IX Départ.
I Sur le chemin des retrouvailles.
Le voyage apporte avec lui son lot de mélancolie. L’île des elfes dorés est un havre de paix et de sérénité qu’il est difficile de quitter. Sans le désir de retrouver Castamir, j’y serais probablement resté bien plus longtemps. Je suis cependant content de regarder à l’extérieur et d’admirer les murs de la cité de Kandra Kâr. Une vision qui me surprend finalement.
"Kendra Kâr ? Je pensais qu’on retournait à Oranan !"
Je sors rapidement de ma cabine pour alerter le premier elfe que je croise.
"Pourquoi ne sommes-nous pas allés en direction d’Oranan ?"
"Les voyages jusqu’à l'île sont limités. Nous avons ordre de ne desservir que les principales capitales des quatre continents." M’explique calmement mon interlocuteur.
"Cependant, vous pourrez prendre un cynore si vous désirez vous rendre à Oranan. Les modèles des sindeldi devraient être en mesure de vous y conduire en un peu plus de vingt heures."
J’accuse le coup. Je ne m’attendais pas à devoir faire un trajet supplémentaire pour retrouver la taurionne. Tant pis, ce n’est qu’un léger contretemps. J’ai passé bien plus de temps que je ne le souhaitais à la base. Un jour de plus n’est pas si grave.
(Tu as bien changé Jorus, tu es moins…impatient !)
(Ysolde ? Tu n’as que très peu parlé sur l’île des elfes dorés. Pourquoi un tel mutisme de ta part ? C’est inhabituel.)
(Tu étais au plus mal avant de t’y rendre et même encore au début. Pourtant, je t’ai senti te détendre, éloignant les spectres qui te hantaient. Tu as fait cela seul, sans avoir besoin de moi. J’ai simplement estimé que mes interventions n’étaient pas nécessaires. C’était un temps que tu avais besoin pour toi seul et je ne voulais pas te déranger, surtout que tu as pris le bon chemin selon moi !)
(Je te remercie. Même lorsque tu ne t’adresses pas à moi, tu fais preuve d’une grande sagesse !)
(Bien entendu ! Il faut bien cela pour équilibrer les sottises que tu débites ! Hihihi !)
(Finalement, je préfère lorsque tu ne parles pas !)
(Blablabla !)
Lorsque le vaisseau volant atterri sur la zone de débarquement, je suis sur le pont, prêt à partir pour ne pas rater le prochain trajet jusqu’à Oranan. Un sentiment étrange, presque familier, m’atteint lorsque mon pied foule de nouveau le sol, rapidement balayé par les regards qui me fixent. Je me retourne pour voir la majestueuse anyore refermer ses portes et repartir, certainement là d’où elle vient. Je suis donc le seul à en être sorti et le centre de toute l’attention. Tandis que quelques curieux se dirigent lentement vers moi, je me rends au comptoir de la compagnie Air-Gris, pris par un attroupement, pour connaître le prochain départ pour Oranan. C’est médusées que les personnes qui s’y trouvent déjà me regardent avancer. Je ne fais absolument pas attention et m’exprime le plus simplement.
"Bonjour. Quand part le prochain cynore pour Oranan ?"
"C’est…c’est que…" Balbutie le Sindel, dont le regard ne cesse d’aller et venir de moi à ce qui reste visible de l’anyore radieuse.
"Comme je…je l’expliquais à ces messieurs, les…les cynores sont actuellement pleines. De récente rumeurs après la guerre d’Oaxaca nous sont parvenues et nous devons encore nous organiser suite à cela !"
"Mais c’est scandaleux !" Hurle un homme, dont l’attitude hautaine et les vêtements riches trahissent sa condition de bourgeois, voir de noble kendran.
"Je dois me rendre le plus rapidement possible à Oranan, je possède des entreprises qui attendent ma venue. Je me moque de comment vous devrez vous organiser ou si vous avez besoin devrez envoyer quelqu’un dans la soute pour me faire place, mais vous me ferez entrer !"
