Les Plaines Marécageuses

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Yuimen
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Les Plaines Marécageuses

Message par Yuimen » ven. 5 janv. 2018 11:44

Les plaines marécageuses

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Une plaine brumeuse et marécageuse. Voilà ce qui attend le voyageur qui s’aventure hors d’Exech. Les herbes hautes et la boue ralentissent toute progression dans ce sinistre paysage. La brume est due à la proximité de la mer et du désert, offrant au paysage une atmosphère lourde, chaude et humide. La nuit, les lucioles donnent une ambiance encore plus lugubre à cet endroit. Veillez à ne pas tomber dans une des quelques mares du coin car les sangsues auront vite fait de vous vider de votre sang.

Il est également possible d'y rencontrer quelques trépassés errants, loin du Manoir Belmont d'où ils proviennent.


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Madoka
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Madoka » mar. 9 avr. 2019 22:20

Le chemin que nous suivons depuis des heures est tracé de la main de l’homme et entretenu par le passage des carrioles comme la nôtre. A un pas de la route, la nature est partout. Nulle part il n’y a trace de muret, de chemin ou de clôtures délimitant le champ ou la propriété de quelqu’un.

Le marin sur l’Allégresse qui connaît la région m’a décrit cette plaine comme un marais brumeux et toxique, plein de moustiques et de bestioles sinistres, habités par des fous mangeurs de crapauds.

Pour ma part, je ne pourrais pas me contenter d’aussi peu de mots pour dépeindre ce que je vois et ressens. Cet endroit est à la fois repoussant et obsédant. La différence de températures commence à devenir difficile. On a troqué notre froid revivifiant contre des températures et des courants étranges, où l’air marin se mélange à une lourdeur moite, où la fraicheur de la brume se dispute les courants chauds qui nous arrivent par vagues. L’atmosphère est lourde, on peine à respirer tant l’air est saturé d’humidité, nos vêtements sont poisseux, je sens la moiteur de ma peau s’infiltrer dans des endroits désagréablement hors de portée de l’envie de se gratter qui va de pair, et mes cheveux sont lourds et collants. Pourtant, cet endroit est saisissant de beauté sauvage et de pluralité. Il n’y a pas de règles, pas de façonnage répondant à une logique.

Le début de la route était large et fait d’un sable épais et solide, surplombant de vastes étendues d’herbes hautes qui sentaient la boue et la vase, sillonnées de ruisseaux tortueux et ponctuées de petites mares d’où s’envolaient des races d’oiseaux aux larges ailes que je n’avais jamais vues. J’apercevais parfois des pontons de bois et des petites passerelles en mauvais état reliant des ilots d’herbes, ainsi que des barques pour la plupart à moitié coulée. Les rayons de soleil perçaient la brume comme une multitude de chutes d’eau et faisaient briller les gigantesques toiles d’araignées qui reliaient les rares arbres ternes au reste du marais. Je n’y aurais pas risqué un pied mais je ne pouvais pas détacher mon regard de ce lugubre calme.

Pendant plus d’une heure ensuite, nous avons avancé au ralenti sur un long, très long pont de bois assez large pour les charriots, qui serpente entre les arbres. Le bois est noirci et étonnamment en bon état, sans doute en raison de l’impossibilité de traverser cette zone autrement qu’en barque. L’ambiance ici est très différente car les arbres sont nombreux, immenses, aux feuillages denses qui voilent le ciel, au tronc démesuré et aux racines tentaculaires. Leur présence me donne l’impression d’être dans une prison végétale. Au moindre bruit, je guette les ombres, les branches tortueuses et l’étendue d’eau verdâtre à nos pieds, je suis même persuadée d’avoir vu à plusieurs reprises des lézards géants à la peau d’écaille et aux yeux globuleux nous observer, à moitié camouflés dans les algues et la mousse.
Il y a de l’eau et des arbres à perte de vue. Les racines sont exposées et sont semblables à une multitude de doigts. Leurs couleurs varient du vert foncé au noir vaseux en passant par le brun boueux, sans doute en raison du niveau de l’eau qui doit monter et descendre en fonction des saisons, ou des marées. Nous avons dû nous rapprocher de l’océan car l’odeur de sel est ténue mais présente. Ici, la faune est bruyante. J’entends constamment des piaillements, des croassements, des grognements, des cris qui sautent d’arbre en arbre sans que je distingue l’animal, des envols sans voir le bout d’une aile, des éclaboussures sans deviner si l’animal est gros ou petit. Ils vivent leur vie loin de nous. Blanchette n’est pas sereine, elle souffle beaucoup et donne des coups secs sur les guides, je la sens pressée et énervée mais le pont n’est pas droit et certaines courbes sont si serrées que j’ai du mal à la faire tourner sans que la charrette ne cogne contre les protections.

A nouveau, le paysage change du tout au tout. Au bout d’une longue ligne droite orientée plein sud, les arbres sont plus épars et plus petits, le pont prend fin et nous retombons sur une plaine marécageuse plus lugubre que la première partie. La route est bien entretenue, clairement construite par l’homme, hormis quelques buttes assez hautes pour être naturellement au sec et qui ressemblent à des dunes d’herbes et de mousses.
En dehors de ces zones, tout a l’air moisi d’humidité. L’air est soudain plus lourd et puant. Une odeur désagréable de putréfaction, de sang et de bois brûlé stagne, semblable à une lourde flatulence. Les bruits changent eux aussi. Je n’entends presque plus rien, comme si la faune sauvage s’était éloignée brusquement. Un cri éclate soudain, très loin de nous, celui d’un homme hurlant de douleur et de peur.

Je tire aussitôt sur les guides pour faire arrêter notre charrette. Sam, qui était en train de somnoler à l’arrière, bondit et se redresse vers la source du cri. Il est inquiet, a le souffle court et le regard apeuré. Il me presse de questions à demi posées en s’emmêlant les doigts. En tendant l’oreille, j’entends le tintement d’armes qui s’entrechoquent.

« Bouge pas de là Sam. Je vais voir ce qui se passe. »

Je rejoins la dune de boue la plus proche et y monte pour observer les alentours. A peine suis-je arrivée au sommet, je me plaque au sol par réflexe, espérant ne pas avoir été aperçu. La scène qui se déroule à travers les fourrés est presque digne d’une bataille rangée.
Peu de temps avant nous a dû partir un convoi important. Plusieurs charriots pleins de caisses et de sacs énormes, des mulets avec des chargements plus larges qu’eux, et près d’une vingtaine d’hommes armés et habillés du même type d’équipement. Une milice ou un groupe de mercenaires sans doute … un groupe dont un tiers est déjà à terre baignant dans leur propre sang. Leurs employeurs ou ce qui y ressemble, reconnaissables à leurs vêtements riches et leurs carrures, tentent de fuir avec ce qu’ils peuvent. Leurs assaillants sont nombreux, mal fagotés mais très bien armés. J’en vois plusieurs à terre, plus ou moins en bon état, mais ils semblent avoir pris le dessus sur le groupe chargé de défendre le convoi.
On est tombé au milieu d’une attaque rondement bien menée. Notre seule chance pour l’instant est que la route n’est pas assez dégagée pour qu’ils puissent nous voir. Un lieu idéal pour un piège de cette ampleur, leurs cibles n’ont même pas dû les remarquer avant que les premiers chevaux ne tombent dans le trou qu’ils ont creusé.
Je rampe le long de la dune et cherche un autre chemin, seul moyen pour nous de continuer à avancer sans avoir à passer par là. Je suis obligée de me redresser pour mieux voir mais je pense avoir trouvé une voie praticable qui part vers le sud et se rapproche de la montagne au loin.

« Alors ? »
Sam m’interroge dès mon retour tandis que Blanchette commence à s’impatienter, perturbée par les échos lointains.
« C’est pas bon du tout. Il y a un énorme convoi attaqué par plus d’une vingtaine d’hommes un peu plus loin, impossible de passer et s’en sortir indemnes.
- On fait quoi ?
- Je suppose que tu ne veux pas faire demi-tour.
- Bien sûr que non.
- J’ai vu un autre chemin. Pas le plus beau de la région ça c’est sûr et je sais pas s’il mène au désert ou à la montagne. Faut faire demi-tour et traverser une partie un peu submergée. Pas de beaucoup, dis-je pour le rassurer, de là haut je voyais le sol et des cailloux pas complètement sous l’eau.
- D’accord. »
Il prend le temps de réfléchir pour répondre, ses doigts tremblent et ses yeux furètent en direction des combats. Je me souviens alors de ses mots sur le navire. Il n’a jamais connu la guerre mais n’a jamais vécu non plus d’attaques de ce genre, ni la violence qui en découle. Je ne sais que dire, sachant que tout ce dont je suis capable c’est d’envenimer son état d’anxiété ou de risque de banaliser ses émotions. A part moi, je me dis alors qu’il n’a pas choisi la voie la plus simple pour se prouver, et prouver à son peuple, qu’il est capable de grandes choses. S’il reste en Ynorie, il risque d’être le témoin d’atrocités plus grandes encore.
Je lui prends les mains et les serre fort avant de passer à l’avant et faire faire un demi-tour à Blanchette, assez lamentablement d’ailleurs. J’arrive tant bien que mal à lui imposer la nouvelle route. Ses sabots s’enfoncent de quelques centimètres dans la mousse et la boue mais elle avance, à son rythme plus qu’au mien, et nous tire jusqu’à la parcelle de terre légèrement surélevée. Il y a des traces de pas et de chevaux sur ce chemin aussi, moins profonds, moins nombreux … peut être en direction d’un hameau. Il s’éloigne de la route principale mais par moments, sachant ce que je cherche et quoi y trouver, j’aperçois les deux groupes toujours en train de se battre. Machinalement, Sam recouvre son sac avec les couvertures pour camoufler un bruit qui n’existe pas. Je souris timidement, presque amusée par la prudence de son geste, avant de me rendre compte que ma main s’est glissée d’elle-même vers l’étui des couteaux pour arrêter leurs cliquetis.

Les échos sont dans notre dos maintenant. Je lâche un peu la tension sur les guides pour soulager mes doigts mais soudain, comme un mauvais présage, plusieurs mammifères ressemblant à d’énormes rats noirs avec de grosses épines sur le dos surgissent et traversent le chemin juste sous les pattes de Blanchette. Ne la tenant pas assez, elle prend peur et s’agite au point de se cabrer, elle part au trot et le guide m’échappe d’une main. Je tente de rattraper la lanière tout en tirant sur l’autre extrémité et la jument s’excite encore plus, rue de droite à gauche et fait sauter la charrette avec un Sam complètement affolé. Elle quitte le chemin et s’enfonce dans le marécage avant d’y revenir, mais une roue bute sur un tronc d’arbre, se soulève et retombe lourdement dans un creux de vase, pas assez profond pour nous faire basculer mais suffisamment pour nous stopper net.
Je descends à la hâte et me précipite pour calmer la jument énervée, la tenant fermement par le mors et lui caressant la tête d’une main. Je demande à Sam de lui apporter une pomme et il ne se fait pas prier car, depuis notre premier arrêt ce matin, il adore lui en donner, ayant même accepté d’utiliser celles qu’il a achetées pour elle. La jument se calme et Sam reste avec elle pour la rassurer.

Je passe derrière la roue ensevelie et plonge ma main dans la vase pour vérifier qu’elle est entière. Aucune trace, du moins au toucher, d’une brisure ou d’un rayon cassé. Je sais l’entreprise vouée à l’échec mais j’essaye quand même de soulever la roue à plusieurs reprises … je pourrais feinter en me disant que c’est pour tester la force nécessaire, mais j’ai juste voulu croire en la chance.

((La poisse !))

On est littéralement coincé au milieu de nulle part, on ne peut pas compter sur l’espoir de voir passer quelqu’un et il est trop tôt pour envisager d’abandonner la charrette ici et continuer à pied. Sam me rejoint et se gratte le menton en observant la roue et les alentours, il tâte le milieu de la roue et les rayons avant de se tourner vers moi … avec une idée.

« On a besoin d’un levier, de plusieurs plutôt vu nos gabarits. On va les placer là, au milieu à travers les rayons sous le moyeu. »

Par trois fois, les branches se brisent au premier effort, trop mouillées et pourries pour tenir le coup. Nous trouvons un endroit plus sec et dénichons enfin une branche solide, mais la charrette est lourde. On force tant que ses pieds poilus et mes bottes commencent à s’enfoncer dans la vase. S’ensuit une discussion animée sur la faisabilité de son plan et il me tient tête, m’assurant que tout est une question de logique et de persévérance. Je ne comprends pas grand-chose à son raisonnement et me contente de faire ce qu’il me demande. Il a besoin d’autres branches solides, pour une histoire de partition ou je ne sais quoi, tandis qu’il s’occupe de combler la terre meuble où nous devrons poser les pieds.
Je rumine en repartant vers le monticule sec, contre moi-même et ce sentiment pressant d’être inefficace loin d’une ville, et la futilité de mes savoirs au milieu de ces marécages.

Dans mon dos, j’entends alors un son reconnaissable même pour une citadine comme moi, un son qui ne présage rien de bon et je me mets à courir vers notre charrette, déjà persuadée de ne point arriver à temps. Des sabots au galop. Mon sang se glace. Tout en courant, je palpe ma tunique et ma ceinture pour m’assurer de ne pas avoir oublié mes armes dans la charrette. Tout est là, ma dague contre ma cuisse, l’étui à lame à ma ceinture, l’éventail fermé qui pendouille et frappe ma fesse au rythme de ma course, ainsi que les gants, enroulés dans une poche de la ceinture.
Modifié en dernier par Madoka le mer. 10 avr. 2019 14:52, modifié 1 fois.

