Message
par Syelsa » dim. 1 nov. 2020 15:06
En caravane
- Merci.
Il me surprend, ce grand barbu, à me remercier à l'écart, comme s'il avait honte de le faire. Son visage marqué par le soulagement me fait m'interroger sur la relation qu'il a avec cette femme. Sa femme peut-être justement ? Ou une sœur ? Peut-être me suis-je trompée sur son compte, peut-être qu'il est simplement timide ou gêné de devoir remercier une complète étrangère. Je sens le haut de mes joues rosir alors qu'un sourire se dessine sur mes lèvres face à son remerciement. J'incline la tête en réponse et ouvre la bouche.
- Elle doit se reposer maintenant. D'ici une semaine elle devrait pouvoir bouger la jambe.
- Très bien. Nous l'emmènerons voir un guérisseur une fois en ville, mais la route est encore longue. Avec ces morts-vivants... tu n'y es pas liée, pas vrai ?
Je me disais aussi... Il doit se méfier après avoir vu mes fluides en action. Je hoche la tête, niant toute implication avec la prolifération de ces créatures sorties du repos éternel.
- Non, je n'ai pas appris les arcanes de la nécromancie, mais je sais qu'elles arpentent davantage ces lieux depuis quelques mois. Soyez prudents.
Je m'apprête à tourner les talons, mais il me demande d'attendre et me propose quelque chose que je n'avais pas envisagé.
- Je voudrais te remercier, tu as sauvé la vie d'une des nôtres. Dit-il en me tendant une bourse que j'examine avant de la prendre et de l'ouvrir. À l'intérieur, des morceaux ronds de métal. J'observe un instant la chose puis la referme et la lui rend, faisant face à un regard surpris. Que veut-il que je fasse de bouts de métal ?
- Je ne vois pas à quoi ça me servirait, mais merci. Je n'ai besoin de rien que vous possédez. Je vais reprendre la route, j'ai encore du chemin à faire. Puisse la route vous être paisible.
Il me fixe, encore surpris et je lui offre un sourire avant de faire demi-tour. Il ne me faut pas plus de quelques mètres avant qu'il ne m'interpelle à nouveau. Son insistance commence à devenir étrange et je me retourne à nouveau, plissant les yeux. Mais c'est une plutôt bonne offre qu'il me propose cette fois, et elle est difficile à refuser.
- Tu pars vers l'est, nous aussi. Joins-toi à nous. Tu iras plus vite qu'à pied et nous veillerons à ta sécurité pour te remercier. Qu'en dis-tu ?
Je n'hésite pas longtemps avant d'accepter et le suis jusqu'au centre du cercle de chariots pour qu'il informe la petite troupe de ma présence pendant les semaines à venir. On me remercie, me souhaite la bienvenue dans une étrange cacophonie. Des noms fusent, se perdent un peu au vu du nombre et je n'en retiens que bien peu sur la trentaine de personnes présentes. Et c'est donc au milieu du cercle que je passe ma première nuit de voyage, à voir s'alterner les gardes alors que l'obscurité emplit les plaines et que les dormeurs plongent dans le pays des songes.
Et c'est ainsi que, jours après jours, le voyage se passe bien plus rapidement que je ne l'avais espéré. La caravane, des marchands n'ayant pas les moyens d'aller en bateau, est en route vers Yarthiss, une ville à l'autre extrémité du continent et est lourdement protégée par une douzaine de gardes. Même les marchands sont armés. Il y a Edwart, qui est le chef des gardes, Wolfried, le barbu chef de la caravane et Filip, le cuisinier, dont je retiens rapidement le nom et le poste. D'autres discutent avec moi au fil des jours. La doyenne, Martha, qui est une marchande refusant de se poser dans une maison. Le guetteur, Reg, et son jumeau Fror, qui sont amusants et racontent souvent de petites histoires quand ils ne sont pas à balayer les alentours de leurs yeux perçants. Hildegarde, la responsable des provisions, qui surveille toujours Ferdinand, un colosse qui me semble plus large qu'un chêne et qui mange comme trois. Elina la douce femme du cuisinier qui chante des chansons pour apaiser les esprits. Ou encore Loric, celui qui gère les bœufs tirants les chariots de la caravane.
Toute cette petite troupe rend le voyage moins monotone et agréablement intéressant. Chacun à ses propres expériences à partager et, s'ils se montrent curieux à mon sujet, ils n'insistent jamais vraiment quand j'admets ne pouvoir leur répondre. Je ne peux risquer de divulguer quoi que ce soit sur ma mentor, à qui que ce soit. Je sais qu'elle s'est retirée du monde pour une raison et je ne veux pas que quelqu'un essaie de la trouver. Au lieu de quoi, je leur parle des légendes que j'ai apprises, des histoires qu'elle me contait étant plus jeune et leur donne quelques conseils sur l'utilisation des plantes, comme ce que j'ai fait le premier soir en les rencontrant et en sauvant la vie d'Agnès, la femme de Wolfried. Agnès qui, après une semaine de doute, a fini par ouvrir les yeux dénués de toute douleur ou presque. Tout le monde semblait ravi. Elle ne marche pas encore, mais sa jambe, que j'ai régulièrement continué à panser, ne met plus sa vie en danger. Elle gardera à vie les séquelles et boitera sans doute, mais au moins vivra-t-elle.
Les jours puis les semaines passent. A part quelques rencontres avec quelques trépassés, la route reste heureusement calme malgré les coups d’œil inquiets de Wolfried lors d'une nuit particulièrement orageuse. Rien n'est sorti de l'obscurité, mais il resta prudent tout le reste du trajet. Nous avons traversé quelques hameaux et un village plus conséquents où accueil chaleureux fut offert à la caravane qui échangea quelques biens avec les locaux. J'ai pu observé avec circonspection l'utilisation des fameux bouts de métal nommés yus et Agnès, amusée, s'évertua à m'expliquer l'intérêt de l'argent. Isqua n'en a jamais fait mention, probablement parce qu'elle a même oublié le principe. A quoi peut bien servir la monnaie lorsque la nature nous fournit tout ce dont on a besoin ?
C'est par un matin nuageux que la fameuse Tulorim est enfin apparut. Assise sur le chariot de tête, j'observe avec intérêt les bâtiment, les fumées s'en échappant et l'agitation que je peux percevoir même depuis le lointain. La caravane s'arrêtant quelques jours ici, je les quitte après de longs au revoir qui font verser quelques larmes. Agnès m'enlace longuement en me remerciant tant de fois que cela en devient presque gênant. Je reçois une tape sur l'épaule de Wolfried qui me souhaite de réussir ma cueillette et il glisse dans ma main la petite bourse qu'il a conservé depuis mon refus, en me faisant un clin d’œil.
- Tu aurais bien besoin de bottes, va-nu-pieds.
La remarque me fait rire et c'est ce sur ce petit échange que je les quitte, leur faisant de grands signes pour me diriger vers la grande ville proche de la mer. Ne me reste qu'à trouver où me renseigner et j'irai directement à Tuiles aux Rîmes. Simple comme la cueillette de baies !