérer. Les feux de camps s’allument en nombre, permettant à chacun de se réchauffer et de cuisiner, les plus adroits ne tardent d’ailleurs pas à tresser les hautes herbes ensemble pour commencer la création d’un filet. J’augmente le nombre de veilleurs et de tours de gardes tandis que les tentes sont dressés donnant au final à ce campement de fortune une véritable allure qui je l’espère dissuadera les moins téméraires.
La nuit se passe sans encombres bien qu’on m’ait réveillé peu avant l’aube pour me signaler du mouvement qui n’a au final donné lieu à aucune agression. Il est de toute manière certain que nous ne passons pas inaperçu, j’imagine que des clans proches se sont approchés pour évaluer nos forces. Je profite de l’étang pour me nettoyer un peu tandis que les premiers filets rudimentaires sont jetés à l’eau. Pour le petit déjeuner je me contente d’un bout de viande séché et d’eau chaude mélangée à de la farine. Un repas qui manque de goût mais qui a le mérite de me remplir l’estomac. J’autorise quelques groupes à partir chasser, conscient que plus les Orcs pourront manger moins l’inaction leur sera agaçante. Je rassemble les autres dans l’intention de les former à une forme de combat qu’ils ne doivent pas utiliser souvent mais qui m’a pourtant démontrer son efficacité bien que ce soit en mer. En effet, Laeten m’avait montré à plusieurs reprises l’effet dévastateur que pouvait avoir le tir en salves, couchant les équipages adverses et provoquant la panique. Je m’étais fourni en arbalètes avant de partir avec la même idée en tête. Je suis certain que si ça fonctionne en mer alors ça peut fonctionner sur terre.
Je commence par leur demander de disposer des cibles de fortunes contre des chariots inoccupés. Planches de bois, paniers d’osier ou une simple gravure creusée dans le bois de la charrette. Je distingue clairement quels Garzoks sont acquis à ma cause: ceux qui agissent sans poser de questions, ceux qui obéissent en m’adressant une grimace ou un regard méfiant et ceux qui quittent le rang où ne s’y sont même pas présentés. Les sbires de l’Oracle font partie de ceux là et un nouveau duel de regard a lieu entre lui et moi. Cependant, si le ratio était de moitié moitié au début du voyage il est désormais clairement en ma faveur et cela me tire un sourire satisfait alors que son visage arbore une grimace de rage. Il ne se laissera pas faire et j’attends le moment, d’un jour à l’autre, où il passera à l’action.
Brièvement, j’explique les raisons de notre arrêt. Si je suis sincère quant à la nécessité de nous reposer avant d’entamer une partie du voyage qui promet d’être plus difficile maintenant que nous sommes au nord des montagnes, je précise également que je souhaite leur montrer les manières de se défendre convenablement avec une arme à distance. Je passe le fait d’être un piètre tireur mais n’oublie pas de dire qu’utiliser une arbalète est à la portée de tous.
« Vous allez dans un premier temps vous exercerez sans projectiles, apprenez à tirer et à recharger. Inutile d’être précis pour ce que nous allons voir les prochains jours et je ne tiens pas à gaspiller de précieuses munitions. »
Les Garzoks se lancent des regards curieux mais Uthurg fait le premier pas, saisit l’arme de jet, vise les cibles improvisées et lâche la corde, tirant un trait inexistant avant de recharger maladroitement tandis que ses semblables l’imitent. Je remarque une chose à laquelle je n’avais pas pensé mais ces créatures sont si fortes qu’elles parviennent à remonter la corde sans se servir d’un bras de levier. Ils pratiquent pendant quelques heures, s’échangeant les arbalètes trop peu nombreuses ainsi que des techniques pour s’en tirer finalement pas trop mal. Les Garzoks sans arbalètes s’adonnent à d’autres activités, tel que le combat à mains nues auquel l’associée de Virek prend part. Une sorte de lien se tisse entre ces Orcs qui ne se connaissaient pas il y a plusieurs jours, sous le regard haineux de l’Oracle. C’est parfait.