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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Madoka » mar. 9 avr. 2019 22:37

J’arrive trop tard pour hurler à Sam de se cacher. Les chevaux ne sont plus qu’à quelques mètres de lui et je le vois lever la tête et reculer vers Blanchette. Les cavaliers sont six et ne portent pas les habits du groupe des mercenaires. Ils s’arrêtent et descendent de cheval lorsque le premier fait remarquer que notre charrette est embourbée et que nous n’irons pas loin. Ils portent tous des armes, des épées courtes pour quatre d’entre eux, un sabre courbe et assez large pour l’un et un arc pour le dernier qui reste en retrait, récupère les rênes des chevaux et s’éloigne pour les attacher.

Ils ne m’ont pas vu, ni entendu, mais ils savent que nous étions deux, dont une femme.

« Elle est où l’autre ? On sait qu’vous êtes deux, une gonzesse et un mioche. Hey ! Montre-toi, on vous f’ra pas d’mal.
- Y’a que dalle dans leur charriot. Grogne un autre qui fouille et piétine nos affaires.
- C’pas grave, dit un troisième d’un air triomphant tandis que je me dirige vers celui près des chevaux.
- Regardez ça ! C’pas un mioche, c’est mille fois mieux, t’sais combien ça s’vend un bestiau comme ça ? »

Sam se débat comme un forcené. Ils braillent et se félicitent devant lui de la chance qui leur tombe dessus après un coup pareil, se croyant bénis du Dieu de la guerre lui-même, se félicitant de pouvoir montrer un mets de qualité à des acheteurs. L’un d’eux est en train de prédire une vente aux enchères dont on parlera sur tout le continent lorsque j’arrive dans le dos de l’archer, occupé à sangler les deux derniers chevaux à un arbre.
Ils sont six et de toute évidence ne sont pas là pour parlementer ou négocier un laisser passer, ils ne parlent déjà plus de Sam comme d’une personne mais un objet rare à vendre. Je dois être rapide et discrète, invisible le plus longtemps possible pour réduire la différence entre nous. Ils parlent beaucoup et fort, se gaussent de leur moindre mot et ne font pas attention à ce qui se passe autour d’eux, comme des tyrans en terrain conquis.

Je m’approche de l’archer, les chevaux sont calmes malgré ma présence, habitués à voir du monde partout. J’en contourne un qui remue la tête pour allonger son lien pour boire et parviens à me mettre dans le dos de l’humain, occupé à observer ses camarades, une épaule appuyée sur le tronc. Je fais claquer ma langue pour qu’il se retourne et avant qu’il ne baisse les yeux vers moi, avant qu’il ne réalise ma présence, mon identité ou mes intentions, je lui plante ma dague dans la gorge, de bas en haut et le regarde mourir.
Je ressens alors un profond soulagement. Mon Retour a engendré tant de changement en moi et en mon esprit que je craignais n’être plus capable de combattre et de tuer comme avant, d’en ressentir de la gêne, de la peine ou de la culpabilisation ou pire encore, avoir cette chose invisible et contraignante dans les pensées, cette mauvaise conscience comme la nomment ceux qui manquent de convictions. Il n’en est rien. Ses yeux écarquillés qui se vident de leur essence ne m’évoquent rien, ses doigts qui s’accrochent à sa plaie et tentent de me griffer ne sont pas accusateurs. Je reste de marbre, me projetant déjà dans le coup d’après avant que la partie ne commence vraiment, que tout s’enchaîne au point de ne plus réfléchir, de se laisser aller et de plonger.
Je défais le lien de deux chevaux et traverse le chemin vers un petit talus formé par des racines et troncs d’arbres, de là je pourrais contourner trois des hommes et m’approcher de Sam. A l’abri et à portée de tir, je lance un gros galet sur la croupe d’un cheval détaché, pour faire diversion pendant que je m’approche de la charrette. Les chevaux paniqués attirent leur attention, mais seulement deux d’entre eux s’en approchent. La découverte du cadavre les surprend mais pas autant que je l’escompte, ils ne sont pas du genre fraternel ou solidaire on dirait.
J’arrive à la charrette et la contourne en passant sous une Blanchette agitée d’être ainsi coincée. En me relevant, je croise le regard de l'un d'eux et comprends que je n’ai pas été aussi discrète que dans mes rues pavées. Mais tant pis, je continue coûte que coûte car il est loin et celui qui retient Sam ne m’a pas vu, j’ai peut être encore le temps.

« Derrière-toi !! »
La réaction est immédiate. La tonalité employée dans ces deux mots remplace tous les autres mots nécessaire à ma cible pour comprendre qu'un réel danger arrive par derrière. Il se retourne mais ne relâche pas mon compagnon pour autant. Il pense pouvoir me saisir de sa main libre, s'imaginant encore avoir à faire à deux simples voyageurs. Je sens son étonnement lorsque je passe sous sa garde, attrape son poignet tendu de la main gauche et frappe son estomac de la droite. Il relâche Sam qui tombe à genoux. D’une rotation de son bras, il me tord la main et s’en défait. De l’autre, j’attrape ma dague pendant que j’esquive son coup de poing en me penchant en arrière. J’esquive son coup suivant en me penchant sur le côté et frappe aussitôt après, un coup de pied dans la rotule qui le déstabilise assez pour le faire tomber sur un genou. Il tente de bouger pour se relever mais cesse tout mouvement en sentant ma lame sur la gorge. Il lève les bras et pose son deuxième genou à terre en grognant quelques mots déplaisants.

« Hey hey, tout doux, lâche ton arme. On a pas l’intention d’vous tuer. Même après c’que t’as fait. »

Lui aussi s’est subitement arrêté, à deux pas de nous. Un géant au visage buriné, la peau brûlée par le soleil et aux cheveux mi-longs grisonnants. Il a dû hésiter à intervenir. Il aurait pu. Peut être tient-il plus à celui-ci qu’au jeune archer. Il a fait vite. L’échange n’a duré que quelques secondes, les trois autres n’ont eu le temps que de se tourner vers nous et rester bouche bée. Il a levé les mains lui aussi et ne retient son arme que du pouce comme pour me montrer la voie à suivre, mais je vois dans son regard autre chose que de la bienveillance ou une volonté de compromis. Ce type aime la chasse, il aime traquer, manipuler et piéger.

« Alors barrez-vous, dis-je sur un ton très agressif en appuyant un peu plus sur la gorge de mon captif.
- Laisse tomber, t’as perdu d’avance.
- On est cinq, dit celui qui doit être le chef sur une voix excessivement mielleuse, comme s’il s’adressait à un enfant. Quoi que tu fasses, t’arriveras pas au bout. Est-ce que ça vaut le risque de prendre un mauvais coup ?
- Barrez-vous j’vous dis.
- T’es sourde ou t’es con ?
- T’as une chance de lâcher ton arme sans avoir mal. On a pas l’intention d’vous tuer.
- Seulement de nous vendre …
- C’est pas l’pire qui peut t’arriver ici. Allez, baisse ton arme ma jolie. J’te l’ai dis, on a pas l’intention d’vous tuer. Un comme lui c’est rare et une comme toi c’est très demandé, il se pourrait même que vous soyez bien traités … mais si tu lâches pas ton arme, j’vais devoir la prendre de force.
- C’est là votre plus gros soucis.
- Ah ? Amuse-moi fillette, dis-moi ça.
- Vouloir des prisonniers, ça impose une limite qu’on hésite à franchir. Moi … j’en ai aucune. »

J'efface tout la colère de mon regard et de ma voix lorsque je prononce mes derniers mots. Je deviens sérieuse une seconde, le temps pour lui de douter, de se demander si …
Et pour bien faire lui faire comprendre que je ne finirais pas entre ses pattes, je tranche la gorge de celui que je menace. Un geste trop rapide pour qu’il m’en empêche. Mais j’ai été trop joueuse, pas assez concentrée, je sens que mon geste n’est pas net. La surprise, la douleur et la peur empêchent cependant ma victime d’utiliser son arme contre Sam ou moi en représailles. Il gargouille et s’écroule, les mains plaquées sur sa plaie. Sam est tétanisé, il porte sur moi un regard choqué que je ne comprends pas. Je suis obligée de le pousser sous les roues de la charrette pour le mettre à l’abri.

Le bavard est déjà sur moi, il est le seul à avoir réagi et peut être à avoir compris que ça n’allait pas être un coup si facile. Le son que fait son arme est particulier, une sorte de sifflement saccadé qui rebondit sur la lame en tranchant l’air. La lame est plate et légèrement courbe, bien plus large qu’une épée et l’étoffe accrochée au pommeau perturbe ma vision. J’ai l’impression de lire un temps trop tard ses mouvements. Ou peut être n’ai-je pas pris sa rengaine assez au sérieux, il préférerait ne pas me tuer. Ce n’est pas moi qui lis mal, il cherche à me faire peur, il me pousse à esquiver en décalant sa lame d’un mouvement souple du poignet au dernier moment, il veut que je recule, tombe et me fatigue. Ma dague était un atout dans mon monde mais pas ici où il y a de l’espace et quasiment aucun obstacle. Ceux que j’ai affrontés à Oranan ou Kendra Kar n’avaient eux aussi que des dagues ou leurs poings. Une seule fois j’ai lutté contre un type avec une épée longue comme une jambe, et je n’étais pas seule. Je ne veux pas perdre de temps à danser avec lui, mais je peine à passer sa garde pour l’achever rapidement. Il est doué mais je suis plus rapide. Plus d’une fois, je parviens à le frapper avant qu’il ne réagisse mais il sait se maintenir de mon mauvais côté. Si j’arrive à passer dans son dos avant qu’il n’ajuste son arme, je pourrais plus facilement l’atteindre, et de la bonne main.

Je dois faire vite, les trois spectateurs ne vont plus le rester très longtemps si mon adversaire sent que je peux lui rendre la tâche difficile.
Je m’éloigne de lui pour éviter son coup puis reviens avec cette nouvelle résolution chevillée au corps ; il ne m’aura pas à l’usure et je l’aurais par surprise lui et son sabre dansant. Un pas nous sépare, il attaque droit devant avec la pointe de la lame. Je fais une roulade pour l’éviter et tourne autour de lui, hors de portée de son bras d’arme. Le sol est glissant, ma botte dérape et je m’érafle le coude en me retenant de choir mais je suis du bon côté, un temps trop tard cependant car il pivote avant que je ne retrouve un appui convenable pour riposter à l’instinct. Mon pied atteint son armure au niveau de l’estomac et il recule d’un pas, le souffle coupé. Mon pied tremble encore du contact avec le fer de sa protection mais, j’aime la surprise et ce soupçon d’irritation que je vois dans son regard. Cela me motive à donner le sursaut du coup suivant. Son armure n’est pas faite d’une pièce compacte mais je manque de temps et de concentration pour tenter de percer ses failles. Ses acolytes deviennent nerveux et l’un d’eux commence à nous contourner. Je plonge si vite sur lui que son sabre balaye le vide au-dessus de moi et je parviens à toucher sa cuisse, une entaille profonde qui le fait grogner de douleur. J’évite son coup de pommeau presque par hasard l’instant d’après, car je fuis sur le côté au même moment pour m’éloigner d’un autre brigand, un maigrichon blond à qui il reste peu de dents, arrivé pendant l’échange et sur le point de m’assommer lui aussi.
En plus de ne pas être solidaires, ils ne sont pas coordonnés. Les deux brigands se bousculent l’un l’autre. De rage, le blessé attrape l’autre par le col et l’envoie valser … sur moi. Je tente de reculer et arrive à m’écarter de la trajectoire mais mon épaule cogne contre la charrette et ce rebond d’inattention me coûte cher. Je sens une poigne saisir mes cheveux et me traîner en arrière, je perds l’équilibre et mes ongles griffent le bois dans une inutile tentative de m’y retenir. Je me maudis en lâchant ma dague sous la pression des deux bras énormes qui m’entourent soudainement. J’ai les deux bras coincés sur le côté et les jambes dans le vide.

« J’te l’avais dis. Tu fais pas l’poids. »

Il n’a pas tort. Dans ses bras, j’ai l’impression d’être une poupée de chiffon. Je me débats comme je peux afin d’avoir les mains un peu plus libres tandis que l’autre se redresse et ramasse son épée, pommeau en avant. Impossible de me défaire de son étreinte mais mes mains sont maintenant libres de s’agripper aux mailles de son armure. Je serre les doigts pour assurer le peu d’élan dont j’ai besoin. Je relève les genoux à toute vitesse et frappe en hurlant de mes deux pieds le torse de celui qui s’approche, trop confiant pour avoir le temps d’éviter. Celui qui me tient est aussi fort et puissant qu’il le montre, je le sens contracter les muscles de ses bras au moment où je frappe pour m’en empêcher, mais c’est trop tard. Pour repousser l’autre, je pousse de toutes mes forces en arrière et même lui ne peut nous retenir. On tombe lourdement au sol, l’arrière de mon crâne heurte quelque chose d’osseux, un nez ou des dents, je ne sais pas trop mais ça résonne jusque dans mes propres dents. Le maigrichon est à terre, son épée est à plusieurs pas de là et il peine à retrouver son souffle.

