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Ce voyage me rappelle celui que j'ai fait avec Kurgoth il y a quelques années, c'est la même route et, une fois encore, je dois il y a quelqu'un à surveiller. L'elfe esclavagiste que j'accompagne, Deldrach, mène le cortège tandis que je ferme la marche. Il y a un peu de tout dans ses marchandises, mais principalement des prisonniers de guerre, pas mal d'humain, kendrans ou ynoriens, mais aussi des thorkins. J'y trouve aussi un garzok et quelques segteks, probablement ici suite à des guerres de clans. L'humain que j'ai mis à terre pour me faire accepter par son maître, un grand brun dont je ne fais même pas l'effort de retenir le nom, me lance un regard mauvais dès le début du voyage, quel idiot. Au premier arrêt nocturne, après que Deldrach ait attaché les chaînes au tronc de l'arbre à côté duquel nous campons, je suggère quelques changements de place au sein de la chaîne. Je place ainsi la jeune blonde, seule autre personne que le brun regardait à part moi, à l'arrière de la file. Tous deux, que je soupçonne de former un couple, ont protesté à grands cris, mais le shaakt, cruel comme toute personne mettant les pieds à Omyre, n'a été que plus encouragé par cette réaction à suivre mon conseil.
Cette nuit, comme toutes les autres, Deldrach a monté la garde. Je me méfie de lui, n'ayant aucune envie de finir à mon tour esclave, mais le zèle, dont je fais preuve pour faire avancer les traînards, semble suffisamment lui plaire pour que je n'aie pas de mauvaise surprise au matin. Au premier matin de leur séparation, le grand brun refuse d'avancer tant que sa compagne ne lui est pas rendue. J'ai beau être, tout comme lui un kendran, j'ai appris la vie à Omyre et reste donc insensible à ses accusations de "traîtrise". Il croit que, parce que nous somme de la même race, nous devrions nous entraider. Sottises, je n'ai toujours pu compter que sur moi-même, et parfois quelques alliés temporaires, mais aucun d'entre eux n'a été humain jusqu'ici. Je n'ai donc aucun scrupule à le rouer de coups pour le mettre au pas. Deldrach m'arrête cependant, prétextant que si je le tue, il perdrait toute sa valeur. Finalement, le garzok, qui semble étrangement bien accepter sa condition, le prend sur ses épaules et nous pouvons repartir.
Son regard braqué sur moi, je le provoque me montrant mielleux avec son amante, qui, bien que plus âgée que moi de quelques années, suscite en moi un désir toujours plus intense à mesure que je constate ses formes harmonieuses. Alors qu'une autre journée de marche se termine à un autre feu de camp, au pied d'un autre arbre isolé dans ces plaines, je fais part au shaakt de mon intérêt pour l'humaine à la chevelure d'or, bien qu'elle n'ai même pas daigné me donner son nom ni m'adresser le moindre mot. Celui-ci me défend catégoriquement d'y toucher, il la pense encore vierge et espère donc se faire une petite fortune en la vendant à un bordel de la ville pirate. Je ne parviens cependant pas à détacher mes yeux d'elle, mû par mes hormones, sous le regard débordant de jalousie du brun. Ce soir-là, frustré, je veille tard et me vois contraint de me soulager seul de mon désir avant de réussir à fermer l’œil.
À partir du lendemain, la belle inconnue marche en tête, juste derrière le shaakt et c'est le grand brun qui marche devant moi, en queue de peloton. Le voyage devient d'un coup plus long et morose, heureusement, les jours passent et Darhàm se rapproche. Deux semaines se passent ainsi, les longues journées défilent au rythme des pas, ponctués de plaintes que je m'efforce de faire taire. Après tout, je ne suis pas responsable de leurs malheurs, qu'ils se libèrent s'ils le peuvent, telle est la loi omyrhienne. Les soirs sont assez silencieux aussi, la fatigue de la marche ne m'encourage pas à beaucoup discuter avec Deldrach qui commence à méditer dès le camp établi afin de prendre au plus vite son tour de garde. J'ai néanmoins appris qu'il est un paria de Caïx Imoros, ville shaakte à l'autre bout du continent, qui s'est mis à voyager dans l'empire oaxien pour faire du commerce d'esclaves, ne pouvant demeurer parmi les siens sans risques pour sa survie.
Les paysages défilent. Après avoir quitté Omyre, nous pénétrons rapidement dans les monts sanglants, ces montagnes désertées par la vie que j'avais traversé avec le garzok priant Thimoros pour atteindre le royaume humain. Mais nous empruntons un chemin différent, plutôt que nous enfoncer dans ce massif rocailleux et hostile, nous suivons la route elfique en ruine pour redescendre dans les plaines. Cette "route" est principalement un large sentier de terre battue par les pas des voyageurs clairsemé de grands pavés de pierre émergents encore plus ou moins du sol. Si les esclaves semblent inquiets par les crêtes découpées sur le ciel et les rochers saillants qui nous entourent, j'ai appris, par le voyage effectué avec Kurgoth, que ces montagnes étaient surtout traversées par des armées que l'on n'intéresse pas ou des pillards qui préfèrent agir au-delà de la frontière.
Dans les plaines damnées, Deldrach a jugé trop risqué de faire des feux de camp et préfère sortir de la route lorsque la lumière décline pour s'arrêter dans des endroits isolés ou personne ne nous trouverais. À chaque fois, ni moi, ni les esclaves ne sommes rassurés, nous vivons uniquement des provisions faites par le shaakt et, dans ces plaines que nous savons tous hostiles, personne ne veut tomber à court de nourriture tout en ayant perdu son chemin. Heureusement, le shaakt, qui semble expérimenté de la chose et posséder une bonne connaissance des abords de la route qu'il emprunte, retombe à chaque fois sur elle, ce qui n'est pas un luxe, car il est bien plus simple d'avancer sur un sentier de terre que dans les hautes herbes où l'on risque toujours de marcher par inadvertance sur un serpent ou une créature tapie dans la brousse. Plus d'une fois, nous apercevons au loin des silhouettes qui semblent nous remarquer également. J'ai cru, au début, que les esclaves ralentiraient pour essayer de s'échapper en cas d'attaque, mais non, tout le monde accélère. Au fond, je les comprends, être esclave de sauvages aux ressources limitées, qui pourraient nous considérer comme des réserves en cas de disette, est moins engageant que d'être esclave dans une ville bondée, où l'on pourra trouver nombre de cachettes dans l'illégalité si l'on parvient à fuir, et où il n'y a guère de différence de traitement entre un esclave et un employé sous-payé. Enfin, les murs de Darhàm se distinguent à l'horizon. Après dix-sept jours de voyage, cette interminable marche - et ma fuite d'Omyre - prend fin.
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