Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Verrouillé
Avatar du membre
Yuimen
Messages : 2483
Enregistré le : mar. 26 déc. 2017 19:17

Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Message par Yuimen » mer. 23 janv. 2019 17:21

Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Routes officielles :


Le concept de "route officielle" ne se prête guère aux terres sauvages de l'Omyrhie, on peut au mieux parler des chemins les plus fréquentés. Dans ces terres sauvages, le seul entretien des "routes" vient des pas de ceux qui les empruntent, ainsi les principales voies de communications sont les plus visibles et celles où l'on a le moins de chances de se perdre.
L'une d'entre elles, et de loin la plus courte, part de la porte Est d'Omyre pour rejoindre son port extérieur à seulement quelques kilomètres. C'est également, et de loin, la mieux entretenue et la plus empruntée. Sur la plupart de sa longueur apparaissent encore les restes de la route créée par les earions dont elle suit le tracé.
Une autre route suivant un tracé elfique est celle partant de la porte Sud d'Omyre. Elle se dirige assez rapidement vers l'Est pour passer devant l'Antre des exclus avant de pénétrer dans les Monts sanglants. Là, devant une grande stèle sur laquelle sont grossièrement gravées les directions dans les différentes langues de l'empire, la route de sépare en deux. L'ancienne route elfique part vers l'Est, en direction du Royaume de Darhàm, tandis que le second chemin, vers le Sud, mène les troupes oaxiennes et les pillards vers le Duché de Luminion et le Royaume kendran.
La dernière route très utilisée est celle sortant d'Omyre par l'Est pour rejoindre le camp de déportation et les Champs oaxiens.


Voies non tracées :


En dehors ces principales "routes", qui seront les seuls indiquées sur les cartes de la région, s'il devait y en avoir, deux autres sentiers sont assez utilisés pour être considérés comme des routes: celles qui se rend à Mourakat.
La première, partant de la quatrième et dernière grande porte d'Omyre, celle du Nord donc, rejoint la Tour d'Obscurité avant de suivre le cours du fleuve Orcorduin sur sa rive Est. Au moment d'entrer sur le territoire du clan Kal’Rethar, celle-ci bifurque vers le nord pour rejoindre l'ancien chantier naval en traversant Gul-Pan.
L'autre route atteignant Mourakat après avoir traversé Gul-Pan, elle, se dirige au Sud-Est pour longer les ruines d'Ernestör avant de rejoindre la route de Darhàm, plus au Sud, avant la frontière. Pour ceux la parcourant entre les ruines que l'on prétend habitées par des monstre de Vallel et la frontière, la route semble suivre les traces d'une voie de l'époque elfique. Mais lorsque celles-ci s'estompent aux abords des ruines, les plus observateurs apercevront le sentier menant à la citadelle de l'Oeil Aveugle, emprunté par ceux qui cherchent des réponses auprès de l'Oracle.

Avatar du membre
Vohl Del'Yant
Messages : 100
Enregistré le : mer. 19 déc. 2018 23:32
Localisation : Oranan

Re: Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 21:13

Les deux hommes décident d’attendre jusqu’à ce que la nuit tombe. S’ils s’engagent maintenant dans la lande rocailleuse, le couchant à l’ouest les maintiendra en pleine lumière. Autant se promener en jouant du hichiriki à tue-tête sur les terres noires : certes, il est de notoriété publique que la nuit ne pose pas de problème particulier aux soldats de la déesse noire, mais s’ils peuvent échapper à la vigilance d’une sentinelle dépourvue de cette aptitude grâce à un temps clément, ce sera cela de gagné. Les jours sont encore courts et le soleil leur fait bientôt la grâce de pouvoir continuer leur périple ; le temps en revanche semble se jouer de leurs espérances. Le ciel est si clair après les averses des derniers jours, que la lune et les étoiles sont tels des phares et que l’on voit presque sans difficulté devant soi. Bien que dans l’ombre lunaire gigantesque des Deux Jumeaux, ils ne peuvent espérer duper les sbires oaxiens.

Vohl s’autorise à redonner les consignes : un trot soutenu, pendant une heure, puis deux heures de pas, ainsi quatre fois, et ensuite du pas forcé. Ainsi, ils auront parcouru plus de la moitié de la distance en territoire ennemi avant qu’ils puissent être remarqués. Le jeune forgeron avancera en tête, régulant l’allure selon les besoins de son poney. Et surtout...surtout aucun bruit. S’ils sont repérés, Hïo a pour ordre de fuir vers l’est, et de se réfugier auprès de la première patrouille kendrane qu’il aura la chance de croiser. Si le pire des scénarios se profile, il devra l’attendre à Luminion pendant quatre jours... après quoi il pourra considérer son protecteur mort.

“As-tu nommé ta monture ?”

L’autre déglutit péniblement. Le stress est monté d’un cran à l’énoncé des consignes.

“Non...je n’ai pas vraiment de lien avec lui.”
“Bon...nous l’appellerons Chîsa... Prêt ? Quand tu le sens.”

Pas de réponse... comme il le comprend. Vohl n’est lui-même pas démangé d’y retourner. Il peste intérieurement : qui a tenu à passer par ici, hein ? Son protégé ne semblant pas décidé à se lancer, il s’avance et Mahô pousse le récemment nommé Chîsa en avant. Le stimulus est suffisant pour lancer un pas tranquille que Hïo transforme rapidement en un trot.
D’aucuns auraient estimé que la nuit, les sons sont plus audibles qu’en journée. C’est vrai lorsque le vivant a une place à prendre dans un lieu : les oiseaux se chamaillent le jour pour cesser de protéger les fugitifs de tous poils lorsque la lune se montre. Ici, point d’oiseau rieur pour vous camoufler, même en plein jour. Et l’hiver, le vent malsain est le seul instrument à jouer en fond sonore. L’exercice de la monte les tiendra réchauffés.

Le claquement des sabots sur le sol est étouffé par l’atmosphère pesante. Leur stationnement juste avant l’orée de la forêt leur a permis de voir passer deux patrouilles de gobelins : le décor pauvre leur a exposé, en réalité, les grandes boucles effectuées par ces derniers. Il aurait été trop benêt de considérer que les patrouilles suivent le même parcours de nuit que de jour, toutefois. C’est la raison de leur hâte. En tout cas, c’est celle connue par Hïo : son protecteur n’a pas jugé de le stresser outre mesure. Car c’est en réalité quatre patrouilles qui sont passées : et dans l’une d’elle, Vohl a reconnu le grimaçant visage de faunes décharnés, éclaireurs bas de gamme à leurs heures perdues pour le compte d’Oaxaca. Il presse encore Hïo pour qu’il accélère le trot trop tranquille de sa monture.

Ils n'ont pas à attendre longtemps pour savoir si la nuit les couvre de son manteau protecteur. A peine une heure après s’est écoulée lorsqu’ils entendent un caquètement particulièrement approprié à l’atmosphère morbide de leur chevauchée. Le son de claquement de langue dans une gorge souffreteuse est repris de plusieurs côtés : quel que soit l’être déplaisant qui le produit, il n’est pas seul. Mais ni le protecteur, ni le protégé n’ont idée de ce qui peut produire un tel bruit. Le regard inquiet du forgeron vers son compagnon fait la démonstration de leurs craintes réciproques. Ils pressent un peu l’allure.

Vohl risque un regard vers l’arrière. Quatre bêtes immondes leur courent après dans un raclement de sabot sur les pierres. A grands bonds, les satyres déchaînés prennent du terrain sur le trot des aventuriers. La lune fait luire leurs cornes et leur faciès décharné, ajoutant à leur air cadavérique une teinte jaunâtre. Vohl envisage le combat. Brièvement. Malgré l’éternel avantage de la cavalerie sur l’infanterie, deux conditions restent nécessaires pour que ce combat soit utile : en premier lieu, la discrétion ; et en second lieu... avoir de bonnes chances de vaincre.

Leur dernier combat les opposait après tout dans le même ratio : deux adversaires chacun. Mais le forgeron n’est pas un combattant : à dire vrai, la protection de Hïo le handicapera considérablement. Par ailleurs, s’il n’avait pas mémoire du son produit par les créatures, Vohl a déjà pu voir les bêtes à l’œuvre. Des éclaireurs chétifs, comparés au gabarit des garzoks, mais d’une inexpugnable ténacité. La rage qui exsude de leurs yeux blancs traduit le déplaisir de croiser les ynoriens. Fidèles à leur nature détestable, ils n’abandonneront pas facilement la poursuite. Les autres échappatoires sont toutefois bouchées. Le protecteur exhorte le forgeron à presser au plus fort son destrier.

Les deux montures filent désormais dans la lande désolée, les faunes décharnés les poursuivant de leurs râles moribonds. L’écart a cessé de se réduire et commence à se creuser entre les fugitifs et leurs poursuivants. Au bout d’un moment, deux sur les quatre faunes abandonnent la course : seuls les plus massifs – si tant est que l’on puisse qualifier de massif une créature exsangue - maintiennent leur allure. L’échappée des deux hommes finit toutefois par se fatiguer : les destriers ralentissent le rythme de leurs foulées, et les morts-vivants, infatigables, rattrapent leur retard. Le regard anxieux de Vohl voit se rapprocher les dents jaunâtres entre les lèvres déchiquetées, sans qu’il ne sache si c’est la lune ou le teint cadavérique de ses ennemis qui lui donne ce reflet immonde.