Sonné par la chute et le coup sur le visage, le costaud n’est pas encore en état de se relever. Je prends appui sur lui et me sors de là d’un saut carpé, déjà prête pour la suite. Ma dague est hors de vue et le troisième adversaire ; un homme à la chevelure semblable à un agglomérat de nœuds couleur feuille d’automne ; arrive trop vite, je n’ai pas le temps de prendre mes gants. Il a l’air plus serein que celui qui le suit, un brun en simple chemise dont le bas du visage et le cou sont ravagé par une énorme cicatrice de brûlure. Ce dernier a sorti son épée, contrairement au chevelu qui préfère, semble-t-il, respecter l’ordre de ne pas me tuer.

Je pare sa première attaque d’une main et bloque son bras pour passer dessous et frapper du coude dans ses côtes. Il tousse et tente de retirer son bras mais je tiens bon. J’ai la position idéale pour me servir de lui comme bouclier contre son allié mais je ne suis pas assez rapide car je sens son autre poing frapper mon dos, au niveau des reins. Je serre les dents et réagis aussitôt en lui donnant un coup de pied dans le tibia qui lui fait faire un pas en arrière puis je lui tords le bras pour me retrouver derrière afin de le pousser dans la direction de l’arrivant. Ils se bousculent, celui à l’épée repousse l’autre sans ménagement avant d’élever son arme. Je cours et roule au sol, évitant le coup l’épée qui finit sa courbe dans le vide et réussissant à attraper une des lames de lancer. Elle n’est pas faite pour être tenue à pleine main mais je n’ai pas le temps de me plaindre de la gêne, encore moins de trouver une autre idée. On s’observe une seconde, le temps pour lui de juger de sa solitude momentanée et pour moi d’ouvrir le bal. Il esquive deux fois en reculant et sa riposte fait trembler la lame dans ma main en la parant maladroitement. Il attaque de nouveau en avançant une jambe, l’épée en avant. Surprise par sa soudaine vitesse, je fais un pas en arrière juste à temps pour être hors de portée, il se penche alors sur son pied d’appui au point de presque perdre l’équilibre et fait un agile mouvement de poignet qui dévie la pointe de son épée de quelques centimètres. Seule ma souplesse me permet d’éviter celle-là en me contorsionnant. Sa lame se plante dans la manche de ma tunique et la déchire en ressortant. Le contact du métal me glace la peau et je réagis à l’instinct. Oubliée, la volonté de lui planter ma dague dans le cœur. Sa main est proche et son équilibre est précaire, tout comme le mien et avant qu’on ne tombe au sol, je brandis mon bras et taille son poignet droit. Il hurle en tombant et je fais de même l’instant d’après lorsqu’il m’écrase de tout son poids. Je donne des coups de genoux pour le repousser, sans effet. Je n’ai pas ou peu d’appui, il est lourd et m’écrase le ventre avec ses coudes en se redressant un peu. Je lui donne un coup de poing au visage, qu’il me rend l’instant. La douleur est cependant moins forte que ma frustration à m’être retrouvée coincée sans pouvoir bouger les jambes. Je continue à ma débattre comme une enragée, parvenant au moins à éviter plusieurs coups de poing et en placer autant mais ça ne change rien à ma situation. Dès que les autres s’en mêleront à nouveau, je ne serais en position d’imposer quoi que ce soit.

Soudain, le hennissement de ma jument nous fait sursauter et tourner le regard. Elle a l’air gênée et effrayée. J’aperçois Sam être tiré par les pieds par le chef de la bande, il se retient à la roue avec toute la force que peut avoir un forgeron dans les mains et les bras. Malgré sa corpulence, leur chef a l’air d’avoir du mal à déloger le Sinari. La charrette est secouée et tangue au point de pousser la jument à faire des pas sur le côté à cause des barres de l’attelage. Profitant de ma distraction, mon adversaire se redresse légèrement pour m’attraper par le col et lève une main pour frapper fort … ce m’étant de fait à portée de mes coups aussi. Mon poing touche son foie juste avant que le sien n’atteigne ma tempe. La douleur résonne dans mon crâne comme la cacophonie d’une mauvaise musique et j’ai une soudaine impression de vertige à m’en donner la nausée. Il relève à nouveau son bras, moins haut à cause de sa douleur au ventre. Je pousse de toutes mes forces sur mes pieds pour le soulever et dégager mes jambes et arrive à le faire tituber avant qu’il n’abatte son poing. Il perd l’équilibre et son poing me passe sous le nez avant de s’écraser au sol. Je me contorsionne pour remonter mes jambes entre lui et moi, attrape la main qui me serre le col et la coince entre mes jambes avant de les serrer autour de son cou.

La position n’est pas confortable et me demande énormément de force pour la maintenir. La sienne est pire, il étouffe et a un bras coincé par mes cuisses sous son menton. Son visage est rouge de colère et son regard me fusille de haine. Il n’a pas perdu espoir et grogne en puisant dans ses dernières forces. Je le sens bouger, se mettre à genoux et je ne peux que l’observer tenter sa dernière manœuvre tandis que je me sens soulevée de terre. Je dois tenir bon, ne pas relâcher mes muscles qui tremblotent déjà de devoir retenir mon poids en plus de l’étrangler. J’attrape sa main coincée pour me soulager un peu et nos regards se croisent et nos déterminations se disputent jusqu’à la dernière seconde … jusqu’au moment où il se jette au sol et m’écrase. J’ai le souffle coupé par le choc et la douleur, ma tête est prise de vertige et je hurle pour garder mes esprits et me concentrer sur mes jambes. Il réessaye la même opération et mon désespoir de ne pouvoir tenir plus longtemps d’efface lorsqu’il chute, trop épuisé pour fournir l’effort nécessaire. Quelques secondes. Je dois tenir bon, ainsi que Sam. Quelques secondes pour celui-là, mais combien pour les autres ? Je les entends se relever. Ils sont trois et je n’ai plus la moindre chance d’en avoir un par surprise … si leur chef change d’avis quant à notre valeur vivants, est-ce que je serais capable de les tuer avant que Sam ne soit blessé ?

Une ombre passe au dessus de mon visage. Je lève les yeux vers elle alors que le brun s’évanouit et m’écrase comme un poids mort.

((Fais chier !))

Je n’arrive pas à attraper la lame à terre entre les pieds du chevelu et moi. Il est là, debout … mais ne bouge pas ses pieds. Je relève les yeux vers lui. Il ne me regarde pas, il ne regarde même pas son camarade évanoui, il a les yeux perdus vers les marais, la bouche ouverte et le corps tétanisé.

« Qu’est-ce que c’est qu’ça ? »

Sa voix n’est qu’un souffle tremblotant, un murmure plaintif teinté de peur. Et soudain, un hurlement strident de pure frayeur éclate, à en faire s’envoler tous les oiseaux aux alentours. La panique me donne la force de pousser le tas inerte sur moi. Je me redresse juste à temps pour voir une espèce de vague grouillante de petites bêtes sombres s’abattre sur celui à la gorge tranchée. Il n’était pas encore mort, loin de là, et sa gorge est encore capable de produire ce son d’outre-tombe qui me glace le sang.
Il y en a des dizaines, pas plus haut qu’un lutin, le corps frêle et pâle, les poils hirsutes et noirs, les extrémités griffues. Ils écorchent vif l’homme à terre et le tirent vers le marais où il disparaît sous un lit de mousse gluante, je crois même l’entendre encore hurler quand sa tête s’enfonce. Ils ne s’en prennent pas aux chevaux, trop imposants sans doute pour ces minuscules bestioles ou trop animaux. Plusieurs autres sortent des marais comme par magie, comme s’ils étaient restés tapis, à l’abri, à attendre le bon moment.

Je ramasse ma lame et l’épée du brun à la cicatrice, espérant qu’il servira lui aussi d’appât à bestioles le temps que j’arrive à rejoindre Sam. Il a été abandonné par le costaud et se débat avec plusieurs mini lutins hargneux, plus petits mais plus nombreux et surtout, bien plus agressifs. Ils ne sont pas solides, ils tombent au premier coup d’épée, fuient dès qu’on les charge en hurlant. C’est ainsi que j’arrive jusqu’à Sam, en chargeant et faisant danser l’épée autour de moi à l’aveugle. Je le porte et le cache sous les couvertures, lui intimant de fuir avec Blanchette si les choses deviennent ingérables pendant que je fouille mon paquetage pour récupérer deux sacs de poudre. Il est tétanisé, il a le regard fuyant, le visage humide de sueur et les dents qui claquent ; ses doigts tremblent quand il essaye de me signer quelque chose. Je prends ses mains dans les miennes.

«Cache-toi Sam, bouches-toi les oreilles et fais-moi confiance, je … Arrrggh.»

Une de ces saloperies a grimpé sur la roue et vient de sauter sur mon bras pour le mordiller. Je l’attrape de l’autre main et l’éjecte contre un tronc d’arbre. Sam s’est résolu à se cacher.
J’ai à peine le temps de me retourner pour faire face à une dizaine de lutins nus poilus à la voix enraillée et stridente. Ils ne parlent pas, ils s’égosillent. C’est comme lutter contre une nuée de mouches de la taille d’un nouveau-né. Je reprends l’épée courte juste à temps pour en trancher deux en deux … à quelques centimètres de mon visage. Je jure en en chassant deux autres sans parvenir à les trancher. Ils ont des ailes, si fines et translucides que je les vois à peine quand ils s’envolent. C’est plus fatigant que de se battre contre un homme, il y en a partout et je serais déjà en train de perdre l’espoir de m’en débarrasser, si je n’avais pas remarqué que le gros de la nuée était là pour les deux mourants.
Celui à qui appartient l’épée que je manipule s’est fait réveiller par des dizaines de morsures et de petites griffes plantées dans le corps. Il se débat, hurle et appelle à l’aide tandis que deux ou trois dizaines de lutins volants le tirent vers leur terrain. Le chevelu à la drôle de couleur l’aide de son mieux mais il est vite assailli et passe plus de temps à se défendre qu’à sauver son camarade. Le chef n’est pas en reste, il tient encore la main du type à la gorge tranchée et se fait aider du blond.

Dans la mêlée, je retrouve ma dague et tente de les repousser des deux mains mais je m’épuise à garder les bras en l’air pour les chasser, l’épée devient lourde. Chaque fois que j’abats une bestiole, une autre me fonce dessus aussitôt, mon épaule commence à me faire mal. Afin de me ménager un peu, je lâche l’épée et garde ma dague plus légère. Economiser mes forces au détriment de ma défense est un pari risqué mais un autre combat m’attend, plus tard, quand ces bestioles auront eu ce qu’elles veulent ou plus encore.
Je sens tout à coup une douleur dans les jambes, plusieurs piqures qui traversent parfois le cuir de mon pantalon. Quelques lutins se sont faufilés sous la charrette et m’attaquent par-dessous. Je m’éloigne, sautille et en écrase trois sous mes bottes quand je sens d’autres piqures et griffures au niveau des omoplates. J’arrive à attraper celui qui me mord l’oreille par les pieds et fouette la roue avec sa tête avant de me tourner dos à la roue et d’écraser les autres. J’entends leurs petits corps s’écrabouiller et se disloquer contre mon dos et sens une matière visqueuse et chaude couler sur ma nuque. Je grimace et tremblote à l’idée que leurs viscères ruissellent sur ma peau. D’autres arrivent encore, hargneux et de plus en plus agressifs. J’embroche celui qui me vole au visage et repousse du poing un autre arrivé particulièrement proche de mes yeux, un autre encore m’arrache un bout de peau du torse lorsque je tire sur lui pour l’en déloger, je le jette au sol et lui écrase la tête du talon en hurlant, nerveusement fatiguée de sentir leurs minuscules dents sur ma peau. Le dernier, je le décapite en plein vol.

La même frénésie s’est répandue parmi les autres combattants, le blond qui avait pris mes pieds en plein poitrine à l’air mal-en-point. Griffé plusieurs fois au visage, il a un œil crevé et un morceau de sa lèvre pendouille dans le vide ; le chevelu a perdu sa bataille pour sauver celui à la cicatrice et semble guidé par une rage autodestructrice car il poursuit les lutins voraces jusque sur leur territoire. Seul leur chef s’en sort plutôt bien, à l’abri dans sa solide armure. Les deux mourants ont disparu, les lutins qui ne meurent pas sous nos coups commencent à reculer et disparaître dans les souches d’arbres morts ou sous les talus de mousse vaseuse.
A deux pas de moi, un blessé rampe nerveusement sur les coudes en trainant derrière lui des brindilles écrasées. En sentant ma présence, il se retourne sur le dos et ouvre sa bouche géante aux dents acérées ; un râle strident en sort mais je n’en saisis pas la teneur, est-ce de la terreur, un dernier cri de guerre ou une supplique. Même son regard m’est indescriptible lorsque je soulève ma botte avant de lui écraser la tête.
Modifié en dernier par Madoka le mer. 10 avr. 2019 15:26, modifié 1 fois.

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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Madoka » mar. 9 avr. 2019 22:48

Le soudain silence qui s’abat sur nous est total. On reste immobile et en apnée plusieurs secondes, le regard perdu sur le tapis de viscères rougeâtres à nos pieds. Je ramasse l’épée et range ma dague avant de rejoindre Sam. Il tremble comme une feuille et a le souffle court et saccadé, il peine à inspirer et j’ai le plus grand mal à l’empêcher de regarder les cadavres à nos pieds. Il ferme les yeux et signe par à-coup ce qu’il a sur le cœur, le nom de ses choses tout d’abord et les histoires que les sinaris racontent sur elles, sur leur insatiable cruauté et leur sadisme malveillants.

