La Forêt Eternelle

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Yuimen
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La Forêt Eternelle

Message par Yuimen » dim. 21 oct. 2018 13:00

La Forêt éternelle

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D’aussi loin que l’on puisse se souvenir, dans les livres ou dans la mémoire des hommes, la Forêt éternelle a toujours été là, dominant le Nord-Ouest de Nosvéris, dernier bastion de vie avant les Plaines Gelées du grand Nord.

Lorsque l’on arrive dans ces bois depuis le Sud ou l’Est, on peut observer quelques vieux feuillus à la lisère qui laissent rapidement place à d’immenses sapins et autres conifères dont le tronc témoigne de l’âge avancé de cette forêt. Il y a une telle densité d’arbres qu’aucun son, qu’aucune lumière ne parvient de l’horizon, la seule luminosité que l’on peut avoir provient du ciel, et encore, cette dernière est filtrée par les épines des sapins. Ce sont ces mêmes épines qui jonchent le sol et le recouvrent sur plusieurs centimètres. Lorsque l’on marche dessus, le son est étouffé rendant l’atmosphère toujours plus pesante.

La vie dans cette forêt se résume aux créatures sauvages, et aux Wotongoh. Ces derniers y vivent en tribus dans les clairières, cloîtrés dans ces bois depuis que les armées Garzok d’Oaxaca les ont massacrés, dans les plaines, lors de l’invasion de Royaume de Pohélis par ces mêmes forces. Les Wotongoh sont les seuls êtres « intelligents » que l’on peut croiser dans ces bois, le climat est bien trop rude l’hiver pour que d’autres y vivent à l’année. En effet, la blanche saison porte parfaitement son nom ici. L’intégralité de la forêt est recouverte de neige pendant l’hiver, faisant d’elle une image en noir et blanc, figée dans le temps, éternelle…

Mais pour les plus (mal ?)chanceux des visiteurs de cette forêt, peut être entendrez vous une douce harmonie de harpe, mélancolique. Vous apercevrez alors la Maîtresse Magicienne Meheni, émergeant des arbres, venant à votre rencontre, pour le meilleur comme pour le pire.

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Kenra
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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » lun. 30 mars 2020 02:07

L'air froid est doux sur ma peau sans fourrure. Et les feuilles, je les entends crisser au rythme de mon fastidieux réveil. J'ouvre des yeux de nouveau-né sur un monde que je ne connais pas. Ou plus ? Et qui suis-je, moi qui écoute les pensées d'un homme dont je n'ai plus le souvenir ?... Un homme, vraiment ? C'est pourtant vrai. Deux mains qui appuient sur le sol pour me relever, deux pieds qui supportent le corps d'un inconnu, de cet "homme" que je ne reconnais pas. Et pourtant, son odeur est si familière, si apaisante. Je le connais, mieux que quiconque, mais il demeure comme un vide dans mon esprit assailli par l'inquiétude.

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Des arbres, des feuilles. L'empreinte de la nature est partout. Je hume l'air comme le ferait n'importe quel enfant de la forêt. Dans cette forêt. Je sens... des pins. Des fleurs. L'eau d'un ruisseau, la mousse des rochers, le chant des oiseaux curieux. Mes sens s'éveillent peu à peu, mon corps cesse de se reposer et s'agite une jambe à la fois. Ma peau caresse tout ce qu'elle rencontre, j'ai mon pelage d'homme, celui qui protège du regard de mes semblables. Sous cette forme, je suis comme eux, comme n'importe qui. Et pourtant, je suis différent, je le sens au fond de moi. Mes bras sont couverts d'une cendre qui ne part pas et mes ongles sont plus verts et durs que l'émeraude. J'ai les yeux d'un autre, des yeux qui voient loin jusque sous la lumière des étoiles. Mais qui suis-je ? Je me connais, j'en suis persuadé. J'ai des souvenirs dans une mémoire incomplète, des images qui résonnent dans mon crâne comme un hurlement de douleur. On veut me parler, me dire que j'existe. Cette voix sait qui je suis et elle me le répète, mais je ne l'entends pas. Mon corps parle plus fort que ma tête, me parle d'un monde que j'ai quitté récemment. Des hommes, d'autres hommes, qui vivent avec les éléments. Un monde qui fait partie du passé, le mien. Pris de panique, je hurle, je demande à cette nature qui vient de m'accueillir en son sein.

