Le Désert de Pierres

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Yuimen
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Le Désert de Pierres

Message par Yuimen » ven. 5 janv. 2018 17:12

Le Désert de Pierres

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Dans ce désert vous trouverez de nombreux points de repère si vous êtes très observateur car, selon la légende, les colonnes de pierres, même si elles se ressemblent, sont toutes différentes. Yuimen les aurait en effet sculptées de sa main en cherchant à faire la créature qu'il voulait. Cette créature était une sorte d'humain, à la peau sombre. Leur endurance aurait été proche de celle de la pierre, comme leur caractère.

Par contre, ne vous fiez pas aux chemins, ils changent en permanence et dépendent de l'orientation pour leur couleur.

Cependant il paraît que les nomades vivant ici, qui se réclament fils de Yuimen, auraient caché un trésor dans ce désert.

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Madoka
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Re: Le Désert de Pierres

Message par Madoka » ven. 19 avr. 2019 23:36

Cela fait cinq jours que nous sommes seuls dans le désert, cinq jours que nous n’avons vu personne, ni humains, ni animaux, ni nuages. Le ciel au dessus de nous est constamment bleu, une horrible monotonie qui me pèse à un point inimaginable … je veux des nuages, des orages, du vent froid. Au lieu de cela, j’ai du bleu, du bleu et du sable à perte de vue. Toute cette monotonie ne cesse de me faire douter, où suis-je ? Où vais-je ? Et vais-je y arriver un jour ou sommes-nous entrés dans un monde dont on ne sort jamais ? Parfois quand je reste trop longtemps dans mes pensées, je me demande si on ne va pas simplement errer ici jusqu’à l’épuisement, à tourner en rond éternellement parce qu’une obscure force terrestre altère ma boussole, une errance au-delà de la mort. J’imagine mon corps desséché tout recroquevillé comme une mue de serpent.

Sam s’est arrêté de parler depuis presque trois jours. Il est épuisé et démoralisé, j’ai l’impression de le voir maigrir de jour en jour et pourtant on ne manque pas de vivres. On manque simplement de bons vivres et de temps pour profiter du peu qu’on mange. De même qu’il ne manque pas de sommeil mais de repos. Il dort presque tout le temps, fait des cauchemars et se réveille en nage et suffocant. On a été obligé d’utiliser des foulards autour de ses pieds car le sable a brulé sa peau pourtant si épaisse et résistante. La dernière fois qu’il a signé, il m’a dit avoir du mal à croire qu’il est ici, à mourir à petit feu tout ça pour du vulgaire métal. Il n’est plus lui-même et je ne lui suis d’aucune aide.

Mais tout cela, ce n’est rien comparé au soleil et à la chaleur. Ouvrir les yeux, même protégé par le foulard est un supplice. Je n’ai pas de mots pour décrire l’état de ma peau et mes lèvres craquelées qui me font souffrir le martyre dès que j’ouvre la bouche pour manger. J’ai l’impression de respirer des flammes à chaque inspiration. Le vent, notre seul allié contre la folie causé par cette intense et inimaginable chaleur, s’est tu depuis une journée. Le seul qui me permettait de tenir, qui donnait une vague impression de vie quand il caressait mon visage en sueur, a disparu.
Je ne sais pas ce qui nous fait nous lever aux aurores, ce qui nous motive à défaire et refaire cette tente, à monter sur nos montures et avancer, encore et toujours. Je ne sais plus ce qui motive les êtres vivants à se dresser contre les difficultés, contre la fatalité. L’espoir ? Je ne sais pas si ce n’est pas ce qui fait le plus mal au contraire, quand pour la énième fois on tombe sur un puits entièrement bouché. Le courage ? On en est loin, on avance vers une unique et inéluctable destination. La détermination a été pulvérisée par notre troisième tempête de sable … on n’est plus parvenu à réfléchir à notre résolution depuis que des éclairs nous sont tombés dessus, si proches que nos cœurs se sont mis à bondir et tressaillir. La résilience … c’est tout ce qui me reste. La foi en mes capacités à transformer l’adversité en force … mais jusqu’à quand ?





Lorsque j’aperçois un nouveau repère indiquant un puits tout proche, j’ai envie de fermer les yeux, d’ôter ce nouvel espoir de mon esprit car je ne sais pas si je peux survivre à la pensée qu’il sera peut être le dernier, alors que nous n’avons plus que deux outres d’eau chaude. Mais ce n’est qu’une envie, du même type que celle qui me tenaille chaque soir, l’envie d’en finir pour de bon plutôt que de souffrir inutilement pour arriver au même résultat. Ce n’est qu’une envie passagère, que mon devoir envers Sam balaye avec une puissance qui s’amenuise de jour en jour.
Cette fois, je ne réveille pas Sam, il se sent déjà coupable de nous avoir envoyé à la mort dans ce désert.
Je bifurque vers le repère et une réaction étrange de mon dromadaire me fait frémir d’une soudaine angoisse : nous ne sommes pas seuls. J’avance lentement et remonte la dune. L’horizon est flou. L’horizon est toujours flou et depuis quelques jours, ma folie naissante y voit la preuve que le soleil cuit littéralement le sable. Mais cette fois l’horizon est d’une autre forme, il y a au loin une masse mouvante avec des couleurs beige et marron. Il me faut plusieurs minutes de souffrance à forcer mes yeux à rester ouverts pour comprendre. Il y avait quelqu’un et ce quelqu’un est cette chose qui flotte au loin au milieu des fumerolles de chaleur.

En bas de la dune s’ouvre une plaine de sable, une grande plaine d’un sable qui semble plus tassé, plus dur. Plus loin encore vers le sud-est, je distingue une zone plus sombre et crois voir des dizaines et des dizaines de piliers. J’ai déjà plusieurs fois eu l’impression de voir des choses dans ce désert maudit, des formes qui se dédoublaient ou se renversaient en les regardant trop longtemps. Saadi a appelé ça des mirages et m’a prévenu que parfois ce qu’on croyait voir n’existait pas.
Regarder aussi longtemps vers le soleil levant me donne mal à la tête. Je plisse les yeux et cherche le repère du puits. Il doit être quelque part, plus proche de la dune. Je le trouve et vois le puits à quelques mètres à peine, recouvert par une large planche de bois … et autour, des tâches foncées sur le sable, les traces que laisse l’eau sur du sable. Il y a de l’eau … de l’eau.
J’ouvre grand ma bouche pour hurler ma joie mais le son qui en sort est asséché et la douleur de ma peau qui se fissure me rappelle à l’ordre. A l’intérieur pourtant, nulle douleur, seulement de la joie, une euphorie comme jamais éprouvée jusque là.

Quand je repousse la planche de bois j’ai l’impression de ressentir la fraîcheur remontée des profondeurs du puits, j’ai l’impression de sentir une odeur de roche humide. Remonter le seau d’eau est une souffrance, mes mains tremblent et la corde écorche ma peau sèche. L’idée même d’en remonter d’autre me paraît impossible.
Sam ne s’est pas réveillé lorsque je l’ai descendu du dromadaire, il respire difficilement. De ma main mouillée - et c’est une sensation que toute ma vie future je vénèrerais - je fais tomber quelques gouttes sur son front. Il se réveille et plisse les yeux en grimaçant, pas encore certain de ce qu’il a senti sur sa peau.