« C’quoi son problème à c’lui là ?
- Il a que ses pires cauchemars ont pris vie devant ses yeux. Ces "Elyds" sont comme le croque-mitaine pour son peuple.
- Mouais, moi c’que j’en dis c'
- On s’en branle de votre avis. »

Il se braque et me regarde à nouveau comme une chose à posséder. Je serre l’épée et la place devant moi. Contrairement à ses deux acolytes, je ne suis pas grièvement blessée, les écorchures et morsures des lutins sadiques ne gênent pas mes mouvements et ils m’ont laissé dans un état si fébrile que mes sens sont aux aguets et mes nerfs en redemandent.
Il lorgne sur l’épée et jauge les alentours de son regard calculateur. Je le sens aussi fébrile que moi, excité par le combat précédent mais, il semble hésiter et se mord la lèvre. Un mot de ma part pourrait faire pencher la balance mais je doute de trouver le bon pour qu’il nous laisse partir. Je ne suis pas douée pour négocier, je suis trop bornée et en l’état actuel, je ne sais pas moi-même si je veux partir avant ou après lui avoir fait la peau.
La question ne se pose pas car une ombre gigantesque s’élève au-dessus de nous, suivit d’une sensation d’oppression. Quelque chose d’imposant approche.

« Bordel, manquait plus qu’ça. »

Blanchette le sent elle aussi. Elle qui est restée relativement calme jusque là frappe le sol de ses sabots et se cabre à plusieurs reprises. Sam tombe de l’arrière de la charrette et s’éloigne lorsque Blanchette la fait reculer à force de s’énerver. La roue coincée est délogée de son creux de vase et tandis que je tente de m’approcher, elle se cabre une dernière fois et part au galop comme une furie. J’enrage et hurle son nom en pure perte. J’attrape Sam par le col et le mets derrière moi. Lui aussi panique, et pour cause ; ce qui s’avance vers nous n’est pas du tout du même acabit que les Elyds. C’est plus grand, terriblement plus grand, plus gros, plus long ; les griffes de cette chose font la taille des lutins. Je sens un frisson glacial me parcourir le corps, un frisson de pure terreur comme je n’en avais jamais ressenti. Ma gorge est si sèche que je peine à avaler ma salive, mes doigts deviennent blancs tant je serre le pommeau de mon arme si dérisoire face à lui.
Une espèce de croisement entre un lézard et un serpent, un gigantesque lézard au corps de serpent, avec une crête énorme qui parcoure toute sa colonne et forme comme des branchies à l’arrière de sa tête. Il possède des griffes aussi longues que mes bras, une énorme gueule aux trop nombreuses dents et comme si ça ne suffit pas, quatre défenses protègent sa mâchoire. Cette chose rampe jusqu’à nous comme un champion entre dans une arène, il est en terrain conquis et s’approche avec la lenteur de celui qui ne craint rien. Sa peau d’écaille est recouverte de sang frais qui ruisselle encore de sa bouche et de ses griffes pendent des fils visqueux. A en juger par sa provenance, cette chose est passée par le convoi avant et n’y a laissé qu’un tas de cadavres déchiquetés, ses congénères plus petits sont peut être en train de se régaler des restes de la troupe des hommes présents ici.

A cet instant, j’ai le plus grand mal à garder confiance en l’avenir de notre expédition. J’ai les membres tétanisés, l’intérieur de mon corps est en train de se liquéfier et je pense que mon cœur tente de fuir à travers ma gorge. Comment on affronte un tel monstre quand on a passé sa vie à espionner et tromper de simples humains ? L’épée dans ma main me semble tout à coup si petite, ma force et mon adresse si illusoires.

« Quand j’te disais qu’finir entre mes mains c’est pas l’pire qui peut t’arriver ici. »

Sa voix résonne dans ma tête comme un écho lointain mais son message se répand, se répète encore et encore, son ton étrangement calme ébranle mon assurance cachée dans un coin. Est-il fou, inconscient ou sûr de lui ? Sa voix ne tremble pas, au contraire, j’y trouve même une sorte de défi à mon encontre. Son sourire est féroce mais il ne m’est pas destiné. Lui aussi a forcément compris ce qu’il est advenu de ses compagnons. Même si je les ai crus peu solidaires entre eux au début ; il a un compte à rendre à cette créature. Mais moi … moi je dois ramener Sam en vie à Oranan, quoi qu’il arrive, quoi qu’on rencontre. On ne peut plus fuir, on ne peut pas plus espérer de clémence de la part d’un monstre que de la part d’esclavagistes.
Il est gigantesque, je ne sais rien de lui ou de sa manière d’attaquer mais à la différence de tout à l’heure, je ne suis plus en infériorité numérique, j’ai trois chances, trois appâts pour saisir ma chance de frapper au bon endroit au cas où ils ne soient pas de taille face au lézard géant. Dans une poche de ma ceinture, j’ai de quoi l’aveugler et grandement le déstabiliser si je vise correctement. Malgré mon inconfort avec la magie et la sensation d’emprise momentanée sur mon corps, ma fidèle dague pourra m’être utile. Je ne suis pas désarmée face à ce monstre, même si une dose conséquente de chance me sera nécessaire.

La créature se redresse et avance en se dandinant comme un serpent. Elle est encore plus imposante ainsi, sa gueule est si haute qu’aucun de nous ne peut l’atteindre en sautant. Elle émet une sorte de sifflement guttural et écarte ses monstrueuses griffes tandis que sa crête tremble et émet un clapotis strident.
Et soudain, elle attaque. Elle glisse sur le tapis de viscères d’Elyds comme un savon entre des mains mouillées. Chacun de nous se déporte alors dans des directions opposées, la cible de la créature recule jusqu’à ne plus avoir d’équilibre tandis que le chef bondit et tente de tailler la large patte avant qu’elle ne frappe. J’avais tort sur un point, lorsqu’il s’agit de combattre pour tuer ils sont coordonnés. Je les laisse œuvrer ensemble pour défendre leur compagnon et me faufile rapidement hors de vue de la créature. Sa longue queue balaye constamment le chemin, je saute pas dessus une première fois mais glisse sur le sol en atterrissant et tombe sur le côté, évitant de justesse ses griffes qui sifflent au dessus de ma tête. Cependant, elles ne m’étaient pas destinées. Ce n’était que le retour d’élan d’un coup raté qui aurait pu arracher la tête du blond à l’œil crevé. Je me relève aussitôt après et attaque son flanc pendant qu’elle lève les pattes et regarde de l’autre côté. Sa peau n’est pas régulière. Mon épée tranche la chair sous son buste mais s’accroche et se coince dans les écailles plus hautes. La seconde que je perds à réfléchir à la laisser là ou pas et celle que je perds à tenter de l’en déloger sont deux secondes de trop à passer à portée de griffes du lézard. Je ressors l’épée des écailles mais ne vois pas l’attaque à temps. Au moment où ses griffes retombent sur moi, je me sens poussée en arrière par une masse qui me coupe le souffle. Je retombe lourdement au sol et m’aperçois alors que c’est à l’un des hommes que je dois ma survie.

Ma dette est aussitôt payée car le lézard, qui en plus du reste est d’une souplesse incroyable, se tord complètement vers nous et avance sa gueule pour mordre mon sauveur. Je frappe sans réellement viser car le temps me manque, la pointe de ma lame touche l’arête de son nez juste à temps. La bête se redresse en sifflant mais ne peut riposter car elle est assaillie de l’autre côté. Je me redresse et suis aussitôt balayée par sa queue lorsqu’elle se tourne pour frapper son attaquant. Je ne sais lequel est-ce mais son cri est déchirant. Je roule pour m’éloigner de cette maudite queue. Je ne vais pas arriver à l’avoir par surprise, pas comme ça, pas en me contentant de le contourner. Elle est si souple et si rapide que je dois compter sur l’instinct plutôt que la réflexion. C’est une bête sauvage, une créature qui frappe, mord et détruit tout ce qui passe à sa portée.

Celui qui vient d’être transpercé tente de s’enfuir, les mains plaquées sur un ventre d’où sortent ses propres organes. Il puise dans ses dernières forces. La créature plonge vers lui et je saute sur l’occasion … et en face de moi, le chef du groupe a le même réflexe. Son corps s’allonge et passe devant nous en glissant, le bout de sa queue est relevé. D’un même geste, les épées tenues à deux mains, nous fauchons la queue de la bête en plein vol. Sa vitesse est telle que mes bras sont happés en sens inverse, je résiste et pousse sur mes pieds pour garder l’épée droite. Un bout de la queue s’envole et retombe à nos pieds … mais ni la douleur ni la surprise ne l’empêche d’atteindre sa propre cible. Son énorme bouche se referme sur la tête de sa victime. Un claquement de dents puissantes qui le décapite net, laissant son corps choir mollement.

Le lézard hurle et se retourne doucement vers nous après avoir recraché la tête. Sa gueule béante s’ouvre sur une langue démesurée à l’extrémité coupée en deux, le mouvement de sa crête autour de sa gueule s’accélère soudainement comme s’il était pris d’une soudaine fureur.
Je m’écarte des deux autres et recule de plusieurs pas en tâtant mes poches pour trouver les deux sacs de poudre. Elle peut faire tousser et éternuer si on la respire directement ou brûler les yeux si je vise directement la gueule, mais il me faut de la hauteur pour ça. Le lézard plonge à nouveau et gratte le sol pour se donner plus d’élan afin d’attaquer les deux hommes qui n’ont que peu de temps pour s’écarter l’un de l’autre. Le visage buriné du chef est plus éveillé que jamais, il hurle des mots d’intimidations et de menaces aux quatre vents. J’avise rapidement les alentours en me rapprochant, cherchant un rocher ou un arbre sur lequel prendre de la hauteur. Le lézard est plus affûté qu’en début de combat, il surveille ses arrières et tente de m’arrêter d’un coup de queue … mais il n’est pas le seul à mieux connaître son ennemi. Cette fois, je parviens à sauter par-dessus et à me réceptionner de l’autre côte sans glisser et sans me faire avoir par sa rapidité de riposte. Sa queue claque contre le tronc de l’arbre que j’escalade. Le pommeau de l’épée entre les dents, je grimpe le plus haut possible avant qu’il ne frappe à nouveau le tronc de sa queue. En bas, les deux hommes perdent du terrain, l’un est à terre avec la jambe en sang et l’autre est projeté d’un revers de patte contre l’arbre où je me trouve. La vue soudaine de la gueule du lézard à un mètre de moi pétrifie tout mon être, l’instinct de tueur dans ses yeux jaunes me fascine autant qu’il me paralyse. Je sens son souffle chaud et humide sur ma peau et me demande soudain si la branche qui nous sépare est solide … si je glisse, je lui tombe directement dans la gueule.

Sa gueule, justement, qui s’ouvre et se jette sur moi. Ma branche est trop haute et les autres plus basses gênent ses mouvements et se coincent dans sa crête. Il secoue la gueule pour se défaire de sa prison végétale et mon corps se décide enfin à bouger. J’attrape le premier sac et lui jette à la gueule au moment où il fauche l’arbre de ses monstrueuses griffes. La branche sous moi cède et je sens une de ses griffes se planter dans ma cuisse et m’emporter avec le haut de l’arbre. La douleur est telle que je me laisse entraîner par la chute sans même tenter de me rattraper. Je tombe et roule au sol comme un poids mort, je me cogne la tête contre un rondin de bois et des morceaux d’écorce sont plantés un peu partout. La douleur à ma cuisse ressemble à un coup de poignard mais par chance il n’y a pas de déchirure ni de flot de sang. Je souffle un bon coup et serre les dents en me relevant.
Cette demi-réussite pourtant, je me dois de la mettre sur le compte de ma bonne étoile. Le lézard est devenu fou sous l’effet de la poudre, reçue en plein milieu de la gueule. L’agitation qui l’anime n’est pas moins dangereuse pour autant et celui à la jambe blessée s’en rend compte à ses dépens. Il fonce droit sur lui avant que son chef ou moi ne soyons complètement remis sur pied et se fait littéralement broyer sous un coup de queue du lézard. Un coup à l’aveugle qui fait mon affaire car il s’arrête de bouger en entendant le hurlement de l’homme sous lui.

Je fonce droit devant, empoigne l’épée du mort et tranche le bas du buste du lézard avant de rouler au sol pour m’éloigner du coup de griffe lancé par réflexe. Le lézard hurle comme un dément, il reçoit un autre coup de la part du dernier homme en vie et n’arrive pas plus à l’embrocher en retour.
Je ne m’en aperçois pas tout de suite mais je ne suis pas la seule à retenter le même coup. Le chef du groupe en fait autant, une seconde à peine avant moi et il n’en faut guère plus à cette créature bestiale pour riposter. Au moment où je plante mon épée dans son corps, le revers de sa patte me touche de plein fouet. Je lâche l’épée et suis éjectée comme un fétu de paille, la terre tourne autour de moi avant que je m’écrase sur mon bras et que ma tête ne rebondisse contre le sol. Ma vision se trouble, j’ai l’impression de voir à travers un voile noir nimbé de lucioles écarlates. Les bruits alentour sont étouffés comme sous l’eau … un sifflement se rapproche et soudain ma conscience se réveille : il arrive. J’essaye de me redresser mais je glisse dans la boue et me retrouve sur les fesses. Pas le temps de penser. J’attrape ma dague d’une main et tends le bras en criant comme une démente pour me donner le courage de faire face à l’impossible.
Soudain, une force incontrôlable jaillie de mes bras, un tourbillon d’eau s’échappe de mes gantelets en direction du lézard géant avec la force d’un torrent. Je reste bouche bée en voyant l’eau jaillir, incapable de comprendre comment une telle chose peut se produire, retraçant le fil de mes pensées et mes gestes pour remonter à la source, en vain. Le corps de serpent est déséquilibré par son propre poids. Il chute au ralenti comme si, à son tour, il luttait pour empêcher l’inévitable.