"OU SUIS-JE ?! QUELQU'UN ?! AIDEZ-MOI !"

Je ne veux même pas que l'on me réponde. La forêt me rend mon écho avant qu'il ne se perde dans de mauvaises oreilles. Elle me chuchote la même chose que cette voix dans mon esprit, trop bas pour que je le comprenne clairement. Elle me dit que je suis un homme, un fils de la terre, mais je le sais déjà. Les feuilles me content l'histoire de mon arrivée, soudaine et mystique, vomi par un étrange portail d'une magie oubliée. Je m'en souviens !

(Elysian.)

Je cesse de courir, je m’assoie au pied d'un arbre qui rattrape mon dos sur son écorce. Les petits habitants de la forêt sont curieux, mais pas inquiets. Je suis assailli de réponses qui fusent après la découverte de l'endroit où je me trouvais hier encore.

(Barkhane. Oslight. Guasina. Ætelrhyt. Illyria. Birhûvaya. Cyrialle. Faoil.)

Des noms avec qui j'ai échangé. Des lieux que j'ai visité. Et finalement, un autre que j'ai été.

(Hurlenuit...)

Que je suis toujours. J'ai entendu mon nom, il est clair dans mon esprit, désormais. Je regarde la main qui me sert à toucher une feuille tombée non loin de là. Et lui, qui est-il ? Un homme, le réceptacle de souvenirs brisés que je reconstitue un à un. Je finis par le retrouver.

(... Kalas.)

Un sourire sur mon visage qui s'illumine. Je pose ma tête contre le bois, fier de m'être reconstruit.

"Kalas."

La forêt se souvient, elle me souffle de reprendre la chasse. Mais pas tout de suite. J'attrape la tige d'un pissenlit blanc, souffle sur ses plumes et les regarde voler, m'installant plus confortablement en calant une main derrière ma tête convalescente. Qu'il est bon d'être entier.


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(((Suppression de tous les éléments matériels sur la fiche d'équipement de Kalas)))
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Kenra
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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » mar. 31 mars 2020 00:03

Couché dans les fourrées, j'attends qu'il sort de son terrier. Il ne devrait pas tarder, je le sais. Le pivert a chanté trois fois pour annoncer que le soleil est à son paroxysme dans le ciel, comme à chaque fois. Généralement, il va se nourrir à ce moment de la journée. Je l'entends, le sens et finalement, je le vois. Il s'expose timidement au soleil, comme s'il se doutait de quelque chose. Sa famille l'a peut-être prévenu qu'un prédateur rôdait au dehors, qu'il était plus prudent de rester à l'intérieur du terrier, mais les lièvres sont têtus, joueurs. Je les connais bien et celui-ci ne fait pas exception. Il est vieux, proche de la mort qui viendra plus rapidement que prévu. Je l'ai choisi lui et pas un autre. Il est faible, gras après un doux hiver et son heure viendra bientôt s'il ne finit pas dans la gueule du loup. Dans la mienne.

Je me fonds dans la nature, du mieux que je le peux. On ne me voit plus, très peu le pourraient, en fait. Lui commence à se dégourdir les jambes comme un lapin, pas à pas. Je ne bouge pas encore, il aurait encore le temps de se mettre à l'abri. Je le laisse gambader tranquillement, même s'il lève trop souvent la tête pour vérifier si danger il y a. Il accélère, sait où il veut aller, désormais. Là où les siens se sentent en sécurité quand ils sortent du terrier. Pas cette fois. Mon premier pas est son dernier. L'âge ne lui enlève pas la prudence et il entend mieux que prévu. Le voilà qui se met à courir, pas vers chez lui en tout cas. Il sait que c'est trop tard, qu'il ne peut que tenter de me semer. Mais il ne le peux pas. Je m'élance à sa poursuite, galopant de mes pattes puissantes qui résonnent jusque sous la terre. Sous cette forme, je le piste facilement et son odeur forme un tracé dans l'air, un brouillard fin que je suis sans difficulté. La peur au ventre, le vieux lièvre s'épuise vite et ralentit la cadence. J'aurais pu l'atteindre en un rien de temps, mais j'ai besoin de cette sensation de chasse, de me sentir vivant. Et alors, le jeu s'arrête brusquement. Ma mâchoire se referme sur son cou qui craque en une fraction de seconde. Il n'aura pas souffert, ce n'est pas mon plaisir. Je secoue ma proie pour éviter aux nerfs de sursauter d'agonie ; je déteste cette sensation en bouche ; puis je retourne dans mon repaire, au trot.

