Dans le chapitre précédent...
Interarc : Apprendre des meilleurs.
Chapitre X : Protection contre vengeance.
Akihito raffermit sa prise sur son marteau. Maintenant qu’il se retrouvait dans une telle situation, il devait bien admettre que c’était bien la première fois qu’il se retrouvait en infériorité numérique lors d’un combat. Ou du moins, seul contre plusieurs adversaires. D’ailleurs, pouvait-il considérer le monstre mort vivant comme un adversaire à part entière ?
(Vu sa carrure, mieux vaut ne pas le sous-estimer.)
Grand bien lui en fit, car l’épée levée bien haut du dénommé Velve s’abattit sur lui à une vitesse terrifiante. L’impact de la lame contre son manche posé en obstacle se répercuta douloureusement dans ses bras, preuve de la force de son adversaire. Akihito n’eut que le temps de mettre un genou à terre pour se remettre du coup qu’il vit le bouclier foncer vers lui, comme une énorme plaque d’acier cloutée. Le choc lui coupa le souffle et l’envoya rouler sur le côté. Une telle situation l’aurait laissée à la merci de ses adversaires il y a quelques temps, mais à force de voyager et de se battre pour sa survie, il avait appris à se passer de son souffle suffisamment longtemps pour se mettre hors d’un danger immédiat. Se relevant d’un bond, il envoya une munition de foudre par réflexe, qui alla s’écraser sans le moindre effet sur le bouclier s’interposant entre l’enchanteur et la psychomancienne ciblée. Le souffle lui revint peu à peu mais reparti bien vite quand il dut esquiver d’abord un éclair de la magicienne, puis un coup d’estoc du chevalier mort.
Marcus, le père d’Akihito, lui avait un jour dit que s’il se retrouvait faces à plusieurs adversaires, le pire choix étaient de les laisser imposer leur tempo. Plus il s’installait, et plus ses chances de contre-attaquer ou de se sortir de cette spirale infernale diminueraient. Briser leur rythme était donc une priorité avant que ce soit impossible, aussi décida-t-il d’envoyer un puissant Choc de Valyus au gardien de la magicienne. Peut-être parce que cet étrange déséquilibre le reprit, les arcs de foudre manquèrent leur cible et allèrent se perdre dans le lointain de la forêt, frappant le tronc d’un arbre dont l’écho du craquement de l’écorce lui parvint faiblement. Et alors qu’il reprenait tant bien que mal son appui pour encaisser le prochain assaut du guerrier morbide…
« Qu’est-ce que… ? »
Un rire. Un rire malsain, étrange, résonna dans sa tête. Devant ses yeux ébahis, il vit la sorcière se diviser en deux, puis de nouveau, encore et encore. Il fut bientôt cerné de toute part par une foule de Shaaktes ricanantes, le pointant du doigt alors que c’était au tour du chevalier mort de se multiplier. Akihito pensa au même tour de passe-passe, et n’en eue cure.
(Tss… Ce genre de truc ne marche pas avec moi. Amy, dis moi lesquels sont les vrais !)
Le silence.
Sa Faëra ne lui répondit pas. Pire, il ne la ressentait pas, il ne sentait plus ce lien particulier qui avait émergé lors de son pacte avec l’être d’air. C’était la première fois que cela lui arrivait et ce vide soudain lui flanqua une peur terrible. Une peur qui ne s’arrangea pas alors que la foule de clones se refermait sur lui, se rapprochant inexorablement. Il tenta de faire appel à ses fluides, mais eux aussi disparurent. Il tenta de fuir, mais ses pieds refusèrent de bouger. Ce qui le retenait n’était autre qu’une foule de goules aux yeux de jades sortant à moitié du sol, l’ancrant à sa position. L’éclat vert des goules bien que ternes lui rappelait étrangement celui de ceux d’Anthelia…
« Non… Pas possible… C’est… »
Un cauchemar. À mesure que l’horreur l’envahissait, il reconnaissait les traits de la tatoueuse derrière la peau moisie et en lambeaux des goules le restreignant. Un cri inarticulé monta dans sa gorge alors qu’il balançait de gauche à droite son marteau, cherchant à chasser la terrible vision qui l’assaillait. Il voulait croire à une illusion, une tromperie de son adversaire, mais tout semblait si réel… La manière dont les mains décharnées tiraient sur ses habits, le ricanement de la sorcière, la douleur dans sa gorge en hurlant à s’en déchirer les cordes vocales…
Puis une douleur. Une douleur lacérant son ventre, cuisante. Sa vue se troubla et en face de lui, ne restait plus qu’une sorcière au sourire narquois et un guerrier mort vivant, dont l’épée était enfoncée dans le ventre d’Akihito. Le goût du sang désormais bien trop commun monta dans la bouche de l’Ynorien et il en vomit une partie sur le sol alors que la lame se retirait violemment de la plaie. Akihito ne comprenait pas ce qu’il se passait. La voix d’Amy, emplis d’inquiétude, lui vint alors.