Le combat semble inéluctable. Vohl fait volte-face sur son destrier en encourageant Hïo à reprendre une allure vive. L’assassin arme une frappe. Un des monstres est bientôt à portée. D’une détente improbable, le cadavre semble poussé par un vent imaginaire. Le temps semble s’arrêter devant les yeux de Vohl. Il se concentre, appelant le vent à se lever, ici et maintenant. Que la gloire de Rana illumine un court instant cette terre dépravée. Un hommage à sa déesse... la volonté de l’éternelle présence : son bras fend le silence avec un sifflement aigu. Il atteint le macchabée à la tempe, l’éjectant hors de sa trajectoire. Sonné, le faune arrive dans les sabots de son partenaire de patrouille. Les deux roulent à terre dans une cacophonie de grincements et de râles furieux. Les deux montures s’éloignent à toute vitesse de l’enchevêtrement de cornes, de membres et de sons.

La distance se creuse pendant encore un moment avant que les montures, effrayées, ne consentent à ralentir l’allure. Peut-être des cavaliers plus expérimentés auraient su gérer plus efficacement la situation, mais le maigre équipage en est réduit à attendre le bon vouloir des destriers. Lorsque ces derniers y consentent, Vohl jette encore de fréquents regards derrière eux. L’épisode a fait monter leur adrénaline à des hauteurs affolantes : tous deux sont aux aguets. Mahô et Chîsa profitent du répit qui leur est offert pour récupérer.

La vigilance des oraniens n’est pas perdue, toutefois. Quelques heures plus tard, une lueur s’annonce, loin devant eux. Le sentier sur lequel ils ont bifurqué pendant leur fuite les approche légèrement de l’intérieur des terres : il n'est pas à exclure que des civils omyriens aient pris cette route. Dans la nuit lumineuse, point n’est pourtant besoin de torches... cette réflexion traverse l’esprit de Vohl trop tard. Les fantômes sont en vue...et ils n’ignorent rien de leur présence. Ils se ruent à leur rencontre. La température semble chuter encore de quelques degrés. Vohl n’a jamais vu ces créatures, légendes hurlantes encore à ces yeux : il a la surprise de découvrir que les fantômes peuvent être féminins, et non pas des âmes méconnaissables.

Alors que les âmes torturées approchent entourées de leur aura laiteuse, Vohl découvre avec terreur la figure émaciée des femmes aux pommettes saillantes. Les traits tirés, le visage pâle, les yeux hagards et emplis d’une souffrance qui semble les couper de la réalité. Voilà ce que découvre l’assassin. Ces emblèmes de souffrance lui glacent le cœur. Elles s’immobilisent soudain, leurs haillons d’un blanc sale s’enroulant autour de leurs jambes. Elles regardent fixement Vohl, semblant chercher à lui dire quelque chose... leurs yeux aveugles roulent dans leurs orbites, comme un noyé qui appellerait l’air de toutes ses forces. Le silence ambiant devient plus lourd encore que sur la lande...puis leur cri le déchire, accompagnés d’un milliard d’épines glacées. Vohl a le réflexe de plaquer ses mains sur ses oreilles avant que le cri ne sorte de leur bouche à nouveau grande ouverte.

Ce n’est pas le cas de son protégé, projeté à bas de sa monture. La souffrance est atroce : les fantômes semblent cracher leurs peines sur les deux hommes. La douleur d’un enfant que l’on noie, les pleurs d’une mère violée devant les cadavres de ses enfants, les étreintes des barbelés sur un cœur en perdition : l’histoire de ces femmes est contenue dans leur cri. Vohl peine à garder conscience sous le déluge d’images que captent ses oreilles. Le sang coulant dans une gorge desséchée...l’homme qu’elle aime, écorché vif devant ses yeux, pour l’abreuver...l’urine versée sur ses plaies. L’esprit de Vohl bat la campagne. La réalité s’efface devant lui tandis qu’il succombe à la nouvelle vague de son-images. Comme unique réflexe, il s’accroche à la selle, de ses deux mains. Il tremble de toutes parts, une sueur froide enduisant son front, perlant de son nez, couvrant ses mains. Sa sueur, ses larmes, gèlent instantanément sous le souffle froid comme la mort de la femme. Sans même qu’il le sente, le corps de Vohl s’engourdit d’un coup. Mais le jeune homme est perdu, envoyé dans un monde de douleur et d’agonie par le terrible hurlement.

Ses paupières se ferment pour tenter d’endiguer la projection effrayante... sans effet notable. Il serre les rênes dans un poing crispé, seul chose dont il ressent encore le contact. Le monde de cauchemar se dissipe un peu : le hurlement des fantômes s’amenuise. Puis reprend derechef, avec encore davantage de violence. Son crâne semble exploser alors qu’une myriade d’aiguilles semble le déchirer de l’intérieur. Il vit la sensation de cette morte, étendue sur une roue garnie de pics rouillés, qui s’enfoncent dans sa chair alors qu’un garzok frappe à coups de marteau sur ses membres. Les os se brisent sans résistance. La douleur afflue et sa bouche s’ouvre dans un énième cri silencieux, ses cordes vocales trop abîmées par les semaines de torture. Le jeune homme se sent maintenu sur les clous. Il sait qu’on le maintien sur les pointes pour éviter qu’une hémorragie ne le tue. Pour qu’il ait encore le temps de souffrir...souffrir jusqu’à ce que son âme s’arrache, écorchée de tout ce qui n’est pas douleur.

La bouche de Vohl s’ouvre pour appeler l’aide qui ne viendra pas. Un mors lui est enfilé. Puis une pince s’approche. Les racines de ses molaires craquent et crissent alors que sa langue s’agite pour chasser l’intrus. Ses yeux sont terreur. Ceux de son bourreau ne reflètent que la joie. La joie de faire souffrir, la joie de causer tant de mal que jamais il ne pourra être oublié. Comme dans une autre vie, un gémissement se mêle aux cris de femme et d’enfant, fond sonore de son hallucination. Il sent un fluide s’écouler de sa bouche : le mélange acide et ferreux lui en indique la nature. Le sang et la bile coulent sur son menton.

Sans qu’il sache comment, il reprend ses esprits alors que les bruits se taisent brutalement. Les images de ses yeux superposent brièvement les scènes de torture et la nuit pâle, avant que cette dernière ne prenne le pas sur le reste. Chîsa git au sol. Le poney de Hïo s’est effondré en emprisonnant l’une des femmes sous son poids. L’autre regarde comme médusée la scène, un long poignard ondulé à la main. Les esprits de l’assassin lui reviennent alors qu’il regarde la situation sans comprendre. Hïo est également au sol, recroquevillé comme un fœtus, à la merci de la dame blanche qui s’approche de lui.

Le protecteur descend péniblement de Mahô, dont le regard semble perdu dans le vide. Il titube derrière la femme luminescente. Son cri reprend, accompagné par le froid intense. L’air ambiant semble perdre son eau en de minuscules cristaux de glace, qui renvoient la lumière de la lune, l’invitant à retourner au pays des songes. Mais Vohl se concentre sur une seule chose : passer les lames métalliques au travers du tissu crasseux de ses fripes. Il blinde son esprit, refusant le droit à toute autre pensée d’y pénétrer. Vacillant, les jambes flageolantes, il avance. La femme se baisse, son poignard levé. Il se jette dans son dos. Son coup manque le bras du fantôme de vingt bons centimètres. Il trébuche, emporté par son élan. Il s’écrase à côté de la non-morte. Elle tourne un regard vide vers lui, la bouche édentée toujours ouverte. Il se redresse pendant que l’onde sonore le percute de nouveau, apportant un nouveau lot d’images terribles. Vohl serre les dents. Il accuse le choc, figé telle une statue de sel. La femme semble le considérer comme un obstacle plus gênant que le jeune homme qui gémit au sol. D’un mouvement vif, son poignard fend l’air en direction de la gorge de l’assassin.

Péniblement, affrontant à la fois la déferlante psychotique et le mouvement du cadavre ambulant, il redresse ses lames. L’arme courte vient percuter sa garde dans un éclat de bruit puissant. Ce son résonne dans son oreille, l’assourdissant à moitié. La déferlante d’image perd de sa puissance. Trop lentement pour qu’il puisse réagir à la deuxième frappe de la femme. C’est son impuissance qui le sauve. Il tombe de côté, s’écrasant dans la boue, incapable de résister à la force qu’a déployée son adversaire lors du coup précédent. Le revers de la l’acier ondulé passe devant ses yeux dans une lueur verdâtre. La tête de Vohl se pose dans la boue. Le hurlement semble s’affaiblir à nouveau. La surprise de l’être d’avoir manqué son second coup ? Il ne prend pas le temps de s’interroger davantage, d’autant que la question ne fait que survoler son esprit. Il saisit sa chance. Ses mâchoires sont crispées, pour résister aux échos encore puissants, bien que lointains, du cri hideux.