« Sam, on est sauvé. »

Je pleurerais presque si mon corps avait encore de l’eau à gaspiller. Mes mots sont sortis sans y penser. A bien y regarder, on ne mourra pas de soif tout de suite donc je ne trompe pas tout à fait. Sa réaction à lui est plus mitigée, ses yeux ont une expression de béatitude contenue mais son corps tremble de partout, il est bouillant et peine de plus en plus à respirer. Je lui enlève son foulard et le trempe dans l’eau avant de le lui remettre et de l’asseoir à l’ombre de sa monture. Je fais de même avec le mien et suis prise d’un frisson en sentant autre chose que ma sueur couler le long de ma nuque.

« Bien. On a besoin de repos, on a besoin de faire le plein d’eau. On va s’installer de l’autre coté de la dune et on va prendre le risque de faire ces deux choses en prenant le temps qu’il faut.
- Je suis tellement désolé.
- Arrête veux-tu !
- On va mourir à cause de moi.
- On en a déjà parlé. On ne va pas mourir dans ce désert, ni aujourd’hui ni demain. On va prouver à toutes les personnes qui nous ont traités de fous d’oser traverser ce désert seuls, que non seulement on l’a fait mais qu’en plus on en revient avec des blocs de pierre plein les sacs. Alors même si il faut que je pioche moi-même la roche, on va réussir. Toi pour l’instant, tu te reposes un peu parce que t’as du boulot.
- ?
- T’es de corvée de soupe ! »

Il sourit timidement. Étrangement, son état me permet de trouver la force de continuer, comme si sa faiblesse ne faisait que me ramener à mes propres engagements envers lui. Je dois tenir pour lui, je dois faire en sorte qu’il revienne chez lui avec une histoire fantastique à conter et qu’il devienne un exemple pour d’autres Sinaris rêveurs.

« Je crois qu’on est arrivé. Tu les vois là-bas … on dirait des colonnes, des dizaines de colonnes qui cachent cet horizon plat et trouble qui nous tourmentait depuis des jours. C’est pour ça qu’il faut se reposer ici. Ce désert de pierres est un endroit dangereux mais on va trouver du san-divyna … tout est là, la roche, le soleil, et tout ça depuis des années, des centaines, des milliers d’années. Tu me fais confiance ?
- Tu es mon protecteur
- Je suis ton protecteur. Sam, n’oublie jamais à quel point tu es courageux, à quel point ce que tu fais, ce que tu vas réussir est exceptionnel.
- Nous. On le fait ensemble. »

Je l’embrasse sur le front. Ce n’est pas la première fois qu’il me reprend de la sorte, je n’ai pas l’habitude d’œuvrer à visage découvert ou du moins, d’imaginer que mes actes conteront autant que celui pour qui je le fais.


En fin de mâtinée, je suis parvenue à remonter du puits plusieurs seaux d’eau au prix d’un effort qui m’a tétanisé les bras et les épaules mais Sam a trouvé un moyen pour m’économiser les mains ; en me faisant porter les seaux suspendus à une canne qui sert à la tente ; et je lui serais à jamais reconnaissante. Nous avons monté la tente hors de vue du puits et je gage que la chaleur a déjà fait disparaître mes traces des renversements d’eau. A l’ombre des voilures, Sam a allumé un feu et passe une bonne partie de la journée à faire bouillir l’eau pour la purifier. Ce désert est bien le seul endroit au monde où la chaleur d’un feu ne réchauffe pas l’air ambiant car ici, l’air au naturel semble plus élevé qu’un feu. Nous nous couchons à l’heure où d’ordinaire nous repartons pour quelques heures avant que l’obscurité et le froid de la nuit ne nous enveloppent. L’ambiance reste tout de même maussade et les sommeils légers.

Au matin, on se surprend l’un l’autre à se réveiller en même temps et je ne saurais dire lequel des deux s’est endormi pendant son tour de garde. Saadi me l’avait dit, deux personnes seules c’est suicidaire dans le désert mais au moins, on attirera moins l’attention de la faune sauvage qu’un campement de nomades, au bout d’une semaine sans embuches, nous avons commencé à y croire et se sentir en sécurité au point de dormir sur nos deux oreilles.
On recommence le même rituel que la veille. Je descends au puits et remonte à la vitesse d’une tortue les seaux d’eau et Sam s’occupe de faire bouillir l’eau. Plus de la moitié de nos réserves est déjà remplie et les dromadaires ont bu ; j’ai bon espoir d’y arriver avant de tomber d'épuisement.

Lorsque je parviens en haut de la dune pourtant, mon espoir s’efface et je me maudis de m’être encore une fois laissée avoir par ce satané sentiment à la rude descente. Cette fois, je n’ai rien entendu, cette fois je ne pourrais égorger personne par surprise pour réduire leur nombre. Quand j’arrive en haut de la dune, essoufflée et épuisée par l’effort, ils sont déjà sous notre tente en train de secouer Sam par les épaules pour qu’il réponde à leurs questions.

« Il ne parle pas. C’est pourtant pas dur à comprendre.
- Ce qui n’est pas ton cas. Tu parleras pour deux dans ce cas, quand nous serons au campement. »

Toutes nos possessions ont été étalées sur le sol et triées, ils rangent tout eux-mêmes et s’occupent de démonter notre tente avec plus d’aisance que nous n’en aurons jamais. Je serre les dents tant je me sens impuissante, trop épuisée pour ne serait-ce que me débattre quand on me touche. Je ne suis pourtant pas ligotée. C'est la preuve que j'ai l'air complètement inoffensive.
Le groupe d’hommes qui nous emmène de force à leur campement se présente du clan de Yimni, un clan minoritaire mais courageux car ils vivent autour et dans le désert de pierre, si dangereux que les autres ne font qu’en parler. Leur voix et leur peau sont légèrement différentes des Kebakeris déjà rencontrés. Ils ont des yeux plus ronds, le front plus haut et une bouche plus large ; des marques semblables à des scarifications parsèment leurs mains, quelques uns ont leur nez transpercé par une tige de bois et d’autres ce sont leurs oreilles qui sont déformées par des anneaux plats.
Aucun d’eux ne donne son nom et en dehors de celui qui m’a répondu, aucun autre ne semble parler la langue commune. Ils nous poussent comme du bétail en rouspétant, et nous attachent à nos dromadaires qui suivent les leurs. Le soleil est haut lorsque l’on arrive à leur campement où une énorme et unique tente est dressée entre plusieurs colonnes de pierres grises et abîmées par les vents de sable.
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Re: Le Désert de Pierres

Message par Madoka » ven. 19 avr. 2019 23:43

Ils parlent beaucoup entre eux pendant de longues minutes, nous montrant du doigt à tour de rôle. La tente est assez grande pour abriter un village entier, des murs de toiles séparent les différentes parties, le sol est recouvert presque intégralement par des tapis et des toiles de jute, des cordons permettent de retenir les pans non exposés directement au soleil ce qui permet de garder une luminosité minimum et surtout laisser entrer l’air.
Après un moment de silence perturbant, le plus vieux d’entre eux s’installe sur un siège qui n’a rien à envier à un trône de petit duché, et nous désigne d’un geste dédaigneux de la main. Aussitôt, les trois hommes qui nous gardaient nous soulèvent et nous déshabillent. Je me débats mais cela ne fait qu’à peine les ralentir. Des grognements et lamentations écœurées et écœurantes s’élèvent de toute part lorsqu’ils s’aperçoivent que Sam n’est pas un simple humain. S’ensuit des questions sur ce qu’il est, prononcées avec un mélange de crainte et de fascination inquiétante. Pendant plusieurs minutes ils nous interrogent sur les raisons de notre présence et je n’ai la force de dire que la vérité. Cela demande beaucoup de concentration et de contorsion de l’esprit de mentir et d’échafauder un rôle à tenir ... et je n’ai la force que de me tenir éveillée, difficilement éveillée.
Je tente à mon tour de leur poser des questions mais je reçois un coup de bâton sur l’épaule ou à l’arrière de la tête dès que j’ouvre la bouche pour les interroger. Leur chef de clan me regarde d’un air qui me déplait de plus en plus. Après avoir été bâtonnée dès que je me rebiffais, il ordonne qu'on nous apporte du thé ; une soudaine et étrange courtoisie qui tranche avec ses yeux inquisiteurs et son timbre dédaigneux.