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Lorsque je m'en approche, j'attends toujours plusieurs minutes, à l'entrée. Je m'y suis réfugié un jour et depuis plusieurs nuits, j'y dors sans savoir à qui il appartient. Il est vide quand j'y suis, mais peut-être pas quand je pars chasser, alors je me méfie. Le temps passe, le soleil est fort, mais l'air est doux et sans bruit. Finalement, je me décide à entrer en humant l'air rafraîchi qui humidifie ma truffe. J'approche du feu mort en à peine quelques bonds et ouvre ma gueule pour lâcher mon repas au sol. Je quitte Hurlenuit pour Kalas, l'homme aux cheveux qui sentent la mousse et à la peau tâchée par la terre. Je ressens davantage le froid, mais je ne grelotte pas pour autant. Sous cette forme, je peux allumer mon feu et cuire ma viande. Je ne m'habitue pas à la viande crue, signe que je suis humain avant d'être loup. Et j'ai fini par comprendre quoi faire, par comprendre où aller. Ce sont mes dernières heures dans ce repaire, je m'y réfugie une ultime fois pour déguster un repas chaud avant de partir vers le sud. J'y ressens la présence d'autres, comme moi. Et une odeur que je ne connais pas, mais qui réveille des sensations jusque dans mes veines. J'y chercherais des réponses sur ce que je dois faire, car j'en ai la certitude : je ne suis pas arrivé ici par hasard. Je n'ai aucune idée du continent sur lequel je me trouve, même si je suis sur Yuimen, mais je trouverais. Le repas s'avale au fil des questions sans réponses, lesquelles finissent chassées de mon esprit. Je m'étire en fermant les yeux, mon corps me réclame un bâillement bruyant qui résonne dans la grotte. Puis je me change à nouveau. C'est Hurlenuit qui fera le voyage.
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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » mer. 1 avr. 2020 23:41

J'ouvre des yeux fatigués, mais toujours à l'affût. Debout sur mes quatre pattes, je m'étire lentement en allant chercher loin devant, la gueule qui s'ouvre à m'en décrocher la mâchoire. J'ai les muscles un peu tendus, pas suffisamment pour m'inquiéter de rester trop longtemps sous cette forme. Combien de jours, aujourd'hui ? Six ? Sept ? Ils se ressemblent tous depuis que je me suis mis en route, à galoper en m'arrêtant par moments pour me sustenter à l'ombre d'un rocher. À la fin de celle-ci, je casserais le rythme si je ne suis toujours pas sorti de la forêt. Je l'aime bien, celle-ci. Elle m'écoute lorsque je lui parle et elle me laisse toujours choisir mes repas, comme si j'étais son enfant légitime. Mes habitudes d'hommes surgissent de plus en plus : je déguste le gibier cru avec moins d'appétit et cuisiner me manque. J'ai des souvenirs d'un homme, mon père, lui m'a toujours nourri. Exactement comme cette forêt. Je me secoue les puces, il est temps de se mettre en route.

Le vent est de la partie, aujourd'hui. Pas dans mon sens, malheureusement. Ma fourrure me garde au chaud, mais les odeurs se mélangent et je ne sens plus aussi bien la trace des hommes du sud. Peut-être faudra t-il compter sur les conseils des arbres et le chuchotement des feuilles pour poursuivre ma route ? Je tends l'oreille à ce qu'il se dit, les hommes seraient plus proche que je ne le pense. Je prends cette nouvelle comme celle qui me pousse à continuer, car après tout, qui suis-je pour mettre en doute la parole de la nature ? Je finis par partir au trot dès les premiers rayons du soleil et accélère lorsque le terrain me le permet, filant vers la direction qui me semble la plus fiable.

>< >< ><

Je fatigue, je l'admets. Je ne cours plus depuis que les oiseaux ont cessé de chanter et que les étoiles sont apparues dans ce ciel qui s'assombrit. J'y vois aussi bien que le jour, mais je n'ai plus la force de continuer pour aujourd'hui. Bientôt, d'autres prédateurs se mettront en chasse des plus faibles et je ne tiens pas à faire partie du lot. En quelques coups de museau, je trouve un endroit calme et en retrait, un gros terrier abandonné depuis bien longtemps. Je l’agrandis en creusant et m'installe au fond, à plus d'un mètre du dehors. Ici, je n'attirerais que les nez les plus fins que j'inciterais à rebrousser chemin en grognant suffisamment fort pour les décourager. Blotti en boule, je ferme déjà les yeux en sautant le repas du soir que je rattraperais au matin, en espérant sans vraiment le croire que cette journée soit la dernière de mon voyage.

