Le Bois aux Lutins

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Yuimen
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Le Bois aux Lutins

Message par Yuimen » ven. 31 août 2018 19:11

Le Bois aux lutins

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Le Bois aux lutins est une vaste forêt recouvrant les collines au centre du comté de Bouhen. Il tient son nom du village de lutins connu sous le nom de Bouh-chêne qui demeure caché au fond de cette forêt. Mais les richesses cachées de cette forêt ne se limitent pas à un simple village d'êtres de petite taille au pied d'un arbre loin de là. En effet, dans ces bois pouvant au premier abord ressembler à toute autre forêt avec ses kragens, ses brok'nuds et ses hérissons enragés, se cachent de nombreux lieux mystérieux susceptibles d'attirer des aventuriers. On entend donc parler dans ces bois d'une vieille tour en ruine couverte de runes servant selon les racontars, d'abri à des brigands locaux ou à des segteks, de terrain de jeu à des lutins farceurs ou encore de temple dédié aux dieux sombres. Mais il existe également des lieux mieux cachés dont l'existence n'est, pour la plupart pas prouvée, telle la "cache secrète" du grand-père Ekitus, un vieux magicien ayant perdu la raison selon ceux qui l'ont croisé, ou la mystérieuse "grotte de l'oubli" dont on dit qu'elle sert de repaire à un groupe de garzok... À moins que ce ne soit fait pour dissimuler une vérité plus terrifiante encore.

Lieux particuliers au sein du Bois aux lutins:

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Fenouil
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Fenouil » dim. 3 févr. 2019 17:44

La réponse de Fenouil fit rire la femme au visage dissimulé, mais elle le fit si discrètement que le gobelin ne s’en rendit même pas compte. Malheureusement, ce moment amusant ne dura guère longtemps.

Un bruit sourd, très fort et inconnu de Fenouil, retentit dans la nuit. De la caverne où il se trouvait, il ne pouvait distinguer le ciel et il croyait que l’écho sur les parois de pierre amplifiait le bruit. Il sous-estima donc l’importance de ce qu’il entendit.

Ce qui ne fut pas le cas de la dame qui se crispa soudainement tout en lâchant quelques jurons, tachant quelque peu l’image de dame digne, fière et calme que le gobelin avait perçue jusqu’à ce moment.

Oubliant presque le gobelin, elle se mit à arpenter la salle d’une part et d’autres tout en jurant de plus belle.

Fenouil qui avait adopté la manie de son ami Frank, se gratta la tête d’incompréhension, avant de se permettre de commenter :

« Est-ce si difficile de me ramener auprès d’Altéa ? Pourquoi me l’avoir offert sinon ? »

Mais après quelques minutes et quelques jurons de plus, elle s’immobilisa pour enfin expliquer à Fenouil ce qui la tracassait tant. La planète sur laquelle il séjournait depuis quelques jours, mais dont il venait tout juste d’apprendre le nom, était sur le point de disparaître.
Ses yeux globuleux bien ronds et sa bouche ouverte, il allait lui demander ce qui se passait, mais il n’en eut pas le temps puisque dans un claquement de doigts, elle fit apparaître un œuf gigantesque tout juste à côté de lui.

« Mais qu’est-ce que… »

N’ayant vraisemblablement pas le temps de répondre à toutes les questions de la créature verte, elle lui coupa une fois de plus la parole et lui résuma la situation. Ils allaient tous mourir, et elle aussi. Elle lui demanda donc de prendre l’œuf et de le mettre en lieu sûr en échange de quoi, elle sauverait tous les gens qu’il avait rencontrés à Izurith.

Fenouil regarda d’abord l’œuf, puis la dame, puis l’œuf encore, puis une fois de plus la dame, puis ses mains, puis la dame. Campant bien ses pieds au sol, il déposa ses mains à plat sur l’œuf et tenta de le pousser. Il mit beaucoup d’effort, mais il n’obtint aucun résultat.

Il se retourna vers la jolie dame pour lui demander comment il pourrait quitter ce monde et protéger un œuf alors qu’il était incapable de le déplacer. Mais il n’eut pas le temps de lui poser la question qu’elle avait déjà claqué des doigts.

Cette fois, rien n’apparut à ses côtés. Au contraire, le noir total s’installa…le temps d'un claquement de doigts.
Lorsqu’il se réveilla, Fenouil se retrouva sur Yuimen dans un endroit qui lui était très familier et où il se sentait en toute sécurité : la cabane du fond des bois de Ti-Jean l’ermite.

Ti-Jean fut le premier humain qui prit soin de Fenouil et ce fut vers lui qu’inconsciemment Fenouil se réfugia une fois de plus. Ce fut donc assis couché sur un tapis de mousse que Fenouil se réveilla à quelques mètres de la cabane en bois rond de Ti-Jean. Il s’étira d’abord puis regarda aux alentours. À moins d’un mètre de la cabane, l’œuf dont il avait la protection était là et tout d’un morceau.

Fenouil se leva d’un trait et fier de bien accomplir sa mission, il se dirigea vers la porte de la petite bicoque de bois et frappa trois coups tout en appelant :
« Ti-Jean ! »
Ce vieux sage saurait l’aider dans sa mission, ça, il en était plus que certain. Malheureusement, le vieil homme était absent pour le moment. Connaissant le vieil ermite, Fenouil n’osa même pas tenter d’ouvrir la porte, il savait pertinemment que Ti-Jean n’aurait pas apprécié. Si Ti-Jean n’avait pas répondu à son appel, c’était qu’il était occupé ou qu’il s’était absenté.

Il décida donc de se mettre à l’action en attendant le retour de son vieil ami protecteur.

Il se cracha dans les mains et tout en fixant l’œuf, il se mit à courir dans sa direction. Une fois à proximité, il sauta et tendit ses mains pour s’agripper. Mais l’œuf était lisse et il glissa. Il tenta le même manège une deuxième, troisième et quatrième fois. Après cette dernière, demeurant assis, sur la douce mousse verte et humide, il réalisa qu’il devrait peut-être changer de stratégie.

Tout en fixant l’œuf, il se mit à réfléchir.

Au bout d’un petit moment, il se releva et se dirigea vers la cabane qui n’était, après tout, pas très loin de l’œuf. Contrairement à l’œuf, celle-ci présentait de nombreuses prises. Ce fut donc en usant de souplesse que Fenouil y grimpa facilement et se retrouva le temps de le dire sur son toit de bois.
Le sourire aux lèvres, il se prit un petit élan et sauta agilement sur le dessus de l’œuf qui vacilla que très légèrement avant de s’immobiliser.
Fenouil s’assit donc sur l’œuf, puis se ravisa. Après s’être gratté la tête, il enleva sa cape, l’étendit sur l’œuf et s’y coucha, étendant ses bras et ses jambes afin d’en couvrir le plus possible.

La cabane était située dans une très petite clairière, le soleil pouvait s’y infiltrer et les réchauffer. Ce qui réconforta Fenouil qui pensait que cela pouvait être une bonne chose pour l’œuf. Il ne lui restait qu’à attendre le retour de Ti-Jean qui saurait lui, combien de temps il lui faudrait couver cet œuf avant qu’il n’éclose.
Modifié en dernier par Fenouil le dim. 15 déc. 2019 17:29, modifié 2 fois.

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Hatsu Ôkami
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Hatsu Ôkami » ven. 15 mars 2019 19:17

La Tour



Le chariot avala rapidement les kilomètres et la ville de Bouhen disparut lorsque le soleil fit son apparition, annonçant le début d’une nouvelle journée. Le forgeron avait pris plein sud, suivant la route qui traversait le mystérieux Bois aux Lutins pour rejoindre la ville de Port-Sûr et ils n’auraient qu’à bifurquer vers l’Est en se basant sur les informations qu’ils avaient. La localisation de la tour n’était pas vraiment précise et ils allaient devoir la chercher, mais le périmètre était relativement restreint et trouver une tour de pierre dans une mer végétale ne devait pas être très difficile. Du moins c’est ce qu’Hatsu pensa avant d’entrer dans la forêt. Le sentier, large et dégagé, permettait de profiter du soleil matinal qui perçait à travers la cime des arbres et le bruissement des feuilles, la légère caresse du vent, les chants des oiseaux et le bruit régulier des sabots sur le chemin tirèrent un sourire à la jeune archère. Elle appréciait la forêt, bien plus qu’elle n’appréciait la ville. Elle avait pourtant toujours vécu à Oranan, n’en sortant qu’en de rares occasions, mais elle était tombée amoureuse des bois dès l’instant où elle y avait mis les pieds et elle s’y sentait dans son élément.