Lorsque pour la énième fois j’explique la raison de notre venue, la signification d’un concours et le métier de Sam, il me fait taire d’un claquement de doigt et laisse celui qui nous a ramené ici prendre la parole. Son ton est acide et méprisant, il grimace chaque fois qu’il me regarde, sa bouche se tord au point de ressembler à un chien enragé. Il nous accuse d’avoir volé leur eau, d’avoir foulé une terre sacrée ; que de tels actes méritent réparation ou châtiment et que nous sommes à sa merci. Tout en lui me rappelle un autre homme, vindicatif, arrogant et aux airs supérieurs, qui passait son temps à m’accuser de tous les maux du monde.
Il nous annonce une somme d’argent conséquente pour notre survie, notre punition et notre droit à marcher dans le désert de pierre … une soi-disant taxe qu’il sait pertinemment que nous n’avons pas. Je le leur dis, plusieurs fois, mais il continue à parler comme s’il se trouvait devant un tribunal. J’ai soudainement l’impression d’être devant une mise en scène mais je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils cherchent réellement, lui et son chef. Je devrais avoir peur, je devrais courber le dos et chercher un échappatoire ou entamer des négociations ; je devrais me taire et attendre un meilleur moment pour parler ou agir. Mais même épuisée, à moitié nue et en position de faiblesse, je ne sais pas être réfléchie et modérée.

« L’eau n’appartient à personne, dis-je en toisant l'homme de main du chef. Pas plus que l’air qu’on respire. Tu vis sur ce sable, tu ne le possèdes pas, pas plus que tu possèdes le moindre pouvoir sur nous. Nous sommes des êtres libres. »

Il me frappe au visage, un coup de poing enragé qui me fait vaciller et me donne le vertige. Il vocifère des mots dans son dialecte en m'attrapant par la mâchoire et je maudis ce désert d'avoir desséché ma gorge et m'empêcher de lui cracher dessus.

« Tu oses pénétrer nos terres et nous donner des leçons ? Tu es seule, tu n’as pas de clan, pas de mâles - de vrai mâles - pour te défendre. D’un simple claquement de langue, je fais de toi ce que je veux pour le reste de ta vie.
- Essaye et avant la fin de cette journée, je t’aurais arraché la gorge avec mes dents.
- Il suffit. Dit le chef sur un ton impérieux qui impose le silence, même du mien. Nous ne sommes pas d’aussi basse extraction. Tant que je serais là, il n’y aura pas d’esclaves dans mon campement. Mais il n’a pas tort, ce désert est notre sanctuaire, nous y vivons et y survivons depuis des siècles … nul ne le traverse sans en payer le prix. Nous sommes plus civilisés que les esclavagistes, mais nous vivons dans un monde difficile où tout à un prix, même l’eau. Certes, nous ne possédons pas l’eau mais nos mains ont construit les puits. Si tu veux garder ton eau, si tu veux pénétrer notre territoire et le dévaliser … il faudra payer.
- Et je vous le répète, je n’ai pas plus que ce que vous voyez là. Faudra vous en contenter.
- Fais un effort … tu verras que tu peux proposer plus.
- Le métal ? On peut en extraire plus et partager avec vous.
- Non. Ce minerai est un don de l’Astre de vie. Nous ne pouvons accepter ce qui a été arraché de force.
- Mais ça ne vous gène pas de monnayer son extraction par d’autres, c’est plutôt hypocrite non ?
- Je te l’ai dit, tout à un prix. Nous sommes soumis aux règles que nous dictent les garants du culte, tu es soumise aux miennes car je suis garant de ta sécurité. »

A cet instant, je comprends enfin. Les mots “soumise aux miennes“ prononcés ainsi me font grincer des dents. J’aurais dû le deviner plus tôt, j’aurais alors peut-être pu les amadouer différemment.

« Ça suffit, on arrête de tourner autour du pot. Qu’est-ce que vous voulez vraiment ?
- A quel point ce métal est important pour toi ? Qu’es-tu prête à sacrifier pour y arriver ? Vois-tu … nous ne manquons de rien ici, nous avons à manger et à boire, nous ne manquons pas d’armes, nos femmes ont tous les bijoux qu’elles veulent. Tes babioles et tes pièces ne m’intéressent pas. Mais vois-tu … mes femmes, nos femmes, sont loin et nous ne les reverrons pas avant des mois. »

Sam se lève et s’exprime soudain avec une virulence que je ne lui connaissais pas. Les hommes en face de lui n’ont pas besoin de traducteur pour comprendre que mon compagnon courageux est prêt, lui, à tout abandonner à défaut de pouvoir les faire changer d’avis. Certains de ses mots sont forts justes, ce sont des porcs qui profitent de leur supériorité, et je suis presque sûre que pour celui qui a soufflé cette idée au chef de clan, son réel désir est de nous renvoyer sur le champ, de me voir troublée et bouleversée, que je fléchisse et me débine, moi l’effrontée.

« C’est d’accord. »

La réaction de Sam est la seule chose qui me fend le cœur à cet instant. Offrir ou vendre mon corps est anodin, mais de croiser son regard déçu, accusateur et suppliant à la fois me tord les boyaux et, pour la première fois de ma vie, je baisse le regard pour ne pas avoir à affronter la réaction d’une personne à mes actes. Il s’enfuit de la tente et je prie pour qu’il ne fasse pas de bêtises, qu’il ne s’enfuit pas seul. Je ne peux pas le suivre, je ne peux pas les laisser s’imaginer qu’ils ont gagné un quelconque pouvoir sur moi.

« Mes conditions.
- Bien sûr … comme je l’ai dit, nous sommes civilisés. »






Je retrouve Sam dans notre tente, montée pendant que nous étions questionnés et entourloupés. Il tourne en rond et je décide de lui parler par signes, l’obligeant ainsi à cesser de bouger pour me lire et s’assurer une certaine discrétion.

« Sam, je t’en prie. On ne peut pas abandonner maintenant, pas après tout ce qu’on a vécu pour y arriver. Retourner à Oranan sans le métal, pour cette raison, c’est inacceptable pour moi.
- Mais … ce n’est qu’un concours, ce n’est qu’un métier. Ça ne vaut pas ce sacrifice, rien ne le vaut, rien au monde ne vaut que tu fasses ça.
- C’est à moi d’en juger et j’ai pris ma décision. Ce n’est pas si terrible.
- Mais si, si, c’est terrible. L’intimité des corps est précieuse. Les sentiments partagés sont précieux pour l’âme. L’acte d’amour c’est donner une partie de son cœur à l’autre, c’est un cadeau, LE cadeau qu’on offre à une seule personne, à LA personne qui partagera son cœur en retour pour une vie entière
- Ce que tu me dis là n’a aucun sens.
- Je te parle de respect, envers soi, notre corps, notre intimité et ce qu’on est.
- Je crois qu’on ne parle pas la même langue. Mon corps est un outil, pas un sanctuaire. Mon entre-jambe a pas plus de valeur que ma main. Mon intimité se limite à mes pensées. Sam, j’étais une courtisane, c'était mon gagne-pain. Coucher pour obtenir quelque chose est pas différent pour moi que marcher pour avancer. Ce n’est ni mal ni mieux, seulement différent.».