><

Au milieu de la nuit, j'entends approcher. C'est discret, trop pour ne pas attirer mon attention. Les oreilles dressées, je lève la tête, préparé à recevoir n'importe qui comme n'importe quoi. Me fiant à chacun de mes sens pour m'indiquer plus clairement ce que j'attends, je n'ai plus la sensation du temps qui file et guette pendant une bonne partie de la nuit, sans nouvelles. Aux aurores, je me glisse silencieusement hors de mon terrier et entreprend de trouver la source du bruit qui m'a sorti de mon sommeil réparateur. À l'ouïe, il est encore là. À l'odeur, ça ressemble à un homme. Le parfum des cendres lorsqu'on se tient trop près du feu, l'arôme de plusieurs de ses semblables sur sa peau ou ses vêtements. À la vue, il se cache. Non loin d'ici, j'en suis persuadé. Il me regarde toujours, me voit peut-être. À l'oreille, une nouvelle fois. Quelque chose qui se tend. Fort. Une corde. Un arc ! Je saute vers l'avant, disparaissant dans des fourrées plus hautes que moi alors que le sifflement très distinctif d'une flèche qui vole résonne jusque derrière moi. Elle se plante dans un nid d'épines de sapins, mais je suis déjà quelques mètres plus loin, gagnant de la distance à chaque seconde qui défile. Je ne m'enfuis pas, je veux le trouver, car il souhaite la même chose que moi. Il ne me lâchera pas, même si j'atteins l'orée de la forêt, c'est certain. D'abord, le trouver, ensuite, on verra. Je redoute la suite, peut-être tragique pour lui s'il ne comprend pas. Je ne m'inquiète pas pour moi, il ne me touchera pas. Trois flèches depuis le départ, aucune qui ne daigne me frôler. Il bande son arc trop longtemps, m'informe de sa position à chaque mouvement. Je finis par le repérer, caché derrière un tronc plus large que lui. Il regarde vers moi, ne me voit plus depuis que j'ai feinté de tourner après un rocher qui me dissimulait. À pas feutrés, je m'approche sans le quitter des yeux. Il est à une dizaine de mètres devant moi. Huit. Cinq. Il finit par me voir, panique un peu, mais finit par se reprendre. Il sort de sa cachette, tente de m'intimider en encochant une flèche à son arc.

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Personne ne bouge, ni lui, ni moi. La forêt est spectatrice de notre duel de regards, fait taire les chouettes et calme le bruissement des feuilles pour ne pas nous déconcentrer. Je ne le menace pas, mes crocs sont rangés derrière mes babines, mais je me tiens plus prêt que jamais à sauter si besoin. Lui cligne à peine des yeux, comprend qu'il a à faire à autre chose qu'un simple loup. La tension devient plus pesante à chaque seconde qui passe, je finis par lui faire comprendre qu'il n'a rien à craindre, qu'il n'a plus à me considérer comme une proie. Un pas de retrait de sa part, je le laisse reculer. Plusieurs pas en arrière, il détend la corde de son arc. Je pose la patte en avant, il s'arrête. L'idée m'a traversé l'esprit, il fait peut-être parti des hommes que j'ai senti il y a des jours de cela. Il est la seule piste que je suis parvenu à trouver dans cette forêt qui semble s'amuser de moi. Je ne le sens pas mauvais, je ne peux pas expliquer cette sensation. Décidé, je joue le tout pour le tout et adopte une forme qu'il comprend mieux. La transformation est de courte durée et ses yeux sont plein de surprise et d'incompréhension. Il découvre un homme plus blanc que lui, dans une tenue de peau et de chair. Après un moment de silence, j'affirme mon humanité en lui adressant ces quelques mots.