Alors qu’il esquisse un mouvement de frappe, la violence des cris semble redoubler par à-coups. La violence des images qu’il perçoit le coupent dans son élan, et son bras s’abat sans force, comme incapable de trouver la volonté de continuer. Ces impuissances continuelles enragent Vohl intérieurement. Une bête en cage au fond de lui tourne, et tourne en rond. Et soudain, cela suffit ! La colère, profitant d’un nouvel affaiblissement du cri de glace, brise la cage dans laquelle elle est retenue. L’assassin sent la chaleur cuisante contre sa hanche, douleur brûlante avec lequel il commence à être familier. Son bras tombé le long de son corps remonte vivement, clôturant le solo suraigu de la dame blanche en percutant sa mâchoire inférieure. Du sang gicle de la blessure. Le corps féminin bascule en arrière sous l’impact, salissant ses braies dans la boue. Vohl s’efforce de se jeter sur elle. La réalité est toute autre : il tombe plus ou moins, sans grâce ni tonus, sur la femme.

Elle tente de lui porter un coup. La plainte discordante résonne encore aux oreilles du protecteur, mais la bouche ensanglantée du soi-disant fantôme ne produit plus que des bulles carmines. Le bras de Vohl se dresse, attrapant fermement le poignet de l’ancienne torturée. Sous son apparence frêle, les tendons et les muscles secs s’opposent avec virulence au contre de l’homme.

La lutte est aussi longue qu’il lui est possible de l’être : le poids du protecteur compense son manque de tonus, là où l’énergie de la femme contrebalance sa position défavorable. Ce sont finalement les muscles qui fatiguent en premier : la lame tombe au sol, tandis que les griffes du protecteur perforent lentement la poitrine de la femme. La mort arrive doucement, chaque pouce de terrain perdu laissant s’enfoncer d’autant, presque avec tendresse, les tiges de fer dans sa poitrine. Le ses yeux perdent progressivement leur teint laiteux, pour dévoiler un iris gris. Vohl se laisse rouler sur le côté après l’ultime hoquet de l’ancienne torturée. Les images qui l’ont terrorisé se font petites, rangées dans un coin obscur de son cerveau...elles perdent peu à peu de leur substance, si forte lors du cri du fantôme, mais continuent de tourner à l’arrière-plan de ses pensées.

(Ce n’était pas un fantôme...ou bien les fantômes saignent ! Et meurent !)

Une truffe humide vient se poser sur son front. Au-dessus de lui, les fiers bois d’une Mahô découpent la lune en fragments épars. La langue râpeuse de sa fidèle monture le ramène à la réalité, accompagné d’un petit coup de museau. La lueur laiteuse de la lune lui rappelle celle, plus crue et glaciale, de ces femmes. Ces femmes. Au pluriel ! Il se rappelle subitement la deuxième femme : Il tourne la tête aussi vite qu’il peut se le permettre sans vomir de nouveau. La femme est toujours au sol. Elle semble assommée. Le protecteur la fixe. Etrange : elle semble briller nettement moins que sa comparse, lorsqu’il la combattait. Il secoue la tête. Sans doute était-ce un effet de son imagination. Il rampe jusqu’à celle-ci. Le poney est secoué des mêmes spasmes que son propriétaire, désarçonné dès le premier hurlement, à peine un mètre plus loin.

Il s’approche encore. L’aura de cette femme-ci semble tiède, en comparaison de ce qu’il a expérimenté. Le jeune homme ne peut s’empêcher de détailler le visage de l’assommée : même inconsciente, son visage reste marqué par la torture qu’elle semble avoir subie. Ses traits tirés l’enlaidissent tant qu’il lui paraît impensable qu’elle ait été joyeuse auparavant, ayant enfants, maris, amis sans doute...Mais les images qu’il a perçu sont trop pleines de détail pour avoir été créés par une magie aussi primitive qu’un cri. En tout cas, c’est ce qu’il pense, même s’il est conscient de ses lacunes en magie, il n’imagine pas qu’un résultat élaboré soit conséquence d’une action irréfléchie. On ne fait pas une passe d’arme imparable avec un coup de taille, après tout.

Il plonge violemment la dague habituellement à sa ceinture dans l’orbite de la femme, transperçant d’un coup net le cerveau. Aucun hoquet ne vient troubler l’attitude paisible de la victime, mais son aura se dissipe instantanément. Vohl s’accorde une pause qui semble lui durer une éternité, bien qu’il ne s’écoule en réalité qu’à peine plus d’une minute. Le temps que son organisme se réchauffe. Il se redresse enfin. Il vérifie son état d’une inspection minutieuse : rien de cassé, pas de blessure notable. L’image d’un écorché fuse dans sa tête. Il se corrige.

(Pas de blessure physique.)

Il se frotte vigoureusement les membres et la figure pour faire reprendre la circulation sur l’épiderme frigorifié. En passant les mains sur sa figure, il sent la couche de boue qui s’est figée lorsque la température est devenue invivable. De son oreille s’en écoule d’ailleurs un filet, puis le glaçon de boue qui s’y était figé. Il perçoit de nouveau le silence étouffant dans son entièreté. Il s’approche du jeune Hïo pour lui faire subit le même traitement. Les larmes coulent abondamment sur le visage de son protégé recroquevillé. Il lui faut une bonne dizaine de minutes avant d’être prêt à se remettre debout. Dix minutes de plus sont nécessaires pour réchauffer le poney, que le poil n’a pas su protéger des assauts glacés. Ce dernier se redresse dès que son équilibre le lui permet : ce n’est pas le cas d’Hïo, qui lutte encore contre des crises de terreurs allant faiblissant mais le laissant pantelant sur la terre glacée.

Vohl tente de ne pas trop le presser, malgré son envie de déguerpir au plus vite de ce lieu. Dans ses balbutiements, le jeune forgeron lui indique qu’il a entendu parler de ces créatures, mi- fantôme mi- humain, qu’il nomme banshee. Son mercenaire attitré lui fait part de ses observations sur leur la violence de leur cri, le froid intense que celui-ci projetait et l’aura glaciale variant selon les individus. Le forgeron exprime l’hypothèse que l’aura grandisse avec l’ancienneté ou avec la violence des tortures qu’elles ont subies. Le protecteur en prend bonne note et lui confie la tâche de se réchauffer pendant qu’il tente de trouver quelque chose d’utile sur les deux mortes. Il ne trouve pas grand-chose, comme le laissait présager leur tenue. Par défaut, il ramasse leurs armes. Lorsqu’il soulève la lame de la « banshee » dont il a transpercé le cœur, la légèreté particulière de l’arme et ses reflets attirent son attention. Il se souvient avoir perçu ces reflets pendant le combat, mais il n’y avait pas porté beaucoup d’importance. Il oriente la lame sous les rayons de la lune. Le fer s’irise d’un vert bleuté, aux lignes instables. Une jolie lame, malgré l’aspect serpentin qui lui donne un air malsain. Mais avoir trop d’armes n’est pas dans ses problèmes pour l’instant. Il la glisse dans son paquetage.

Une fois son inspection finie, il se redresse. Hïo le regarde d’un air étrange.

« Que me vaut ? »
« Pardon ? »
« Tu me regardais avec un air un peu … égaré. »
« Ah. C’est te voir détrousser les morts…je ne faisais pas d’illusion mais… je trouve ça vraiment bizarre. »
« Une habitude de mercenaire…je suppose. Et sur des suppôts d’Oaxaca, mon remords ne fait pas long feu, s’il faut choisir entre ça ou mourir. »
« Ils ont beau être de l’autre côté de la frontière, je ne pense pas que cela en fasse des moins que rien… Ne faut-il pas se montrer comme un digne adversaire, plutôt que d’employer leurs méthodes ? »

Vohl se refuse à cette idée. Imaginer chercher à prouver sa légitimité en tant qu’adversaire aux garzoks et autres peaux-vertes ? Impensable. Ridicule.

« Il vaut mieux être un adversaire indigne, plutôt qu’un adversaire mort. Un adversaire mort, c’est très peu handicapant. Par ailleurs, tu fais la fine bouche sur une condition que tu sembles peu connaître. Un mercenaire, comme tu dis, n’a pas souvent de quoi s’offrir le luxe d’ignorer le peu que peuvent lui rapporter ses prises… surtout quand il prend les contrats en fonction de leur importance pour la République. »
« Je comprends, je vois bien ce dont tu parles. C’est juste… il faut un temps pour s’y faire, je suppose. »
« Je te l’accorde. Tu auras le temps de t’y faire en continuant la route ! »

Il l’invite à remonter à cheval. Il en profite pour jeter un coup d’œil à chacune des deux montures. Les deux ont été ébranlées, voire terrassée en ce qui concerne Chîsa, par la violence des cris. Mais elles semblent se remettre plus vite que leurs cavaliers. Peut-être n’ont-elles pas été affectées de la même façon que leur escorte humaine… Bien malin qui pourra dire si elles ont perçu la souffrance et les images-son de la même façon que les humains auxquelles elles étaient destinées. Le forgeron n’est toutefois pas sur la même ligne de pensée. Il répond d’un ton agacé.