Pour la première fois, il me regarde avec les yeux du jugement. Même lorsqu’il m’a vu égorger un homme désarmé, il n’était que choqué. Je sens qu’il se bat intérieurement pour ne pas me juger, qu’il se force à ne pas me faire ce qu’'il désapprouve de la part des autres à son égard ; mais c’est difficile et je le comprends parfaitement.

« Pardonne mes mots. J’ai oublié que chez vous, on respecte énormément cela, que vous n’avez qu’une seule compagne pour la vie. Si ça peut te rassurer, mon peuple n’est pas comme moi.
- Tu m'as dit un jour que les gens comme toi rendent le monde triste et froid, comment on devient comme toi ?
- Je ne sais pas. A un moment clé je pense que j’ai perdu quelque chose et je l’ai remplacé par autre chose de plus froid pour survivre. Mais je ne suis pas malheureuse, je vis bien ce que je suis. »

Je ne le sens pas convaincu pour autant mais il est tolérant, incroyablement tolérant. Il me promet qu’il fera un effort pour ne pas y penser, pour se concentrer sur sa mission. Je lui explique alors à quoi vont ressembler nos prochains jours. Nous dormirons dans leur campement, nous mangerons à notre faim et n’aurons plus de problème d’eau. Tous les jours, nous irons dans le désert et chaque nuit nous reviendrons. Nous n’aurons pas notre tente mais plusieurs voilures et tapis pour se mettre à l’abri en plein jour.
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Re: Le Désert de Pierres

Message par Madoka » ven. 19 avr. 2019 23:51

Quand on est à l’intérieur de ce désert de pierres, quand on ne voit plus que des piliers, des colonnes et des arches de pierres autour de nous, on est transporté dans un univers complètement différent des dunes de sable. La brûlure du soleil est là, je cuis littéralement sous mes couches de vêtements et me liquéfie au moindre coup de vent ; mais l’impression d’être dans une immensité sans fin et sans espoir a laissé place à une sensation étouffante d’être entourée de pierres tombales pour géants. Il n’est pas rare de voir la forme d’un visage creusé dans la roche, j’ai d’abord cru à une illusion mais ce n’est pas comme reconnaître des formes dans les nuages ; ici, la pierre représente vraiment des visages et des postures de corps entier. Et ces faces nous observent. Je deviens peut être paranoïaque à force d’errer dans des paysages tous plus fous les uns que les autres mais je me sens surveillée et jugée.

Le chaperon qui nous accompagne ne nous est d’aucune utilité. Il n’est là que pour s’assurer qu’on retrouve le chemin du retour et qu’on ne s’enfuit pas. Comme s’il était envisageable de fuir avec une journée de réserve d’eau. Il ne peut même pas nous en apprendre sur ces visages car il ne parle que sa langue natale.

Cela fait plusieurs jours que Sam est tout entier consacré à la recherche de traces de minerai, d’un filon ou d’un gisement de fer. Il a tenté de m’expliquer comment l’œil d’un forgeron aguerri comprend la pierre, la topographie et d’autres noms dont je n’ai déjà plus souvenirs ; il doit d’abord trouver un filon de fer car d’après lui, les métaux élémentaires sont liés au fer qui aurait été modifié ou transformé ensuite par les éléments, naturels ou fluidiques. La seule chose que j’ai comprise, c’est qu’il lui faut du temps et le temps passé ici, surtout au même endroit, est synonyme d’ennui.


Aujourd’hui, nous avons installé notre abri de fortune proche d’une sorte de large crevasse ; semblable à un petit lac desséché depuis la nuit des temps ; que Sam souhaite contrôler avant de repartir. Malgré les jours plus reposant au campement, il a encore les traits tirés par la fatigue. Il ne décolère pas de l’arrangement passé avec le clan, cette recherche a pris une nouvelle tournure pour lui et chaque journée à creuser sans rien trouver le mine un peu plus.
Lorsque nous descendons vers la crevasse, on remarque au fond de celle-ci un énorme rocher de la taille d’une grande maison, très haut et bombé, comme si la terre avait explosé sous plusieurs colonnes. Sam émet un son de gorge éloquent, un cri de joie à sa manière. Il me regarde avec des yeux écarquillés.

« C’est un chapeau … un … peu importe, tu t’en fiche.
- Non. Je ne retiens pas c’est tout.
- C’est bien ce que je dis.
- Oui bon ok. Toi tu m’intéresses, pas ton métier. A voir ta tête de benêt ça a l’air d’être une super nouvelle.
- La meilleure depuis des semaines. Ça veut dire que là-dessous, il y a du fer en grande quantité. Dans mes recherches, un mineur avait décrit le filon de San-divyna comme celui qu’on voit à l’œil nu. La luminosité le jour est trop forte mais à la tombée de la nuit, s’il y en a ça fera comme des minuscules lucioles.
- Il nous reste du temps aujourd’hui avant de rentrer. On a le matériel, on descend. »


Comme partout dans cette immensité sableuse ou rocailleuse, il n’y a pas de chemin. La descente est compliquée, certains passages nous obligent à poser les fesses au sol et à nous laisser glisser. S’il trouve un filon de métal élémentaire, il me faudra chercher ou créer un meilleur chemin afin de remonter les blocs de pierre.
En bas du cratère, il n’y a plus une seule colonne de pierres en bon état, les visages sont souvent brisés et les débris jonchent le sol, des débris presque fossilisés au sol. Quel que soit l’événement qui eut lieu ici, ce fût en des temps que les hommes du clan Yimni n’ont pas connus. La sensation d’oppression qu’on ressent là haut est décuplée ici, au pied de cet énorme champignon de terre et de pierre.

« C’est comme si quelque chose avait percuté le sol.
- Genre un géant ou le poing d’un Dieu, dis-je en plaisantant.
- Pourquoi pas. »

Lui ne plaisante pas du tout. Il examine la base du rocher avec minutie pendant de longues minutes, parfois en équilibre précaire sur un reste de colonne effondrée juste à côté. A le voir ainsi, on le dirait revenu à nos premières heures ensemble, plein d’espoir, d’impatience teintée de confiance et la tête pleine de perspective d’avenir en lumière. Je reste là à l’observer et fais le vœu qu’il puisse un jour retrouver cette joie de vivre, cette réelle joie de vivre et qu’elle ne soit plus jamais éphémère.

Un bruit au loin me sort de mes rêveries et c’est moi cette fois qui écarquille les yeux tandis que mon cœur bondit dans ma poitrine.

« Sam ! » Je l’appelle par réflexe, oubliant qu’il ne peut pas simplement me répondre pour se signaler. Mon regard se perd vers les parois de la crevasse et les ombres naissantes de la fin de journée … on n'est pas du bon côté, elle nous arrive droit dessus et on est plein vent au milieu d’un trou béant rempli de milliers de caillasses qui ne demande qu’à apprendre à voler.