"Je ne te veux aucun mal."
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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » dim. 5 avr. 2020 00:14

Il m'a cru. Enfin, peut-être, je ne le sais pas. Nous ne parlons pas la même langue, ne nous comprenons que par des gestes et les émotions du visage. Un Wotongoh Nosvérien, le premier que je rencontre. Il m'a vu nu et s'est inquiété pour moi, m'a offert une couverture en peau de bête le temps de trouver une tenue plus convenable. Je le suis difficilement, en traînant des pieds et en me rattrapant aux troncs presque tous les mètres. Je suis resté bien trop longtemps sous la forme de Hurlenuit et je n'ai plus l'habitude de marcher sur deux pattes. Il semble le comprendre et me porte assistance jusqu'à destination, acceptant même de ralentir la marche. Il a l'air d'un homme bon, qui chasse pour se nourrir et non pour le plaisir. J'accepte que les choses se passent ainsi et la forêt est sensiblement du même avis si elle l'a laissé en vie jusque là. Mais l'odeur des hommes, elle m'a manqué et les parfums se multiplient à mesure que l'on approche de son campement.

Nous arrivons et les regards sont nombreux. Je n'entends pas leurs pensées, seulement leurs doutes. Un étranger fait toujours cet effet et pour moi, ils le sont tous. Je compte sur mon instinct, ne sachant pas ce qu'ils me réservent. Si je dois courir, je le ferais sans me retourner. Je m'en veux de penser ainsi après la main qui m'est tendue, mais j'ai perdu l'habitude de côtoyer autre chose que les habitants de la forêt. À eux de me prouver qu'ils en font partie.

D'un signe, je fais comprendre au guide que je peux me débrouiller seul pour marcher. C'est faux, mais je ne veux pas trop lui en demander. Je pénètre dans la même hutte que lui, plus large que les dix autres qui l'entourent. À vue d’œil, j'ai compté une trentaine d'individus dont moins de dix enfants. Le vent du matin n'est ni froid ni violent, mais se retrouver à l'intérieur de quatre murs solides me rassure plus que je ne l'aurais pensé. Un feu brûle au centre de l'unique mais vaste pièce. De nombreuses autres peaux de bêtes servent de tapis, de banquettes et de lits. Ils semblent vivre principalement de la chasse, je dois être l'un des rares gibiers qu'ils ont épargné. L'homme fouille dans une panière en oseille et en sort des vêtements, une tunique longue, des braies et une paire de bottines. Je les accepte sans un mot, me contentant d’acquiescer en signe de remerciement. Je me débarrasse de la peau et enfile la tenue rudimentaire ainsi que les bottes en peau, que c'est agréable. La sensation d'être habillé, étrange, presque nouvelle et pourtant indispensable. Il me fixe, ne me lâche pas du regard. Il parcourt mon corps de son œil curieux et sans pudeur, s'arrête sur mes bras, mes yeux, ma façon d'agir et mes réflexes lupins, que j'ai même sous ma forme d'homme. Je l'intrigue plus que ne l'inquiète, c'est une bonne chose. Il ne retente pas la conversation et préfère me demander de rester là par un mot que je ne comprends pas, mais surtout avec un geste clair de ses deux mains abaissées vers le sol. Je me rapproche du feu en l'attendant, ça aussi, ça m'a manqué. La chaleur des flammes est rassurante et je me délecte de sa caresse sur ma peau blanche. Mais après quelques minutes passées trop vite, il revient accompagné.

Une femme, d'âge moyen et à la peau caramel. Elle a l'odeur de quelqu'un qui vient de donner la vie, des cernes qui soutiennent des yeux fatigués. Je la laisse s'approcher sans dire mot, elle qui fouille dans sa mémoire pour y chercher des mots presque oubliés.

"Hem...Toi...venir...de où ?..."

Je laisse quelques secondes s'écouler en la fixant, comme fasciné par son accent et fini par lui répondre avec un vocabulaire simple et choisi.

"Pas ici. Autre part, loin."

Elle semble satisfaite de s'être fait comprendre et surtout de m'avoir compris. Je réponds à chacune de ses questions à la lumière du feu que le chasseur entretient en nous écoutant. Elle me dit s'appeler Elfrig et son compagnon Thodo. Il est très proche d'elle, assis à ses côtés. Je sens un lien qui les unit, quelque chose de fort, ça se lit dans son regard. Après avoir éclairci sur mes origines, elle tente d'en savoir plus sur celui qui m'accompagne en tout temps, plus confiante dans son choix de mots.

"Toi homme-loup ?"

J’acquiesce sans avoir idée que mon honnêteté sur ce type de sujet peut surprendre.

"Oui, moi homme-loup."

Elfrig s'étonne, regarde son compagnon. Lui la fixe et acquiesce à son tour, comme pour l'inciter à me croire.