(Akihito ! Bon sang, pourquoi es-tu resté sans rien faire ?!)
Akihito ne prit pas la peine de répondre : sa blessure coulait abondamment, et il devait y remédier sans plus tarder. Pressant sa main contre sa blessure pour endiguer l’écoulement du sang, il emprunta le pouvoir des bottes de foudre pour se mettre hors de portée de celui qui avait presque réussi à l’étriper. Il déboucha de nouveau sa gourde et bu une des potions les plus efficaces qu’il lui restait. La douleur reflua, le saignement s’arrêta. Mais la plaie était loin d’être guérie et il avait toujours cette sensation d’avoir des tisons ardents dans l’estomac.
« Alors ? Content de ma petite hallucination, rat de Valyus ? »
Le regard moqueur et le sourire méprisant de la psychomancienne fit monter une profonde colère chez le jeune homme. Il comprenait mieux pourquoi l’arbalétrière avaient eu l’air aussi terrorisée quand elle avait évoqué la psychomancienne. L’hallucination qu’il avait subie était terrifiante, en subir régulièrement avait sûrement été un calvaire qui l’avait poussée à choisir le suicide plutôt que le risque de retomber entre ses mains. Akihito avait été négligeant, en la laissant aussi facilement mettre en place son sort psychique. La colère l’envahissait était alors aussi bien dirigée contre lui-même et sa faiblesse que contre la psychomancienne et ses méthodes abjectes.
« Toi… Il en faut beaucoup pour me mettre en colère, mais tu as touché le gros lot.
- Oooh… Pour peu, j’aurais l’impression de voir un fidèle de Nizzre’. La vengeance te sied si bien… susurra avec cynisme la Shaakte.
- Je ne me bats que pour protéger les autres, pas par vengeance.
- On se bat tous par vengeance… Et tu ne fais pas exception. »
La joute verbale finie, la sorcière ordonna à son pantin mort vivant d’attaquer Akihito, qui avait profité de l’occasion pour préparer la suite du combat. Ses sorts habituels se propageaient en ligne droite, et le chevalier mettait un point d’honneur à toujours se mettre entre sa maîtresse et lui. Mais récemment, Akihito avait appris quelque chose qui ne demandait rien de tout ça : c’est pourquoi, malgré le bouclier levé du mort-vivant, l’éclair qui quitta le nuage d’orage frappa bel et bien la sorcière. L’Appel de Valyus avait été lancé pendant qu’il la distrayait avec ses paroles, profitant du ciel nocturne qui s’installait. Un cri de douleur s’échappa de la Shaakte, mais pas de son compagnon morbide qui ne broncha pas et continua de s’avancer vers lui. Akihito jura : contre un adversaire qui ne craignait ni ne ressentait la douleur, il allait falloir mettre le paquet. La magie de foudre était alors bien moins efficace…
Un combat au corps-à-corps était inéluctable, mais il allait avoir du mal à esquiver ou bouger avec sa terrible blessure qui cicatrisait à peine. Et c’était sans compter la mage qui n’allait pas le laisser en paix. Il fallait la neutraliser, et vite. En face de lui, le cadavre caparaçonné n’était plus qu’à deux mètres et comme la plupart des adversaires qu’avait affronté Akihito, portait sa lame dans la main droite. C’était donc ce flan qui était le moins protégé par le bouclier, et donc par le coup de marteau qui balaya l’air. Un coup colossal, comme Akihito ne pouvait se permettre de lancer qu’une fois ou deux par combat. Peu précis, mais face à un adversaire aussi lourd et lent, il n’eut pas de mal à le toucher. La rotation de ses hanches le fit grimacer et il jura sentir du sang s’échapper de nouveau de sa blessure. Cela en valut la peine, néanmoins : le bouclier n’amortit que peu le choc qui enfonça la plaque d’armure de torse, quelque chose qui aurait été fatal si la personne à l’intérieur de l’armure avait encore des organes en état de marche. Non, le réel intérêt de l’attaque fut qu’elle ait été assez puissante pour déséquilibrer l’adversaire silencieux. Renversé, il laissa l’espace de quelques instants la voie libre à Akihito.