((Les questions c’est plus tard, laisse pas passer cette chance.))

Mon corps réagit avant la fin de ma pensée, poussé par une énergie invisible, une ardeur nouvelle et expéditive. Je rampe, m’accroupis et me relève dans un même mouvement, je cours jusqu’à la bête et prends appui sur le bout de sa queue pour atteindre son buste à peine échoué au sol, j’arrache l’épée de son ventre et bondis vers son cœur. Un soubresaut parcoure son être, ses griffes se crispent et un long sifflement s’échappe de sa gueule avant qu’un crachat de sang ne marque sa fin définitive.
Je descends de son corps en trébuchant à moitié.

La partie n’est pas terminée. Il en reste un. Il contourne le monstre en titubant, la lueur dans son regard est terriblement malsaine. A aucun moment durant les combats je n’ai été autre chose pour lui qu’un futur profit, tout comme Sam qui apparaît un peu plus loin dans son dos. Il a tout perdu ou presque aujourd’hui, je serais soit son avenir soit sa fin, cela se ressent dans son regard. Bien que grièvement blessé, il est déterminé.
Malgré nos blessures, on échange les coups sans se préserver. Je sais et il sait que le premier qui parviendra à toucher l’autre avec son arme aura gagné, alors on se fatigue à parer et à coincer le bras armé de l’autre mais la fatigue est là aussi, en plus des blessures. Lorsqu’il attaque à nouveau, je décide de changer de tactique et prends un risque, celui de le laisser finir son mouvement et d’esquiver au dernier moment en le contournant. Mon pas est fluide et j’arrive à tourner sur moi-même en me baissant sous son autre bras sans qu’il réagisse. L’astuce se trouvait là, chaque fois que j’ai tenté de le contourner pour gagner en effet de surprise, je commençais trop tôt, il n’était pas en pleine action et parvenait à riposter. Mais là, il est trop lent, trop fatigué, trop faible. Je me redresse dans son dos, donne un coup de pied à l’arrière de son genou pour qu’il s’affaisse et lui plante la dague de part en part de la gorge. Il gargouille des propos grossiers dans son jus et tombe au sol dès que je retire ma dague.


Lorsque je relève la tête, je suis prise de vertige et tombe à genoux. Toute la pression s’enfuit et elle était la dernière à me retenir. Ma cuisse me fait un mal de chien, mon corps tout entier me donne l’impression d’être une flaque de boue et je remarque enfin mon état général. Mes vêtements sont littéralement imbibés de sang, de vase et de viscères de lutins hargneux, j’ai baigné dans leur jus la moitié du combat et le souvenir du nombre de fois où mon visage et ma bouche ont touché le sol me donne la nausée. J’entends Sam s’approcher et peine à me relever … son regard est horrifié, il me regarde avec cet air que j’ai parfois croisé. Je sais ce qu’il pense avant qu’il ne le signe.

« Tu … tu es … un monstre. »

En mon for intérieur, je sais que ce n’est pas mon dernier acte qui l’a choqué mais l’un des premiers, lorsque j’ai tranché la gorge d’un homme désarmé. Son visage est en larmes et lorsqu’il s’avance vers moi en reniflant il chute dans mes bras, évanoui. Je passe ma main sur son front et m’assieds un instant en le tenant serré, profondément soulagée qu’il soit inconscient. Il n’aurait pas aimé ma réponse. Son monde ne l’a pas préparé à côtoyer quelqu’un comme moi et je me demande parfois s’il a conscience des implications de ce concours en cas de victoire. Une part de moi espère qu’il pourra faire ses preuves, une autre lui souhaite de ne pas gagner.

Et maintenant …
Quand j’observe le désastre autour de moi, je ne pense qu’au fait que notre jument s’est enfuie, qu’on va devoir continuer à pied, que je vais devoir le porter dans mon état. Je doute que les Elyds nous laissent en paix encore très longtemps, sans parler des autres charognards qui trainent dans ces marécages. La tension et mon devoir me tiennent encore debout mais pour combien de temps. La lassitude pointe à l’horizon, la fatigue me presse de m’allonger, mon corps est lourd et ma tête est aussi molle qu’un duvet de plume.
Dans mon dos, le bruit d’un cheval me fait sursauter, d’abord de panique puis de consternation. Des six chevaux des bandits, deux sont restés coincés à leur attache, les autres ont fui les combats. Je pousse un long et profond soupir de soulagement. Mon avenir proche vient de s’illuminer d’un coup.
Soulever Sam et le porter m’arrache un grognement de douleur, tout mon corps me dit d’arrêter les frais. Le mettre sur un cheval et l’attacher me demande un effort indescriptible. Je m’aide de ma tête et de mes dents pour l’empêcher de tomber, je hurle contre le cheval et vocifère mon aigreur comme jamais. Cette tâche me paraît plus difficile encore que survivre aux combats précédents.
Juste avant de monter sur le second cheval, j’observe les corps par terre, les armes et les équipements laissés à l’abandon. Je cherche du regard le sabre courbe qui m’avait tant impressionné et me dis que les charognards n’en auront pas besoin, ni de ça, ni du reste. Sans grande énergie, je fouille les cadavres et ramasse ce que je trouve d’intéressant. Heureusement que Sam est endormi, je doute qu’il me laisse faire le cas contraire. Chacun des quatre hommes encore présents portait une bourse de petite taille, je récupère le sabre courbe et son fourreau ainsi que les épées. Je trouve plusieurs fioles brisées et quelques unes encore intactes de différentes couleurs. Leurs vêtements sont déchirés et ensanglantés, trop pour en obtenir quoi que ce soit d’autres que des regards torves et des questionnements dangereux. Leurs bijoux finissent dans mes poches ainsi qu’un insigne sur l’armure du chef de groupe. Je charge tout dans les sacoches des chevaux et regarde le lézard géant comme on admire son premier trophée. Je ne suis pas chasseuse dans l’âme mais il y a quelque chose qui me serre les tripes quand je repense à notre combat, une émotion inconnue … de la fierté, peut être. Je fais demi-tour et sans trop savoir pourquoi je découpe les deux crêtes qu’il avait derrière les oreilles, semblables à deux petits éventails.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Madoka » mar. 9 avr. 2019 22:56

Le soleil commence à décliner, l’après midi est déjà bien entamée et je ne sais absolument pas vers où se dirige le sentier. Autant de bonnes raisons pour ne pas m’attarder plus longtemps ici. Conduire deux chevaux n’est pas une mince affaire mais j’y parviens, au ralenti et à grand coups de bottes ou de grognements. Le paysage est comme occulté de mon attention, entièrement tournée vers le chemin, la solidité des liens de Sam et ce qui se trouve dans mon dos.
Plusieurs minutes s’écoulent avant que je ne jure de nouveau, répétant aux cieux à quel point je hais ces fichus marécages et l’impossibilité d’être seule même dans une région soit disant peu peuplée … mais je comprends assez vite qu’il ne s’agit pas d’un autre problème à régler violemment, bien au contraire. Au loin, je reconnais Blanchette et notre charrette, arrêtée sur la route et retenue par une femme à la peau marron. Elle me fait des signes m’encourageant à la rejoindre.

« Je me disais bien que celle-ci n’était pas venue toute seule jusqu’ici. Dit-elle en caressant le nez de la jument. Et qu’en remontant, on allait trouver son propriétaire.
- On ?
- Y’a personne d’autre. » Dit une autre voix, masculine celle-ci, dans mon dos. Je sursaute sans grande énergie, essayant de me convaincre que leurs voix amicales le sont vraiment. Je ne l’ai ni vu ni entendu, ni même perçu sa présence en le dépassant. J’en suis à me demander depuis combien de temps il est derrière moi quand il répond à la question.

« C’est un sacré bazar là-bas. Des elyds, beaucoup, un roi saurien et six cadavres.
- C’est un miracle de vous trouver en vie alors.
- J’pense pas non, la plupart des morts c’est d’elle.
- Arrêtez de parler de moi comme si j’étais pas là.
- Allez viens ma fille. Le village est pas loin, t’as besoin de soin et de repos. Saadi, les chevaux s’il te plait. »

J’ai envie de jurer, de les menacer, de les obliger à me prouver qu’ils ne sont pas comme les autres, j’ai envie d’être la seule à décider de mes actes, d’avoir le contrôle même quand tout en eux me dit que je peux avoir confiance. Et au final, je laisse faire et reste muette le temps du trajet.

Le village est un minuscule hameau d’une dizaine de huttes et de cabanes construites en hauteur, sur de larges et solides pilotis. Certaines habitations font face à un étang et possèdent d’étranges filets de pêche de forme carrées et accrochés en hauteur. La maison de la femme n’est pas la plus grande mais la plus décorée, étrangement décorée d’ailleurs. Il y a des sculptures en bois représentant des animaux, des masques avec de grandes bouches, mais aussi des squelettes de ces mêmes animaux un peu partout, des symboles peints à la main, des bocaux remplis de liquide et d’organes comme des yeux ou des langues, et des cages à oiseaux ou rongeurs, la plupart vides.
Le visage de la femme est marqué par des petits points d’un noir intense sur toute la surface de son nez et ses joues, sa peau cependant est aussi lisse qu’une porcelaine, ses yeux sont d’un noir profond et ses lèvres pleines et charnues ; des lèvres qui semblent constamment en train de sourire. Elle m’a installée chez elle sans me demander mon avis et je n’ai pas eu la force de lui faire remarquer. Le jeune homme a allongé et recouvert Sam avant de descendre s’occuper des chevaux. Elle m’a laissé dans une pièce pour me laver et m’a donné des vêtements de rechanges, et tout ça, sans qu’un mot ne soit prononcé, ni par elle, ni par moi.

« Je m’appelle Mawada, du peuple Kebakeris. Dit-elle lorsque je la rejoins. Saadi est mon fils. Je suis la cheffe de ce village. Ici, tu n’as rien à craindre, tes soucis sont restés là bas.
- Pourquoi vous m’aidez ?
- Parce que tu as tenu tête à ces sauvages d’esclavagistes.
- C’est ça qu’il vous a dit, quand il a parlé dans votre langue.
- Entre autre oui. Je n’ai pas eu ce courage autrefois, j’ai eu besoin de l’aide d’hommes … mais pas toi. Tu es jeune et tu es déjà forte. Je respecte la force.
- Eux aussi étaient forts.
- Non, ils étaient nombreux. Approche-toi, tu as besoin de soins. Ensuite, tu dormiras. »

A mon grand soulagement, elle ouvre des bocaux d’onguents, de baumes et d’algues. Les odeurs sont à peu près aussi rebutantes que chez moi mais au moins, elle n’utilise pas la magie. J’ai voulu rejeter sa proposition de dormir sur place, une part encore méfiante de moi du moins car le reste de mon corps est déjà sur le point de s’éteindre. La torpeur du sentiment de sécurité qui m’étreint est redoutable. Mon esprit cherche encore l’existence d’un guêpier, une habitude que j’avais déjà regrettée en compagnie du capitaine Tiercevent mais qui me colle à la peau.

« Vous venez de loin tous les deux. Tes yeux sont étranges, ils sont beaux mais ne se laissent pas lire. Et ton ami, qu’est-ce qu’il est ?
- Un Sinari, c’est le nom de son peuple. Il se nomme Sam. Moi je suis du peuple d’Ynorie, du continent de Nirtim. Je m’appelle Madoka.
- Et que faites-vous si loin de chez vous ?
- Mon pays organise un concours, une compétition entre forgerons afin de trouver les meilleurs pour notre armée. Sam doit fabriquer un objet dans un métal rare qui ne se trouve que dans les pierres du désert, imprégnées du pouvoir du soleil.
- Un voyage dangereux.
- Sam est courageux.
- Et toi ?
- Moi, je suis inconsciente. Elle rit de bon cœur, son timbre grave et chantant résonne dans sa gorge. J’aime sa voix suave, son accent qui avale certaines lettres et en font rouler d’autres, j’ai l’impression d’écouter une incantation ou une prière à chaque fois qu’elle parle, même pour dire deux mots.
Qu’est-ce que c’est, le roi saurien ?
- C’est le nom qu’on donne au saurien que tu as tué. On les appelle les rois parce qu’ils ont un pouvoir sur les autres.
- Il y en a d’autres, vous ne les craignez pas ?
- Pas eux, ils n’aiment pas le feu et nous avons un mage. J’ai presque fini. Je te donnerais de quoi nettoyer et soigner ta cuisse pour les prochains jours. Tu te rends à la ziggurat ?
- C’est prévu.
- Cherche un marchand du nom de Farraj, grand et fin avec les mêmes marques au visage que moi et peu de dents. Il pourra te conseiller. Beaucoup d’hommes là bas connaissent le métal que tu cherches, mais beaucoup sont malhonnêtes. La vie dans le Kebaker est rude, soit on est assez fort pour rester honnête, soit on est malin. La nature aussi est rude, il te faudra d’autres habits, un boubou ou un thoab et surtout un chèche pour te protéger du soleil et du vent, et il te faut connaître le nom de ceux qui t’aideront sans contrepartie : le clan Kel Ouleiad. Il protège les étrangers dans le besoin. »

Pendant qu’elle m’explique tout cela, elle me sert à manger et à boire. Elle continue à me parler de son ancien pays, qu’elle a fuit pour des raisons qu’elle ne divulgue pas. J’écoute du mieux possible ses conseils mais sa voix devient lointaine et mes paupières papillonnent lourdement. Je sens sa main sur ma nuque me guider sur le côté avant que je m’endorme en me demandant malgré moi si je vais me réveiller.

