L'après-midi approchait sa fin. Les ombres vibrantes des arbres fruitiers zébraient la route désormais dorée par les rayons du soleil descendant alors qu'un vent frais se levait enfin sur la région de Wiehl. Annette ferma les yeux pour accueillir l'air de fin de journée contre ses joues rougit par son long voyage sous le soleil ardent. C'était le matin même, tout juste avant que l'aube ne montre ses premières couleurs qu'elle avait quitté la maison. Elle avait embrassé pour une dernière fois sa mère, qui, après une caresse et une demande de promesse de retour, garda un œil attentif sur sa fille jusqu'à ce qu'elle disparaisse à l'horizon.
Le vent s’engouffrant désormais dans ses cheveux, Annette soupira puis sourit, un sentiment de doute et de bonheur se mélangeant dans son cœur. Elle essuya les quelques gouttes de sueurs qui perlaient sur son front alors qu'autour d'elle, de petites maisons et fermes commençaient enfin à se dessiner. Se protégeant la vision du soleil pour mieux les percevoir, elle remarqua les silhouettes d'une femme et d'un enfant la devançant. En s'approchant d'eux, Annette remarqua que tous deux semblaient porter chacune un panier bien lourd. Leur vitesse en étant affectée, la jeune femme les rejoignit bien rapidement et constata avec étonnement que la dame chantonnante portait avec elle beaucoup plus qu'un fardeau de pêches fraîchement cueillit, mais aussi, au creux d'un ventre bien rond et proéminent, la vie nouvelle. Inquiète, Annette ne put se retenir de s'exclamer:
"
Madame! Pardonnez-moi! Je... je me prénomme Annette et en vous voyant j'ai... je me demandais si vous accepteriez mon aide pour transporter votre panier."
La dame ne semblait pas avoir vu la jeune femme l'approcher et se retourna haletante, tout en laissant une odeur de fleur d'oranger s’échapper de ses longs cheveux brillants et dévisagea l'inconnue d'un air méfiant. Annette lui sourit avec toute la sincérité du monde. Elle avait l'habitude que les gens prennent un temps pour déchiffrer ses traits singuliers.
"
Et... vous venez d'où?"
Annette n'avait pas l'allure d'une femme du peuple de Wiehl et savait bien que son apparence avait tendance à semer le doute. En revanche, la futur mère, de sa beauté, en portait bien le nom. Sa peau lisse et basanée miroitait sous les rayons orangés du soleil mettant en valeur ses yeux du vert d'une jeune olive toujours accrochée à sa branche.
"
Et bien.. Je viens d'un tout petit village à une journée de marche d'ici. Peu de personnes ne le connaissent vraiment. Certain m'ont dit qu'on pourrait le comparer à Melwasul, mais sans la pêche, en moins connu et en encore plus petit si vous pouvez vous imaginer plus petit. Hahaha..."
Tout en l'écoutant, la dame reconnu l'accent du coin, lui rendit le sourire, charmée et laissa échapper un soupir de soulagement.
"
C'est un plaisir de vous rencontrer. Je suis Maltide. J'accepterais volontiers votre aide ... Anne?"
"
Annette. Enchantée!" S'exclama-t'elle les bras tendus vers le panier habilement tressé.
"
Oh,Désolé. Annette. "Se reprit Matilde.
Faites attention, c'est assez lourd... AH, je sais! Échangeons plutôt."
En toute confiance, Annette échangea son sac de voyage en cuir usé contre le panier. Matilde le posa sur son épaule et observa d'un œil attentif les genoux de son aidante fléchir sous le poids inattendu du panier.
"
Vous êtes sûre que..?"
"
Ah.. oh oui oui!"
Faisant mine d'être en toute maîtrise, cette dernière reprit le pas, débalancée, tremblante et grandement ralentit. Matilde la suivit de près, attentive à ses difficultés, clairement inquiète de la situation de sa bénévole. Elle faufila ses doigts nerveux entre les quelques mèches de cheveux qui obstruaient son visage.
"
Je suis vraiment désolée, les sangles du panier ont brisées ce matin même et j'espérais être en mesure de faire sans elles pour aujourd'hui, mais je constate que c'était une très mauvaise idée. Mon mari est..."
Elle s'arrêta nette le regard porté au loin. L'enfant qu'Annette avait aperçut plus tôt se trouvait à bonne distance maintenant.
"
Ariane! Ariane ne t'éloigne pas!""
Annette leva les yeux du contenu de son panier pour voir la petite fille qui les attendait avec impatience. Elle était vêtue d'une robe de la couleur des fruits qui mûrissaient dans les arbres bordant la route et portait des traits similaires à ceux de sa mère.
"
Ah..Je suis.. impressionnée!" Souffla-t'elle.
Ah... Votre... votre fille est.. est très forte."