Je regarde le sindel avec compassion face à l’attitude désagréable de ce bourgeois. Un corps grassouillet enfoncé dans des vêtements de luxe, d’une taille légèrement en dessous de ce qui serait nécessaire pour son porteur.
"De quelle organisation vous parlez ? Il n’y a plus de guerre ! Oaxaca a été capturée et faite prisonnière par son geôlier Koushou lui-même !"
"Je ne dispose pas de toutes les informations malheureusement. Mais sachez que le dragon noir d’Oaxaca a été vu récemment. Quant à Oaxaca, c’est effectivement les informations que nous avons obtenues, mais avec la réapparition du dragon, rien n'est moins sûr. Pour le moment, ce ne sont que des convois de matériels que nous acceptons de faire voyager." M’explique l’elfe gris.
La déclaration m’irrite au plus haut point. Je ne compte pas me faire freiner par une simple absence d’information.
"Ce ne sont que des rumeurs ! Il n’y a plus de dragon, comme il n’y a plus de menace de l’ancienne reine noire ! Le dragon a disparu grâce à l’intervention de Brytha elle-même ! C’est grâce à elle que des morceaux de dents du dragon noir ont parsemé le terrain. En voici la preuve !" Je présente la dague réalisée avec un des morceaux en question.
"Cette arme a été faite avec un morceau de dent, par le forgeron sur l‘île des dieux. Vous en avez certainement entendu parler non ? J’en viens justement, déposé par l’anyore que vous avez vu. Si ce n’est-ce pas une preuve suffisante, peut-être que cela vous fera changer d’avis !" Je sors de mon sac, le bon à vie pour voyager sur la compagnie de transport.
"Ceci m’a été offert par le prince sindel en personne, pour avoir participé à l’événement sur le Naora, avant la grande guerre et je me moque si je dois voyager en soute !"
Le sindel regarde les différentes preuves que je lui montre avec une mine fermée. Entonnement, c'est le passe qui retient le plus son attention.
"Très bien, vous pouvez monter ! Présentez votre bon en montant à bord et vous aurez accès à une cabine. Monsieur ?" Me demande le sindel.
"Kayne. Jorus Kayne !" Lui dis-je simplement en rangeant mes effets personnels.
"Quelle est cette infamie ? Comment osez-vous permettre à ce malappris de monter à bord, tandis que vous m’empêchez moi, un illustre membre de la noblesse kendranne, de monter !" Hurle de nouveau l’humain.
La remarque et l’insulte à mon égard m’atteignent plus qu’elles ne devraient. Je suis né avec une aversion pour les bourgeois, mais depuis le comte Ybélinor, la réaction est visiblement devenue viscéral. Je me tourne vers l’intéressé et réduis lentement la distance.
"J’ai affronté des hordes de morts, de puissants nécromants, j’étais de ceux qui ont capturé Xenair et abattu Gadory, j’ai vu l’armée grise de Brytha et son sacrifice face au dragon, enfin, j’ai lutté comme Oaxaca avec tant d’autres !" Face à ma progression et ma colère, le bourgeois se voit contraint de reculer, la mine déconfite.
"Alors après tout ça, tous ces morts, ces guerriers avalés par ce putain de dragon, c’est pas un p’tit péteux dans ton genre qui va me parler de la sorte !" Accentuant encore la pression, le noble finit par s’emmêler les pattes et tombe à la renverse, le cul dans une terre boueuse, piétinée par les passages fréquents.
"
Comment osez-vous vous comporter ainsi face au seigneur Pérégon ? Un tel affront ne peut être essuyé que par votre sang vil faquin !" Crie un homme en armure près d’une dame à l’allure semblable au seigneur cul-crotté.
Il s’avance vers moi en dégainant une longue épée à deux mains et s’empresse de vouloir me tuer d’un large coup de taille. Coup que j’évite en bondissant en arrière, les mains prêtent à dégainer mes lames en retour.
"Montrez-lui qui vous êtes sir Dalençon !" Encourage la dame.