Elle ne profita hélas guère du paysage forestier, des animaux qui gambadaient ça et là, des couleurs des arbres et des fleurs ou des bruits. Non, tout ça, elle n’en profitait pas, elle devait rester sur ses gardes, surveillant sans cesse les alentours avec une vigilance redoublée. Rien ne garantissait que le mage n’était pas déjà sur leur piste et même si personne ne savait où ils allaient, il pouvait très bien les avoir devancé en devinant leurs intentions. Cela fit d’ailleurs réfléchir la jeune archère. Comment les avait-il trouvés ? Ils n’avaient parlé de leur trajet à personne… à moins que…

- Onoda… avez-vous dit à quelqu’un que nous partions pour Bouhen ?

- Hmm ? Uniquement aux soldats que nous avons croisés et qui nous ont escortés pourquoi ?

- Je me demandais comment ce mage avait pu nous trouver… J’imagine qu’il a dû les croiser.

Onoda n’ajouta rien, ils s’étaient compris et la colère d’Hatsu envers cet individu se mit à croitre au fur et à mesure que le chariot évoluait sur le chemin. Rien ne prouvait qu’il les avait tués, il aurait très bien pu leur soutirer des informations de différentes manières, surtout à leur insu. Mais une petite voix dans sa tête lui disait que ce mage n’était pas du genre à s’embarrasser de subterfuges ou d’espionnage et qu’il avait probablement massacré les soldats après avoir appris ce qu’il voulait. Onoda vit clairement la fureur dans les yeux de la jeune archère.

- Je ne sais pas à quoi vous pensez exactement, mais je vous conseille vivement de ne pas le faire.

- Je n’ai pas besoin de votre avis Onoda.

- En effet, mais je préfère quand même vous dire que cela mettrait en péril tout ce voyage, alors refrénez vos pulsions meurtrières et concentrez-vous sur la route.

Hatsu n’ajouta rien, consciente qu’il avait parfaitement raison, mais cela ne l’empêcha pas de fulminer. Sa relation avec Onoda était devenue plus cordiale suite à leur petit échange quelques jours plus tôt, mais il gardait toujours cet air hautain et, s’il n’y avait plus de mépris dans son regard, son ton condescendant n’avait pas disparu pour autant et la jeune femme avait toujours du mal à ne pas prendre la mouche à la moindre remarque. Chacun mettait de l’eau dans son saké, mais ils n’étaient pas amis pour autant, Rana l’en préserve, ils se contentaient d’échanges le plus souvent polis, et cela lui allait très bien. Ils s’étaient mutuellement sauvé la vie, chacun à deux reprises et elle commençait à lui faire confiance sur certains points. Le courage n’était pas un de ceux-là, mais elle en avait largement pour eux deux et tant qu’il restait en vie sans faire de choses idiotes comme fuir à découvert, elle estimait qu’il n’y aurait pas de problèmes entre eux pour la suite des événements.

Lorsque le soleil fut à son zénith, le duo s’arrêta et comme ça à mettre en place leur plan pour brouiller les pistes d’éventuels poursuivants. Ils ne pouvaient décemment pas emmener le chariot avec eux en plein milieu de la forêt, cela les ralentirait beaucoup trop et Hatsu restait convaincu qu’il ne passerait de toute façon pas entre les arbres. Ils détachèrent donc le cheval qu’ils équipèrent de plusieurs sacs permettant de contenir le précieux métal que le forgeron allait extraire et chacun d’eux pris un sac pour la nourriture et l’eau. Hatsu s’allégea au maximum, convaincue qu’elle pourrait chasser si le besoin s’en faisait sentir, ce que Loup accueillit avec un enthousiasme qui fit sourire la jeune femme. Ils cachèrent au mieux le chariot en l’enfonçant légèrement dans la forêt en direction de l’Ouest, à l’opposé de leur destination, puis s’enfoncèrent dans la forêt, Hatsu ouvrant la marche pour le forgeron peu habitué à crapahuter dans les bois tandis qu’il tenait la bride du cheval, l’exposant ainsi moins au danger.

Hatsu évoluait avec aisance dans le sous-bois épais et touffu, sautant sur les troncs d’arbres penchés, esquivant sans mal les racines que le forgeron mettait un point d’honneur à heurter presque systématiquement, crachant à chaque fois une flopée de jurons qui dessinaient un sourire amusé sur le visage de sa protectrice. Elle se gardait cependant de la moindre remarque, voulant éviter d’énerver un Onoda visiblement peu à l’aise et passablement irrité par ce qu’il devait faire. Ils progressèrent ainsi de longues heures sous une fraîcheur bienvenue et une lumière diffuse qui donnait un air presque féérique à cette forêt qu’Hatsu prenait plaisir à découvrir. Elle avait entendu parler du Bois aux Lutins lorsqu’elle était petite et qu’elle écoutait avec son frère les histoires que leur père racontait sur ses nombreux voyages ou sur les légendes de Yuimen. Elle avait toujours voulu croiser la route d’un des petits êtres farceur que son père décrivait avec amusement et si elle n’avait pas cette mission à accomplir, peut-être ce serait-elle laissée tenter par la recherche du village caché au cœur du bois.

Mais pour l’heure, alors que l’obscurité descendait peu à peu, elle décida qu’il était temps de s’arrêter. Visiblement le forgeron était d’accord car il s’assit immédiatement sur une racine après avoir rapidement attaché le cheval à un arbre proche. Ils mangèrent en silence, utilisant les rations faute de mieux, Hatsu préférant en pas faire de feu dans une forêt et ne voulant pas s’éloigner du forgeron tant que la menace du mage ne serait pas écartée. Elle passa le début de soirée à essayer son nouvel arc, tirant inlassablement sur les arbres alentours et appréciant le présent du forgeron. Celui-ci s’endormit rapidement après la tombée de la nuit et Hatsu lutta un moment, mais finit par faire de même. Elle savait que c’était dangereux, mais elle n’allait jamais pouvoir tenir si elle ne dormait pas. Elle espérait simplement que la nuit se déroulerait sans encombre.
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Hatsu Ôkami
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Hatsu Ôkami » ven. 15 mars 2019 19:26

Hatsu s’éveilla lorsque la lumière perçant la cime des arbres pénétra jusqu’à ses paupières. Elle ouvrit des yeux embués et se redressa en baillant sans retenue, loin de la prestance qui devrait la conformer à un peu plus de droiture. Elle regarda autour d’elle et bondit sur ses pieds en voyant qu’Onoda manquait à l’appel. Elle le chercha du regard, mais ne trouva que son cheval, toujours attaché à l’arbre. Elle se fustigea de s’être reposée si longtemps et commença à le cherchant, l’appelant en criant, oubliant toute prudence ne pensant qu’il avait été enlevé. La vois du forgeron lui parvint et elle s’approcha.

- Par les vents de Rana, Ôkami, pas un pas de plus, je vous assure que vous n’avez pas envie de voir ce que je fais.

Hatsu haussa les sourcils en fixant les fourrés où était visiblement Onoda avant que celui-ci ne finisse par apparaître, l’ai profondément ennuyé par la situation.

- Mais vous faisiez quoi ? J’ai cru qu’on vous avait enlevé !

- Je peux aller me soulager seul où faut-il que vous m’escortiez pour ça aussi ?

Hatsu resta hébété quelques secondes et tourna la tête pour masquer sa gêne avant de repartir vers leur campement improvisé sous l’œil moqueur et amusé du forgeron qui ne manqua pas de la taquiner, faisant virer son visage à l’écarlate.

- Vous en verrez d’autres vous savez.

- Je n’ai rien vu du tout et je ne compte pas voir quoi que ce soit !

- Que dirait votre fiancé … ?

- Rien du tout, je l’aurai assommé avant qu’il n’enlève quoi que ce soit !