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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » mer. 4 sept. 2019 00:36

-Je suis sûr que ce n’est pas par là.

-Et moi je te dis qu’on est dans la bonne direction.

Après une après-midi de marches à travers un chemin traversant les marécages poisseux, Sharon et Lark avaient installé leur « campement » pour la nuit près de la route, sur un lopin de terre pas trop humide, leurs affaires pour dormir se réduisant à une grande couverture usée et un par-dessus comme oreiller. Sharon tentait d’allumer un feu tandis que Lark retirait ses bottes et défendait sa position.

- Tu ne sais même pas où est-ce que tu es.

-Parce que t’es déjà sorti de la ville, toi ?

-Heum...Nan pas vraiment. Mais quand je trainais à l’auberge j’écoutais les récits des aventuriers ou le rapport de certains gardes. Et, même si on n’a pas de carte, je peux te dire qu’au nord de la ville d’Exech il n’y a que la mer, à l’est aussi, un peu de terre et beaucoup d’eau. Vers l’ouest, c’est là d’où tu viens, après plusieurs jours on peut atteindre la Fédération de Wiehl, Tulorim, tout ça. Au Sud, il y a de vastes plaines après les marécages, des forêts un peu partout entourées d’hameaux et de village en tout genre, jusqu’à ce que l’herbe se transforme en sable et qu’on atterrisse dans le désert de l’Ouest, « La Kèbe ». Une terre dangereuse mais une terre de liberté et de survivants.

Sharon ne pût s’empêcher de sourire tandis que les yeux de Lark s’illuminaient au fil de son explication.

-Tu as l’air drôlement excité de voyager.

Lark sourit à son tour et vint à côté d’elle pour l’aider à allumer le foyer.

-Comment tu t’es retrouvé dans les rues d’Exech d’ailleurs ?

Le garçon grimaça.

-J’en sais rien, j’y suis né et c’est tout.

Sharon, comprenant qu’elle touchait à une corde sensible, s’empressa de justifier sa curiosité.

-C’est juste que les kendrans que j’ai connus vivaient enfermés dans leurs appartements géants en regardant tout le monde de haut.

-Je suis qu’à moitié kendran, tu sais ? Gray m’a dit que j’avais du sang des gens du désert en moi, il a parié sur les kebakeris. Flamme a…avait…parié sur les Zurqadam.

Sharon hocha la tête, pensive, tandis que le bois frétillait et que des étincelles réussirent à animer une petite flamme.

- Donc, t’es pas vraiment un kendran, tant mieux.

Lark, fronça les sourcils, surpris d’apprendre qu’une telle hostilité habitait son amie envers les siens.

Le feu commençait à prendre et Sharon sortit des provisions de sa sacoche. Elle tendit à Lark sa part non sans le prévenir :

-Il va falloir qu’on se rationne, on ne se sait pas combien de temps va durer le voyage.

-Je n’ai pas besoin que tu me dise comment manger moins.

Ils mangèrent leurs rations en silence, un silence à la fois apaisant et caractéristique d’une gêne encore présente entre deux inconnus. La jeune wiehl se coucha en première, affaiblie par ces derniers jours. Lark proposa de monter la garde et en profita pour nettoyer ses blessures et changer son bandage de fortune à l’oreille. Il ne pouvait s’empêcher de penser à la chance qu’ils avaient eu de sortir avec si peu de dégâts de leur confrontation. Il ne saura plus jamais le bienvenue dans la ville d’Exech, sa maison.

-Est-ce que tu sais te battre ?

La voix de Sharon le fit sursauter, il l’a pensait déjà assoupie.

-Heu, pas vraiment. Je veux dire, je me débrouille avec un couteau mais j’ai toujours fuit. Je ne me bats pas.

Sharon parût inquiète.

-Je demandais juste au cas où on se fait attaquer.

Le garçon d’Exech tenta de la rassurer mais il comprit bien vite que ses paroles n’avaient plus de réelles valeurs depuis ce qui s’était passé à l’auberge la veille. Lui-même se questionnait sur sa loyauté. Il s’était toujours battu pour survivre et sauver sa peau, est-ce qu’il se mettrait en danger pour elle ? En repensant aux sentiments qu’il avait eus face à l’homme carmin, il avait senti comme un élan chevaleresque s’emparer de lui, ce qui le rendait fier d’un certain côté. Mais il savait que sa décision avait été stupide, et s’il ne le regrettait pas vraiment, il ne la recommencerait pas pour autant.

Quelques heures plus tard il s’allongea sur la couverture à côté de son amie, en laissant une distance respectable tout du moins. Avant de fermer les yeux son esprit fut traversé par l’idée de tout rassembler et de partir seul vers Exech ou La Kébe qu’il rêvait de visiter.

Il chassa cette idée de son esprit et s’endormit à son tour.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » ven. 6 sept. 2019 18:33

Un murmure particulier vint aux oreilles de Sharon la tirant d’un sommeil profond. Un murmure tellement faible qu’elle se demanda comment il pouvait l’avoir tirée de son sommeil. Elle tourna le dos à la source de ces bruissements et se cogna la tête contre quelque chose. En ouvrant les yeux, elle remarqua le dos d’un jeune garçon. Elle cligna plusieurs fois des yeux et regarda autour d’elle : prisonnière de ces marais avec une personne qui lui était quasi inconnue. Les murmures cessèrent mais des mouvements sur sa droite attirèrent son attention. Elle se redressa aussitôt, craignant de se faire attaquer, mais elle ne put voir que le paysage marécageux avec ses plantes humides et sa boue visqueuse.

Elle soupira et leva les yeux au ciel. Le soleil s’était levé depuis un moment, bien qu’il se cachait derrière les nuages et la brume. Elle décida de s’activer et de ranger leurs quelques affaires pour leur départ. Ses habits la gênaient néanmoins, déjà pas habituée à rester si longtemps dans les mêmes habits, ceux-ci avaient commencés à sentir et à coller avec l’humidité des marais.
Alors que Sharon buvait goulûment dans la gourde d’eau qu’avait apportée Lark, elle pouvait sentir quelque chose bouger dans son dos. Elle en était certaine. Elle fit volte-face mais rien à l’horizon. Elle s’empressa de réveiller son camarde, persuadée qu’un danger allait leur tomber dessus.

-Lark, Lark ! Il faut qu’on s’en aille. Maintenant !

Le garçon ouvrit rapidement les yeux et se redressa, les cheveux en bataille.

Au même instant la jeune fille put voir la vasque s’animer anormalement. Elle tira le garçon par son vêtement et le supplia de se dépêcher. Des formes humanoïdes se détachaient du paysage brumeux. Sharon en compta quatre, dont une à quelques pas.

-On doit partir !

Lark suivit son regard et sauta sur ses jambes.

-Nom de…

Il plia la couverture en quelques gestes et la jeta dans son sac. Les formes, elles, devenaient plus distinctes et s’approchaient lentement.

-Qu’est-ce que… ?

-Des squelettes des marais ! On dégage !

Nul besoin de le répéter deux fois. Sharon accouru aux côté de Lark et ils s’enfoncèrent dans les marais, espérant pouvoir fuir leurs ennemis. Mais ces créatures étaient malignes et avaient prévu de les attraper dans une embuscade. Heureusement, ils n’étaient pas encore prêts et les enfants purent passer à une bonne distance de trois autres squelettes. Sharon rattrapa de justesse Lark qui glissa sur de la mousse et ils continuèrent leur fuite. Après plusieurs minutes, ils ralentirent, essoufflés. Leurs poursuivants, qui les avaient d’abord pris en chasse à grande vitesse, semblaient avoir abandonné la poursuite.

-On a eu de la chance, on s’en est sorti.

Lark respira bruyamment tandis que la wiehl tentait de se repérer.

-Heureusement que tu t’es réveillée à temps, ils n’ont pas eu le temps de refermer leur piège. Je commence à croire que c'est toi qui nous porte chance.

-C’est leurs bruits et leurs murmures qui m’ont réveillée à vrai dire.

Le garçon la regarda interloqué.

-Leurs murmures ? Tu sais que ces squelettes ne parlent pas, hein ?

Sharon le regarda, étonnée, elle était certaine d’avoir entendu des murmures. Elle abandonna le sujet, préférant se concentrer sur leur survie. Après une longue discussion et une nouvelle dispute ils réussirent à se mettre d’accord sur la direction à suivre.

Ils avaient mis en place une nouvelle stratégie pour ne plus se retrouver dans une situation pareille. Ils se déplaceraient une partie de la nuit, très prudemment et très lentement, et l’autre partie ils dormiraient à tour de rôle. Ils appliquèrent cette technique deux nuits de suite, satisfaits du résultat ils ressentaient par contre le contrecoups qui fut d’abord une grande fatigue qui n’aidait en rien à apaiser les tensions entre les deux fuyards. De plus Sharon se plaignait du fait qu’elle n’était pas équipée à marcher dans un tel environnement, ses sandales étaient déchirées. Elle partagea son inquiétude de tomber malade lorsqu’elle sentit son corps s’affaiblir et le froid pénétrer ses vêtements.

Cependant, elle n’obligea pas le kendran à s’arrêter, se forçant à mettre un pied devant l’autre et ignorer les douleurs. Lark dût ralentir le rythme à contrecœur mais il ne remarqua pas l’état de la jeune fille qui se détériorait.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » ven. 6 sept. 2019 23:52

Cela faisait maintenant trois jours qu’ils avaient quitté Exech et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’était pas prêt d’arriver à leur destination. Leur rythme de marche avait été plutôt soutenu le premier jour mais, la fatigue s’accumulant, le manque d’endurance et la mauvaise santé de Sharon avaient probablement doublé leur temps de trajet initial. En plus de cela, leur fuite dans les marais, poussée par les créatures squelettiques, les poussèrent vers des chemins moins praticables et plus dangereux. Ils n’étaient même plus sûr de leur position et de la direction à prendre.

La seule bonne nouvelle fut annoncée par le demi-kendran :

-Tu entends ? On dirait des cris. De ce côté !

Sharon voulut l’arrêter et lui recommander d’être prudent mais le teigneux courait déjà dans la direction indiquée. Heureux d’entendre d’autres voix, Lark n’hésita pas abandonné Sharon pour voir ce qu’il en était.

Les cris étaient plus clairs. Des cris de rage et des ordres aboyés. Plus ils approchaient, plus la cacophonie leur rappelèrent le désordre d’un champ de bataille. Ils se rapprochèrent aussi vite que possible mais une fois qu’ils eurent un visuel sur le fameux champ de bataille, les bruits avaient cessés.

Un silence de mort régnait.

-Par les dieux…

Le premier à remarquer les cadavres fut Lark. La terre en était jonchée. Le garçon, voulant détourner le regard, vit une silhouette disparaitre dans les bois à sa gauche. Il saisit le bras de Sharon en lui montrant ce qui devait être un charriot ou une voiture.

-On devrait lui demander de l’aide.

Lark serra subitement le bras de la wiehl et l’obligea à s’accroupir.

-Tu ne sens pas cette odeur ?

-Si, c’est horrible.

Une odeur répugnante de putréfaction avait envahis leurs narines aussitôt qu’ils s’étaient approchés, malgré tout elle ne comprenait la terreur qu’affichait son ami. Elle analysa le terrain devant eux. Une dizaine de corps s’étalait sur toute la zone, certain décomposés d’autres, entiers, affichaient un visage déformé par la terreur, les membres comme paralysés dans une position de protection.

-Tu sens ce froid ?

-Oui, oui, ça fait des heures que je gèle. Qu’est-ce que tu veux dire, Lark ? De quoi est-ce que tu as peur ?

Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait des cadavres, le comportement de son ami l’inquiétait bien plus.

Celui-ci lui intima le silence et montra du doigt une poignée de personne qui se dirigeait vers les morts.

-Des pilleurs ?

-Regardes leur armures, ce sont des miliciens travaillant pour le Royaume.

Il se leva lentement et proposa à Sharon de les aborder. Sans attendre son consentement, il prit les devant.

-Excusez-moi, on a besoin d’aide.

En effet, Lark avait raison, les cadavres comme les nouveaux arrivants portaient l’armure difformes et mal-entretenus typique d’Exech et de sa milice. En arrivant à leur porté, les gardes, sur les nerfs, dégainèrent leurs armes et leurs firent face. Lark essaya de les calmer mais au vu de leur apparence frêle et de leur visage d’enfant, il n’eut pas à faire beaucoup d’efforts.