« Une tempête !! Je hurle plus que nécessaire mais le bruit du vent au loin me fait soudain paniquer. Je cours vers lui et l’attrape par le bras pour l’aider à descendre de sa colonne. Sam, faut remonter la pente, on n’est pas du bon côté. »

Il est ce qu’il est. La terreur se lit dans son regard, juste miroir du mien très certainement, mais il hoche la tête avec une détermination qui arque ses sourcils et pars en courant tandis que je lui emboîte le pas. On remonte la pente plus vite qu’on ne l’a descendue mais à mi parcours il commence à tousser très fort et à tituber. Il tombe plusieurs fois en avant, s’écorchant les mains et les genoux pour se rattraper. Il a le teint livide et la respiration haletante mais il avance, il tente d’avancer coûte que coûte, refusant mon aide en rejetant ma main.
Il titube une nouvelle fois et glisse jusqu’à mes pieds. Il respire de plus en plus mal, ses mains crispées ne réussissent pas à bouger. Sa panique m’entraîne dans un bouillon sans repère et pendant quelques secondes, je nous crois complètement perdus.

« J’crois qu’t’as bien saisi quand j’ai dis qu’t’allais pas crever dans c’putain d’désert ! »

Mon sang bouillonne de rage. Non, on ne va pas mourir ici à deux pas d’une quasi chimère, exposés faces aux vents tourbillonnants sur la pente d’un trou dans un désert qui veut notre peau depuis qu’on y a mis les pieds. Je passe mon bras en dessous de ses épaules et l’aide à remonter, hurlant pour me donner la force de le porter, contractant jusqu’au dernier de mes muscles pour garder l’équilibre. Là où nous nous laissions glisser sur le ventre à l’aller, je dois le soulever et le pousser par-dessus les murets formés dans la paroi. Et la tempête se rapproche, le sifflement du vent, le ronflement du sable qui s’élève et roule à l’intérieur de cette masse que rien n’arrête … je n’entends plus que ça.
Sam glisse plusieurs fois. Il tousse, s’étouffe et crache une substance visqueuse de plus en plus souvent. Je sens ses doigts s’agripper à mon dos et son poids devenir de plus en plus lourd. A quelques mètres de l’arrivée, on tombe tous les deux vers l’avant lorsqu’il s’évanouit. Au loin, à travers les colonnes, je la vois, monstrueusement haute, monstrueusement puissante. Le ciel est masqué par cette masse de sable et de vent tournoyants … mais elle n’est pas encore là, elle ne m’aura pas. Evanouit, Sam devient un vrai fardeau, comment un être si petit peut-il être aussi lourd. Je le traîne par les pieds, par le col ou par les bras, dépendamment des obstacles et de sa position après l’avoir fait rouler. J’ai l’impression d’être un ivrogne qui tente de faire monter un escalier à un tonneau de vin.
Je hurle ma douleur et ma terreur à la face du vent à quelques kilomètres à peine maintenant. Je ne sens pas encore les premiers tourbillons, j’ai peut-être encore quelques minutes devant moi, pas assez pour retourner aux dromadaires. J’ai réussi à remonter Sam en haut de la crevasse et le traîne au sol tant bien que mal, chutant tous les deux pas. J’ai les yeux collés par la poussière et la sueur, le corps tétanisé par l’effort, les poumons en feu et les mains en sang. Une énorme quinte de toux réveille Sam, il crache et crache encore cette matière visqueuse mais son souffle ne revient pas et commence à suffoquer. Je le tiens à nouveau par les épaules et nous avançons aussi vite que possible vers un coude formé par plusieurs colonnes serrées. On le glisse du bon côté, sous le vent afin d’éviter d’être happés par les débris et les petites pierres soulevés et éjectés par les vents qui nous arrivent dessus.

« Sam ! Sam ! Qu’est-ce que tu as ?
- A.s.t.h.m.e … dans son état, il ne parvient qu’à épeler.
- Je ne comprends pas, c’est quoi ? Un truc dont t’as besoin.
- Maladie.
- Putain, j’pige que dalle. Qu’est-ce qu’il te faut ?
- Calme. Respirer.»

Ses yeux ravagés par les larmes, la peur et la douleur des spasmes qui le torturent me supplient. Je me sens impuissante et arriérée de ni comprendre ni savoir. J’ai soudain une idée pour le calme dont il a besoin. J’ôte son thoab et le mien et déplie ma cape ; je l’installe face à moi contre les colonnes et passes mes jambes au dessus des siennes afin de l’entourer. J’installe les vêtements amples et ma cape au dessus de nous, les coincent sous mes fesses, sous ses pieds et les miens pour qu’ils ne s’envolent pas. Je cale son visage au creux de mon épaule, ma bouche collée à son oreille et commence à chanter une berceuse tandis que les premières rafales font trembler le sol et vibrer les colonnes contre nous. Machinalement, nous serrons nos jambes contre l’autre et ramenons nos pieds au plus près pour piéger les tissus dessous. Le son n’est qu’à peine atténuer mais j’espère que l’impression d’être dans un cocon protecteur est partagée par mon compagnon qui peine encore à respirer. Il inspire lentement par le nez au rythme de la berceuse, très lente et répétitive, et souffle entre ses dents serrées. Je chante et le serre contre moi, essayant tant bien que mal de ne pas entendre le grondement au dessus de nos têtes, de ne pas sentir les vibrations du sol ou des pierres qui se fracassent contre la face opposée des colonnes.
Quand enfin tout s’arrête, on reste collé l’un à l’autre un temps indéfini. Son torse contre le mien bouge au rythme d’une respiration redevenue normale, son souffle contre ma peau est long et régulier.

« C’est quoi cette maladie ? »
Il se recule légèrement afin de pouvoir signer et me regarde comme si je venais de lui avouer venir d’un autre monde.
« De l’asthme. Une maladie des bronches. C’est inscrit sur le registre du Conseiller Gale.
- Ah ! J’ai pas dû lire aussi loin.
- T’es pas croyable.
- Et toi donc ! Allez rentrons-vite, on a un chapeau à désosser dès demain.
- C’est presque ça ! Mais rentrons oui, j’ai besoin de mon traitement. »
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Re: Le Désert de Pierres

Message par Madoka » ven. 19 avr. 2019 23:59

Le lendemain, malgré les événements de la veille, nous partons lorsqu’il fait encore nuit afin de gagner du temps sur place. J’ai réussi à récupérer des cordes supplémentaires, des crochets et une deuxième pioche pour moi afin de creuser un chemin plus praticable. Notre escorte aujourd’hui est de deux hommes mais comme l’a dit le vénéré et vénérable chef à la fesse molle, ils ne sont pas là pour nous aider, seulement pour veiller l’un sur l’autre car, comme je l’avais pressenti, là bas on est en danger quand on est immobile et surtout plus sur nos dromadaires.
Le traitement de Sam ; composé d’un mélange de plantes qu’il fait bouillir et dont il respire les vapeurs ; l’a plutôt bien remis sur pieds, il a l’air en forme bien que son humeur lorsque nous sommes au campement reste maussade. Je sais qu’il se fait violence pour accepter les cordes et outils que les Yimni nous procurent car il sait d’où ils viennent et ce que je fais pour les avoir. Il ne comprend pas et cela va à l’encontre de beaucoup trop de valeurs qui lui tiennent à cœur pour qu’il l’accepte simplement.