La remarque, dite sur un ton boudeur, étonna le forgeron qui partit dans un fou rire incontrôlable, bientôt suivi par sa protectrice. Les deux mirent un moment à se calmer en évacuant par là-même la pression accumulée depuis leur départ.

- Le pire, c’est que je vous en crois capable… je le plains…

Elle leva les yeux au ciel, mais le léger sourire qui se dessina sur son visage montrait que cela l’amusait plus qu’autre chose.

- Rien de tout cela n’arrivera, je ne compte pas me marier après tout.

- Vous finirez par changer d’avis.

- Rana m’en préserve… Vous dites ça comme si vous aviez déjà été marié.

Une ombre passa sur le visage du forgeron, si fugace qu’Hatsu crut l’avoir imaginée. Le visage du forgeron retrouva si vite son air habituel qu’elle ne chercha pas à comprendre plus que cela ce qu’il venait de laisser filtrer.

- Je l’ai été, mais c’est fini.

- Que s’est-il passé ? Vous avez ouvert la bouche et elle s’est enfuit, ne pouvant vous supporter ?

- Elle est morte, avec ma fille…

Silence pesant. Hatsu écarquilla les yeux face aux paroles empreintes de tristesse du forgeron. Elle se mordit la lèvre inférieure et baissa la tête, honteuse d’avoir parlé ainsi à Onoda, honteuse de lui avoir remémoré des souvenirs visiblement douloureux pour lui.

- Je suis désolée… je ne savais pas.

- Vos excuses m’importent peu, contentez-vous de faire votre travail.

Le ton sec et cassant du forgeron acheva Hatsu qui se sentit très mal. Elle l’observa tandis qu’il se levait pour ranger ses affaires et se préparer au départ. Elle fit de même et ils reprirent le chemin dans la même configuration que la veille, dans un silence pesant à peine dérangé par les bruits autour d’eux. Ils marchèrent de nombreuses heures, s’arrêtant pour boire ou grignoter avant de repartir dans un silence de mort qu’Hatsu trouvait de plus en plus oppressant. Elle continuait de repenser aux paroles du forgeron. Il avait eu une femme et une fille et les deux étaient mortes. Elle imagina de nombreuses raisons, mais plus elle y pensait et plus elle s’interrogeait et jetait de fréquents coups d’œil à Onoda. L’homme s’en aperçut, mais garda un silence buté jusqu’à l’heure du repas du soir.

- Vous avez quelque chose à demander Ôkami.

Hatsu, qui gardait la tête baissée sur son écuelle, se figea et releva lentement ses prunelles vers le visage sans émotions du forgeron. Ce n'était pas une question, il avait bien compris qu'elle voulait lui demander quelque chose depuis leur conversation du matin. Elle hésita puis finit par se lancer, cela accaparait trop ses pensées.

- Je… je suis vraiment désolée pour votre femme et votre fille … comment… ?

Elle n’osait pas dire les mots qui pourtant lui brûlaient la langue, mais Onoda s’en chargea.

- Comment sont-elles mortes ? En quoi cela vous intéresse ?

Elle tressaillit face au ton agressif du forgeron, mais elle ne se débina pas.

- Et bien… je ne sais rien de vous, j’essaie de comprendre.

Le regard du forgeron se fit intrigué et des plis barrèrent son front. Un silence suivit les paroles de la jeune archère. Chaque seconde semblait durer des heures avant qu’enfin la voix d’Onoda ne brise le silence.

- Un raid garzok il y a deux ans. Elles rentraient d’un voyage dans le sud. Elles étaient escortées par deux guerrières et n’étaient pas très loin d’Oranan. La seule survivante les a ramenées… Ma fille est morte dans mes bras... Elle aurait eu neuf ans le mois dernier…

Hatsu garda le silence face au forgeron dont la voix s’était brisée en disant les derniers mots. Une perle salée silencieuse roula sur la joue d'Onoda et Hatsu hésita à relancer la conversation, mais se retint. Elle n’avait aucune légitimité pour lui en parler davantage. Elle s’étonna de la façon dont il avait si facilement dévoilé cette partie de son passé alors qu’il semblait en souffrir. Elle ne savait pas quoi lui dire, elle n’avait pas perdu qui que ce soit de manière violente. Ses grands-parents étaient pour la plupart en vie et seul sa grand-mère maternelle était morte, paisiblement dans son sommeil comme la plupart le souhaiterait.

Elle n’essaya pas d’insister davantage et le forgeron n’ajouta rien non plus. Ils se préparèrent donc à passer une nouvelle nuit dans la forêt. Hatsu mit un moment à trouver le sommeil, hantée par la vision de cette larme solitaire que le forgeron avait laissé échapper. Elle l’imaginait être un libertin invétéré, quelqu’un qui méprisait les femmes et qui ne faisait que s’amuser avec elles. Et voilà qu’il avait été marié et visiblement heureux avant que la mort ne le prive de tout cela. Elle observa le visage endormi de celui qu’elle devait protéger et ne cessa de penser à celui qu’il aurait pu être si tout cela ne lui était pas arrivé, s'endormant sans apercevoir les yeux grands ouverts du forgeron, perdu dans le ciel étoilé qu'il peinait à distinguer à travers les arbres.
Hatsu Ôkami, Chasseuse Ynorienne
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Hatsu Ôkami
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Hatsu Ôkami » mar. 9 avr. 2019 16:15

Un immense soulagement s’empara d’Hatsu lorsqu’elle emprunta l’étroit escalier qui leur permettrait, à elle et à Onoda, de rejoindre enfin le dehors, de sortir de ces souterrains où elle commençait à se sentir de plus en plus confinée. Ayant perdu en partie la notion du temps, elle fut ravie de voir qu’une faible lueur éclairait l’intérieur de la tour, le soleil levant dardant de fin rais de lumière à travers les arbres. Il y avait toujours cette sensation étrange et ce léger malaise, mais elle savait qu’il suffirait de quelques minutes de marche pour retrouver un air frais et vivifiant, loin de celui étouffant et puant des souterrains. Emergeant du sous-sol, elle aperçut deux chevaux. Celui du forgeron n’avait pas bougé, se nourrissant de ce qu’Onoda avait laissé au sol pour lui. L’autre en revanche, une bête haute et vraisemblablement taillée pour la course, semblait plus agressif et renâcla lorsque les deux compagnons émergèrent.

Le forgeron détacha aussitôt son équidé, lui flattant l’encolure avant de sortir, pressé qu’il était de quitter l’endroit. La jeune ynorienne, de son côté, s’approcha prudemment du cheval qui semblait plus que réticent. Elle se doutait à qui il appartenait, mais elle n’était pas stupide au point de croire qu’un cheval puisse être foncièrement mauvais, aussi décida-t-elle de tenter de le calmer pour peut-être s’en servir de monture, ou au moins le libérer pour ne pas le laisser mourir de faim puisque son maître, mort de sa main, ne risquait pas de revenir. Elle tendit son bras valide, approchant doucement sa main du cheval qui recula autant qu’il le put, bloqué par le mur de la tour et la longe attachée. Lentement, très lentement, elle posa sa main sur sa tête, murmurant des mots calmes comme elle avait pu voir certains le faire pour calmer leurs bêtes. Elle fixa les yeux sombres de l’animal, attendant qu’il se calme, ce qu’il fit à force de caresses. Lorsqu’elle fut certaine qu’il n’allait pas se débattre, elle détacha la longe et le tira lentement vers le dehors, rejoignant de fait le forgeron qui était sorti du cercle de pierre. A peine l’eut-elle rejoint qu’un sentiment de soulagement l’envahit tandis que les poids qu’elle avait sur les épaules et dans la poitrine s’évanouirent. Elle se sentait plus légère, moins angoissée.

- Vous aussi ?