« Pourquoi veux-tu qu’on se hâte encore ? Leur cri a sans doute fait fuir tous ceux qui l’ont entendu ; nous serions peut-être même plus en sécurité ici qu’en nous éloignant ! »
« Je ne crois pas. Si ces ‘banshees’ étaient, comme je le pense, des agents garzoks, nous auront la visite de ceux plus intéressés par nos cadavres qu’effrayés par le cri de leurs alliées. D’ailleurs, l’effet était peut-être ciblé sur nous et n’incluaient pas les autres serviteurs de la déesse noire. »

Hïo monte sur le cheval de mauvaise grâce. Leur fuite permanente semble s’éloigner le trajet auréolé de gloire, et de victoires faciles qu’il entendait mener. Ils se remettent doucement en route. Les arbres alentours forment un corridor branchu et tortueux. Le bruit mat des sabots sur le sol semble à nouveau être le seul son ruinant le silence de ces terres désolées. L’assassin note que son protégé pique du nez. Voilà qui explique sans doute encore en partie sa mauvaise humeur. Vohl est depuis longtemps rompu aux rondes interminables et au manque de sommeil. Ce n’est pas le cas du jeune ynorien. Sa tête dodeline par intermittence : il tente de résister, mais la fatigue finira par triompher.

Avatar du membre
Vohl Del'Yant
Messages : 100
Enregistré le : mer. 19 déc. 2018 23:32
Localisation : Oranan

Re: Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 21:21

L’ancien soldat reprend intérieurement le cours de la discussion qu’ils avaient. Il l’avoue bien volontiers, il n’a aucune envie de rester en Omyrhie plus que nécessaire. Le déserteur sait qu’il ne tiendra pas indéfiniment ce rythme. Ses envies de somnolences sont toutefois coupées par les pensées macabres distillées par la banshee, qui remontent à la surface. Il grince des dents. Sur sa selle, son compagnon de route s’agite aussi, le menton posé sur sa poitrine, d’imperceptibles gémissements filtrant de ses lèvres entrouvertes. Un sifflement ponctue la respiration du forgeron. En proie à des cauchemars dont Vohl imagine tout à fait la teneur, il grelotte sans discontinuer.

Craignant qu’en plus de ses rêves déplaisants, il puisse être victime d’une de ces maladies fatales dont lui a parlé Raug, son protecteur ajoute une nouvelle épaisseur – son propre manteau. Aussitôt, l’air froid le cueille sans ménagement. Il le laisse s’assoupir. Si la nuit se poursuit dans la même logique, ils auront d’autres épreuves à affronter, et quelques heures de sommeil ne seront pas un luxe. Il se refuse toutefois à s’accorder le même : ils doivent continuer d’avancer. Il saisit la longe qui repose sur le col du poney, et accélère un peu le trot des deux montures. Elles pourront se reposer bientôt, mais il a l’espoir que ce soit de l’autre côté de la frontière. A mesure qu’ils progressent dans le paysage inquiétant, les images terribles insufflées par les banshees lui reviennent en tête, hantant ses pensées. Fut-ce pour créer une arme, comment justifier pareilles exactions ? La réponse lui apparaît après quelques foulées de Mahô.

(Oaxaca a décrété que le peuple servait le pays.)

Dans une telle contrée où le droit à l’existence de chacun est lié à ce qu’il vaut pour la nation, l’individu perd en valeur, et il est concevable de chercher à rehausser son utilité « pour le plus grand bien ». Cette réflexion prend place dans la tête de Vohl, mais soulève d’autres questions. Oranan ne prône-t-il pas finalement cet ordre des choses ? Les métiers des uns et des autres, les Conseillers, les gardes…tous ces individus obtiennent des droits que n’ont pas les autres, sous prétexte d’un rôle essentiel aux besoins de la République. Quelles sont les différences, finalement, si ce n’est qu’Oaxaca pousse un cran plus loin l’application de la hiérarchie de leur société ?

Il secoue la tête. Sa brève discussion au sujet des mœurs garzoks avec le Hïo lui revient en tête. Cela le travaille plus qu’il ne le souhaiterait. Il prend garde à ne pas s’écarter du sujet. Il est certain de mettre le doigt sur quelque chose d’important. Une réponse vient étoffer ses réflexions. Les privilèges, gagnés par les oraniens de renom, sont d’une part liés plus à la reconnaissance de leurs pairs qu’à la crainte ou la soumission. Et d’autre part, ils ne nuisent ni n’empiètent sur aucune des libertés de leurs concitoyens. Voilà une différence. Son esprit entêté lui en fait valoir une seconde, conséquence directe de la première. Chez Oaxaca, l’ampleur des droits est définie par le haut : aux tout-puissants, la liberté absolue. Cela introduit, de fait, une régression de cette liberté dans les autres échelons, plus humbles, de la société. En Ynorie, les droits sont définis sur une base qui s’applique à tous les individus. Ceux qui servent en particulier les intérêts de la nation en acquièrent de nouveaux, et ceux qui la desservent en perdent.

Pourtant cette analyse lui parait bancale : s’il regarde la société oaxienne dans son ensemble, il trouvera bien aussi un palier médian en ce qui concerne les droits ? Mais outre que cela n’ôte rien à l’argument que la liberté des uns empiète sur celle des autres, il pressent que le palier médian en question découpera les oaxiens en deux parties largement déséquilibrées. Une minorité possédant une liberté exacerbée, et une minorité possédant une liberté restreinte. D’ailleurs, un point de vocabulaire le chiffonne : ce qui appartient au domaine des droits en Ynorie, appartient au domaine de la liberté chez la déesse maudite. Voilà l’une des différences que Vohl suppose être de fond entre la République et le Royaume. L’un part de droits réfléchis pour éviter d’empiéter sur la liberté des autres ; l’autre part d’une liberté, sans prendre en compte les droits, que le protecteur juge les plus élémentaires.

Vohl hoche la tête, satisfait de ses réflexions. D’autres questions partent à l’assaut de ses pensées. Quelle différence entre le Royaume d’Oaxaca et celui, voisin, de Kendra Kar ? Ou d’autres du même style, plus lointains ? Le fait d’avoir des dirigeants plus ou moins soucieux du bien-être de ses sujets ne constitue pas une distinction de fond. Vohl repousse ces questions. Il parcourt d’un œil attentif les abords du chemin. La végétation reste rachitique, bien que les buissons soient moins épars que pendant les heures précédentes.

Le paysage se poursuit ainsi pendant longtemps. Le protecteur prend garde à ne pas s’assoupir. Hïo finit par se réveiller de lui-même : il redresse la tête d’un air endormi. Il n’a pas besoin de poser la question pour savoir qu’ils ne sont pas sortis d’Omyrhie. Il reprend les rênes de sa monture d’un air gêné. Il chuchote, afin de ne pas risquer de dévoiler leur présence dans ce terrain hostile.

« Merci, Kage. »
« A ton service. Tu te sens reposé ? »

Vohl utilise le même ton pour lui répondre.

« Pas vraiment… J’ai navigué de cauchemar en cauchemar, disons. »
« Les 'banshees' ? »
« Oui… je n’avais jamais pris au sérieux ces histoires. »
« Tu étais mieux loti que moi… J’ai cru voir des fantômes. »
« Et tu as quand même essayé de les frapper ? »
« A dire vrai… je ne voyais pas vraiment d’autre options. »
« Comment dire… Ça fait un peu...barbare ignorant. »
« Tu me pardonneras de ne pas avoir mis les formes ? »
« Je pense que ça ne devrait pas poser de problèmes. »
« D’ailleurs, j’ai repensé aux questions que tu m’as posé sur une entente possible entre les garzoks et notre peuple. »

Ils échangent ainsi pendant un moment. Le forgeron acquiesce ou reste songeur, selon les propos de son interlocuteur, lorsqu’il ne relance pas la conversation. Leurs échanges finissent par se tarir dans le paysage nocturne. Chacun réfléchit de son côté, perdu entre silence, observation, réflexion et concentration. Ils ont parcouru une vingtaine de kilomètres lorsque Vohl sort de ses pensées, le regard alerte.

Un léger bruit est venu perturber l’aphonie ambiante, sans qu’il puisse le définir. Il comprend mieux de quoi il s’agit lorsqu’il voit se planter à quelques pieds de lui une flèche biscornue, de toute évidence de mauvaise facture. Le tir provient du bord du chemin : il pousse une exclamation tandis et presse ses genoux contre les flancs de Mahô.

« Reste près de moi ! »

Il accélère pour s’éloigner du tireur, suivi de près par son protégé. Vohl a reconnu l’inimitable impotence sektegs à créer des armes inefficaces. Il jure lorsque deux petits garzoks, trapus mais moins impressionnants que leurs congénères, sortent des fourrés devant eux. Plus il s’approche, plus le protecteur pense avoir davantage affaire à des déserteurs ou de vulgaires brigands qu’à la véritable arrière-garde des légions noires.