Ce qui valait aussi pour la Sorcière : les deux fulguromanciens se lancèrent chacun un sort avant qu’une montagne de chair et d’acier ne se dresse de nouveau entre eux. Akihito encaissa trois éclairs, un Choc de Valyus aussi puissant que ce qu’il pouvait envoyer et goûta pour une fois à un sort de son cru. Chaque impact de foudre vrilla ses nerfs, électrifiant sa cotte de maille à son plus grand déplaisir. Pour peu, il se serait sentir cuire dans sa propre armure et se félicita pauvrement de ne pas porter plus d’équipements métalliques. En revanche, il eut la satisfaction de voir son propre sort faire effet également : la Shaakte se figea sur place, paralysée par le sort d’Électrocution qu’il lui avait envoyé. Pour un bref moment, il allait de nouveau se retrouver en un contre un.
(À nous deux mon gros…)
La magie ne servirait à rien, et il avait besoin d’en finir vite avec lui. Plantant son marteau debout, le porteur de la Kizoku Rana dégaina sa lame au moment où le chevalier mort brandissait de nouveau son épée.
Le combat fut aussi rapide que violent.
Utilisant la Furie de Rana, Akihito compensa son manque de mobilité à cause de sa blessure par la rapidité de ses coups. Le premier fit glisser le coup de taille visant à fendre son crâne sur la droite, ripant contre sa cotte d’écailles et ouvrant sa garde. Il poursuivit ensuite sa course pour essayer de trouver la faille dans l’armure au niveau de l’épaule, mais en vain. Le second coup, rapide comme le vent, chercha la jointure du coude de la main armée : il ne parvint pas à sectionner le bras comme il l’espérait, mais la lame mordit bien quelque chose avant de ressortir souillée de.. Sang ? Il n’avait pas vraiment envie de le savoir. Le bras portant le bouclier s’ouvrit comme on ouvre une porte, avec la ferme intention de frapper Akihito. Pour avoir déjà subi ce coup plus tôt, il le vit arriver et se laissa volontairement frappé en levant le pied droit. Le choc engourdit l’épaule de l’enchanteur au point qu’il la pense très sérieusement disloquée mais fit surtout tourner l’épéiste sur son autre pied d’appui. Profitant de la force de ce mouvement rotatif, la Kizoku fila vers le cou du chevalier mort vivant à une vitesse effrayante.
Malheureusement, un tel coup ne pouvait être assez précis, surtout pour un épéiste comme Akihito qui s’était d’avantage focalisé sur la maîtrise de la magie. La lame ripa donc sur le heaume, faisant jaillir une pluie d’étincelles. Le dernier coup de la Furie de Rana trouva en revanche sa cible : reposant son pied droit à terre fermement, la lame repartie dans le sens inverse et frappa de nouveau le coude qui cette fois, fut tranché. Bras et lame tombèrent au sol, ce qui ne sembla pas déranger plus que ça leur ex-propriétaire qui se jeta tout simplement sur Akihito. Un tacle improvisé qui manqua d’écraser l’enchanteur qui n’y échappa ironiquement que grâce à la blessure reçue de l’arbalétrière, des jours auparavant. Si elle avait été correctement soignée, le combat avait réveillé la douleur et fait ployer l’Ynorien. Au lieu de se retrouver écrasé par son adversaire, il fut simplement renversé et le monstre roula au sol avec lui. Mais là où, engoncé dans son armure lourde, le chevalier mort vivant peina à se relever, ce ne fut pas le cas d’Akihito. Se plaçant tant bien que mal au-dessus du monstre il enfonça la lame de la Kizoku dans la visière du heaume, traversant chair putréfiée et os. Un coup fatal pour un humain… Mais qui n’empêcha pas le mort-vivant de se débattre une ultime fois, ruant de coups le jeune homme à l’aide de son moignon et de son poing ganté d’acier. Une pluie de coups maladroits qui touchèrent même la plaie au ventre, se remettant à saigner d’un liquide écarlate qui éclaboussa l’armure du chevalier qui, finalement, se dissipa en un nuage d’ombre.
La victoire n’eut pas le temps d’être savourée, Akihito savait bien qu’il avait encore un redoutable adversaire. Arrachant la Kizoku à la terre meuble dans laquelle elle s’était plantée suite à l’évaporation du chevalier, il se retourna vers la magicienne dans le but de l’achever avant qu’elle ne reprenne le contrôle de son corps. Il fut surpris de la voir debout, le regard mauvais, une main enveloppée d’obscurité.
« Toi aussi, tu m’as mise en colère. Par Nizzre’, je vais te faire la peau trèèèèèès lentement. Et on va commencer par éteindre la lumière. »
D’un geste de la main, Le nuage sombre vola vers le visage d’Akihito. Il n’eut pas de mal à savoir à quoi allait servir le nuage : d’une façon ou d’une autre, il allait obstruer sa vision. Alors avant qu’il ne voit rien, l’enchanteur réagit au seul sort pouvant l’aider dans cette situation. De sa main partie une sphère de foudre, hautement chargée magnétiquement. Il ne vit pas son projectile toucher sa cible puisque le monde s’assombrit à ce moment-là, plongeant sa vue dans une nuit d’encre. Mais il eu la certitude que son sort avait bien fonctionné quand il sentit le Marqueur se déplacer autour de lui.