L'enfant portait sur son dos un panier presque aussi remplis que le sien. La petite, aux mots de l'étrangère bomba le torse et prit la pose pour montrer ses muscles dans les meilleures positions, l'air fière et le sourire taquin.
"
Et vous, vous avez une drôle de tête."
"
Ariane!" S'indigna Matilde.
Annette ne broncha pas.
"
Haha, non.. Non. Je vous en pris ne vous inquiétez pas. Haha.. ha. J'ai bel et bien... une drôle de tête... Ma maman m'appelle même... sa petite.. sa petite souris."
La petite s’esclaffa.
"
Haha! C'est rigolo. Moi j'aime bien les souris, mais maman a très peur."
L'enfant rigola davantage et Annette la rejoignit sous le regard embarrassé et un brin soulagé de Matilde. Les trois conversèrent ainsi jusqu'à rejoindre un embranchement qui les éloignait de la route principale menant vers Tulorim. Annette profita de l'occasion et prit une pause pour souffler et rattacher sa sangle de soulier si usée qu'on se demandait bien comment elle pouvait encore tenir, puis, une gorgé d'eau plus tard, elles reprirent chemin tout en suivant désormais leurs ombres qui s'étiraient devant elle. Annette parlait de son village et Matilde de leur ferme alors que la petite Ariane s'amusait à piétiner la tête de leur ombres en ricanant et chantant toute sorte de chansons enfantines.
Le ciel s'habilla doucement de ses plus beau habits rouges et même si son soleil continuait de leur chauffer la nuque, l'air commençait à se refroidir. Ariane se tenait désormais tranquille entre sa mère et Annette, leur tenant à chacune la main. Elle marchait en silence, plus ou moins attentive à la conversation. Puis soudainement, son regard sembla reprendre vie et lâcha son emprise pour pointer l'horizon du doigt. Au bout du chemin, de nouvelles silhouettes se dessinaient. Annette crut y voir un homme à la haute stature et aux épaules larges accompagné de ce qui semblait être deux jeunes garçons. Matilde joignit les mains de contentement.
"
Vous êtes sauvée. Voilà mon mari."
Le mari aux cheveux noirs et ruisselant de sueur s'approchait à grand pas, un regard fixe et sévère. Il était suivit de près par ses deux fils essoufflés, visiblement plus agés qu'Ariane.
"
Pardonne moi, nous avons eu des problèmes sur le chemin, mais Je t'avais pourtant dit de nous attendre ou de laisser les paniers derrière! Je ne veux pas que tu... "
"
Allons, ça va." Le coupa Matilde, ses yeux olive aussi dures que ceux d'azur de son mari. "
C'est parce que j'ai reçu de l'aide que j'ai prise la décision de prendre route. Je te présente Annette."
Elle présenta cette dernière d'un gracieux mouvement de main.
"
Et voici mon mari, Alem. "
"
Ah..."
L'homme venait tout juste de remarquer l'intruse et resta béa un instant, embarrassé. Son air se détendit et laissa paraître de jolis dents bien droites.
"
Mes excuses. Je vous remercie grandement de votre aide. Je soupçonne que ma femme ait tenté de faire preuve d'un peu trop de zèle. Attendez, je vous débarrasse."
Annette ne jugea pas nécessaire de confirmer que Maltide avait bel et bien essayé de revenir chargée et laissa Alem prendre avec beaucoup d'aisance, le panier. Il le tendit ensuite à l’aîné de ses garçons et commanda à lui, son frère et sa sœur d'aller le ranger avec les autres.
Les yeux sur les enfants qui couraient ensemble aux loins et sans le moindre effort, Annette se secoua les bras et tenta de replier ses doigts engourdies. Elle allait les remercier et reprendre sa route initiale, lorsque Matilda, l’œil aiguisé, déposa une main sur une épaule.
"
Je suis vraiment désolée pour le détour. Y a t'il endroit où vous devez être?"
Annette sembla surprise de la question.
"
Ah euh... non. Pas spécialement. Mais... n'ayez aucunes inquiétudes, ce fut un réel plaisir."
Maltide répondit au sourire d'Annette avec un sourire encore plus resplendissant.
"
Alors Laissez nous vous inviter à notre table. Vous avez marché toute la journée. "
Le bout des oreilles d'Annette prirent des couleurs
"
Oh, c'est bien gentil, mais ce n'est vraiment pas nécessaire. Je suis toujours ravie de... "
"
C'est une bonne idée." L'interrompit Alem.
"
Il y a longtemps que nous n'avons pas accueillit quelqu'un à notre table et c'est la moindre des choses entre bonnes gens de Wielh."
Annette acquiesca en silence et se laissa tirer par Matilde sur la route leur demeure, les joues et les oreilles rougit d'embarras, mais plus encore, de reconnaissances.