-Vous l’avez vu ? C’était lui ?

Un garde se détacha des autres, s’assit près d’un cadavre et retira son casque dévoilant un visage féminin.

-Oui. C’était lui, sans aucun doute.

Sharon, frustrée de ne pas comprendre la discussion, éleva la voix et tapa du pied :

-De qui est-ce que vous parlez ?!

Les miliciens ne semblaient pas apprécier son impertinence mais la femme répondit dans un souffle à peine audible.

-Le Todesrad.
Modifié en dernier par Vadex le mer. 18 sept. 2019 18:27, modifié 4 fois.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » lun. 9 sept. 2019 15:40

Avant que la milicienne daigne répondre aux différentes questions des deux enfants, elle leur demanda la raison de leur présence loin des routes principales et non-accompagnés. Le jeune demi-kendran leur résuma leur situation et leur objectif. La femme les analysa de la tête aux pieds, incrédule.

-Et vous comptez retrouver le village de votre tante avec de la chance ? En explorant tout le marais ? Vous êtes complètement inconscients. Regardes la petite ! Elle est pâle et tremble comme une feuille.

Ses mots étaient encore faibles pour décrire le triste spectacle qu’offrait Sharon. Seule sa volonté de s’en sortir et la compagnie de Lark lui permettaient de tenir debout.

Lark, ravala sa salive et demanda à mi-voix :

-Est-ce que vous pouvez nous aider ? Cela fait trois jours que l’on dort dans les marais. J’ai peur que l’état de mademoizelle s’empire.

-Difficile de faire pire que ça. Marmonna la milicienne.

Un de ses compagnons la héla. Les hommes armés quittaient la zone après avoir récupéré des affaires sur les morts.

-Ecoutez, j’en ai rien à faire de vos pérégrinations et vos histoires loufoques. Je me suis jurée de protéger les habitants d’Exech et de redorer le blason de la milice, et je sais que si je vous laisse cette petite va certainement y rester et toi, avec le Todesrad dans le coin, tu vas vite la rejoindre.

Les muscles du garçon se détendirent et il sourit à pleines dents.

-Ne me remerciez pas, je vous amène tout droit vers des charognes avides et sans scrupules, restez près de moi surtout.

Lark la suivit, enjoué et confiant tandis que Sharon, curieuse demanda d’une voix faible :

-Pourquoi les soldats pillent leurs propres hommes ?

La milicienne se tourna vers elle, un regard mélangeant tristesse et colère.

-Ils ne les pillent pas, ils récupèrent les objets personnels qu’on pourra rendre à leurs familles alors que les armes et côtes de maille s’ont reprises pour qu’on n’ait pas à attendre des semaines pour équiper les nouvelles recrues…comme la dernière fois.

Le garçon, dubitatif lui rappela sans vergogne :

-On est à Exech, pas aux pays des elfs, ils ne feraient pas ça s’ils n’en tiraient pas profit.

La femme se pinça les lèvres et enfila son casque pour marquer que la discussion étaient terminée. Elle conclut cependant d’une voix ferme et amère :

-Les familles peuvent parfois se montrer…très reconnaissantes dans le long terme. Mais toutes ces foutaises seront bientôt finies.

Elle ordonna fermement à sa petite compagnie de prendre la direction du camp. Personne ne posa de question sur les deux enfants, bien que Sharon pouvait sentir certains regards appuyés dans son dos.

-On essaiera de vous trouver des habits secs et une couchette de libre. Par contre le seul repas qu’on ait c’est une bouillie d’herbe. D’où est-ce que vous venez ?

-De la capitale.

-Pas de parents ?

-Son père a été tué alors qu’ils visitaient leur tante. Sa mère est à Tulorim.

Cette information ne la fit pas sourciller, les attaques sur les voyageurs et les meurtres devaient être chose courant pour cette soldate de la région.

-Et toi ?

Lark fut surpris qu’on lui pose la question. Il haussa les épaules et répondit, comme si c’était évident :

-Je suis un enfant d’Exech.

Sharon qui trainait derrière les deux exechiens, avait de plus en plus de mal à suivre. Chaque mouvement de sa part éveillait une douleur dans tout son corps, ses yeux voyaient flous et elle ne pouvait empêcher ses dents de claquer. Elle cligna plusieurs fois des yeux, essayant de se reprendre, mais elle sentait que la maladie était en train de prendre le dessus. Elle leva la main en direction de son compagnon, faisant un ultime effort pour attirer son attention, en vain.

Ses jambes flanchèrent et sa vision s’obscurcit.
Modifié en dernier par Vadex le mer. 18 sept. 2019 18:31, modifié 5 fois.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » lun. 9 sept. 2019 19:10

-Le Todesrad est connu comme une légende à Exech. Le cocher et son chariot traînent dans les plaines marécageuses et s’attaque à tous ceux qui le croisent. On dit que si on entend sa cloche cela signifie que l’on est déjà mort, et ceux qui résistent meurent dans d’atroces souffrances, dévorés par les morts-vivant qui sont empilés dans le charriot du « Cocher du Chariot des Ames ».

Les paupières de Sharon étaient lourdes, elle devait s’être endormie depuis plusieurs heures, une épaisse couverture la recouvrait et lui procurait une douce chaleur qu’elle ne voulait quitter pour rien au monde. Elle tourna la tête lourdement, pour voir Lark, assis, dans des habits neufs, trop grand pour lui, une dague entre ses mains.

-Qu’est-ce que tu racontes ?

Sa voix paresseuse s’enrouait comme les matins de jour sans école.

-Tu voulais tellement savoir qui était le Todesrad, bah je te le dis. Un monstre redoutable qui est la légende qui effraie tous les voyageurs sur les routes d’Exech. Et on a failli le croiser hier.

Il se leva d’un bond et s’amusa à faire tourner la dague entre ses doigts, la lancer en l’air et la rattraper.

-Comme je le disais, soit tu nous porte une sacré poisse soit t’es le meilleur porte-bonheur d’Imiftil.

Comprenant que le garçon essayait de l’impressionner avec son tour de passe-passe, elle lui tourna le dos et s’enroula dans sa couverture.

-Comment tu te sens ?

Son ton était plus sérieux, empreint d’inquiétude.

-Mieux. Je crois.

-Bien. C’est une bonne nouvelle. J’aurais dû savoir…peu importe. La femme t’a portée jusqu’ici quand tu as perdu connaissance. Elle a soigné mes blessures qui commençaient à s’infecter et elle m’a donné un bandage propre pour mon oreille. Il y a un endroit où tu pourras te laver, des vêtements qui font deux fois ta taille –apparemment ils les récupèrent dans des pillages ou je ne sais quoi– ensuite Ambre a dit qu’elle devait nous parler.

Sharon se redressa, entendre ces nouvelles l’avait réveillés et des dizaines de questions lui venaient à l’esprit. Mais lorsque la couverture tomba de ses épaules, Lark détourna son regard soudainement. Sharon sentit le froid sur sa peau, baissa le regard et découvrit qu’elle ne portait rien sous cette couverture. Elle remonta la couverture avec hésitation devant l’apparente gêne du demi-kendran, le fait qu’elle n’avait encore aucunes formes lui avait permis de se baigner avec ses amis masculin à Tulorim –bien que sa mère en avait horreur– sans qu’aucun d’eux ne soient gêné. Elle savait que cela ne se faisait pas, sa mère n’avait de cesse de lui répéter, mais Sharon ne comprenait pas pourquoi quand il s’agissait d’enfant de son âge, comme Lark.

-Cela fait combien de temps que je suis ici ?

Lark hésita, se racla la gorge puis paru réfléchir.

-Heum, la nuit est tombée depuis un moment donc je dirais que ça doit faire une demi-journée environ.

Sharon enroula la couverture autour de ses épaules et s’installa au bord du lit.

-Et qui est Ambre ?

-C’est celle qui nous a aidé.

Il retira un sac caché derrière des pièces d’armures et tendit un morceau de pain qu’ils avaient gardé en ration. Elle le dévora avidement, une main serrant la couverture sur sa poitrine. Lark ne semblait toujours pas à l’aise mais faisait tout pour ne rien laisser paraître.

-Ici, il n’y a qu’un repas par jour. Va falloir attendre demain matin.

Il fit les cents-pas sous la tente, tripotant sa nouvelle arme.

-Ah, oui. Ils ont réussi à chasser aujourd’hui, on aura de la viande demain !

Il s’extasia à ces paroles, les yeux brillant. Cela rappela à Sharon leur rapide repas à l’auberge d’Exech, son compagnon ne semblait pas habitué à manger de la viande et prenait un plaisir grisant à s’en délecter. Sharon, plus amusée par l’excitation de Lark que par son annonce, sourit à son tour.

-Au fait, tu ne saurais pas où sont mes nouveaux vêtements ?

Le garçon s’arrêta dans son explication fantasmée du futur repas. Il expliqua rapidement qu’il y avait une réserve et qu’il voulait bien aller lui-même les chercher. La Wiehl lui précisa qu’elle n’avait pas spécifiquement besoin d’habit féminin, mais surtout des habits chauds et de bonnes qualités. Lark approuva et s’apprêta à sortir, lorsqu’il se retrouva devant l’ouverture de la tente il s’arrêta embarrassé. Il se retourna, la tête baissé mais regardant la jeune fille dans les yeux.

-Pour être sûr qu’il n’y ait pas de malentendu. Ambre m’a conseillé de rester toute la nuit avec toi parce que les autres soldats sont loin d’être des enfants de cœur et que je devais veiller à ce qu'il ne t’arrive rien.

Il sortit ensuite prestement suite à cet éclaircissement.

Sharon ne put s’empêcher de sourire en s’imaginant Lark voulant la défendre avec une petite dague face à un soldat en armure. Malgré tout, le geste la touchait. En y repensant, n’avait-elle pas été un poids pour cet enfant d’Exech qu’elle avait retiré de son foyer ? Il fallait qu’elle se débrouille d’elle-même à partir de maintenant. Dès qu’elle sera complètement remise de sa maladie, ce sera son tour de veiller sur le demi-kendran.

Elle inspecta la tente sous laquelle elle se trouvait. Grande, spacieuse, plusieurs couchette au sol et une demi-douzaine de sacs et de bols contenant des herbes et des fleurs. Elle se trouvait probablement dans ce qui devait être l’infirmerie. Personne n’était avec elle et aucune activité humaine ne se faisait entendre à l’extérieur. Elle décida de glisser la couverture sur ses épaules et de la laisser tomber par terre.

Elle examina minutieusement son corps.

Une couche de saleté collait à sa peau, ses ongles noircis la dégoutaient. Elle passa une main dans ses cheveux et essaya de défaire les nombreux nœuds formés par l’humidité et la boue. Elle soupira frustrée, elle prenait peu à peu conscience de l’état horrible dans lequel elle se trouvait.

(Au moins, mère n’est pas là pour me faire la morale.)

Après examen, elle ne remarqua que quelques éraflures et ecchymoses qui passeront avec le temps. Ses pieds par contre l’inquiétaient, marcher dans des sandales à travers des marécages était loin d’être une bonne idée. Elle avait hâte de se laver et de démêler ses cheveux.

Des pas à l’extérieur l’avertirent de l’arrivé de quelqu’un.

-Voilà. Ils ont pas grand-chose, j’ai trouvé une tunique qui devrait t’aller avec cette cape à capuche et cette ceinture.

Sharon eut tout juste le temps de saisir la couverture devant elle avant que Lark n’entre. Le garçon ne sembla pas le remarquer, ou bien était-il un très bon comédien, car il plaça les habits dans un coin en s’excusant pour l’odeur des habits, leur taille,…laissant à la jeune fille le temps de cacher correctement son corps.

-J’ai pas trouvé de pantalon à ta taille. Je verrai si on peut laver le tien demain à la rivière et je te le donnerai aussi vite que possible. Par contre ces bottes devraient t'aller.

Sharon le remercia et lui demanda gentiment de sortir pour qu’elle puisse les essayer. La tunique était nettement trop grande mais cela ne gênait pas tant que ça, on pouvait penser qu’il s’agissait d’une robe affreusement moche. Elle remit son pantalon sale et rappela Lark.

-Je ne suis pas fatigué.

-Moi si.

Le garçon s’étira et tomba dans le lit dans lequel était précédemment la Wiehl.

-Ok, on échange les rôles. C’est moi qui doit veiller sur toi.

Le garçon rigola doucement.

-Bien.

Il ramena la couverture à lui puis pointa un doigt en direction de sa camarade.

-Mais n’oublie, on ne doit pas se séparer.

Sharon hocha la tête, observa un moment la dague que Lark avait posée à côté de sa tête. Elle leva la menton, ferma les yeux. Elle revoyait son père se faire poignarder. Une dague droitement plantée dans son torse. La main ensanglantée qui tenait le pommeau. Un pommeau dont le bout lui avait fait penser à un œil de reptile. Sur ces pensées elle observa le garçon en face d’elle qui ronflait déjà.

Elle deviendra plus forte. Elle protégera ceux qui lui sont proche.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » lun. 16 sept. 2019 23:54

Un cri grave la réveilla en sursaut. Un homme braillait et on pouvait entendre le camp commencer ses activités. Des plaisanteries et des railleries accompagnaient les tintements mécaniques des armures et les mouvements de va-et-vient devant l’infirmerie. Devant elle, Lark, couché en chien de fusil, dormait profondément. Sharon se frotta les yeux et profita de l’inconscience de son compagnon pour examiner son arme. Une simple dague plutôt courte dont la lame était abîmée par l’usure mais encore brillante et le pommeau doré étincelait dans l’obscurité. Elle essaya vainement d’arranger sa coiffure en quelques mouvements de mains et sortit de la tente, préférant laisser son ami se reposer.