Le forgeron hocha la tête avec un air entendu et tous deux regardèrent en direction de l’ancienne Tour, chacun se remémorant les quelques jours passés à l’intérieur avant de reprendre la route. La forêt se dévoila peu à peu à mesure qu’ils s’éloignaient. Le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux, les odeurs et les bruits inhérents aux bois commencèrent enfin à leur parvenir et Hatsu se surprit à sourire et à humer l’air avec bonheur. L’air frais et le monde extérieur lui avait manqué. Elle remarqua l’air amusé du forgeron et s’attendait presque à ce qu’il lui fasse une petite remarque moqueuse, mais elle se trompait. Il garda le silence, semblant lui aussi prendre plaisir à ressentir la légère brise qui dansait entre les arbres. Il semblait bien plus apaisé malgré le fait qu’il soit toujours aussi peu adroit pour se déplacer en forêt, racines et pierres dissimulées par le sous-bois étant ses pires ennemis, cherchant sans cesse, selon lui, à le faire trébucher sous le regard moqueur de sa comparse. Cette dernière retrouvait ses sensations, ses repères et, malgré les douleurs qui parsemaient toujours son corps -notamment son bras en écharpe -, elle se sentait revivre en sentant enfin le vent contre son visage.

Passé la joie de l’air frais et de la caresse du soleil qui transperçait çà et là la cime des arbres après autant de temps passé sous terre, les deux compagnons de voyage marchèrent le reste de la journée, guidant chacun la monture dont ils avaient la garde, s’arrêtant dans une petite clairière pour profiter d’un repas et d’un repos bien mérité alors que le sommeil avait depuis peu dépassé le zénith. Peu à l’aise avec son bras blessé, la jeune archère batailla un moment avec son écuelle sous le regard moqueur du forgeron qui se garda bien de l’aider. Connaissant le tempérament de la jeune femme, lui proposer son aide pour qu’elle mange ne servirait qu’à la rendre furieuse, têtue et fière comme elle était. Il lui tendit néanmoins gentiment la gourde avec le peu d’eau qu’il restait et elle l’accepta avec reconnaissance. Elle sourit en se remémorant les premiers échanges houleux entre eux et se dit que l’eau avait coulé sous les ponts. Ils n’étaient pas amis, loin de là, mais une certaine confiance avait finalement réussi à s’installer entre eux, à force de se côtoyer et de survivre ensemble. Il restait un insupportable prétentieux couard, imbu de sa personne et moqueur pour elle, mais Hatsu sentait qu’il cachait beaucoup de choses, notamment lorsqu’elle était blessée et qu’il s’inquiétait sincèrement de son état malgré le manque de compassion dans ses gestes et paroles.

- Devons-nous passer par Bouhen cette fois-ci, selon vous ?

La voix dudit forgeron la tira de ses pensées.

- Nos provisions s’amenuisent et nous n’avons plus d’eau. Il serait plus sage de s’arrêter quelque part.

- Et bien arrêtons-nous. Je serai bien allée chasser et aurais voulu trouver une source d’eau claire, mais avec mon bras…

- Je me doute. Ne vous en faites pas, il guérira très vite, vous pourrez bientôt tirer de nouveau comme une sauvage.

Elle soupira en roulant des yeux face au sourire du forgeron, mais était intérieurement contente qu’il cherche à la faire réagir pour qu’elle ne s’apitoie pas sur son sort. Elle devait attendre que son bras guérisse, elle n’y pouvait rien, elle devait seulement être patiente. Ce n’était malheureusement pas son point fort.

- La sauvage vous a gardé en vie je vous signale.

- Et j’en suis très heureux, croyez-moi !

Elle hocha simplement la tête avant de finir son repas tandis que le forgeron s’occupait de détacher les chevaux qui attendaient non loin, mangeant eux aussi. Le cheval noir, celui du fulguromancien, tenta manifestement de mordre le forgeron lorsque celui-ci s’approcha trop près de lui. Onoda recula d’un bond en criant de surprise, dardant un regard furieux vers la bête qui hennissait en tentant de s’éloigner du forgeron.

- Sale bête !

- Calmez-vous Onoda, vous l’effrayez ! Je m’en occupe.

Le forgeron soupira de mécontentement, jetant un dernier regard furieux vers l’animal qui sembla lui rendre la pareille. Hatsu s’approcha à son tour, plus lentement, main tendue, doigts vers le ciel, la paume offerte. Pas une fois le cheval ne broncha avant qu’elle ne l’atteigne et ne pose sa main sur sa tête. Elle entendit le grognement de frustration du forgeron et roula des yeux. Voilà que le pauvre homme était jaloux à cause d’un cheval, elle aurait tout vu décidément. Elle détacha la monture de l’arbre et ils reprirent leur avancée, Onoda s’occupant de son propre équidé. Ils traversèrent ainsi la forêt en sens inverse, revenant sur leurs pas en se fiant à leurs mémoires et à la direction du soleil. La nuit passa calmement et le lendemain également, excepté le forgeron qui faillit une nouvelle fois sentir la morsure du cheval couleur ébène sur sa main.

- Cette maudite bestiole est dangereuse Ôkami !

L’intéressée soupira. Cela faisait des heures que le forgeron se plaignait du fameux cheval mordeur et elle commençait doucement à atteindre la limite de sa patience à ce sujet.

- Avec vous oui, alors arrêtez de l’approcher par tous les vents de Rana ! Vous pouvez bien le supporter jusqu’à Bouhen non ?

- Bouhen ? Vous ne comptez pas le garder et le ramener jusqu’à Oranan ?

Malgré le fait qu’il se plaigne sans cesse de la présence de l’équidé, il parut sincèrement surpris qu’elle ne le garde pas.

- Ce n’est pas mon cheval. Il y a un relais équestre, je le laisserais là, ou alors je le donnerai à quelqu’un qui…

- Vous plaisantez j’espère ! Non mais regardez ! Ce cheval est une merveille, si on omet son sale caractère. Vous savez combien coûte une bête de ce genre ?

- Non, et franchement, je m’en contrefiche.

Il la regarda avec stupeur et un léger mécontentement.

- Pourquoi ne pas le garder ?

- Ce n’est pas mon cheval Onoda !

- Son ancien propriétaire est mort, vous l’avez tué, vous avez parfaitement le droit de prendre cet animal…

- C’est non ! Et merci, je sais parfaitement que j’ai tué son maître, pas la peine de me le rappeler.

Le ton légèrement agressif de la jeune femme n’échappa pas au forgeron qui fronça les sourcils.

- Ôkami… ne me dites pas que vous éprouvez encore des remords ? C’est pour ça que vous avez décidé d’emmener le cheval en lieu sûr ?

Le regard fuyant de la jeune archère et le fait qu’elle préfère subitement se concentrer sur ses pas fit lever les yeux du forgeron qui soupira.

- Vous vous fichez de moi ? Bon sang Ôkami, c’était un agent d’Omyre, un ennemi, il vous aurait tué, il aurait tué tous ceux qui ont un jour compté pour vous si vous l’aviez laissé faire.

- Je sais…

- Si vous savez tout si bien, pourquoi donc avez-vous encore des remords alors que vous avez fait ce qui était juste.

- La ferme ! Vous n’avez pas vu son regard, vous n’avez pas vu le sang ou ressentit ce que j’ai ressenti lorsque j’ai su que le coup allait être fatal. Jamais vous n’aurez à voir son visage dans vos cauchemars puisque vous passez votre temps à fuir, alors ne venez pas me faire la morale ! Je sais que c’est un ennemi, je sais qu’il voulait ma mort, la vôtre, celle de tous ceux d’Oranan et si c’était à refaire, je le referais !

- Mais alors pourquoi …

Elle se retourna et le mélange de tristesse et de fureur qui se peignait sur son visage figea le forgeron.

- Ce n’est pas parce que je l’ai fait que c’est facile ! Ce n’est pas parce que je sais que c’est un ennemi que ça enlève le fait que j’ai tué quelqu’un pour la première fois ! Peut-être que je m’y ferais un jour, peut-être pas, mais pour le moment, foutez-moi la paix à ce sujet !

Elle se retourna sèchement et reprit sa route. Le forgeron pouvait clairement voir ses épaules tressauter tandis qu’ils cheminaient dans le sous-bois et il soupira, se passant une main sur le visage. Il prit une résolution tandis qu’ils atteignaient enfin le bord de la route qui les mènerait à Bouhen. Elle n’allait pas aimer… et lui non plus.
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Hatsu Ôkami » mar. 9 avr. 2019 16:18

Il leur fallut plus de deux heures pour retrouver la trace du chariot qu’ils avaient habilement camouflé. Un peu trop peut-être. Seule la vue perçante d’Hatsu leur avait permis de retrouver le véhicule dissimulé. Le forgeron pesta un moment en le cherchant et encore un peu plus en le trouvant vidé de la majorité de son contenu, probablement par des animaux avides de rations de voyage malgré leurs manques d’intérêt gustatif. C’est non sans mal qu’ils le sortirent du sous-bois, le bras blessé d’Hatsu l’empêchant de vraiment aider le forgeron, celui-ci refusant catégoriquement d’utiliser le cheval du non regretté fulguromancien.

