Précédemment
Le lendemain matin, à l’heure du rendez-vous, une tension palpable régnait à la ferme. Ardur et Vallen discutaient à voix basse près de la grange, lorsque Morrigane et Rodryk sortirent les rejoindre. Morrigane observa leur posture. Le regard porté sur l’horizon, Ardur faisait les quatre cents pas aux côtés d’un Vallen au visage crispé. Si Morrigane ne comprenait pas bien les sentiments, elle avait appris à lire les signes corporels pour tenter de deviner l’état d’esprit de son interlocuteur. Peu douée, il lui arrivait d’être complètement à côté de la plaque, mais là, elle en était sûre, quelque chose n’allait pas.
“Qu’est ce qui se passe ? ” Lâcha t’elle.
Vallen répondit d’une voix tendu, et d’un signe de tête il montra l’horizon où quelques silhouettes à cheval se dessinaient.
“Voilà ceux qui viennent récupérer la marchandise. Ils sont étonnamment nombreux et accompagnés de notre commanditaire Kibarg dit le boucher, un type influent du milieu… Et qu’il vienne en personne récupérer le chariot d'artefacts c’est un fait très inhabituel.”
Ardur renchérit :
“Ses apparitions sont rares mais avec lui c’est toujours la même chose. On le rencontre avant un boulot mais jamais à la fin. Normalement il se fait discret, il limite les risques. Il n’est jamais sur place lors des transactions finales. Sa venue n’augure rien de bon.”
“Vous croyez qu’il y a un problème ?” s’inquiéta Rodryk.
“On va vite le savoir.” Répondit sèchement Vallen.
L’aube était à peine levée lorsque le commanditaire arriva, accompagné d'une dizaine d'hommes montés et lourdement armés. Morrigane cru le reconnaître. C’était le type de l’entrepot, mais ici, elle pouvait le voir bien plus clairement. C’était un homme imposant, bien bâti, avec une carrure qui aurait été intimidante même sans ses hommes armés à ses côtés. Sa silhouette massive se détachait nettement sous un long manteau de cuir noir, usé par les années.Il descendit de cheval, imité par ses hommes et commença à marché, lentement et théâtralement en observant les Morrigane et les trois autres. Sa démarche lente et assurée trahissait une autorité naturelle, une présence qui forçait le respect autant que la crainte.
Ce qui frappait en premier, c'était son énorme chapeau. Large et sombre, avec un bord rigide, il semblait presque disproportionné sur sa tête, mais il ajoutait à son aura menaçante. Le chapeau masquait partiellement son visage, laissant ses yeux perçants, d’un gris métallique, briller d’un éclat calculateur. Chaque regard qu’il lançait semblait jauger les intentions des autres, comme s'il pouvait lire dans les pensées de ceux qui osaient le défier.
Son visage, marqué par l’âge et l’expérience, était dur et anguleux. Une barbe courte et soigneusement taillée encadrait une mâchoire serrée, et quelques cicatrices traçaient des lignes sur sa peau tannée. Ses doigts, couverts de bagues en argent et en or, étaient constamment en mouvement, comme s'il évaluait constamment les risques, ou pesait mentalement des vies dans la balance.
Ce type était assurément charismatique. Lui et ses hommes entourèrent rapidement le petit groupe, formant un cercle menaçant. Le chariot chargé des artefacts volés était devant la grange, prêt pour le départ, mais l'atmosphère était chargée de méfiance. Le regard de Kibarg était dur et implacable. Ses yeux glacials balayèrent les Desembrumes et Vallen.
« Je vais être direct. Vous me devez !», dit le commanditaire d’une voix grave, brisant le silence.
« Et vous savez pourquoi. Vous m’avez livré trois coffres de gemmes et d’après mes informations il y en avait quatre… »,
Ardur prit la parole :
“ Kibarg, je te l’assure, il n’y avait que trois coffres dans le chariot. Peut-être que les gardes s’étaient servis en amont.”
Le boucher regarda Ardur de travers.
“Pourtant des rumeurs courent... des rumeurs disant qu'une de ces gemmes s’est retrouvée entre les mains de cette fille », continua-t-il, désignant Morrigane d'un geste brusque. Elle en aurait échangé une à Grigwig le beau. »,
Bien que Morrigane ne ressentait que peu la peur, un léger frisson parcourut sa colonne vertébrale mais elle ne montra rien de son trouble. Elle venait de comprendre qu’elle avait merdé en proposant cette gemme au tenancier de la taverne. Elle savait qu'elle devait réfléchir vite, inventer quelque chose pour se sortir de cette situation. Lui donner une partie de la vérité pour détrourner son attention. Elle afficha un sourire confiant, tout en levant les mains dans un geste de reddition théâtral.