(Déjà, laisser un sekteg s’occuper de l’artillerie…)

Quels qu’ils soient, les deux peaux-vertes ne sont pas à prendre à la légère. Vohl saisit la poignée de sa griffe. Il se prépare au choc, et surtout, à réaliser un écart lorsque la masse et le gourdin essaieront de s’abattre sur lui. Les deux garzoks sont lents, probablement rouillés par l’habitude de détrousser des voyageurs que la guerre a privé de l’espoir d’une vie paisible. Sa griffe trouve sans obstacle la jugulaire du premier, dont la masse d’arme choit à ses côtés. Le second s’empresse d’abattre maladroitement sur l’assassin une massue de bois piquée de barbelés et de pointes de métal rouillé. Une parade de Vohl dévie la trajectoire de la massue, et d’un revers, ses lames s’enfoncent dans les chairs vertes. Un borborygme plus tard, le deuxième gaillard tombe au sol.

L’assassin jette un regard derrière lui. Le forgeron l’a bien suivi, et le dépasse avant de s’arrêter. A sa suite vient un gobelin. Sans doute celui qui leur a décoché une flèche. Apercevant l ses compagnons au sol, il ralentit l’allure. Lorsque Vohl fait virer Mahô dans sa direction, il tourne les talons à toute vitesse. L’air lassé du protecteur doit y être pour quelque chose. Il hésite à s’élancer à sa poursuite, mais renonce : sa mission n’est pas de ramener les trophées garzokes. Cela ne l’empêche pas de faire un rapide tour de l’inventaire des deux morts. Ses mains cherchent, par habitude, les éventuels insignes militaires. Il délaisse les armes de dernière main, inutiles et encombrantes. Ils se remettent rapidement en route, par précaution : ils ignorent si l’archer s’est définitivement enfui, ou s’il reviendra avec des renforts.

Au bout d’à peine une heure à progresser à vive allure, Vohl se rend à l’évidence : les montures sont fatiguées et ralentissent régulièrement leur trot, Hïo pique du nez de plus en plus souvent, semblant marteler du front une enclume invisible. Il leur faut du repos : Vohl décide d’une halte. Il doit être pas loin de quatre heures lorsqu’ils démontent. Parmi les bêtes comme parmi les hommes, aucun ne se fait prier pour sombrer dans un sommeil profond. Le protecteur, seul, se résout à monter la garde. Cette nuit a été riche en péripéties, et ils ont couvert aujourd’hui bien plus de distance qu’il ne fallait. Il faudra néanmoins poursuivre sans tarder. Les créatures d’Oaxaca possèdent apparemment une excellente vision de nuit, mais leurs mouvements de troupe et leurs patrouilles sont renforcées en journées. Ils savent que leurs adversaires ne possèdent pas cette nyctalopie, et qu’ils ont donc plus de chance d’attaquer de jour que de nuit.

Vohl regarde à nouveau autour du campement improvisé. La végétation est trop maigre pour cacher efficacement des mouvements de troupes de la taille d’une escouade. Les garzoks et autres abominations n’ont pas grand-chose à craindre côté prise à revers.

Pendant qu’il se perd dans les considérations stratégiques et les caractéristiques nouvelles de l’armée oaxienne, le temps s’écoule inlassablement. La lune poursuit son immuable parcours. Toujours aucun nuage en vue, l’astre a migré de quelques degrés lorsque la sentinelle se décide à réveiller l’équipée. Le jeune forgeron se redresse comme un vieux croulant sous le poids des ans, fourbu et courbaturé. Son estomac émet un grondement menaçant.

« Il est temps de déjeuner : nous le feront en route. Mahô et Chîsa devront attendre que l’on passe la frontière : ça ne saurait tarder. »

Hïo acquiesce, une lueur décidée animant son regard. Vohl sourit avec encouragement.

« Nous allons devoir traverser la ligne de front oaxci-kendrane. Elle sera sans doute un peu moins active que celle d’oranan. Avec de la chance, nous éviterons les patrouilles. »

Il s’efforce de croire à ses propres paroles sans véritablement y parvenir. Hïo doit faire la même chose, et sans doute avec le même résultat : il regarde Vohl d’un air surpris avant de poursuivre l’échange.

« Cesse de me dorloter, Kage. Je reconnais que mon choix n’était pas avisé. J’aurais dû t’écouter et faire le détour que tu recommandais. »
« Il est inutile de retracer le passer, Hïo. Tu avais une conception de ce voyage qui se valait, même si elle était… un brin téméraire. »
« Suicidaire serait plus juste, j’ai l’impression. Sans toi, je serais mort avant même cette nuit. »

Le protecteur garde le silence.

« Tu as un talent certain pour ce qui est des combats. Je te dois des excuses. »
« Surtout en ce qui concerne l’adjectif ‘pleutre’. »
« Oui », continue-t-il avec un sourire dans la voix. « En particulier ça. »

Il s’incline avec respect devant Vohl.

« Au retour, nous prendrons par la route du sud. »
« Et tu me serviras les déjeuners. »
« Et je… quoi ? »
« En route, sire Himatori ! Nous reparlerons de votre obstination exécrable et de votre stupidité crasse plus tard ! »
« Je te prierai de retirer ça ! »
« Essayons d’abord de nous sortir du pétrin dans lequel tu nous as fourrés. Lorsque notre exploration suicidaire sera terminée, nous aurons tout loisir d’en discuter autour d’une chope thorkine.»

Ils reprennent la route sans attendre. Les chevaux ont repris du poil de la bête, et avancent à bonne allure. La nuit pâlit à peine lorsque la végétation devient de plus en plus présente – quoi que bien loin de ce qu’on pourrait appeler une forêt. Pour Vohl, cela confirme qu’ils approchent du côté kendran des contreforts. Et brutalement, le relief se fait plus accidenté qu’il y a quelques heures. De morne plaine et de forêt horrifique, ils s’engagent dans le plateau désolé. Des souches renversées, encore présentes attestent de l’activité de déboisement. Le plateau accidenté peut se décrire comme un une grande plaque de boue, brisée comme par un marteau géant qui se serait furieusement acharné sur le terrain.

Avatar du membre
Vohl Del'Yant
Messages : 100
Enregistré le : mer. 19 déc. 2018 23:32
Localisation : Oranan

Re: Routes et trajets dans les Terres Sauvages de l'Omyrhie

Message par Vohl Del'Yant » jeu. 28 févr. 2019 21:30

Le grand plateau, fracassé, offre de multiples anfractuosités. Ces terres déchiquetées sont un terrain idéal pour les embuscades, la guérilla… pour ceux qui en connaissent les recoins. La végétation se réduit à une pelouse clairsemée ; le regard de Vohl s’arrête sur une trace dans la boue. Une trace large, dont l’extrémité dénote la présence de griffes. Même l’œil le moins averti comprendrait qu’il s’agit d’un prédateur d’une taille improbable. Il n’en n’a jamais vu, seulement entendu de vagues rumeurs dans les rangs des soldats oraniens. Une sorte de loup géant, servant de monture aux garzoks les plus imposants. Sa présence ici n’est donc pas surprenante…ça n’en fait pas une bonne nouvelle pour autant.

Le soleil fait poindre ses premiers rayons sur l’horizon. Il ne leur reste que quelques dizaines de minutes pour franchir à revers la ligne de front. Vohl ralentit l’allure, pour finalement s’arrêter derrière un des petits pics qui parsèment le terrain. Il gravit rapidement la dune de terre. Il scrute l’horizon. Les montagnes s’ouvrent en un large col, devant lui. C’est ce col qu’ils visent : celui qui mène à la route des cols blancs. Et devant la promesse de ce chemin, un camp adverse trône, à la frontière des terres fracturées et du pied des géants blancs. C’est un camp temporaire, construit de façon étrange, comme un challenger face aux monts, un défi et une provocation envers leurs vis-à-vis, les forteresses kendranes.

La structure du camp cache quelque chose d’étrange. Vohl tente de distinguer la bizarrerie. La réponse vient avec les rayons suivants du soleil, qui dévoilent la structure du terrain en créant les ombres et la lumière. Le camp repose sur une partie surélevée, partagé en deux par une crevasse. Ainsi posé, le camp a une valeur de verrou sur l’accès du territoire oaxien : elle contrôle le passage en menaçant d’un redoutable tir croisé les inconscients qui tenteraient de passer par là. De son point de surplomb, elle maîtrise aussi les environs dégagés du côté omyrien. Le protecteur redescend de son point de vue, en glissant à moitié sur la boue. Arrivé à hauteur d’Hïo, il lui dépeint rapidement la situation.

« Si l’horizon est bloqué, nous allons devoir faire un détour. »
« Je n’ai pas dit ça. »
« Je sais ce que tu dis. Tu proposes ça pour me faire marcher, non ? »
« … »
« Je me suis excusé, pour le coup du ‘pleutre’. Ne compte pas sur moi pour ramper. »
« Je ne te demande rien. J’ai un devoir à accomplir, et je l’accomplirai. Je pense vraiment que c’est la meilleure solution. Tout le reste nous ferait flécher ou dévorer avant d’avoir parcouru la moitié du chemin.»
« Je n’y crois pas un seul instant ! »
« Chut ! »

Hïo baisse d’un ton, mais n’est pas décidé à se taire.