- Je ne veux pas qu’il m’écharpe le bras, merci bien !

Aussi poussa-t-il en grande partie le chariot seul, aidé tout de même de son cheval qu’ils purent atteler lorsque le chariot fut suffisamment proche de la route. Cela leur prit un temps considérable qu’ils n’avaient pas envisagé et la journée, déjà bien entamée lorsqu’ils avaient enfin mis la main sur le véhicule disparu, touchait à sa fin. Ne voulant cependant pas perdre davantage de temps, le forgeron, après avoir vérifié encore et encore la présence des douze kilos d’Olath, se mit aux commandes et pria Hatsu de monter à son tour. Lorsque seul le silence lui répondit, il grogna et tourna la tête pour voir la jeune femme essayer de faire comprendre au cheval couleur ébène qu’il pouvait partir. Celui-ci ne semblait pas comprendre et restait obstinément proche d’elle, renâclant et trottant dans sa direction dès qu’elle faisait mine de s’éloigner, la faisant soupirer. Le forgeron ricana en regardant la scène, s’attirant le regard à la fois furieux et embarrassé de la jeune qui ne parvenait pas à se faire obéir de l’équidé.

- Par Rana, cessez donc de faire l’idiote et montez sur ce fichu canasson ! Nous n’avons pas toute la journée !

Le sourire du forgeron s’élargit davantage en voyant l’air gêné de la jeune femme et, sautant à terre, il s’approcha. Le sombre destrier renâcla mais le forgeron l’ignora, posant ses deux mains sur les épaules de la jeune femme.

- Ôkami, montez sur ce cheval. Sauf si vous voulez l’abandonner ici…

La jeune femme se tendit et soupira, s’approchant finalement de la monture, tournant ostensiblement le dos au forgeron dont le sourire moqueur et amusé ne le quittait plus. La jeune femme hésitait, la chose était flagrante.

- Ce n’est pas…

- Pas le vôtre, oui, j’ai compris ! Montez sur cette maudite bestiole et sortons de ce bois, voulez-vous ?

À peine Hatsu voulut mettre le pied à l’étrier que le cheval bondit de côté, renversant la jeune femme. Les deux humains regardèrent le cheval faire un tour complet avant de revenir non loin de l’archère sans pour autant être à portée. Hatsu, le fessier au sol, jeta un œil abasourdi au forgeron qui haussa les épaules, ne comprenant pas plus qu’elle ce que le cheval attendait. Hatsu réessaya avec un résultat similaire et, frustrée, abandonna avant de monter à l’arrière de la charrette sous le regard moqueur du forgeron.

- Battue par un cheval…

- C’est bon ! Nous avons assez perdu de temps, qu’il se débrouille.

Le forgeron se rassit donc sur le banc du chariot et fit avancer le cheval d’un claquement de rênes. Au moment où le chariot se mit en branle, le cheval couleur ébène releva la tête du fossé dans lequel il était occupé à arracher des touffes d’herbe avant de rattraper le chariot de lui-même sous le regard éberlué de la jeune archère. Elle en informa le forgeron qui haussa un sourcil étonné, mais n’en savait pas plus qu’elle. Malgré la tentation de prendre une revanche sur le destrier, elle n’en fit rien, préférant vérifier ses affaires maintenant qu’elle était enfin au calme. Peu de flèches emplissaient son carquois et un de ses brassards était déchiré, vestiges du combat contre le mage lorsqu’il lui avait transpercé l’avant-bras avec sa propre flèche. Elle décida d’examiner elle-même la blessure, retirant délicatement les bandages, constatant la fine, mais néanmoins profonde entaille qui commençait doucement à cicatriser. Ce serait sa première cicatrice provenant d’une aventure, probablement pas la seule si elle parvenait à échapper à ce mariage qui était toujours inenvisageable pour elle.

La nuit finit par tomber rapidement tandis qu’ils cheminaient à travers la forêt. Çà et là, Hatsu aperçu quelques animaux qui relevaient prestement la tête en les entendant, la plupart s’enfuyant alors. Alors qu’elle pensait que le forgeron souhaiterait s’arrêter, celui-ci préféra continuer, lui conseillant de dormir, ajoutant qu’elle devrait gérer la conduite lorsqu’il la réveillerait pour profiter à son tour d’un peu de sommeil. Ce qu’elle fit après avoir étrangement pu attacher le cheval au chariot. Le bourrin se laissa faire, surprenant la jeune archère qui, malgré tout, ne tenta pas de lui grimper sur le dos. Elle hésita d’ailleurs à lui retirer l’équipement qu’il portait toujours, lui laissant finalement pour plus de praticité. Lorsqu’elle fut certaine qu’il pouvait aisément suivre le rythme de la charrette, elle s’installa du mieux qu’elle put et s’assoupit rapidement, son souffle devenant régulier et léger.

Elle fut réveillée quelques heures plus tard par un forgeron visiblement fatiguée et prit les rênes sans discuter, le laissant à son tour se reposer. Tenant les rênes d’une main, elle observa de nouveau la forêt. Les ombres des arbres sillait la route tandis que la blanche clarté de la lune donnait au sous-bois des couleurs plus pâles et diffuse qu’en journée. Elle percevait parfois des bruissements d’animaux, croyant apercevoir des reflets de tapetum, signe que quelques animaux nocturnes les observaient, cachés et à l’abri dans l’obscurité environnante. L’observation laissa place à la réflexion dans l’esprit de la jeune femme qui, dans le silence environnant, sentit ses pensées s’égarer de nouveau vers les derniers événements en date. Malgré tout ce que Loup ou Onoda avaient pu dire, elle avait toujours cette boule au ventre qui la faisait culpabiliser pour une action qu’elle savait impossible à effacer et probablement inévitable. Elle avait beau se répéter que c’était un ennemi de son peuple, un shaakt qui avait tenté de la tuer, qui l’avait blessé et menacer, elle se sentait toujours mal à la simple pensée de ce qu’elle avait fait.

(Souvenir première mort. Difficile pour toi.)

(Tu parles du chevreuil ? Rien qu’y penser je me sens ridicule.)

(Similaire.)

(Tu veux dire que je m’y ferais c’est ça ? Je ne suis pas sûr d’aimer ça...)

Seul un silence lui répondit. Elle savait pertinemment dans quoi elle s’engageait en acceptant cette mission, idem pour ce pacte dont elle n’avait malgré tout pas encore tous les tenants et aboutissants. Elle pensait être prête, physiquement et mentalement. Visiblement, elle ne l’était pas assez. Elle devait trouver conseil, savoir comment réagir, avec quelqu’un qui saurait trouver les mots sans se moquer ou trouver son geste absurde ou ses pensées ridicules. Un visage familier et pourtant peu côtoyé lui vint en tête et elle sourit. Lui saurait peut-être…
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Hatsu Ôkami » jeu. 11 avr. 2019 14:01