« C’est vrai », dit-elle calmement.
« J’avais une gemme. Je l’ai volée… à Ardur pendant qu’il avait le le dos tourner après qu’il ai ramené les coffres chez lui. C’était une petite vengeance pour la manière dont il m’avait traité. Je ne savais pas que ces gemmes appartenaient à quelqu’un d’autre. Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuse», ajouta-t-elle en enjoignant les mains dans une fausse supplication de celle qui était confuse.
Ardur, d’abord abasourdi, réagit violemment.
« Quoi ?! Mais non c’est pas possible les coffr… »
Vallen intervint rapidement, comprenant la gravité de la situation. Le cofffre s'était lui qui l'avait il n 'y avait que lui et Morrigane d'au courant. « Attendez, attendez ! Il est possible que, dans la confusion, quelqu'un d’autre ait volé les gemmes sans que nous le sachions. Ce n’est pas impossible, regardez le nombre de mercenaires qui circulaient, le chaos qu’il y avait avec l’incendie. Quelqu’un aurait pu te voler sans que tu le vois.. n’est-ce pas Ardur ? » Dit Vallen en plantant un regard à la mine figé à Ardur, comme si il essayait de lui faire comprendre quelque chose.
Le gaillard hésita, il baissa la tête comme un enfant grommelant,
“Non…J'sais pas… Peut-être oui. C’est possible.”
Le commanditaire fronça les sourcils, regardant successivement Morrigane, Ardur et Vallen. Un long silence s’installa, le vent qui couchait la végétation et le chant des oiseaux matinaux à proximité de la ferme étaient les seuls sons audibles. Il semblait peser chaque mot, chaque réaction.
« Peut-être, » dit-il enfin, d’un ton tranchant.
« Peut-être que quelqu'un d'autre a volé les gemmes. C’est une éventualité. Mais je ne suis pas un imbécile. Ça fait longtemps que je suis dans le métier et des petits merdeux qui se croient plus malins que les autres il y en a chaque recoin de rue. Les chances pour que l’un ou plusieurs d’entre-vous soit impliqués sont grande. » Il passa une main sous son menton.
“Je pourrai vous faire torturer, ici même et j’aurai le fin mot de l’histoire.”
Le commanditaire fit un signe à ses hommes, qui abaissèrent légèrement leurs armes, mais sans complètement relâcher la tension.
« Je vous laisse le bénéfice du doute, car jusqu’à maintenant vous avez toujours été très propres mais bizarrement,” dit il en tournant le regard vers Rodryk et Morrigane,
“ le jour où sa merde il y a ces deux novices dans le coin…” Il s’arrêta un instant comme si il était dans une profonde réflexion.
“Ce qui est sûr c’est que cette femme m’a volé au moins une gemme. Je vais faire mine de croire qu’elle ne savait pas que cela m’appartenait mais en retour vous allez devoir faire un petit quelque chose pour moi an paiement pour cette fleur que je vous fait. »
« Quelle est cette tâche? » demanda Vallen, les mâchoires serrées.
« Vous saurez bien assez tôt, » répondit froidement le commanditaire, «
et si vous échouez il n’y aura plus un seul endroit de Tulorim où vous serez en sécurité. »
Il retourna vers son cheval, prêt à partir.
“Je vous contacterai. N’ayez pas la stupide idée d’essayer de quitter la ville. Aucun d'entre-vous.”lâcha t’il avant de repartir avec ses hommes et la marchandise.
Morrigane jeta un regard rapide à Rodryk, puis à Vallen et Ardur. Le poids de la menace planait sur eux et un silence pesant s’était installé. Rodryk jetait à Morrigane un regard de reproche, Ardur lui semblait sur le point d’exploser, tandis que Vallen préféra s’éloigner en passant une main nerveuse dans ses cheveux.
Au bout de quelques secondes Ardur ne contint plus. D’un coup de pied violent, il fit voler un seau qui traînait près de la grange. Son visage était rouge de colère, et il se tourna brusquement vers Morrigane.