"Ici, homme-loup mauvais présage. Vole enfants la nuit."

Cette fois, la surprise s'agrippe sur mon visage. Je n'avais pas conscience que certaines coutumes pouvaient appréhender ce genre de pouvoir.

"Si moi mauvais présage, pourquoi moi ici ?"

"Homme-loup aussi être esprit des chasseurs. Nous avoir besoin de l'esprit pour aider nous."

"Pourquoi ?"

Elle finit par m'expliquer le problème, comme quoi un nid de harpies s'est installé non loin de la tribu. Deux chasseurs ont déjà perdu la vie et Thodo a manqué de nourrir leurs petits récemment venus au monde, ne s'échappant que sur un coup de chance. Je tente de me faire une idée de la menace et rassemble ce que je sais sur ces créatures, c'est à dire presque rien. Mes seuls souvenirs proviennent d'une comptine pour enfants dont j'ai oublié les paroles, mais qui mentionnent les harpies. Elfrig attend de savoir si j'accepterais de leur venir en aide, soutenue par le regard de son compagnon. Je finis par donner mon accord pour accompagner les chasseurs dans trois nuits, le temps qu'ils se rassemblent tous et cela les comble de joie. Thodo prend ma main qu'il sert plus que nécessaire et s'incline en guise de remerciement, tandis que la Wotongoh fait de même sans ce jeu de mains. Je m'incline de la même façon pour ne pas leur manquer de respect.

"Toi dormir ici."

Elfrig finit par quitter la pièce en suivant son compagnon qui a déjà fait de même, s'inclinant une dernière fois avant de disparaître derrière le rideau de peaux.

"Merci."

La nuit sera courte et le sommeil absent, mais les questions qui se bousculent dans ma tête éloigneront l'ennui.
Modifié en dernier par Kenra le dim. 5 avr. 2020 22:23, modifié 1 fois.
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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » dim. 5 avr. 2020 15:46

Contenu choquant pour les jeunes lecteurs [:attention:]



Au troisième jour, je sens que ma présence inquiète moins qu'à mon arrivée. Les membres de la tribu s'écartent toujours lorsque je sors chasser et les enfants, très curieux, me suivent jusqu'à assister à ma transformation. J'ai fini par m'éloigner d'une dizaine de mètres à chaque fois, derrière les palissades du campement pour ne pas les attirer trop à l'écart et ils semblent fascinés par ce qu'ils voient. Mes retours sont toujours surveillés avec attention par les chasseurs qui comparent leurs prises avec les miennes, rigolant ou gonflant le torse de supériorité quand ils ne découvrent qu'un lapin dans ma gueule ou mes mains. Après tout, je ne prends que ce que la forêt me donne, mais j'ai fini par me prendre à ce petit jeu de compétition et c'est sans dire mot que je finis par ramener un daim entier pour remercier la tribu de son accueil, ne manquant pas d'apprécier les clameurs pour cette grosse quantité de viande. Mais une fois seul, j'ai le cœur pincé d'avoir refusé les complaintes de la forêt durant ma chasse indigne. L'avarice et la cupidité sont des traits significatifs des hommes et des loups, peut-être le suis-je encore plus que chacun d'entre eux.