Le voyage jusqu’à l’orée de la forêt se fit sans encombre pour les deux ynoriens. S’arrêtant rarement, ils progressèrent relativement vite, ne prenant des pauses que pour satisfaire des besoins naturels ou pour tenter, sans succès, d’’apprivoiser le sombre destrier. Celui-ci semblait prendre plaisir à faire tourner en bourrique la jeune femme qui tentait de l’approcher, la laissant le caresser mais l’empêchant chaque fois de grimper sur son dos. Hatsu se contentait que de deux ou trois essais par jour, rapidement lassée et ne supportant pas les ricanements et le regard moqueur du forgeron qui ne perdait jamais une miette du spectacle. Cela l’énervait d’autant plus vite que ledit forgeron ne faisait rien pour essayer de l’aider, se contentant d’observer depuis une distance qu’il jugeait lui-même « plus que raisonnable ».
Lorsqu’ils sortirent finalement de la forêt, Hatsu sentit Loup soupirer dans son esprit. Elle savait que l’esprit espérait une partie de chasse, mais la blessure de son bras étant encore récente, elle préférait ne pas forcer pour le moment. Aussi se contentèrent-ils des rations de voyages qu’il leur restait, et de quelques ruisseaux trouvés en chemin pour remplir leurs gourdes désespérément vides. Ils laissèrent les chevaux s’abreuver et se reposer tandis que la jeune femme enlevait ses bandages, examinant la cicatrice rosée qui filait sur l’intérieur de son avant-bras. Rien de répugnant, une simple ligne, mais Hatsu ne pouvait s’empêcher de la fixer, cette marque étant pour elle le souvenir d’un moment qu’elle jugeait difficile à encaisser. Cela n’échappa pas au forgeron qui soupira bruyamment, attirant l’attention de la jeune femme qui plissa les yeux, méfiante. A son grand étonnement, l’ynorien n’ajouta rien, se contentant d’atteler de nouveau son cheval au chariot. Elle le regarda faire, persuadée qu’il avait pourtant une remarque à faire. Peu désireuse de discuter, elle se contenta de hausser les épaules et d’attacher le cheval noir comme la nuit au chariot. Elle se surprit à flatter l’encolure de l’animal. Elle avait toujours apprécié les chevaux d’aussi loin qu’elle se souvenait, mais elle ne pouvait se résoudre à s’accaparer celui d’un mort.

- Je me demande s’il te traitait bien…

Les oreilles de l’équidé frémirent, comme s’il sentait qu’elle lui parlait de son maître et il souffla doucement, bougeant sa tête comme pour réclamer davantage d’attention de la jeune ynorienne. Elle n’arrivait pas à savoir si ce cheval était intelligent et qu’il se moquait d’elle ou s’il était simplement capricieux. Elle l’attacha au chariot et reprit sa place à l’arrière de celui-ci, sentant les vibrations annonçant le départ alors qu’elle avait fermé les yeux quelques instants. Elle appréciait ces moments de calmes, devenus trop sporadiques lors de leur exploration de la Tour. Aussi conservait-elle le plus souvent un certain mutisme depuis le début du voyage du retour. Elle répondait au forgeron mais préférait davantage profiter des sons environnant, de la caresse du soleil ou du murmure du vent. Le forgeron, en revanche, aimait discuter de temps à autre, troublant son monde silencieux et apaisant.

- Vous n’avez toujours pas changé d’avis concernant cette maudite bête ?

La jeune archère roula des yeux en soupirant. Elle le trouvait pénible à toujours remettre cela sur le tapis, comme si c’était le seul sujet de conversation qu’ils pouvaient avoir après toutes les péripéties qu’ils avaient vécues.

- Non. Et ne l’appelez pas comme ça, ce n’est pas étonnant qu’il ne vous apprécie pas.

- Comment dois-je l’appeler pour que cela soit à votre convenance alors ?

- Est-ce vraiment important ? Si je lui donne un nom…

Si elle lui donnait un nom, elle s’y attacherait, elle en était convaincue. Il valait mieux éviter de s’attacher à un animal qu’elle ne comptait pas garder. Le forgeron afficha un large sourire mesquin et s’engouffra aussitôt dans la brèche qu’elle avait laissé entrevoir.

- Kuso-Mushi, cela sonne bien qu’en pensez-vous ?

Il tourna la tête pour faire face au regard outré de la jeune femme et un sourire victorieux s’afficha sur son visage après qu’il ait tourné la tête vers la route. La réaction de la jeune archère ne se fit pas attendre.

- Certainement pas !

- En quoi cela vous gêne-t-il ? Ce n’est pas votre animal et vous ne voulez pas lui donner de nom donc…

- D’accord, j’ai compris…

Le forgeron retint de justesse un ricanement, amusé de voir qu’elle était toujours aussi facile à provoquer. La jeune archère examina le cheval, plongeant son regard dans celui de l’équidé.

-C’est un mâle ou une femelle ? Je n’ai pas vérifié.

- Vu le caractère, c’est forcément une femme.

- Oh, quel charmeur vous êtes…

Malgré le fait qu’ils se tournent mutuellement le dos, le forgeron put presque percevoir la jeune femme lever les yeux au ciel, lui tirant de nouveau un ricanement discret. Il l’entendit ensuite murmurer.

- Yoru

- Voilà un nom qui sera parfait !

La jeune femme soupira. Elle n’avait pas eu envie d’argumenter avec le forgeron sur ce sujet et une part d’elle se trouvait ridicule de faire autant d’histoire pour un simple cheval. Mais son entêtement à ne pas s’en octroyer la possession était le plus fort et elle n’était pas prête à le considérer comme le sien. Elle imagina cependant que son père serait peut-être ravi d’une telle acquisition. Elle informa le forgeron qu’il les suivrait donc jusqu’à Oranan. Onoda ne fut pas dupe une seule seconde et la raison invoquée par la jeune femme ne le trompa pas, mais il n’ajouta rien, conscient que ce n’était pas nécessaire.
Le duo continua donc son chemin, traversant des paysages déjà vus qui n’offraient rien d’intéressant pour les deux compères qui décidèrent de s’arrêter plus fréquemment. Onoda parce qu’il souhaitait réfléchir à sa prochaine création pour la compétition, et Hatsu parce qu’elle avait décidé de recommencer à s’entrainer au tir afin d’habituer de nouveau son bras aux mouvements que nécessitait le tir à l’arc. Si le bras n’était en soit plus très douloureux, la cicatrice était dérangeante lorsque le tissu frottait dessus et la jeune archère voulait éviter qu’un faux mouvement ne vienne ouvrir de nouveau la plaie fraichement cicatrisée. C’est ainsi, au fil des arrêts et des monologues enthousiastes du forgeron sur son prochain travail, qu’ils arrivèrent en vue de Bouhen en fin de journée.
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Fenouil
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Fenouil » lun. 1 juil. 2019 03:30

En plein soleil, les bras et les jambes écartés, Fenouil, couché à plein ventre sur sa cape, elle-même étendue sur l’œuf, s’endormit. Il ne se réveilla que lorsqu’il entendit quelqu’un tapoter sur son œuf. Il ouvrit un œil puis le second, et sans faire de bruit, il s’étira le cou afin de voir qui ou quoi se permettait ainsi de toucher à son protégé. À la vue de Ti-Jean, son sourire s’élargit.

« Bonjour Ti-Jean, content de voir que tu n’étais pas loin. »

Lorsque Fenouil l’interpella, ce dernier avait l’oreille collée contre l’immense œuf. Il s’en écarta doucement et recula de quelques pas afin de voir la binette du gobelin.

« J’étais parti cueillir des herbes en forêt... » dit le vieil homme au crâne bien garni de cheveux blancs et dont la barbe assortie était taillée proprement, avant de poursuivre.

« Je m’en vais nous préparer un bon repas. Descends et entre chez moi, nous discuterons tout en mangeant. » Avait-il poursuivi, sa main gauche placée au-dessus des yeux le protégeant du soleil, mais surtout pour distinguer son jeune ami.

« Non merci. » Répondit poliment Fenouil.

« J’ai pour mission de protéger cet œuf. » Dit-il bien assis au sommet pointu de son protégé.

« C’est comme tu voudras. » Termina le vieil homme dont les petits yeux brillants indiquaient qu’il n’avait pas dit son dernier mot. Son sac plein d’herbes sur son épaule, il ouvrit la porte qui n’était pas cadenassée et entra dans sa chaumière sans insister. Le gobelin pour sa part, se recoucha.

Quelques minutes passèrent, puis une fenêtre non loin de Fenouil s’ouvrit, laissant échapper une douce odeur d’oignon, de champignon, de lardons et d’œufs brouillés. Les narines du gobelin remuaient sans cesse cherchant à capter davantage cette agréable fragrance et son estomac se mit de la partie en émettant de vifs gargouillis . Le gobelin gourmand et affamé reconnaissait cette odeur qui était celle de son repas préféré. Après avoir hésité un très court moment, il ramassa sa cape, s’assit sur l’œuf et se laissa glisser en bas.

