Le Berceau
Être rentrée me fait un bien fou. Dès le lendemain de mon retour,
Isqua s’est occupée du fameux tissu que j’ai apporté et, pendant ce qu’il a semblé être des heures, elle a mesuré chaque centimètre carré de mon corps avant de se mettre à coudre et confectionner comme elle seule sait le faire. D’aussi loin que mes souvenirs remontent, elle a toujours cousu elle-même chaque vêtement, sac, besace, sacoche que j’utilise aujourd’hui et met un point d’honneur à ce que cela reste ainsi, car, selon elle, rien ne vaut la couture sur-mesure. Je la laisse ainsi travailler pendant de nombreuses heures, observant le tissu prendre peu à peu forme au gré de ses ajouts et de ses points. Elle commence par la robe qui sera plus longue à faire que le chapeau et se permet d’y ajouter quelques fantaisies, comme elle dit avec un sourire enthousiaste.
- Tu verras, elle t’ira très bien. Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas cousu quelque chose.
Je hoche la tête en souriant à sa remarque. Cela me rappelle les premiers instants passés ici, quand je venais d’arriver, que je ne savais pas ce qu’il m’attendait et qu’Isqua m’a fait me sentir chez moi dans cette chaumière perdue au milieu des bois. La revoir s’atteler à la couture me renvoie à ces moments qui semblent désormais si lointains. Lorsqu’elle se lève finalement, elle me présente la robe que j’observe avec enthousiasme avant de l’enfiler aussitôt. LE tissu est doux et chaud et il semble glisser délicatement sur ma peau. Le bas de la robe s’arrête juste à mes chevilles et les manches à mes poignets. Elle est parfaite, pile à ma taille et bien plus belle que celle que je porte depuis des années maintenant. Cette dernière, posée sur une chaise servira à
Isqua pour autre chose, j’en suis sûre.
Fabriquer le chapeau est étonnamment plus rapide, avec moins de fioriture et un patron de bois qu’elle garde précieusement dans un placard. Lorsqu’elle retire celui que je porte pour mettre le nouveau, je remarque qu’il est plus grand et couvre bien plus le haut de ma tête. Le petit papillon qui demeure toujours sur la pointe de mon couvre-chef s’empresse d’ailleurs de s’installer sur le nouveau, attirant le regard curieux d’Isqua qui l’examine un instant avant de sourire.
- Les lutins ont décidément des connaissances et des capacités bien étranges et singulières… Que penses-tu de tes nouveaux habits, Nessa ?
- Ils sont parfaits !
Je tourne sur moi-même pour lui montrer, attirant son regard satisfait et son sourire. Avec ses nouveaux habits et les superbes gants que j’ai reçu en cadeau des lutins, j’ai l’impression de porter quelque chose de plus que simplement du tissu. Un sentiment un peu étrange d’euphorie qui cesse dès qu’Isqua saisit son bateau et met son chapeau sur sa tête. Je la regarde, soudainement curieuse de savoir ce qu’elle compte faire en enfilant sa cape et en prenant son sac. Elle tourne son visage vers moi et hausse un sourcil.
- Et bien, Nessa, ne reste pas plantée là ! Nous avons fort à faire. Prend tes affaires et suis-moi.
- Où allons-nous ? Demandé-je en obéissant, enfilant ma cape et en passant mon sac en bandoulière.
- Au cœur de la forêt, reste près de moi.
Je la suis en hochant la tête, refermant la porte derrière nous avant de l’accompagner à la lisière de la barrière de brouillard qui entoure le petit domaine ma mentore. Elle se tourne vers moi et me fixe un instant sans rien dire avant de s’enfoncer dans le brouillard. Je reste sur ses talons, me demandant ce que ce regard et cet air sérieux qu’elle arbore à présent peu bien signifier. La journée étant bien entamée, la lumière peine à percer un chemin à travers le sous-bois, rendant la forêt d’autant plus lugubre.
Isqua avance d’un pas soutenu et me distance d’abord avant que je ne la rattrape, une fois passée la surprise. Je l’ai rarement vu si pressée, surtout que la forêt ne risque pas de s’évaporer dans la nuit. Je lève la tête vers elle en sautant par-dessus une épaisse racine, lorsqu’elle m’interpelle sans cesser de marcher.
- Dis-moi, Nessa. Qu’as-tu ressenti lorsque tu as récupéré cette pierre ?
- Difficile à exprimer… Je me sentais en communion avec la terre à ce moment précis, comme si je ne formais qu’une avec elle. Je n’avais pas peur, je me sentais bien… comme si c’était la plus naturelle des choses.