><

Le dernier repas n'est pas aussi chaleureux quand les chasseurs se rassemblent pour se préparer. On vérifie les flèches, la corde et le bois des arcs, les couteaux et on fait ses adieux à la tribu. J'aurais préféré que cela se passe autrement, que l'on me demande de régler seul le problème, mais la tradition semble imposer la présence des trappeurs aux côtés de l'esprit. Des personnes qui mourront peut-être et que je garderais sur ma conscience malgré moi. Nous sommes cinq à partir lorsque la nuit est complète, à la fin du crépuscule. Hurlenuit prend rapidement ma place tandis que je tente au mieux de capter les menaces alentours, mais la forêt sera clémente avec nous ce soir. Les hommes suivent plutôt bien, ne sont pas gênés par le rythme que j'impose. Nous nous approchons silencieusement de l'endroit indiqué, à moins d'une lieue du campement. Les doigts se pointent vers les hauts arbres aux branches aussi épaisses que le tronc et j'y repère des touffes de brindilles, de branches courtes et de feuilles mortes. J'attends là, immobile, tentant de capter le moindre mouvement, mais les habitants des hauteurs semblent dormir profondément. Je me tourne alors vers les chasseurs en me demandant comment ils comptent les déloger et certains s'affairent déjà à encocher leurs arcs, mais Thodo les interrompt d'un signe de main. Ils discutent brièvement et à voix basse entre eux, puis il vient me mimer les consignes avant l'attaque. De ce que j'en ai compris, les hommes souhaitent mettre le feu à l'arbre qui est suffisamment éloigné des autres pour ne pas démarrer un brasier dans toute la forêt. L'idée est réalisable, mais je la conteste fortement. Je ne peux pas lui expliquer que l'arbre est en bonne santé et qu'il n'a pas à mourir pour des invités indésirables, je dois donc trouver un meilleur plan d'attaque pour le convaincre. Je me perds un instant dans mes pensées, tentant d'élucider le problème et je finis par trouver quelque chose à proposer. D'un geste très compréhensif, je demande aux chasseurs de s'éloigner et pose mes deux mains sur le sol, tout près de l'arbre concerné. Mes bras chauffent progressivement sous l'effet de l'énergie qui monte dans mes membres tandis que j'injecte directement mes fluides dans la terre qui vibre sous l'effet de l'absorption. Thodo et les siens observent le phénomène avec des yeux ronds, devinant que tout ceci n'a rien de naturel. Après plusieurs minutes, je parviens à rendre la terre tout autour de la base de l'arbre aussi molle que la vase d'un marais et regarde sans satisfaction l'arbre vaciller sous son poids, ses racines qui se dévoilent une à une. Tout en reculant, la scène me fait déglutir alors que j'entends la forêt me grogner aux oreilles, mais je me rassure en prévoyant de l'avoir empêché de brûler et en me promettant de le remettre à sa place une fois tout ceci terminé. Du moins, du mieux que je le pourrais.

La chute de l'arbre provoque un gros bruit sourd qui réveille tous les animaux alentours. Les oiseaux s'éveillent, les rongeurs s'enfuient et comme attendu, les harpies s'excitent en piaillant de surprise et de mécontentement. De grandes ailes se déploient et leurs formes repoussantes s'exhibent à la lumière des étoiles. La plupart se sont envolées avant de tomber, d'autres ont une aile ou une patte coincée sous le poids de l'arbre et quelques autres sont complètement écrasées sous l'écorce ou fracassées contre un rocher. La pagaille est difficile à comprendre, mais les chasseurs n'attendent pas pour lancer l'attaque. Des flèches fusent et touchent plus ou moins, mais aucune harpie n'est terrassée lors de la première salve. Au même moment, je repère quelques-une d'entre elles qui tentent de sauver des petits blessés dans l'un des nids et j'interviens rapidement. En moins de temps qu'il n'en faut, je puise dans la terre pour former une grande colonne compacte et l'écrase au centre d'un geste, explosant ce qu'il reste du nid et achevant la progéniture agonisante. Les mères s'énervent, s'affolent puis s'élèvent à quelques mètres au-dessus du sol pour me fondre dessus, mais déjà, la deuxième salve des chasseurs est lancée, plus efficace et meurtrière que la précédente. Plusieurs harpies chutent, piaillant de douleur et de rage tandis que j'abats une deuxième colonne sur l'une d'entre elles, clouée définitivement au sol. Un véritable carnage pour les femmes-bêtes qui ne s'attendaient pas à une offensive aussi dévastatrice.