Lorsqu’il entra dans la modeste demeure de l’ermite, celui-ci l’attendait, assis à sa table de bois devant deux couverts bien remplis. Fenouil prit place en face du vieil homme et sans tarder se mit à manger la délicieuse omelette que lui avait préféré son vieil ami. Ce dernier en profita donc pour lui parler.

« Je me suis rendu en ville hier. J’ai vu Julio, le vieux forgeron à la retraite. Il m’a dit avoir discuté avec Ferdinand, le marchand ambulant de bottes de cuir. Ferdinand aurait vu Azalée. »

À la prononciation de ce prénom, Fenouil leva le nez de son assiette pour regarder son hôte droit dans les yeux, interrompant même sa mastication. Il fit un petit mouvement de menton dans sa direction, indiquant clairement qu’il attendait la suite. L’ermite sourit et piqua sa fourchette dans son assiette et prit une bonne bouchée. Volontairement il prit le temps de bien mastiquer et d’avaler avant de répondre à la question non formulée de Fenouil.

« Elle se trouvait dans un petit village nommé Alkinos, à la Sylve des premiers âges dans le duché de Luminion. Elle s’est blessée aux côtes durant un rude combat et elle récupère actuellement à l’auberge Au Bon Pain. »

Pendant que Ti-Jean parlait, Fenouil s’était remis à manger à toute allure. Si bien que lorsque le vieillard eut terminé, l’assiette de Fenouil était vidée.
Tout en se levant, son sac en bandoulière, il informa Ti-Jean de ses intentions :

« Je pars la retrouver. »

Et cela dit, il partit en coup de vent. Pendant qu’il refermait la porte. Le vieil homme n’eut que le temps de dire.

« Et ne t’inquiète plus pour ton œuf, je le veillerai.. », mais Fenouil était déjà parti. En claquant la porte et il n’entendit pas Ti-Jean poursuivre un peu pour lui-même...

« Mais il n’est plus bon qu’à faire une omelette. »
Modifié en dernier par Fenouil le sam. 6 juil. 2019 03:24, modifié 1 fois.

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Fenouil
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Fenouil » mar. 2 juil. 2019 13:05

Ce fut sur un coup de tête que le gobelin était sorti de la chaumière en bois de Ti-Jean. Il était parti d’un bon pas, suivant le sentier qu’il avait fréquemment piétiné en compagnie de son vieil ami. Mais même lorsqu’il était pressé ou rassasié, le gobelin ne négligeait jamais sa faim ou celle à venir. Ce fut donc d’un œil avisé et sans cesser de marcher qu’il scrutait la flore et la faune qui l’entouraient, s’arrêtant à peine quelques secondes pour cueillir des petits fruits. Ainsi, à la sortie des bois, son sac était considérablement gonflé par la présence de deux souris, de racines et champignons comestibles, de petits fruits de saisons. Il passa ainsi quelques jours à traverser la forêt, grimpant dans les arbres la nuit en compagnie des hiboux afin d’être à l’abri ou du moins hors de la vue des grands prédateurs et profiter ainsi d’un sommeil réparateur.

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Xël
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Re: Le Bois aux Lutins

Message par Xël » mer. 6 janv. 2021 21:37

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Nous entamons la seconde journée de voyage quand nous pénétrons dans le Bois aux Lutins, une forêt tout ce qu’il y a de plus classique avec ses arbres et ses fourrés qui ont revêtit leurs vêtements d’hiver. Seul le bruit des sabots qui s’enfoncent dans la neige recouvrant le sentier et le vent qui souffle dans les branches nues troublent le silence du lieu. Un contraste étrange par rapport à hier où les recrues discutaient tranquillement entre eux.

J’en avais moi aussi profité pour parler avec Stepha. Curieux au sujet des runes et surtout sur la manière dont j’ai pu identifier celle que m’a offert Ed’. Comme attendu, elle avait déjà lu quelque chose à ce sujet et elle avait prit plaisir à m’expliquer ce qu’elle savait pendant de longues, très longues heures. J’ai appris que les runes sont des passages du grand livre de Zewen. Des lettres égarées, chargées de puissances divines. Entendre le nom du Dieu m’avait fait penser à son zélote, Sirat. Je m’étais demandé ce qu’il était devenu, était-il coincé sur Aliaénon ? Ou alors avait-il trouvé un moyen de revenir ? J’espérais qu’il aille bien. Quand j’avais expliqué à Stepha que j’étais parvenu à déchiffrer la langue divine le soir d’avant, elle ne m’avait pas cru. Elle avait même pensé que je me moquais d’elle, libérant son rire parsemé de grognements de cochon. Mais elle avait tout de même volontiers accepté d’en parler. Selon les légendes il existe des personnes capables de déchiffrer la langue divine mais ce serait le résultat de longues recherches et d’études sur les runes. Elle m’avait admis sans vouloir m’offenser que je ne correspondais pas trop à la description. Elle m’avait aussi parlé des prêtres de Zewen qui ont reçu sa bénédiction pour lire ses runes. Puis enfin elle m’avait parlé de cas rarissimes où une personne naissait avec une affinité naturelle pour déchiffrer instinctivement les runes qu’ils voyaient pour la première fois. Quand je lui avais expliqué que c’est ce qu’il s’était passé elle avait encore ri en expliquant que certains me considéreraient alors comme béni par Zewen en personne.

Aujourd’hui l’ambiance est différente, le temps est mauvais. Il fait gris, brumeux, une neige épaisse et collante tombe de façon dru, gênant notre visibilité et notre progression. Les intempéries donnent à la forêt un aspect lugubre et plus nous avançons, plus les chevaux sont agités et la tension des recrues devient de plus en plus observable. Emmitouflé dans une cape pour me préserver du froid, j’avance moi aussi en silence, en queue de convoi. A mi-journée, les chevaux sont trop agités pour poursuivre la marche et Aldchet ordonne de faire une halte le temps de les calmer. Mais il n’y a pas le temps de mettre pied à terre que des rugissements transpercent la brume. Des cris viennent de l’avant du convoi et nos flancs s’empressent de les rejoindre. A travers le brouillard, impossible de distinguer quoi que ce soit, je me prépare à réagir alors que des bruits de combats proviennent de devant. Soudain c’est l’arrière qui subit l’embuscade, des Garzoks surgissent du brouillard, attaquant une zone dénuée de renforts. Ils chargent comme un seul Orc, coupant en deux notre groupe. Je laisse échapper des bourrasques pour repousser ceux qui m’assaillent mais je me rends compte bien vite que j’ai manqué d’entraînement pour lutter à cheval. Ma monture est bien trop effrayé pour que je puisse la contrôler et après un claquement sur sa cuisse infligé par un assaillant, voilà qu’elle file à travers les bois en s’éloignant du combat.

Je tire de toutes mes forces sur les rênes pour ne pas chuter et arrêter la course folle de l’animal mais rien n’y fait, sa panique est la plus forte et je peux simplement mettre mon bras devant mon visage pour ne pas que les branches basses fouettent mon visage. C’est un coup de tonnerre qui mettra fin au galop, quand un éclair frappe soudainement la tête de ma monture. Elle s’écroule au sol à toute vitesse et me projette en avant. Je laisse échapper mes fluides pour atterrir sur un coussin d’air et m’épargner une chute douloureuse mais mon cheval en revanche roule encore quelques mètres en brisant ses os jusqu’à s’arrêter mollement dans la neige, le crâne fumant, portant la marque de la foudre.