Quand on arrive à la crevasse cependant, il redevient le forgeron impatient et appliqué que j’aime observer. Dès notre arrivée au petit matin, nous laissons les deux cerbères s’occuper de l’abri et partons directement au travail.
Je fais découvrir à Sam mes talents à l’escalade et lui permet de gagner un temps considérable pour chercher la meilleure veine où commencer. Le monticule de pierres et de terre sablonneuse est facile à escalader, il y a énormément de prises solides et d’anciens blocs de pierre qui formaient les colonnes sont encore assez stables pour servir de plateau à une personne de petite taille. Je plante plusieurs crochets dans des minuscules fissures aux endroits que Sam souhaite contrôler puis je l’aide à grimper à la corde.
A la fin de la première mâtinée, nous n’avons pas trouvé de trace de San-divyna mais le monticule est grand et il est confiant. Pendant la longue pause obligatoire en pleine journée, nous tentons de dormir un peu entre deux discussions sur l’organisation des quelques heures supportables en fin de journée.


C’est en fin de journée du deuxième jour qu’il trouve enfin une veine dans la roche qui émet réellement de la lumière, on ne la voit pas quand ce maudit soleil nous éblouit mais dès que notre ombre passe dessus, c’est comme si une luciole apparaissait dans la nuit. Malgré la chaleur, la soif, la fatigue et la douleur d’ouvrir la bouche pour sourire, nous éclatons de joie et rions jusqu’à être au bord de la suffocation.

« Merde à ce désert maudit ! On a trouvé son trésor !! »

Il nous reste peu de temps avant de devoir repartir au campement mais Sam tient à tailler un premier bloc de la roche pour dormir ce soir avec le premier morceau d’une longue série. De mon côté, je stabilise le cordage et multiplie les points d’accroches autour de la zone. Dès le lendemain, il sera seul là haut à piocher, creuser ou je ne sais quoi pour ouvrir la roche et suivre le filon car de mon côté, je vais continuer à préparer le chemin pour remonter les blocs de roche et de minerai.

Pour la première fois, rien ne parvient à lester sa bonne humeur la nuit venue. Quand le lendemain, je le réveille en lui apportant du lait de chèvre ; il l’accepte sans grimacer bien qu’il sache que rien dans ce campement n’est gratuit.

« Bientôt Madoka, signe-t-il en levant sur moi le regard le plus déterminé et acharné du monde, je te délivrerais de ces rats immondes. »

Je l’embrasse sur le front et ne dis rien. Depuis le temps que nous voyageons ensemble j’ai compris à quel moment il était inutile de lui parler, même pour le remercier ou le rassurer. Il décrypte les expressions et les émotions comme personne, même les miennes alors que je n’excelle pas dans l’expression faciale spontanée.






Cela fait trois jours que nous avons découvert le filon. Ne pouvoir y travailler que peu d’heures par jour tiraille Sam au plus haut point et chaque jour je dois lutter pour qu’il revienne à l’abri en fin de matinée et lutter plus encore pour qu’il dorme et qu’il attende le début de soirée pour y retourner un peu avant de rentrer. Les allers et retours obligatoires deviennent une corvée qu’il ne supporte plus, les longues heures à ne pouvoir rien faire que côtoyer ces hommes qu’il exècre sont un châtiment plus sévère que retourner à Oranan sans minerai.
Je le vois s’enfoncer dans le trou qu’il creuse toujours plus profondément, en sortir des blocs de pierres parfois aussi larges que lui et les descendre par les cordes à la force des bras. Il a le visage ravagé par des égratignures, le bout des doigts noirs de croutes de sang séché mais il ne veut pas s’arrêter ou faire une pause. Je remonte les sacs de minerai un à un, me remémorant ses explications quant à la quantité de métal pur et utilisable qu’il peut y avoir dans chaque sac et me demandant parfois si tout ça vaut vraiment la peine, oubliant mes propres paroles ainsi que la portée de sa quête qui va au-delà d’une victoire.

La routine qui s’est installée nous a presque fait oublier où nous nous trouvions.
Jusqu’à cette fin d’après-midi. Je suis en train de transférer le contenu d’un sac dans un autre lorsqu’un son ressemblant à un sifflement humide attire mon attention. En me retournant vers le sentier créé par mes pas, je ne vois rien et les deux hommes du clan ne réagissent pas ; le son recommence, plus près et j’ai l’impression de percevoir aussi un frottement et bruit de caillou qui roule. En me reculant pour voir derrière une large colonne, j’aperçois la chose qui s’avance en se dandinant sur ses grosses et courtes pattes. Cette fois, j’ai en face de moi un véritable lézard géant, sans croisement d’aucune sorte à l’instar du roi saurien. Sa peau est semblable à du cuir, ses pattes sont courtes mais larges et munies de solides griffes, sa gueule est énorme et donne l’impression de pouvoir avaler un enfant sans le mâcher. Il avance vite et se met soudainement à courir au moment où il se sait démasquer.

Les deux hommes du clan réagissent vite mais l’un d'eux trébuche et manque de se faire arracher une jambe. La bête est vive, bien plus que ne le laisse présager sa taille et son poids. A peine a-t-elle raté une cible qu’elle se jette sur une autre. J’ai juste le temps de dégainer mon sabre et donner un coup à l’aveugle pour la faire reculer d’un pas. Elle bondit aussitôt après pour riposter. Je recule rapidement, l’obligeant à allonger son cou et sa gueule vers moi pour lui tailler le bout du nez … mais en plus d’être vive, elle est aussi maligne car elle plonge la gueule vers le sol au dernier moment pour esquiver et continue son mouvement droit vers mes pieds. Des pieds heureusement invisibles sous les pans du thoab trop grand pour moi.
Ses dents agrippent le tissu et le déchirent lorsqu’elle secoue la tête nerveusement. Je m’écarte d’une roulade et me cache derrière une colonne le temps de sortir deux lames. Lorsque je fais le tour de l’autre côté, il m’y attend déjà, remonté sur ses pattes avant et la gueule légèrement en arrière. Il émet un son guttural et caverneux et sa gorge remue par vagues, je reste interdite devant ce déroutant spectacle, me demandant si je ne ferais pas mieux de profiter de son espèce d’immobilisme au lieu d’observer. A peine ai-je lancé mes lames qu’un hurlement venant de la droite me fait changer d’avis sur le fait de charger vers lui. La barrière de la langue n’existe pas pour les cris de terreur et les gestes de fuite. Quoi qu’il prépare, c’est trop dangereux pour rester à distance. Je recule d’un pas et lorsqu’il ouvre la bouche - écoutant la crainte du Yimni - je roule à nouveau sur le côté pour m’écarter au lieu de m’éloigner.
J’évite de justesse un jet de salive immonde mais c’est en me rétablissant que je me rends compte de l’origine de la terreur de l’homme. La salive de cette bestiole est assez acide pour faire fumer la roche. Si ce truc me touche c’est au mieux, la perte d’un membre assuré et au pire, la vie. Il ne semble pourtant pas pouvoir cracher sa salive à tout bout de champ car il se cambre aussitôt après pour me croquer la jambe. N’étant pas sûre de parvenir à l’esquiver et encore plus sûre de ne pouvoir le toucher, je lui lance une grosse poignée de sable à la gueule. Il arrête son mouvement à temps et je glisse en arrière et me relève pour fuir pendant qu’il éternue ; si tant est qu’un tel monstre puisse le faire comme un humanoïde ; et se racle le bout du nez contre un rocher.