Les claquements des cordes résonnent toute la matinée dans le camp jusqu’à ce que les chasseurs reviennent peu avant que le soleil n’atteigne le zénith sous les acclamations des arbalétriers néophytes. Ils amènent avec eux le cadavre de ce qui ressemble à un sanglier mais en bien plus massif. Devant avoisiné les 1 mètre 50 de long et les 150 kg, la bête dispose de plusieurs défenses mortelles sur son crâne fendue de nombreux coups de lames. Une bestiole tout en muscle qui assure un festin. Laggrat m’explique qu’il s’agit d’un jeune brok’nud et qu’ils sont assez rares dans cette partie de la région étant donné que ces animaux se trouvent plutôt dans les bois. Elle semble méfiante mais n’en dit pas plus, aidant les chasseurs à porter le butin et entreprendre sa préparation. Elle est dépecée, vidée et découpée tandis qu’un immense brasier est ravivé pour commencer la cuisson qui promet d’être longue.
Je remets donc les Orcs à l’entraînement et sélectionne les dix Garzoks qui savent tirer et recharger avec une vitesse acceptable puis ordonne de faire deux rangs. Deux lignes de cinq tireurs, chacun disposant d’une arme de trait. Ils m’interrogent du regard tandis que je me positionne entre eux et les cibles.
« Nous allons maintenant exécuter ce qui se nomme le tir en salve. »
« C’est avec vos lames que vous devez honorer Phaïtos ! »
Rugit l’Oracle vers qui je darde un regard accablant.
« Phaïtos apprécie les âmes qu’on lui envoie. Qu’importe la manière. Pensez vous qu’il ait refusé les âmes de Kôchii parce qu’elles sont issue d’un sort et non d’une épée ? Contentez vous de ruminer votre rage et votre sottise en silence plutôt que de nous interrompre. Imbécile. »
Il se dresse d’un bond sous mon sourire moqueur. Qu’il ose seulement tendre une main vers moi et j’en ferai une cible accrochée à un chariot. Il se contente de s’éloigner avec ses sbires d’un pas furieux, non sans darder un autre regard haineux vers moi.
« Reprenons. »
Je deviens à nouveau le centre de l’attention, me permettant d’expliquer l’avantage de se servir de ce genre d’armes à notre avantage face à des guerriers qui ont l’habitude de combattre ensemble.
« Nous n’avons ni l’initiative, ni la connaissance du terrain. L’arbalète nous permets de réagir rapidement et avec violence. Ce que nous allons voir maintenant permet de décimer plusieurs cibles sans le moindre effort. »
Ils s’entraînent alors, sous mes directives, tirant lignes après lignes, toujours à vide, transformant les claquements de cordes désordonnées du matin en claquements plus régulier au fil de la journée. Le campement résonne alors en fin d’après midi de deux claquements mat régulier tandis qu’une odeur de viande grillé embaume le lieu.
« Deux jours ne seront pas de trop. »
Confiais-je à Uthurg avant d’autoriser les tireurs à s’arrêter pour manger et se reposer. Ils soulagent d’abord leurs doigts usés par les cordes avant de s’approcher du sanglier grillé pour profiter d’un bon repas. Je lui demande ensuite discrètement de garder un œil sur l’Oracle, certain que celui-ci serait prêt à empoisonner tout le monde pour prouver son point de vue.
« Pourquoi ne pas le tuer ? »
Je dissimule ma surprise, lui qui me disait il y a quelques jours que je devais absolument le rencontrer, voilà qu'il était prêt à le tuer simplement parce que je m'en méfie. Uthurg est définitivement acquis à ma cause et j'en tire une agréable sensation.
« Parce qu’il pourrait encore revenir sur le droit chemin et retrouver la Foi. »
Il incline la tête et nous nous mêlons aux autres Garzoks qui me servent volontiers un morceau de viande. Malgré leur allure bestial ils se comportent ce soir plus ou moins comme des humains. Ils mangent, rient, chantent et cela me va bien, il me sera plus facile de les manipuler.