Bien plus nombreuses que nous, les survivantes ne sont plus qu'une poignée d'individus qui finissent par attaquer les chasseurs postés à plusieurs mètres de là. Les couteaux sont dégainés et tailladent dans le vent pour les tenir en respect tandis que je laisse Hurlenuit prendre le relais, fonçant déjà à vive allure vers les prédateurs des cieux. D'un bond, j’atterris dans le dos de l'une d'entre elles et enfonce profondément mes crocs dans son cou, tirant de toute mes forces pour emporter le plus de chair avec moi. La bête hurle tandis que sa gorge se remplit de sang et finit par s'effondrer sans me voir, ses ailes s'agitant nerveusement une dernière fois. Les hommes se défendent comme ils le peuvent, mais peinent à tenir en respect les prédateurs enragés qui lacèrent tout ce qui vient à leur portée. Thodo et un autre sont grièvement blessés tandis que les deux autres parviennent à pourfendre leurs adversaires. Je saute à nouveau, cette fois sur celle qui attaque le Wotongoh rencontré dans la forêt, mais cette dernière semble préparée à me recevoir. D'un rapide dégagement dans les airs, je manque ma cible et atterris sur le sol alors que la harpie fond sur moi, enfonçant ses griffes dans la chair de mon dos. Je couine de douleur et m'agite pour me dégager, mais sa prise est ferme et se resserre sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. C'est l'intervention d'un des chasseurs qui me sauvera la vie, plaquant la bête au sol en frappant de sa lame malgré les graves lacérations qu'il reçoit en retour. Tentant de me remettre, je lui porte secours en plongeant sur la gorge de la créature que je déchiquette avec la même rage qu'elle, continuant largement ma boucherie même après sa mort. Les autres parviennent à achever la dernière qui piaille jusqu'à s'éteindre dans un gargouillement infâme et je finis par m'arrêter, la gueule pleine d'un sang qui n'est pas le mien. Dans un haut-le-cœur qui n'est pas forcément dû au dégoût, je crache fortement et vomis un épais morceau de chair qui tombe au sol dans un bruit peu ragoûtant, entamant déjà ma transformation en homme. D'un revers de la main, je m'essuie les lèvres et vient aux nouvelles de mes quatre compagnons, désormais à un nombre plus réduit. Le chasseur qui m'a porté secours ne bouge plus, le corps parsemé de longues et profondes entailles ensanglantées. Thodo n'est pas en reste avec une balafre sur la joue et son cou abîmé qu'il compresse de sa paume. Un autre se tient l’œil droit perdu d'un vicieux coup de serre d'une main pleine de sang. Un lourd bilan pour libérer la tribu de l'extinction.
Modifié en dernier par Kenra le dim. 5 avr. 2020 22:37, modifié 1 fois.
Kalas / Hurlenuit

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Re: La Forêt Eternelle

Message par Kenra » dim. 5 avr. 2020 22:04

Les chasseurs se rassemblent autour du corps de leur compagnon perdu, sans larmes ni tristesse. La mort au combat doit être considérée comme une fin valeureuse pour ces habitants des forêts constamment exposés aux dangers. Je sais déjà ce que j'ai prévu de faire et j'indique d'un signe de la main que je dois reprendre mon souffle, que je les laisse continuer sans moi. Mais Thodo n'est pas dupe et revient me voir, concerné. Il tente de s'approcher pour constater l'état de ma blessure, mais je refuse en le gardant face à moi, indiquant de vive voix que ce n'est pas nécessaire. Nous ne parlons pas la même langue, mais il semble avoir compris. Je pense qu'il sait déjà que je ne retournerais pas parmi les siens, que je n'ai fait que les aider comme ils l'ont fait pour moi. Un silence de mots, mais pas de pensées que Thodo rompt en s'inclinant, gardant la pause plusieurs secondes pour appuyer sur ses remerciements. Je le regarde se relever, puis dans les yeux et fixe finalement son dos qui s'éloigne jusqu'à disparaître derrière le tronc d'un sapin. Je reste là, immobile dans l'obscurité et n'ayant aucune envie de laisser Hurlenuit profiter de ce moment à ma place.

><

Mon séjour parmi les Wotongohs m'aura permis d'en savoir plus sur l'endroit où j'ai atterri. J'ai été étonné de savoir que je me trouve en Nosvéris, cette terre de neige au froid polaire. Mon père m'en avait parlé à plusieurs reprises, mais je n'ai jamais daigné m'intéresser à des endroits trop loin pour moi. Et pourtant, m'y voici... J'ai aussi appris la nature de l'endroit duquel émane une étrange énergie qui ne cesse de m'attirer depuis mon arrivée dans cette forêt, un ancien temple désormais tabou. Peut-être y trouverais-je des réponses à des questions que je ne me pose même pas ? Pour l'heure, j'ai une destination vers laquelle aller et des sens auxquels me fier. Tandis que j'approche de l'orée de la forêt, j'entends les feuilles me remercier d'une voix sifflante. Le cycle de la nature n'a pas été altéré par mon passage et j'ai replanté l'arbre sur lequel nichaient les harpies qui nourrissent désormais les charognards. Et alors que la lumière du soleil m'apparaît sans le moindre obstacle feuillu, je n'entends plus que moi et Hurlenuit, son puissant galop qui m'emmène vers le lointain.
Kalas / Hurlenuit

Shaman du Loup et Druide des forêts blanches

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