Les deux hommes du clan n’ont pas l’air pressés de se mêler au combat. L’un d’eux s’est empressé de rejoindre les dromadaires, qui étonnement semblent intimider le lézard géant ; l’autre hésite. Il s’est éloigné sans être hors de vue et a sorti son arme mais ne profite pas des ouvertures que lui offre son attention sur moi.
A plusieurs reprises je tente de le contourner en utilisant les colonnes mais il est presque aussi agile que moi et connaît bien mieux son territoire et, si je parviens à tailler sa peau d’écaille plus d’une fois, ma dernière attaque manque de finir en une riposte mortelle. Il est intelligent, il a deviné mes mouvements et les a anticipés. Ses attaques répétées et identiques n’avaient que ce but, parvenir à lire mes réactions. Je vais lui montrer que ma sournoiserie, elle, est sans égale. Il attaque et je réagis comme attendu, ripostant une fois avant de me glisser vers une colonne que j’escalade au lieu de contourner, pendant qu’il se place de part et d’autre grâce à son immense corps et sa queue sans fin. Sa stratégie est là, il attend que je le surprenne d’un côté ou de l’autre pour soit me fouetter de sa queue, soit me croquer. Je grimpe hors de vue et lui tombe littéralement dessus. Mais mon ombre me trahit, il frappe contre la colonne avec sa queue, à peine à quelques centimètres de ma tête. Assez loin pour ne pas m’assommer mais assez proche pour que sa masse m’éjecte de ma trajectoire pourtant si parfaite. Je tombe au sol sans grâce sur le sable qui allège les dégâts de la chute. Des débris de pierres pleuvent sur le lézard géant, dont un assez gros qui lui tombe sur la tête et plusieurs sur ses pattes arrière. Un moment parfait pour placer une attaque, sauf que je suis à terre et dois rouler sur moi-même pour éviter au mieux la chute de pierres.

Ce n’est pas le cas de celui qui hésitait à rejoindre le combat. Il s’élance au bon moment, armé de sa lance et transperce le flan du lézard. La bête siffle et rugit de douleur mais la bête n’est pas morte … l’homme retire sa lance et lève les bras pour réitérer son attaque. Le lézard le fouette violemment de sa queue enfin dégagée, deux coups brutaux qui repoussent le jeune homme sur plusieurs mètres, qui s’écrase contre un rocher, la tête en sang.
Le lézard se secoue dans tous les sens pour se dégager des rochers. Je me suis relevée un mètre ou deux plus loin, couverte de poussière, d’égratignures et de futures ecchymoses sur tout le corps. La gueule du monstre se tourne vers le jeune homme, puis vers moi avant de revenir vers le jeune homme. Même plusieurs fois blessé par mes attaques, même transpercé par une lance, il tient sur ses pattes et parvient à se ruer sur le plus faible de ses adversaires. Si je laisse mourir l’un des hommes du clan Yimni, s’en sera fini de notre arrangement et dans le meilleur des cas, nous devrons repartir avec le minerai déjà récupéré.

Je lâche mon cimeterre et prends ma dague avant de courir vers le lézard, plus lent en raison de ses blessures. J’ai une opportunité rêvée, la meilleure depuis le début du combat et la seule fois où je peux enfin envisager de frapper là où la bête ne peut m’atteindre en ripostant. Mais si tout se passe bien, elle n’en aura pas l’occasion.
Elle est sur le point d’atteindre le jeune homme qui est tétanisé contre son rocher. Je bifurque en sautant sur un petit muret et y prends appui afin de bondir et m’envoler par-dessus le lézard, dague en main, prête à en finir. J’atterris à califourchon et plante ma lame à deux mains, profondément à la base de la nuque. Le lézard trébuche et tombe en avant comme un poids mort. Pas encore mort cependant. Il se redresse sur ses pattes avant en une dernière et ultime tentative de riposte. Je sors deux autres lames de leur étui, serre les jambes pour garder l’équilibre et parvenir à me relever, juste assez pour lui planter une lame dans chaque œil au moment où il redresse la gueule. Les lames s’enfoncent profondément dans le crâne. Le lézard retombe et cette fois, mort tout court.

Le jeune homme est à quelques pas de là, poussiéreux et le front en sang, haletant. Il me regarde comme s’il me voyait pour la première fois de sa vie. Il reste plusieurs secondes immobile, ses yeux grands ouverts ne cillent pas ; mais sa vessie en revanche s’est lâchée, sans doute au moment où ses pensées ont conclu à une fin proche. Il se met soudain à hoqueter nerveusement avant de rire bruyamment au point d’en pleurer. Dans mon dos, j’entends l’autre revenir avec les dromadaires. Je les laisse se débrouiller ensemble car une tête apparaît en haut du chemin creusé dans la paroi de la crevasse.

Sam est là, les yeux écarquillés. Il observe la scène, vérifie par deux fois que personne ne soit en danger de mort avant de signer quelques mots … que je n’aurais jamais imaginés de sa part.

« Et toi tu t’amuses pendant que je bosse ! C’est du beau »

En écho au jeune homme, j’éclate de rire. Pas de joie car je suis en nage, j’ai mal partout, j’ai du sable et des cailloux partout et ça me gratte jusque dans mes sous-vêtements. Et j’ai chaud … c’est inhumain de bouger autant par cette chaleur. Je ris de son trait d’humour, je ris de le voir si joyeux sans même savoir encore pourquoi.

« Et tu as été productif ?
- T’imagine pas ce que j’ai trouvé … une veine comme jamais j’en ai vu. Elle sillonne tout le haut du chapeau, c’est une merveille. Trois jours, encore trois jours de travail dans ce trou et on s’en va.
- C’est précis.
- Dans quatre jours, une année se finit pour moi et une nouvelle commence. Il est hors de question, hors - de - question, que je commence cette année en demandant à mon protecteur, ma sauveuse, de se sacrifier pour moi comme ça. Ca m’est insupportable. Je fais de gros effort pour accepter le fait que cela ne te dérange pas, mais accepte le mien de vouloir en finir avant cette date. Ma mère ne m’a pas mis au monde pour que je vende mes amis à des porcs.
- C’est d’accord. Trois jours, pas un de plus. Je vais chercher les derniers sacs de ce soir. »

Ce sale gosse a le chic pour m’attendrir, si je reste plus longtemps devant lui je vais finir par le serrer dans mes bras. Il prend lui aussi un risque en repartant trop vite d’ici. Le San-divyna est fragile, d’après lui il arrive que le métal se détériore lors de l’extraction et qu’avoir beaucoup de minerai en signifie pas obtenir beaucoup de métal surtout s’il est mal manipulé. Je dois respecter son choix, lui ayant demandé de respecter les miens.
Je me penche pour prendre la branche qui me sert à remonter les sacs lorsque je sens une main sur mon épaule, une poigne solide qui me fait sursauter. L’homme qui s’est réfugié auprès des dromadaires me fait signe qu’il va aller chercher les sacs avant de me montrer mon dromadaire.

Les deux hommes nous font comprendre que pour le reste de la soirée, nous n’aurons plus rien à faire. Ils s’occupent de tout jusqu’au campement, où ils me demandent d’attendre dans ma tente. Ils récupèrent le cadavre du lézard et le trainent jusqu’à leur khaïma.
Modifié en dernier par Madoka le sam. 20 avr. 2019 15:55, modifié 1 fois.