« Ça n’a aucun sens. Nous allons mourir. Tous les deux. »
« Espérons que non ! Fais-moi confiance… On peut y arriver. J’en suis certain. Mais il ne faut pas plus tarder. Tenons nous en à ce que j’ai dit. »
« Après cette nuit, j’ai envie de te faire confiance, Kage. Mais là, j’ai des doutes. »
« Je n’ai pas le temps de te rassurer aujourd’hui. Choisis ton destin, Hïo : le courage et la volonté » dit-il en montrant le chemin vers le campement, « ou l’attente et le renoncement. » poursuit-il en désignant le chemin par lequel ils sont arrivés.

Hïo soupire, puis acquiesce avec détermination. Il redresse des yeux fiers vers ceux, pénétrants, de Vohl.

« Allons-y. »

Le protecteur avance à pied, tenant son destrier par la longe, et le forgeron procède de même. Ils s’avancent autant qu’ils le peuvent vers le camp. Leur manœuvre est risquée, mais elle peut marcher. Hïo trouve un repli du terrain pour s’y camoufler. Il récupère les affaires de son protecteur. Vohl, lui, continue droit vers le col. Il va tenter de faire diversion pour permettre le passage de son protégé. Il s’éclipse dans les ombres naissantes, et disparait rapidement du regard de ses compagnons de voyage.

Le chemin qui s’ouvre devant lui est aisément praticable, patiné par des milliers de soldats au cours des ans. Les parois de terre, des deux côtés, gagnent régulièrement en hauteur, et bien que le soleil teinte le ciel d’un bleu clair, il est loin d’éclairer la large tranchée. Vohl avance rapidement, sans faire de bruit. En à peine une minute, il a vue sur le passage sous le campement. Le passage est légèrement aménagé : le camp de fortune est plus construit qu’il ne l’avait escompté.

(C’est logique, finalement. Cette ligne de front est moins mobile que celle au Nord d’Oranan. Il est normal que les infrastructures des camps aient été renforcées.)

Devant lui de trouve finalement ni plus ni moins qu’un verrou de l’entrée en Omyrhie. Juste devant lui, des brises-charges. Les épieux de bois barrent le passage vers les portes sur trois rangs décalés, solidement gardés par une dizaine de gardes. Vohl les compte rapidement : huit, en réalité. Les portes sont lourdes, et blindées par une poutre de bois épaisse. Il y a de fortes chances que ces poutres épaisses soient issues de la déforestation du terrain défoncé qu’il vient de traverser. Deux échelles de chaque côté de la crevasse leur permettent de remonter sur les parties du camp surélevés. Vohl est dans l’ombre du mur ouest. Il s’approche encore pour observer les surplombs. De temps à autre, des têtes de gobelins ou de garzoks sont visibles, preuves de patrouilles dans les parties supérieures. Bien que la partie supérieure ouest soit invisible à ses yeux, il suppose que la situation est identique des deux côtés.

Il voit autre chose sur les portes : des cordes épaisses semblent encore renforcer le dispositif d’ouverture des portes. Elles sont orientées de haut en bas, accrochées à des anneaux au-dessus des portes, et disparaissent sur le pont qui relie le surplomb ouest et le surplomb est. Les portes ne sont pas dures à franchir pour un homme seul, si l’on oublie les gardes. En revanche, Vohl souhaite faire passer plusieurs cavaliers par la porte. Ils doivent donc être capables d’ouvrir les portes, et d’éviter de se faire transformer en pelote d’épingle une fois qu’ils auront passé les portes.

Vohl passe souplement sur les rangs d’épieux. Les rangs sont écartés de deux largeurs d’épaules : ce n’est pas un problème pour un homme, mais bien plus pour un cheval. Et pour son ‘Cerfe’, cela demandera de progresser avec méthode…et donc d’autant plus de temps. Vohl approche de la zone où les gardes sont autour de deux braseros dans lesquels meurent les dernières flammes de la nuit. Vohl se résout à attendre : il doit pouvoir en neutraliser un maximum avant de se jeter dans la mêlée. L’alarme ne doit pas être donnée…pas avant qu’il ne le décide, au moins. Son occasion tarde à venir : le soleil s’est levé depuis maintenant environ une heure. A une reprise, les gardes ont été relevés. Cela fait environ dix minutes de plus qu’il attend lorsque l’un des gardes s’écarte du point de chaleur.

Vohl sourit férocement. Intérieurement. Il se cache derrière les pals épais. Il s’agit d’un gobelin. L’assassin serre dans son poing le manche de sa griffe. Le gobelin baisse sa défroque pour faire ses besoins au pied d’un épieu de la deuxième rangée, afin de préserver un minimum d’intimité. Vohl s’élance. Ses griffes trouvent le flanc du petit peau-verte. Le sang ruisselle alors qu’une seconde volée vient perforer sa poitrine. Il le retient avant que la créature ne s’effondre. L’assassin tire le cadavre derrière la deuxième rangée d’épieux, et profite d’une petite minute de tranquillité pour lui faire les poches. Il s’éclipse ensuite vers le bord est, dont l’ombre s’approfondit progressivement. Ses camarades viendront le chercher…c’est une certitude.

Trois minutes plus tard, deux des compagnons de la victime se détachent du groupe. Les deux peau-vertes s’avancent vers les épieux. Ces derniers n’ont clairement pas l’intention de soulager leurs intestins. Lorsqu’ils arrivent là où le sang s’est répandu sur la terre boueuse, ils ne repèrent pas les tâches… en revanche, le corps derrière le pal ne leur échappe pas. Vohl s’est déjà élancé en prévoyant cette découverte. Il est derrière les deux gobelins. Il expédie le premier d’un violent coup dans le dos. Les lames traversent le corps de part en part. Avant la moindre réaction, il retire son arme de la poitrine ennemie. Le second gobelin réagit promptement. Une épée prend sa place entre ses mains et il se place dans une position de garde.

Il baragouine quelque chose dans son idiome natal, que l’assassin n’a nul besoin de pouvoir traduire pour comprendre. Afin d’éviter que son adversaire ne reprenne son sang-froid, il jette un regard vers le blessé, à genoux, essayant de reprendre un souffle que Vohl lui dénie. Il tient la tête du condamné. Faiblement, ce dernier tire une dague et tente de la planter derrière lui ; surpris, Vohl s’écarte, tenant toujours son crâne garni de dreadlocks. L’assassin arme le geste d’égorgement.

Le deuxième gobelin ne lui en laisse pas l’occasion, et se jette sur lui avec un estoc sans grâce. L’assassin s’écarte de la trajectoire de son adversaire. Dans un mouvement fluide, il attrape son col pour le retenir d’un élan vers les braseros. D’un geste brusque, il le tire de nouveau vers l’arrière, et l’envoie rouler dans la boue. Le petit peau-verte fait des pieds et des mains pour reprendre ses appuis. Grimaçant et éructant, il dévoile ses dents pointues. Il tire une deuxième lame, fixée dans son dos. Il n’aura pas l’occasion de s’en servir. Vohl lui tombe dessus, une dague en avant : l’oaxien se vide de son sang dans la boue. Il jette un coup d’œil : le blessé se traine dans la fange, vers ses camarades. Une main sur sa poitrine, cherchant son souffle, luttant pour rester conscient, ses jambes courtaudes glissent sur le terrain. Vohl n’a aucun mal à le rattraper. Il l’achève sans tarder.

L’assassin tire de nouveau le cadavre derrière la seconde rangée d’épieux. En bandoulière, ce dernier porte une corne d’alerte. Il l’écrase dans la boue. Puis il reprend sa place, en prenant soin de passer par l’extérieur des rangées de pics. Il fait le plus vite possible, courbé, plié en deux afin de ne surtout pas dépasser des pieux. Lorsqu’il reprend sa place, il est grand temps : le dernier de l’escouade sekteg interpelle le cercle fermé des garzoks. Ces derniers semblent ne pas bien accepter les remontrances de leur petit cousin. A grand renforts de gestes, il houspille les autres soldats de venir lui prêter main forte. Finalement, trois garzoks se redressent et encadrent le setkeg, comme un enfant accompagné par ses parents.

Vohl se plaque contre la paroi et se fige. L’escorte passe la première rangée de pieux. Vohl s’approche du premier brasero. L’attention du dernier garde restant est concentrée sur ses comparses qui fouillent les environs des cadavres. Vohl arrive dans l’ombre des portes et du pont, sur le côté du garzok. Il lance ses lames vers le corps de la sentinelle. La chair n’offre que peu de résistance à son coup, concentré d’une force explosive mise au service de l’éradication des ennemis de son peuple.

Pas un son ne sort de la gorge de la solide peau-verte foudroyée : le gaillard, pourtant solide, s’effondre dans le seul bruit de son corps qui chute. Celui-ci aussi possède une conque ornée de motifs étranges : l’assassin passe rapidement la conque à son épaule. Il regarde au-dessus de lui. Les poutres qui servent d’appui au pont son à sa portée. Il s’éjecte en utilisant les bottes le plus haut qu’il peut. Habitué à trouver de fines prises sur les maisons ynoriennes, les larges poutrelles de bois mal dégrossis ne posent aucun problème. A quatre mètres de hauteur, il se projette une nouvelle fois vers lesdites poutrelles. Il note un accès aux cordes à ce niveau. Elles sont néanmoins épaisses, et les sectionner demandera du temps. Il a la confirmation, de son point de vue : les cordes, lorsqu’elles sont tendues, empêchent l’ouverture des battants. Détendues, elles permettent aux battants de s’ouvrir vers l’extérieur. Juché sur sa poutre, il observe le reste de la patrouille continuer à ratisser la zone de pics effilés. Un seul d’entre eux semble avoir entendu quelque chose l’intrigant : le corps tombant dans la boue ? Le rebond de Vohl sur les battants de bois ?