L’ambiance était à la détente, la plupart des hommes vaquait à leurs occupations, en groupe, le sourire aux lèvres. Sharon avait du mal à envisager que les cadavres découvert hier étaient leurs frère d’armes. Pouvions-nous nous habituer à la mort au point de l’oublier le lendemain ? Elle n’eut pas le loisir de réfléchir à la question car un homme la héla sur la droite. Entouré de trois autres miliciens, il était assis près d’une marmite d’où s’échappait une douce odeur de viande et une fumée opaque. La jeune fille fit quelques pas dans sa direction quand un wiehl en armure se mit en travers de son chemin.

-T’approche pas du cuistot. C’est un marrant mais il aime un peu trop les minettes.

Sharon n’eut pas le temps d’exprimer son étonnement ou son dégout que l’homme l’emmena en la tirant rudement par le bras. Il lui expliqua, sans jamais daigner la regarder, qu’elle n’avait rien à faire ici et qu’il était temps de parler à Ambre. Il lui fit également part du comportement répugnant de certain soldat à cause de leur beuverie de la veille, un moyen comme un autre d’oublier la perte d’une partie de leur patrouille. Ils traversèrent le camp composé d’une demi-dizaine de tente assez large et d’un charriot débordant de pièce d’armurerie, de vêtements et d’objet précieux. Etonnée par cet amas de biens ressemblant étrangement à un butin de raid, Sharon risqua de briser son silence pour questionner l’homme intimidant.

-Vous êtes bien des miliciens d’Exech n’est-ce pas ? Vous protégez le royaume.

L’homme eut un rire bref et amer, il marmonna quelque chose d’inaudible et termina par une jérémiade sur la déchéance d’Exech et l’inutilité du Roi. Arrivé devant une petite tente ouverte, il lâcha son emprise et rentra le pas lourd et le regard sévère. A l’intérieur, une femme rousse, en chemise de lin, étudiait des feuilles, leur tournant le dos. L’homme l’appela pour attirer son attention, celle-ci s’empressa de l’interrompre :

-Je sais, je sais. Ils partent aujourd’hui Benjamin, maintenant laisse-moi parler à la fille j’en ai pas encore eut l’occasion.

L’homme grogna et se plaignit de son comportement pendant un long moment tandis que la femme hochait la tête ou tentait de le calmer. Une fois sortie, Sharon rentra timidement et observa l’intérieur des lieux. Des cartes étaient empilées sur une couverture et des vêtements soigneusement pliés les concurrençaient à côté. Une armure et plusieurs armes blanches trainaient à sa gauche. La tente était assez vide mais beaucoup plus propre que celles qu’elle avait entrevues en venant ici. La femme lui indiqua d’attendre une minute. Une fois sa lettre rédigée, elle la plia dans une enveloppe et reporta son attention sur Sharon. Son visage féminin contrastait avec sa carrure et sa musculature développée, et bien que l’on pouvait déceler les traces de l’âge et les blessures de batailles, ses yeux émeraude laisser transparaitre une énergie et une fougue caractéristique de la jeunesse.

-Alors, Sharon –c’est bien ça ?– j’espère que personne ne t’as dérangé et que tu te sens mieux. Je m’appelle Ambre Ailes, cheffe de patrouille de la 67ème compagnie du Royaume d’Exech assignée à la protection des routes menant à la savane du Ponant et vers les Montagnes Vertes ainsi qu’aux villages aux alentour. J’ai parlé à ton ami Lark hier et il m’a vaguement parlé d’une tante à toi habitant dans un bourg proche, c’est bien ça ?

Sharon opina rapidement du chef, prise de court par le rapide débit de parole de son interlocutrice.

-Comme il est impossible de vous garder plus longtemps au camp, j’imagine que tu comprends, je vais vous amenez en sécurité, chez vous. D’habitude on n’amène pas des inconnus mais au vu de votre état quand on vous a trouvés, surtout toi, j’ai fait une exception, et ça ne plais pas à tout le monde évidemment. Mais qui aurai pu laisser des enfants à la mort, hein ? Sauf des crapules sans vergognes…

Elle soupira, son ton las et irrité démontrant que leurs venues était plus une gêne qu’autre chose et qu’elle les avait accueillis par devoir essentiellement.

-Enfin, soit. Après le repas je vous accompagnerais personnellement, afin d’être sûr. J’emprunterai deux chevaux et on ira chez ta tante. Tu sais dans quel village elle réside ?

La jeune wiehl balbutia puis répéta plus clairement qu’elle y était il y a quelques jours mais qu’elle ne savait pas où se trouvait exactement ce village.

-C’est pas bien grave, rappelle-toi d’un maximum de détail, je connais très bien la région. Va réveiller ton ami maintenant, on part bientôt. Et ne fais pas attention à Benjamin, on s’habitue à ses lamentations.

Sharon demanda où elle pouvait se laver et faire ses besoins et quitta docilement la tente. Une fois propre, elle se dirigea vers l’infirmerie.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Vadex » mer. 18 sept. 2019 18:14

Lark agit promptement aux paroles de la jeune vagabonde. Il disparut un instant pour se rincer le visage, à son retour il avait repris ses esprits et était équipé pour partir. Quelques minutes plus tard, un homme cria pour appeler au repas. Sharon put voir la totalité de la patrouille, 12 hommes, un bien petit détachement dû probablement au Todesrad la veille, un monstre dont la jeune fille avait encore du mal à mesurer la dangerosité. La plupart des miliciens se réunirent autour du foyer principal, ils s’assirent en cercle à proximité du cuistot qui venait de déposer la marmite encore chaude. Une plus petite partie se tenait en retrait, la wiehl gênée de s'asseoir autour du feu remarqua avec soulagement la cheffe de patrouille assise à une table avec Benjamin. Ils se dirigèrent vers la seule personne qu’ils connaissaient et celle-ci, sans les inviter à les rejoindre, ne parût pas ennuyée qu’ils prennent place à côté d’elle.

Le repas n’était pas préparé par un cordon bleu mais après des jours de diète, les enfants s’en délectaient. Ambre les observait avec un mélange de pitié et de sévérité. Benjamin en face d’elle ne cessait de bougonner et de montrer sa consternation sur la manière dont était dirigé les hommes, à la fin du repas Lark interrogea du regard sa camarade : Benjamin ne supportait pas sa supérieure alors pourquoi partager le repas avec elle ? Sharon haussa les épaules, les relations humaines étaient parfois plus complexes que ce que pouvait montrer leurs apparences. La milicienne qui n’avait pas prononcé un mot aux reproches de son compère blondinet, mis son bol de côté, et demanda abruptement à Benjamin de la remplacer jusqu’à son retour. L’homme parût surpris, il réfléchit un instant, marmonna une chose inaudible et enfin accepta.

-Seulement jusqu’à votre retour.

Satisfaite de cette réponse, elle demanda aux enfants d’aller l’attendre près des montures afin qu’elle puisse donner les dernières consignes à son remplaçant.

-Un peu bizarre ces deux-là…

La remarque de Lark traduisit les pensées de Sharon. Elle s’assit gauchement par terre et joignit ses jambe en tailleur pendant que, lui, admirait les chevaux et les caressait craintivement. La rousse revint équipée de son armure brillante et d’un sac sur le dos.

-Qui monte avec moi ?

Les enfants se regardèrent anxieux. Ambre leva les yeux au ciel en posant la selle sur le cheval d’un blanc immaculé.

-Aller, bande de couard, je n’ai pas toute la journée.

-C’est que j’ai jamais fait de cheval, j’suis pas un peureux.

-Et toi ?

-Heum, ça compte si j’ai perdu le contrôle et que j’ai foncé sur des gens ?

La cheffe fronça des sourcils, sa curiosité piquée au vif.

-Comment ça a fini ?

Sharon sourit, embarrassée, avec un haussement d’épaule qui disait « Je suis toujours en vie ».

-Bon, le garçon tu prendras les rênes, Poussin n’est pas si difficile à diriger.

Elle indiqua le cheval aux poils cendrés et à la chevelure claire. Avant de monter avec elle, Sharon fit part à son accompagnatrice de tous les détails qu’il lui était revenus : un puit au centre, une statue de Gaïa délaissée, une brume opaque, une maison à moitié brulée et abandonnée près de l’entrée.

-Bien, je crois savoir quel village c’est, vous vous en êtes bien éloigné. On se dirige vers le nord.

Les chevaux s’ébrouèrent et s’élancèrent à travers la terre marécageuse et boueuse. Ambre gardait une certaine avance sur Lark et son Poussin sans jamais le perdre de vue. Le cheval alternait entre trot et galop selon le terrain. Sharon, installée devant la milicienne, se réjouissait d’enfin pouvoir monter sur un équidé et d’en profiter, les cheveux au vent. Sa joie fut si grande que le sourire inconscient qu’elle arborait se fendit en un rire enfantin et aigu. Elle ne pouvait le remarquer mais cette réaction involontaire amena la jeune battante à sourire aussi et dérider son visage qui paraissait si préoccupé jusque-là.

-Dis-moi, peti– Sharon, quand est-ce que ton père a été attaqué ?

Le visage rayonnant de la jeune fille s’éteint aussitôt, un air coupable le remplaçant.

-Il y a six jours.

-Comment tu te sens ?

Cette question la paralysa. Comment se sentait-elle ? Comment pouvait-elle se sentir ? Avait-elle seulement fait le deuil de son père ? Une partie d’elle l’avait en effet fait lorsqu’elle avait pu partager son chagrin avec Lark au coucher du soleil dans cette ruelle sombre d’Exech. Mais elle n’acceptait toujours pas qu’il soit parti, surtout de cette manière. Et elle pouvait sentir que ce chagrin ne partirait jamais, pas tant qu’elle n’aura pas confronté les responsable de sa mort. Elle plissa les yeux et revit l’image si bienveillant et attentionné de son paternel, depuis ce jour tragique son souvenir hantait ses nuit mais elle le chassait constamment. Elle devait se concentrer sur sa promesse et sa tante…ensuite seulement, elle pourra faire son deuil correctement.

-Je sais à quel point la mort d’un proche peut être douloureux. Mais tu es une fille forte, Lark m’a raconté votre rencontre avec les squelettes des marais.

La vagabonde secoua lentement la tête, réfutant ces propos.

-Je suis inutile. Pour mon père. Pour Lark. Je ne suis qu’une charge qu’on traîne. Lark le fait par culpabilité, je le sais bien.

Peinée, que la petite wiehl ait des pensées aussi sombres, Ambre resta pensive. Après une ou deux minutes de réflexions, elle fit signe au demi-kendran qu’ils s’arrêteraient au prochain terrain stable. Sharon se retourna et la dévisagea, confuse.

-On devrait atteindre le village avant la tombée de la nuit, on a le temps pour une pause.
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Re: Les Plaines Marécageuses

Message par Sump » lun. 3 avr. 2023 01:08

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16


Sump marchait courbé par la chaleur et la faim ; l’air acide asséchait sa langue pendante ; les lanières de son baluchon lui sciaient l’épaule et la vase alourdissait ses pas. Il était de retour dans la tourbe du royaume d’Exech. Toujours vivant.
Au plus haut, le soleil s'acharnait sans pitié et les plaines s’étendaient sans qu’aucun relief ne promît refuge.
Pour la centième fois, il se retourna.
Noire et ondulante, Exech le regardait partir. Sump se concentra sur l’horizon.

Il s’écroula.

Il s'allongea sur le dos et ferma les yeux. Le soleil frappa ses paupières mais la boue se fit moelleuse et fraîche. Il soupira d’aise ; ses muscles se relâchèrent et il s’enfonça. Il ouvrit un œil ; la mort était précédée d’une vive lumière, avait dit l'aveugle. Sump la savoura et la laissa l’envelopper. Le bruit des vagues, des éclaboussures, d’un tambour, d’un chant envahirent ses oreilles. Il sentit une présence. Il soupira à nouveau, profondément, soulagé.

Deux formes noires lui cachèrent le soleil ; Sump attendit.

« Par Bek'Mor, cette foutue fange a bien failli nous la foutre dans le fion ! »

Une semelle mordit sa poitrine, de grosses pattes le délestèrent de Grifoniss et de son sac puis le retournèrent sur le ventre et lui attachèrent les poignets. Sump dégagea son visage de la vase : dans le soleil blanc, deux formes noires s’émerveillaient de son trésor ; l’un avait un crochet, l'autre s'approcha ; Sump grogna et refusa l'eau qu'on lui offrit. Perplexe, l’homme arrangea son cache-œil et gratta ses joues couvertes d'eczéma :

« On dirait que celui-là en a marre de la vie.
— Founedieu, c'est qu'il a tout compris, intervint l’autre, et est très déçu. »

Au milieu d’un éclat de rire, Sump fut soulevé et posé sur l’osseuse croupe d’une rosse. Crochet lui tapota le dos et s’adressa à l’autre :

« Si tu veux mon avis frangin, dit-il narquois, son calvaire ne fait que commencer ! »

Dans le crépuscule gris et rouge, Sump fut ramené à Exech où le sergent Traster l’attendait.

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