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Re: Le Désert de Pierres

Message par Madoka » sam. 20 avr. 2019 00:03

Plus tard, lorsque le chef de clan me fait appeler, un nouvel espace de leur logis m’est ouvert avec ni plus ni moins qu’un bac d’eau. La fumée qui s’échappe de cette eau pourrait à elle seule me faire pleurer mais je m’arme de tout ce que j’ai de retenue et de fierté pour ne pas avoir l’air d’être reconnaissante ou d’apprécier le geste. Il n’y a personne d’autre que moi et le chef de clan, qui ôte mon chèche, mon thoab et le reste de mes vêtements.

« Ceci, ma très chère Madoka, n’a pas de prix. Tu as sauvé la vie de mon neveu aujourd’hui, alors que j’ai ordonné aux miens de ne point t’aider, en aucune circonstance. Avec ta permission, il souhaite une nuit avec toi. »

Je hoche la tête. Sa voix est anormalement prévenante et ses gestes sont paternels … ça m’en presque froid dans le dos. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté la requête de son neveu. Je ne veux pas avoir l’air faible devant le chef de clan, je dois rester digne et maîtriser mes émotions, lui donner l’impression de toujours avoir le contrôle et cela sera impossible quand mon corps sera en contact avec cette eau chaude qui sent bon les épices, pas quand cela fait des semaines que je n’ai pas pu me laver correctement.
Il me dit de rester là, assise ou debout selon ma préférence, et d’attendre. Il laisse sa place à son neveu qui, sans un mot, prend l’éponge, le pain de savon et me lave. J’ai beau être nue et être lavée par un proche des hommes qui se servent de mon corps à leur guise, je me détends et me dis que même une reine ne doit pas être lavée avec autant de douceur et de cérémonial. Ou peut être que si.

Enter dans l’eau est aussi délicieux qu’attendu. Je savoure ces dernières minutes de royauté et profite de ce moment présent sans penser au passé ou à notre futur incertain. Le jeune homme me rhabille, toujours sans un mot et sans un regard, et me conduit jusqu’à ma tente. Sam n’y est pas et avant que je n’ouvre la bouche, le jeune homme parle enfin.

« Petit homme bain. Prendre repas et boisson avec chef.
- Et nous ?
- Prendre repas aussi. »

Le jeune homme partage avec moi un repas copieux en remerciement de lui avoir sauvé la vie. Il parle lentement et s’aide de gestes parfois pour m’aider à mieux comprendre. Quand le monstre a failli le tuer, il a repensé à sa vie, ses choix et ses faiblesses. Dans leur grand campement, là où se trouvent leurs familles, il y a une femme, fille d’un chasseur, intelligente et douce mais aussi fière et forte, une femme qui ne l’acceptera jamais s’il se conduit comme ceux qui ont couché avec moi. Il espère un jour la voir devenir sa femme, sa promise, son unique. Une vie d’un ennui mortel mais apparemment, si j’en crois les certitudes de Sam, il existe plus de personnes comme eux que de comme moi alors qui suis-je pour juger de l’utilité de vivre avec une seule et même personne.
Toute cette soirée et cette nuit au calme, le bain ainsi que le repas, je les dois au fait d’avoir sauvé la vie d’un des membres de ce clan … et je l’ai vécu comme une surprise, comme un bienfait inattendu. Et de fait, en lui sauvant la vie, je n’envisageais pas de m’en faire un allié mais seulement de ne pas me faire plus d’ennemis. Avant qu’il ne parte, je lui offre l’un des bijoux provenant d’Oranan. Un peigne en bois noir laqué où des oiseaux aux longues pattes péchant dans une rivière bordée de bambous sont peints en or. Je lui montre comment attacher ce bijou exotique aux cheveux de sa promise.


Après cette nuit, les voyages jusqu’à la crevasse et les journées de travail à la mine éphémère sont plus faciles à vivre. Nous recevons plus d’eau que nécessaire pour une journée et nous mangeons enfin à notre faim. Plus important encore, nous pouvons partir plus tôt et rentrer plus tard. Dès le lendemain, nous arrivons aux aurores, le soleil naissant n’atteint pas encore le fond de la crevasse et nous descendons pour voir de nos yeux le spectacle qu’offre le San-divyna. Sam avait raison, c’est comme si la roche était infestée de minuscules petites lucioles, dans le tunnel creusé dans la terre jusqu’au noyau du chapeau, la lumière rend la roche transparente par endroit. Le forgeron est transporté de joie, il travaille comme quatre hommes malgré sa minutie impressionnante.

Trois jours durant, nous travaillons d’arrache pied. Cette fois rien ne vient perturber notre motivation et notre routine devenue sans me vanter un chef d’œuvre d’organisation. Les mains de Sam pourtant sont abîmées, très abîmées. Ramper dans ce tunnel étroit et y travailler n’est pas facile même pour lui. Quand elle se brise, la roche est coupante et lui la manipule à mains nues à longueur de temps. Les cales de ses paumes se fissurent, comme la peau de nos lèvres asséchées.
Le soir du troisième jour, je préviens le chef que nous partirons comme convenu, le lendemain. Il n’y croyait pas lorsque je lui avais dit trois jours plus tôt, nous avions même parié. J’ai gagné une dernière nuit sans hommes à contenter.

Le lendemain, nous nous préparons à la lueur de la lune et du feu de camp, avec comme seul compagnon le froid glacial des nuits désertiques, un froid sec et sans air qui glace au lieu de rafraichir mais à l’inverse des hommes du désert, nous avons finis par l’apprécier. La plupart des hommes du clan sont restés sous la tente, à dormir probablement mais certains sont venus nous aider à attacher nos lourdes possessions. Le chef de clan est là ce matin, à la différence de tous les autres, il observe le ciel étoilé et resserre le col de son habit.

« Petit homme !! dit-il à Sam d’une voix solennelle. Tu es honnête et courageux, je le respecte. Quatre de mes hommes vous accompagneront, tous volontaires. Suivez leurs rythmes et vous réduirez votre temps de voyage de moitié. Ils vous escorteront jusqu’où vous voulez. »

Sam signe un mot puis se hâte de me demander d’oublier. Je ne traduis pas mais l’homme qui nous a trouvés au puits, le plus détestable de ce clan et qui n’a cessé de l’invectiver à la moindre occasion, a tout compris.

« Comment ? Tu ne veux plus savoir pourquoi ? Tu ne veux pas entendre les détails de ce qu’elle a fait pour moi, pour lui ou les autres. Il y aurait tant à dire, petit poilu, tant que tu ne pourras plus la regarder en face …
- Ça suffit !! Ne te moque pas de ses principes. C’est indigne, même de toi.
- Elle a raison. Présente tes excuses ou je la laisse t’arracher la gorge avec les dents. »

L’homme détestable obéit. Le chef du village me tend discrètement un coffret en ivoire. A l’intérieur, deux piques à cheveux en métal à la pointe aiguisée. Les embouts sont des visages sculptés dans du bois et d’où pendent plusieurs petites cordelettes tressées autour de billes d’ivoire et des dents du dragon-tigre.

« On m’a raconté comment tu te bats et comment tu as exécuté le dragon-tigre. Je les ai faites moi-même. Elles remplaceront celles que tu utilises dans tes cheveux.
- Merci. Dis-je d'une voix neutre. Dites, ce minerai métallique qu’on a récupéré, il n’a rien de sacré pour vous n’est-ce pas.
- Non. Ton ami avait raison, je ne suis malheureusement qu’un porc insatiable.
- Ne vous blâmez pas ainsi, que devrais-je dire de moi sinon. »

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