L’assassin penche pour la première hypothèse : son impact n’a eu que peu de force contre les lourds battants. C’est un second garzok qui s’approche. Dès qu’il voit son frère de peau gisant au sol, il s’arme, se mettant en position de garde. Vohl vérifie qu’il est bien plongé dans les ombres avant de se livrer à la méthode qu’il a plusieurs fois testée depuis le début de ce périple. L’homme est en garde, et signale à ses compagnons la mort de leur allié. C’est du moins ce que comprend Vohl au travers du vent qui souffle ses paroles vers l’intérieur des terres d’Omyrhie. Il se laisse tomber avant qu’il ne puisse réitérer son appel. Comme les fois précédentes, Vohl oriente sa griffe vers l’espacement entre l’épaulière et le cou, une zone facilement accessible depuis son perchoir. Cette fois, il prend bien garde à laisser ses jambes souples pour le réceptionner, et non raides, raison pour laquelle il n’avait dû son salut qu’au fait d’atterrir sur sa victime les fois précédentes. Durant sa chute, ni cri de guerre, ni clapotis de boue : comme une chouette descendant vers sa proie, le silence accompagne le piqué.

L’arme ripe sur la clavicule de l’homme vert, et dévie donc légèrement de sa trajectoire. Elle n’en perfore pas moins verticalement le torse de la victime, ravageant en particulier le poumon droit. Entrainé par la vitesse excessive de sa chute, Vohl touche terre dans une gerbe de boue glissante, dans laquelle il s’étale. Sous le poids de l'impact, ses jambes qu'il a gardé souples ne résistent pas : ses genoux heurtent rudement le sol caillouteux caché sous la couche de boue. La douleur aigüe lui fait serrer les dents pendant qu'il roule dans la boue, maudissant son idée de vouloir rester statique après son plongeon. De toute évidence, il doit accompagner cette frappe d'une roulade pour atténuer le choc ! Un peu trop tard pour cette fois... Mais il ne répétera pas cette erreur, qui aurait pu lui causer des blessures bien plus graves que des ecchymoses.

Il n’est cependant pas le seul à suivre ce chemin bourbeux pendant ses réflexions puisque le soldat lui tombe immédiatement dessus, tiré vers le bas par les lames toujours fichées en lui. L’assassin se redresse en grimaçant et retire rapidement sa lame de l’infortuné. Il l’entend respirer de façon rauque, signe qu’il s’accroche à la vie. Pour très peu de temps encore. L’ancien soldat oranien n’éprouve aucun remord à passer le blessé au fil de sa lame. Sonné par le choc et le manque brutal d’oxygène, le garzok n’oppose aucune véritable résistance. Aussitôt l’assassinat mené à bien, l’ynorien recule de nouveau dans l’ombre.

Les ombres se sont un peu épaissies, et dans l’absolu, Vohl pourrait tenter de réitérer la manœuvre précédente. Toutefois, la zone de combat ici est restreinte : contre trois adversaires, il est à craindre que l’alerte soit donnée. Il aurait tout intérêt à porter l’affrontement plus loin, dans les épieux. Pour l’instant, aucun tintement d’acier, son de corne ni aucun cri n’ont attiré l’attention des patrouilles du camp ‘principal’. Ni même du groupe de patrouille : les membres recherchent activement la menace qui a terrassé les gobelins. L’un fait route vers lui, la lame à la main, inspectant un côté et de l’autre, méthodiquement. Un danger. Mais ce n’est pas le point qui préoccupe Vohl. Il veut s’assurer que d’éventuels curieux du campement supérieur ne pourront pas prendre part à l’affrontement. Il ne peut pas espérer échapper à la vigilance de celui qui se dirige : il va devoir repousser son sabotage des échelles.

Il recule autant que faire se peut. L’assassin est pied au mur. Ou plutôt, aux battants. Il ne se donne pas la peine d’échapper par la voie des airs : un mouvement vif, même dans l’obscurité, n’a aucune chance d’échapper à son adversaire. Alors dès que ce dernier semble regarder avec attention de l’autre côté, il bondit, griffes en avant. Le sang goute encore de ses lames lorsqu’elle vole vers le dos de son adversaire. Mû par un instinct surnaturel, ce dernier capte une fraction de seconde trop tôt sa présence. Ses réflexes lui sauvent la vie : les lames de fer sont partiellement bloquées par les lourdes plates métalliques qu’il porte : au lieu de traverser la poitrine de part en part, les tiges crochètent un large pan de peau au niveau, dégagé, de l’aisselle et de l’omoplate. Instantanément, le blessé riposte avec une exclamation de colère et de douleur. Une épée bâtarde décrit un large cercle au niveau du buste. L’éclat d’acier frôle la tête du jeune homme lorsqu’il se baisse précipitamment pour passer à un corps à corps plus rapproché, handicapant pour l’arme longue du garzok, en portant un coup d’estoc vers la gorge du garde vert. Un coup prévisible, dont le soldat se détache d’un rapide mouvement de pivot. Les griffes ne rencontrent que le vide, et emporté par son élan, Vohl ne peut pas esquiver le point sévère qui vient percuter ses poumons. Une punition adéquate à un mouvement dangereux. La force du coup fait reculer l’assassin de deux pas pendant lesquels il tache de remplir da poitrine de l’air frais de la matinée.

Le garzok pousse son avantage : il se rue sur son adversaire en emplissant lui aussi ses poumons pour un cri de rage. Cela ne peut pas arriver. Vohl se projette contre son adversaire. Presque : dans une empoignade, il a peu de chance de l’emporter contre la carrure impressionnante de l’ennemi. A la place, il saute en un plongeon vers le torse blindé du garzok. Le coup de taille de celui-ci passe au-dessous du corps de l’assassin. Le peau-verte fait à son tour les frais de son poids qui l’emporte contre les tiges métalliques. Ces dernières ripent un peu contre les plates, avant de trouver la fente. Elles s’enfoncent directement dans le cœur de l’oaxien, qui s’arrête aussitôt.

Vohl dégage son arme avant que le colosse ne s’écroule ; et il n’attend pas que le garzok tombe au sol pour s’élancer vers les deux derniers membres de cette escouade. Le premier ne le voit pas passer la première rangée d’épieux. Tourné vers l’extérieur, cherchant toujours le meurtrier de ses camarades, il a dans une main une épée dentelée. Sa main secondaire tient une rondache de bois renforcé avec un contour d’acier : il est presque plus lourdement harnaché que son compère.

Vohl court ; les éclaboussures qui ponctuent son chemin alertent l’oreille de la sentinelle en armure lourde. L’homme se retourne pour voir l’ynorien se jeter sur lui. Plus vif que son prédécesseur, son bouclier vient former une barrière infranchissable pour son arme. La secousse de la parade résonne jusque dans l’épaule de l’assassin pris en défaut.

« Alerte ! Alerte ! Akarch, il est ici ! »

Il ponctue son cri d’une lourde frappe de son arme. Le coup, brutal, est fait pour écraser la résistance de ses ennemis. Broyer l’armure et exploser le bouclier. Faire ployer toute opposition. Vohl s’éjecte hors de la portée du garzok. Son esquive n’est que partielle, toutefois : l’acier mord dans son pantalon et trace une ligne brulante sur sa cuisse. Du coin de l’œil, il aperçoit le gobelin qui statufié un instant avant de reprendre ses moyens et de s’élancer vers le combat. La sentinelle semble aussi apercevoir son allié, et s’empresse de lui indiquer la marche à suivre selon lui.

« Sonne la corne ! Préviens le capitaine ! C’est un ynorien ! »

Il arme une nouvelle frappe : l’objectif est de déchiqueter les jambes de Vohl avec un vaste mouvement de balayage. En réponse, l’assassin se rue au contact pour percer la lourde armure. Le balayage ne tranche que le vent, mais une frappe de bouclier heurte rudement la main qui porte la griffe. Les tiges de métal sont déviées une nouvelle fois. Elles n’effleurent même pas l’armure. Mais il est dans la zone de confort du peau-verte. L’adversaire réagit immédiatement à ce changement de distance. Il lâche l’arme pour enserrer l’intrus dans une embrassade restrictive. La seconde nécessaire pour abandonner son épée sera la seconde de trop ; Vohl profite instantanément de son avantage. Délaissant ses lames trop éloignées de sa trajectoire, c’est sa main gauche, tenant la dague rouge, qui s’envole vers le menton barbu de l’oaxien. La gorge n’oppose aucune résistance, et la lame s’enfonce directement vers l’occiput, traversant la trachée et tranchant les cordes vocales.