Je me redresse rapidement pour observer les alentours, sur mes gardes. Il ne me faut pas longtemps pour trouver l’origine de ce sort. Devant moi se tient la silhouette qui me poursuis depuis Breen. Un sourire satisfait se dessine dans la pénombre de sa capuche tandis que sa main se recouvre d’éclairs agités. Je l’imite, laissant la mienne se napper d’un voile gris. Nous nous jaugeons un instant, lui avec arrogance tandis que moi je lui lance un regard haineux. Il va payé pour ce qu’il a fait sur notre route jusqu’à Bouhen. Nous lançons nos sorts simultanément, provoquant à leurs impact un courant d’air parcouru d’éclair qui s’envole vers les cieux. Je me réfugie derrière un arbre pour éviter les arcs électriques qui jaillissent des mains de mon assaillant. Son sort arrache les écorces et secoue les troncs jusqu’à les briser, je cours à nouveau pour rejoindre un autre refuge, balançant une bourrasque entre deux troncs. Mon sort soulève la neige sur son passage, me dissimulant aux yeux de mon adversaire le temps suffisant pour reprendre mon souffle. Porter une armure n’est plus un problème pour moi mais ça reste un poids conséquent par rapport à mon ancienne tenue. Je n’ai pas le temps de plus y réfléchir qu’un javelot se plante à côté de moi, j’écarquille les yeux quand je constate qu’une magie électrique le parcours mais il est trop tard pour m’enfuir, le sort explose, me projetant contre un arbre. Je distingue des arcs bleutés parcourir mon armure, me laissant croire qu’elle m’a épargné des dégâts magiques. Cette attaque ne peut pas venir de la silhouette, ça veut dire qu’il y a un autre ennemi, planqué quelque part. Je sens soudain une douleur terrible qui me tétanise, m’empêchant de bouger. Je ne parviens pas à lutter et la silhouette s’approche dangereusement avec un sourire cruel sur la face.

« C’est terminé. La Dame Noire sera ravie d’apprendre que vous ne vous mettrez plus sur sa route. »

Je lève mon regard vers lui et aperçois, posé sur une large branche au sommet d’un arbre, une autre silhouette qui observe attentivement. Mon regard se baisse à nouveau vers celui qui est en face de moi, entrain de charger une sphère orageuse au cœur de sa main. J’essaie de me débattre mais je ne parviens qu’à me faire plus de mal. Je hurle ma colère quand mon adversaire abat son sort contre mon torse en riant. Un rire qui s’efface quand il constate que sa magie n’agit pas comme elle le devrait. Il recule de quelques pas en observant mon armure qui absorbe la puissance de la foudre avant de la renvoyer, l’abattant sur son créateur. Son emprise sur mon corps disparaît et je ne prends pas le temps de me remettre de cette soumission. J’ignore la douleur dans mes muscles et me jette à l’assaut de mon ennemi. Debout mais titubant il m’observe foncer vers lui avec un regard ébahi et effrayé et je vois son regard glisser vers les hauteurs, vers son allié. Mes fluides s’échappent de mes mains pour se précipiter devant moi, ouvrant un portail dans lequel je saute pour me retrouver en l’air, au dessus du tireur dissimulé dans les arbres. Il brandit son projectile magique mais ne trouve plus sa cible qui est maintenant dans son dos. Il est trop tard quand la silhouette au sol me pointe du doigt en criant. Je façonne entre mes mains une lance à la pointe en forme de tornade tenu sur un manche transparent qui contient une tempête remuant mes fluides magiques. Je la brandis en hurlant un cri de rage, habité par une fureur brûlante. Mon regard se plonge dans celui de ma victime qui se retourne en même temps que mon arme lui transperce la poitrine. Il bascule en arrière, chutant de sa branche tandis que son regard s’éteint et qu’une gerbe de sang s’échappe de sa bouche dans une dernière quinte de toux. Ma main se tend vers lui pour lui lancer une bourrasque qui le projette avec violence, brisant son corps contre le sol. Un coussin d’air amorti ma propre chute, me permettant de me reprendre pour me protéger de l’assaut de mon ennemi restant. Lui aussi a fait apparaître une lance entre ses mains et la foudre affronte l’air, provoquant éclairs et bourrasques qui secouent les arbres autour de nous.

Au dessus de nous le ciel se noircit quand un épais nuage sombre annonciateur d’orage se forme. La foudre ne tarde pas à tomber, soulevant d’épaisses couches de poudreuse ou frappant la cime des arbres qui se brisent et s’effondrent. Nos armes s’entrechoquent, se parant l’une l’autre dans une position qui nous force à jouer de notre force pour se dégager. Nos regards furieux se croisent. Je grogne d’effort en poussant de toutes mes forces pour prendre l’avantage avant de laisser ma lance se dissiper comme un nuage de vapeur. Emporté par sa force, la silhouette perd l’équilibre et j’en profite pour lui asséner un vent violent qui le propulse contre un tronc lacéré par notre combat. Il lâche sa lance qui disparaît et tente de se redresser mais une nouvelle bourrasque vient frapper sa hanche qui se brise entre mon sort et l’écorce. Il hurle de douleur et s’affale contre l’arbre tandis que j’avance, d’un pas ferme et assuré en chargeant un autre coup de vent dans ma main. Il brandit péniblement la sienne en me demandant d’attendre avant de hurler à nouveau quand son bras est projeté en arrière, cassant son articulation. Je parviens à portée de voix, parlant fort pour couvrir l’orage qui gronde au dessus de nos têtes et le vent qui souffle entre les branches.

« C’est terminé. »

Une nouvelle bourrasque frappe son menton, soulevant sa capuche et me révélant son visage figé dans une grimace de douleur. Un visage plus sombre que je l’aurais cru, d’un gris pâle aux tâches plus noires. Des pupilles violettes, des cheveux cendrés. Je plisse les yeux, croyant d’abord voir Nildan, le Shaakt que j’ai croisé à Kendra Kâr mais après un regard plus attentif je me rends compte que ce n’est pas lui. Il lève son bras encore sauf en me suppliant.

« Nous t’avons sous estimé. Laisse moi partir et je lui ferais croire que tu es mort. »

« Non, je ne crois pas que je vais faire ça. »

Un rictus déforme sa bouche avant qu’il prononce.

« Imbécile... Le tonnerre d’Omyre n’est rien comparé aux monstres qu’ils peuvent mettre à tes trousses. »

Je soupire alors qu’il me jette un regard pour me convaincre de le laisser partir. Je lui en adresse un autre qui efface son rictus infâme alors que mon bras se nappe d’un fluide agité.

« NON ! »

C’est le mot qu’il prononce avant que son crâne se brise, percuté par la puissance d’un ouragan, lui ôtant définitivement la vie et mettant fin à l’affrontement. Je lève le nez vers le ciel, laissant la neige fouetter mon visage. L’orage gronde encore et le vent ne cesse d’augmenter, chassant la neige entassée dans les branches de sapins. Je suis perdu au milieu de la forêt et je n’ai aucune idée du sort qui a été réservé aux autres. Les douleurs du combats se réveillent, faisant souffrir mon épaule et mon dos.

Je commence à trembler. Je dois trouver un abri avant que le froid n’ait raison de moi. Je crois entendre des cris à travers le vent et le tonnerre mais ce n’est sans doute que mon imagination. Je retrouve ma monture presque enseveli sous la poudreuse. Je m’agenouille pour récupérer mes affaires et lutte pour me redresser.

« Almaran ! »

Je lève la tête, encore mon imagination ?

« Xël ! »

« Le piquet ! »

Je grogne d’effort pour vaincre le tremblement de froid qui me maintient au sol. C’est bien des voix que j’entends.

« Il est là ! Par ici ! »

Je me tourne pour apercevoir Cwen qui accoure vers moi avec une couverture, recouvrant mes épaules. Je sens d’autres mains me saisir pour me remettre debout. Je reconnais les visages arrogant et nonchalant de Thonas et Pherroc.

« Accroches toi Almaran ! »

« Puis il fait pas si froid ! »

Balance Ed’ juste après l’encouragement de Thonas. Chet’ apparaît aussi, se préoccupant de mon état en me tendant une gourde.

« Ca va. Je vais bien. J’ai juste un peu froid. »

« Pff. Quelle chochotte. »

Je reconnais la voix de Trieli qui sort du brouillard avec le sergent Aldchet. Je me sens d’un coup bien mieux, la peur de recevoir un coup de poing de sa part pour m’être éloigné du chariot sans doute.

« Sergent ! Désolé ! J’ai perdu le contrôle de mon cheval ! »

« Tout va bien Almaran. Tout était fait pour vous isoler loin de nous. Passé la surprise, les orcs se sont fait annihiler. Le convoi a continué sa route mais je doute que nous le retrouvions dans cette tempête. Il faut nous mettre à l’abri. Contente de vous voir entier Almaran. »

Elle jette un œil aux alentours avec le même regard qu’elle avait après mon coup de sang sur le chemin de Bouhen avant de nous ordonner de nous mettre en route pour trouver un refuge.


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