« Pfeu. Une pauvre attaque de foudre faiblarde comme celle-là ne me fera rien. »
(Visiblement, elle ne s’est pas rendu compte de la marque... Je vais devoir en profiter, mais j’aurais qu’une seule chance.)
Du peu qu’il avait vu, elle n’était pas une guerrière. Il n’avait vu aucune arme sur elle et elle avait la fâcheuse tendance à mettre des sbires entre elle et ses adversaires. Elle devait donc essentiellement compter sur ses fluides selon lui et vu le nombre de sorts qu’elle avait lancée, elle ne devait plus en avoir beaucoup. Tout comme lui. Pour faire bonne mesure, il tourna la tête à gauche et à droite, tenta de disperser la fumée autour de lui, tout en gardant bien en tête la position de son adversaire.
S’il pouvait savoir où était son adversaire, il ne pouvait en revanche pas compter sur sa vue pour savoir ce qu’il faisait. C’est pour ça qu’il fut pris au dépourvu quand un éclair frappa sa main et le fit lâcher son sabre. Manifestement, il s’était trompé sur les réserves de fluides de la Shaakte, qui comptait réellement s’amuser avec lui… Sans arme, il ne pouvait que lancer ses propres sorts. Il devait provoquer le corps-à-corps. Akihito devait agir vite. Son corps n’allait pas tenir bien longtemps, et il estimait qu’il pourrait charger une uniquement fois, sans quoi sa blessure au ventre se rouvrirait bien trop. Et encore… C’était un pari. Il n’était sûr de rien. Et comme disait son père...
« Impose ton tempo. »
L’enchanteur se pencha légèrement en avant, positionnant les mains sur son fourreau comme s’il comptait dégainer. Se rappelant des cours de Iajutsu, l’art de la dégaine du sabre qu’affectionnait tant son père, Akihito estima qu’en terme de rapidité, c’était ce qu’il avait de mieux dans son arsenal pour surprendre une novice du corps-à-corps.
(Comment est-ce qu’il appelait ça déjà… ? Ah oui. Hekireki Issen. La frappe foudroyante.)
La balise magique. Les bottes de foudre. La création d’arme magique. Le Iaijutsu. Ce furent les éléments qu’il combina pour prendre par surprise la Shaakte, malgré sa cécité. Une combinaison plus bricolée que réellement réfléchie, mais c’était tout ce à quoi il avait pensé à ce moment-là. Son corps hurla de douleur alors qu’il se ruait à une vitesse sidérante sur la Shaakte. La rejoindre ne prit qu’une seconde ; de son fourreau vide, une lame de foudre pure sortie et frappa l’endroit où devait être la Shaakte. Il ne sentit rien, pas de choc de la lame rencontrant quelque chose, mais entendit le cri de surprise puis de douleur de sa cible. À travers le brouillard noir se dissipant, Akihito sourit.
Devant lui, une Shaakte au visage tordu par la douleur le dévisageait, un couteau à la main. Dans un cri de rage, elle fit sortir du sol trois squelettes autour d’elles, des squelettes à la stature bien plus imposante que le menu fretin qu’elle leur avait envoyé plus tôt. Ils mettaient la « main » sur lui, et il était foutu. Il n’avait donc d’autre choix que de tenter un tout pour le tout. Plaquant sa main sur droite sur la poitrine de la Shaakte, il propulsa directement le sort de Conductivité dans son corps. Et peut-être grâce à l’urgence de la situation, le fait qu’il n’avait après ce sort plus de fluide et qu’il allait probablement s’évanouir de douleur et de fatigue d’une seconde à l’autre, il réalisa cette fois-ci parfaitement le sort. Il sentit l’éclair libéré sa fureur dans le corps de la Shaakte avant de sauter à un des squelettes, puis à l’autre puis au dernier avant de s’évanouir dans un flash et un bang sonore. Les oreilles bourdonnantes du jeune homme ne perçurent que vaguement le son du corps de la Shaakte s’effondrer par terre, suivit de deux des squelettes et enfin, de son propre corps. Les yeux embrumés, il ne put que constater que l’un des squelettes avait survécu, vraisemblablement le dernier. Il s’approchait de lui, visiblement encore animé par la volonté de son invocatrice même par-delà sa mort. Il sentit ses mains osseuses se refermer autour de son cou, le privant peu à peu des miettes d’oxygène qu’il avait encore. Enfin, il vit, crevant le ciel nocturne, un point rougeoyant poindre juste au-dessus de lui. Il ferma les yeux, laissant son esprit prendre le repos qu’il méritait.
(Quand même… Mon manteau me protège, mais elle exagère…)