Aucun espoir de survie : la volonté déserte le corps sans délais. L’étreinte n’a pas eu le temps d’emprisonner Vohl. Il déserte aussitôt le lieu du combat ; il se remettra de ses émotions plus tard, car il doit chercher le gobelin. Il le voit sans mal : après avoir inspecté le cadavre du deuxième garzok bardé d’acier sans trouver la corne qui pend au cou de l’assassin, il se dirige vers les échelles en donnant de sa voix aigrelette.

« Alerte ! Alerte ! Un intrus ! Alerte ! »

Le protecteur cherche son souffle en courant vers l’échelle visée par le gobelin. Le petit être l’atteint avant lui. Une nouvelle fois, Vohl se repose sur les capacités de ses bottes. Sa course, alliée à la propulsion des bottes, lui permettent d’intercepter le peau-verte à trois mètres de hauteur, sur l’échelle. Arraché des barreaux par les griffes meurtrières, le gobelin ne meurt que lorsque l’impact au sol enfonce encore les armes dans son ventre. Le sang noir de ses intestins se mêle à la boue. Vohl, emporté par son élan, roule encore dans les cadavres. Il s’immobilise sur la dépouille du premier garzok blindé, face contre la mâchoire prognathe. Pris d’un haut-le-cœur, il vomit. Il se redresse dès qu’il le peut, respirant profondément, tentant de calmer le pouls qui a franchi la limite du raisonnable. Personne ne vient. Les appels de la voix nasillarde ont été emportés par le vent.

Il prend quelques instants pour calmer encore sa respiration. D’après lui, une dizaine de minute s’est écoulée depuis que le premier oaxien s’est effondré sur le sol humide. Puis il se met au travail. Méthodiquement, il part une nouvelle fois à l’assaut des portes. Son objectif : couper la corde gauche. L’escalade ne lui pose pas de problèmes : la surface, rugueuse et irrégulière, lui offre suffisamment de prises. Sa dague lui procure également un soutien précieux ; lorsque les prises manquent, il n’hésite pas à planter son arme dans le bois tendre de la porte pour créer un appui artificiel. Une fois atteint l’accès à la corde, il s’attaque à l’épais cordage. La sectionner prend dix minutes, auquel s’ajoute le temps de redescendre.

Vohl se place dos à la porte, les jambes fléchies pour que ses épaules soient prêtes à supporter le poids de la partie la plus courte du madrier. Il soulève un coin de la poutre transversale des portes. L’effort, d’environ quatre-vingt kilos, lui prend environ cinq minutes. Plus qu’une petite dizaine de minutes avant que les sentinelles ne soient relevées – sans jeu de mot. Dès qu’il a soulevé suffisamment ce coin de la poutre – une vingtaine de centimètres, il la laisse glisser le long des griffes, la faisant sortir de son étrier, libérant l’un des vantaux. Il n’aura pas le temps de provoquer de distraction supplémentaire. A moins que…Non, impossible. Mettre le feu à certaines tentes risquerait de le faire croiser de nouvelles patrouilles. Et rien ne dit que l’occasion profiterait aux kendrans, ni qu’elle leur éviterait les jets de flèches. Il doit prendre son mal en patience. Il a mené le plus gros de sa tâche à bien. Il profite tout de même des quelques minutes pour prélever ce qu’il y a de valeur sur les cadavres qu’il n’a pas inspecté, collectant toujours les médailles de divisions oaxiennes des soldats. Lorsque Hïo se montre, il est en train de renverser les braseros remplis de braises incandescentes sur le deuxième battant de porte. Le forgeron fait progresser les montures le plus vite possible entre les épieux défensifs.

Contrairement à ce que pensait Vohl, les bois de Mahô, orientés de l’avant vers l’arrière plus que sur les côtés de son crâne, ne sont pas véritablement handicapants. En outre, ce dispositif n’est fait en réalité que pour stopper l’avancée d’une cavalerie dans un sens, afin qu’elle puisse être anéantie par le feu croisé et par une contre-charge de cavalerie oaxienne. Ensemble, ils poussent le battant gauche de la porte. Juste assez pour qu’ils puissent passer. Le forgeron, désireux de se rendre utile, fournit une grande partie du travail : son travail à la forge l’a doté d’une musculature qui palie volontiers au manque de vigueur de l’assassin épuisé.

Vohl aurait volontiers pris un cadavre blindé pour éviter une flèche dans le dos, mais aucun des deux destriers ne serait à même d’en supporter le poids. Face à cette évidence, le protecteur renonce. Il leur faudra compter sur leur mobilité. Il saisit tout de même le bouclier qui lui a donné tant de mal et fait signe à Hïo de s’en équiper rapidement. Une fois ceci fait, ils franchissent les portes. Dans le soleil du matin, ils lancent leurs montures dans un galop forcené. Quelques instants plus tard, le son des cornes s’élèvent de toutes parts. Presque simultanément, la découverte des cadavres, l’incendie de la porte, et la détection des fuyards donnent lieu à un véritable d’alertes. Ils ne se donnent pas la peine de louvoyer. Vohl chevauche juste derrière Hïo, dont le bouclier couvre le dos. Ils sont alors à trente mètres des remparts.

Bientôt, les flèches pleuvent autour d’eux. La plupart des traits sont tirés à la hâte, mais certains sont tirés avec une précision à faire pâlir un hïnion –est-ce seulement possible ? C’est d’ailleurs sans doute presque le cas : ce sont certainement certains de leurs cousins, les tristement célèbres Shaakts oaxiens, qui sont à l’origine de ces tirs. Vohl ne perçoit que celle qui l’atteint à l’épaule. La douleur est intense mais supportable : l’assassin n’aura pas à subir le douloureux trainement d’extraction : la munition n’est pas entrée suffisamment dans les chairs pour y rester planter.

« Kage ! »

L’appel a retenti devant lui : le protecteur tourne la tête un bref instant. Une flèche est plantée dans la patte arrière du poney de son forgeron. Alors qu’il le regarde, un second trait touche l’encolure de la monture. Le rythme ralentit excessivement. Ils ne sont encore qu’à moins de 50 mètres de la garnison !

« Montez ! Vite ! »

Le jeune forgeron passe rapidement d’une monture à l’autre. Il était temps. De son trot maladroit, Chîsa ralentit à un pas cahoteux. Une flèche vient encore se ficher sur la selle, s’enfonçant assez pour faire tressaillir le poney. Il s’effondre, les yeux roulants dans leurs orbites d’un air affolé. Vohl lance Mahô dans un nouveau galop, nettement moins rapide que le précédent : la charge supplémentaire lui demande un effort considérable. Ils avancent malgré tout. Vohl tient le bouclier sur l’arrière de la selle ; il protège ainsi les pattes de sa monture, et son corps fait rempart si un trait devait atteindre le forgeron.

« Penchez-vous ! »

Ils creusent la distance avec le camp : soixante, soixante-dix. Bientôt, presque cents mètres les séparent des palissades de bois. Une flèche vient trouver son chemin contre le flanc de Mahô. Elle brame de douleur, marquant une saccade dans son pas. Ils continuent d’avancer : les flèches perdent en précision et en puissance. Cela n’empêche pas Vohl de profiter encore d’un trait hasardeux, qui lui écorche légèrement le cuir chevelu. Le sang se met aussitôt à couler de son estafilade bénigne, mais il échappe par chance à un tir en pleine tête.

« Kage ! »

Le jeune ynorien pointe du doigt une autre forteresse temporaire. L’effroi glace un instant le cœur de Vohl avant qu’il ne se raisonne. Il s’agit de la ligne kendrane. Un coup d’œil derrière lui ravive ses craintes. Deux loups géants se sont lancés à leur poursuite, chevauchés par ce qu’il suppose être des garzoks. Ces derniers gagnent rapidement du terrain sur le destrier ralenti par sa lourde charge. Il estime la distance qui les sépare des kendrans. Cent mètres, au bas mot. Cent cinquante entre eux et les loups. Le protecteur encourage Mahô avec autant de ferveur qu’il le peut. A part ça, il ne voit que la prière. La terre défile à toute vitesse à côté d’eux. Le gazon épars se transforme en une pelouse plus régulière. Des buissons rachitiques l’on passe à une végétation plus garnie. De petits arbres, se font un devoir de résister aux saisons. Ces changements sont notables, mais pas assez rapide ; les loups gagnent en terrain sur un sol où leurs coussinets sont plus adaptés que les sabots glissants de Mahô.

Cinquante mètres. Les grands loups ralentissent soudain. Ils sont entrés dans la zone de tir des kendrans, qui semblent avoir compris la situation. Après avoir imploré leur entrée dans le camp et promis des informations sur le camp oaxien, les deux voyageurs entrent dans la place militaire, solidement escortés. Puis, c’est le trou noir. Vohl se sent chuter, vidé de son énergie, son manque de sommeil se faisant cruellement sentir, et ses diverses blessures l’épuisant, bien qu’elles soient toutes bénignes. Dans son coma, les hurlements des banshees reviennent le hanter, leur pensée seule provoquant des poussées de fièvres au protecteur acharné. L’image d’une fleur de lotus rougie de sang vient parfois apaiser sa souffrance, au milieu d'autres images apaisantes.

Verrouillé

Retourner vers « Terres Sauvages de l'Omyrhie »