Porté par ses supporters et désirant laver l’affront de son maître, le soldat se rue sur moi. Portant des armures lourdes et une épée tout aussi imposante pour nécessiter un maniement à deux mains, sa mobilité est sa plus grande faiblesse et ce n’est pas un sol boueux qui va lui être d’une grande aide. Il porte un premier coup de haut en bas à la tête, paré de mes deux lames dressées en croix pour me protéger.
(C’est bien mes filles !)
"Couper la tête ? Ne vouliez-vous pas simplement faire couler le sang ? Il vous faudra m’atteindre pour cela, je le crains !" Fais-je en me moquant.
La remarque lui donne de l’élan et balayant devant lui, je place mes lames pour parer de nouveau le coup. Hélas, le sol m’est aussi traître et me voilà projeté au loin, incapable d’être stable sur un tel sol, finissant à terre.
"Scélérat ! Ta vie ne vaut rien, même ta mort ne sera qu’une maigre consolation pour l’affront que tu as commis !" Crache-t-il en brandissant sa lame au-dessus de lui, prête à l’abattre sur moi.
C’est de peu que j’évite d’être séparé en deux, m’éclipsant sur le côté.
(Tu veux bien finir avec lui, je commence à me lasser ?)
(Je fais au plus vite, d’accord !)
Afin de prendre l’ascendant sur le combat, je pousse mon adversaire à la faute.
"Si tu veux servir ma tête sur un plateau, il va falloir faire mieux que cela. Même les gamins des rues seraient capables de me porter un coup au visage !"
La pique fait mouche. De colère, il porte un large coup, visant à me sectionner par la nuque. Attendant ce moment, je me baisse brusquement au sol pour voir son épée passer au-dessus de ma tête. Lâchant mes armes au sol, je saisis une main sur la prise de sa garde pour le tirer jusqu’à moi, et de l’autre, je lui offre un bon tas de terre boueuse en plein dans les yeux, préalablement saisit. Ayant perdu la vue, il commence à brandir des coups inutiles devant lui, craignant que je ne vienne le finir. Cependant, il s’éloigne de moi et manque presque de frapper les spectateurs autour de nous. Je ramasse mes armes et me rue sur lui en glissant, bloquant ses jambes avec les miennes. Il perd l’équilibre et tombe au sol. Sur le dos, il est incapable de se relever à cause de son armure lourde. Ses jérémiades m’agacent rapidement et me saisissant de son épée, je la brandie au-dessus de moi et l’abat à la stupéfaction des spectateurs. Le plat de la lame percute violemment son casque et l’assomme sur le coup, provoquant le doux bruit du métal qui résonne par le choc.
Je m’éloigne du guerrier au casque chantant, pour revenir au comptoir tout crasseux, près du seigneur. Je lorgne sur ses habits à peine tâchés de boue. Impérieusement, je lui ordonne :
"Enlevez vos vêtements !"
"Pa…pardon ?" S’étonne-t-il.
C’est avec ma Pourfen’dent en main que me permets d’insister.
"Enlevez vos vêtements si vous ne voulez pas que je m’en charge !"
Face à la menace, le seigneur obéit et se déleste de ses vêtements un à un, finissant avec juste de quoi préserver sa dignité. Je me sers de ce qui est le plus propre pour essuyer la saleté sur moi, avant d’envoyer le tout au sol.
"Déguerpissez !" Lui dis-je.
"Je saurais m’en souvenir ! Vous me le payerez !" Me menace-t-il.
N’attendant pas plus longtemps, il quitte les lieux en passant dans mon dos. Il croise malheureusement mon pied qui traînait par là et s’étale de tout son long dans la terre, sous les rires des personnes présentes.
(Fallait-il que tu t’en prennes à lui de la sorte ?)
(Il l’a bien cherché ! De plus, avec Ybelinor, je ne suis plus à ça près !)
Finalement, après le départ du nuisible, je finis par obtenir ma place dans le cynore, direction Oranan.