Cela semble la ravir, mais elle n’ajoute pourtant rien à ce sujet et continue de me conduire au cœur des bois. Nous ne croisons aucun marcheur mort pour parvenir à une clairière à la jonction des quatre portions des bois. Etonnée, je m’arrête une seconde avant de trottiner pour rattraper
Isqua qui n’a pas ralentis. Elle se place au centre de l’endroit et se tourne vers moi, une expression énigmatique sur le visage. D’un geste doux, elle m’invite à la rejoindre et je remarque de curieuses marques dans le sol à mesure que j’avance, comme si la terre était différente ici. Il y a définitivement quelque chose dans cet endroit, sans que je sache pourquoi.
Isqua se met à genoux et me fait signe de l’imiter. J’obéis en regardant autour de moi, cherchant à comprendre, mais ma mentore ne fait pas durer le suspense éternellement.
- Ceci, Nessa, est le Berceau, et la raison pour laquelle une sorcière dotée du don de géomancie doit rester dans ces bois. Inspire et observe, ma jeune apprentie, parce qu’un jour, tu seras la gardienne de ce savoir. Ondo cundo, amortalyë !
En prononçant ces mots, elle frappe le sol de son bâton et celui-ci se met à trembler tout autour de nous, et même sous nous. Je regarde
Isqua avec un mélange d’anticipation et de crainte, mais son sourire me calme quelque peu avant que le sol ne se craquelle. Tout autour de nous, le sol s’ouvre pour laisser jaillir de grandes pierres dressées vers le ciel, au nombre de huit, formant un cercle autour de nous. Des pierres plus petites entourent la première formation rocheuse, cernant le tout. Le bruit cesse lorsque toutes les pierres semblent être en place. Alors,
Isqua se lève et je l’imite. D’un nouveau geste, elle m’invite à explorer l’endroit, sans m’en dire plus et, curieuse, je m’approche d’une des pierres. De forme allongée et pointant vers le ciel, elle est gravée d’un grand symbole en son centre, différent sur chacune des pierres. Je pense comprendre, au vu du nombre de pierres, mais la réponse vient d’Isqua.
- Chaque pierre représente un des fluides primordiaux. Nous appelons cet endroit le Berceau, car c’est ici que les premières sorcières fondèrent le Convent, il y a de cela des milliers d’années. C’est également là que naissent les sorcières, si on peut dire, car c’est en ce lieu qu’elles sont intronisées à leurs pairs et peuvent rejoindre le Convent. Bien sûr il faut que celui-ci soit rassemblé pour que la cérémonie puisse avoir lieu, aussi, tu comprendras que nous ne sommes pas venues pour cela aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Je hoche la tête, sans voix, observant avec un œil nouveau l’endroit où je suis pourtant passée plusieurs fois pendant toutes ces années, sans jamais me rendre compte de l’importance de ce lieu. Je passe ma main sur la pierre la plus proche, suivant les contours gravés du symbole de l’élément que je pense associer à l’eau et finis par rejoindre
Isqua au centre où elle a posé une petite bourse de tissu qu’elle ouvre. Sous mon regard curieux, elle dépose huit graines et glands sur le sol et lève son regard vers moi avec un sourire.
- Choisis une graine, Nessa, mais choisis bien, car elle te sera liée pour de longues, très longues années.
Je hoche la tête et observe les graines une à une, reconnaissant sans mal la plupart d’entre elles, exceptée une, ce qui me laisse perplexe. Lorsque je tends la main, j’hésite et finit par fermer les yeux. Je m’attends à ressentir quelque chose, mais rien ne se produit et je rouvre les yeux, une moue dubitative sur le visage.
Isqua m’encourage d’un regard et je recommence. Il faut de longues minutes avant qu’un éclat ne pulse et que je ne m’empare aussitôt d’une graine. Ou plus précisément d’un gland, que je montre à
Isqua. Cela la fait sourire et elle récupère les autres graines disséminées sur le sol avant de tendre la main. Je lui donne le gland et elle creuse magiquement un trou dans lequel elle l’enterre avant de reboucher le trou.
- Nous allons commencer, il faut que tu te détendes complètement et que tu sortes ta pierre. Il est temps que tu obtiennes ton bâton.
***
HRP : utilisation des deux rouleaux de tissus de l'inventaire pour fabriquer : Robe de Sorcière (Habit de torse, Haute qualité) et Chapeau de Sorcière (Habit de tête, Haute qualité)