La nuit se passe sans alerte et mon sommeil est à nouveau l’occasion pour mon rêve de se faire plus précis, me permettant de mettre plus d’annotations sur mon schéma à mon réveil. Je prends mon tour de garde, participant ainsi comme les autres membres du campement à la surveillance, reprenant le même système que sur La Baliste, me mêler aux pions pour me faire apprécier. Puis le lendemain nous reprenons l’entraînement mais cette fois les arbalètes sont armées. A nouveau j’ordonne de former deux lignes de cinq tireurs, la première à genoux et la seconde debout. Curieux, ceux qui ne participent pas observent tout de même la scène soit avec attention, soit en ricanant, soit en maugréant. Je tire mon arme de ma main bénite par Phaïtos, et la dresse vers le ciel.
« Pour commencer je vais vous démontrer que la puissance de l’arbalète n’a rien à voir avec celle d’un arc… Quand je baisserai mon épée vous tirerez. »
Les Orcs hochent la tête et mettent en joue les cibles disposés contre la charrette en attendant mon signal. Je laisse une poignée de secondes s’écouler avant d’abaisser ma lame, provoquant le son simultané du tir de dix armes de traits fouettant l’air comme un fouet suivi du bruit des projectiles qui se plantent dans les cibles qui provoquent un craquement de bois sinistre. Le choc est assez violent pour secouer le chariot, provoquant le rire satisfait de mes moucheurs. J’en déduis qu’ils sont convaincus.
« Rechargez ! »
Les Garzoks s’exécutent, tirant sur leurs cordes avec leurs mains épaisses avant de remettre un carreau dans l’arme.
« L’inconvénient d’une arbalète comparé à un arc est son délai de rechargement. Un arc pourrait tirer trois ou quatre flèches le temps que vous remontiez votre corde… »
Jiat Laeten avait adopté une tactique simple pour palier à ce problème. L’utilisation de deux arbalètes pour un même tireur avec la mise en place d’un binôme qui recharge une arbalète tandis que l’autre tir avec la seconde. Une technique efficace quand on possède les armes et les bras pour le faire. Ce n’est pour l’instant pas mon cas je vais donc quelque peu adapter sa stratégie.
« Cette fois quand j’abaisserai mon arme seul la première ligne tirera. J’abaisserai ensuite mon bras une seconde fois pendant que la première rechargera se sera la seconde ligne qui lâchera les projectiles. Compris ? »
Deux temps de tirs, permettant aux premiers de recharger pendant qu’ils sont couverts par les seconds. Déclinable encore en trois temps, quatre temps dès lors qu’on a les moyens de le faire. Ils acquiescent et je lève à nouveau mon épée pour l’abaisser. La première salve de carreaux traversent le campement, brisant la pauvre planche de bois et usant drastiquement ceux qui avaient utilisés leurs boucliers comme cible. Mon bras se relève alors que la première ligne s’empresse déjà de tirer les cordes de leurs armes. Deuxième salve, sifflant dans les airs pour percuter les cibles improvisées. Sans prévenir, j’abaisse à nouveau mon bras provoquant cette fois un tir désorganisé et moins destructeur, tous n’ayant pas eu le temps de recharger convenablement.
« Vous savez à quoi vous exercez à présent. Monsieur Bal-Grel va me remplacer. »
Uthurg s’approche pour prendre ma place, je sais qu’il trouvera le rythme pour que les tirs s’enchaînent au mieux. Je distingue encore les regards du campement qui changent en m’observant. Peu à peu, ma notoriété et mon autorité grandit. Plus aucun n’ose me faire une grimace ni me défier du regard excepté l’Oracle dont même les sbires baissent les yeux quand ils croisent les miens. Bientôt ses derniers alliés lui tourneront le dos et il sera forcé de s’incliner devant le pouvoir que Phaïtos me confie.
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