« Tu te fous de nous ?! Tu as pris cette gemme, et maintenant on doit payer pour tes conneries ? D’ailleurs je suis sûr que le coffre c’est toi sale petite peste ! » Il s’avança, les poings serrés. « Tu nous mets en danger, tu te mets en danger ! Qu’est-ce qui t’a pris, bordel ? »
Rodryk, plus calme mais tout aussi contrarié, intervint avant que la situation n’empire :
« Morrigane, pourquoi tu ne nous en as pas parlé ? On aurait pu éviter cette situation. »
Morrigane, immobile et impassible, haussa légèrement les épaules, comme si tout cela n’était qu’une broutille. Ses yeux noirs et profonds balayaient calmement leurs visages furieux. Elle prit une grande inspiration avant de répondre, sa voix froide et détachée.
« Ce n’est pas la première fois que vous vous retrouvez dans une situation merdique, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un mensonge de ma part qui va changer grand-chose. Vous saviez déjà que ce monde est plein de risques. »
Ardur ouvrit des mains crispés prêts à se serrer contre une nuque, visiblement à deux doigts de lui sauter dessus.
« Putain mais tu changes pas ! Tu es incroyable… Tu te rends même pas compte des conséquences. Ce n’est pas un jeu, Morrigane. On parle de Kibarg. Tu sais pas qui c’est toi ! Il ne rigole pas ce type ! »
Elle le fixa longuement, son expression toujours aussi neutre.
« Et alors ? Qu’est-ce que ça change Ardur ? Tu bossais déjà pour lui. C’est pas comme-ci ta situation changeait. »
Rodryk, bien que plus modéré, partageait une partie de la frustration d’Ardur. «
Tu dis ça comme si ça n’avait aucune importance… Mais ce genre de comportement peut nous tuer. Tu es trop imprévisible Morrigane ! »
Morrigane ne sourcilla même pas. «
Imprévisible, peut-être. Mais jusqu’ici, vous êtes toujours vivants, non ? Ce qui prouve que mes choix, aussi discutables soient-ils, ne sont pas si désastreux que ça. »
Ardur explosa de rire, un rire sans joie, presque fou.
« Vivants ? Pour combien de temps ?! Si on échoue dans ce que Kibarg nous demande, tu penses vraiment qu’on aura une chance ? »
Vallen, qui était resté silencieux jusque-là, se retourna brusquement.
« Ardur, ça suffit. » Sa voix, grave et résignée, coupa court à l’échange.
« Se battre entre nous ne nous avancera à rien. Kibarg a posé ses conditions. Il faut qu’on s’y plie, que ça nous plaise ou non. »
Ardur, les mâchoires serrées, finit par détourner le regard.
« Mais elle… » commença-t-il, en pointant un doigt accusateur vers Morrigane.
Vallen le coupa :
« On sait ce qu’elle a fait. Mais c’est trop tard pour revenir en arrière. Maintenant, on doit avancer. »
Ardur le regarda amer.
“Arrête un peu de faire le mec sage toi ! C’est aussi de ta faute ! Je t’avais dit qu’elle était un danger et que je ne voulais pas l’impliquer.”
Vallen ne répondit pas, se contentant de secouer la tête, comme accusant le coup. Un long silence s’installa s’implement entrecoupé de la respiration bruyante et accéléré d’Ardur. Morrigane, imperturbable, resta sur place, observant calmement les autres se débattre avec leurs émotions. Pour elle, la situation n’était qu’un obstacle de plus sur un chemin semé d’embûches, rien de plus.
Rodryk, visiblement lassé de cette impasse, soupira lourdement et se dirigea vers la grange, laissant Ardur et Morrigane face à face. « Ce n’est pas terminé », lança Ardur d’une voix grondante avant de se tourner à son tour, suivant Rodryk.
Morrigane resta un moment à observer les silhouettes de ses frères disparaître quant-elle se retourna pour vaquer à ses occupations, elle tomba nez à nez avec Vallen, un air fermé sur le visage.
"Tu m'avais dit que personne d'autres ne savait pour les gemmes. Alors comment ça se fait que Grigwig le Beau en avait une ?"
"J'avais négligé l'importance de cette information," répondit elle froidement.
Le visage de Vallen su durcicat d’autant plus sous la colère qu’il tentait de contenir. Ses yeux noirs fixaient Morrigane avec une intensité qui aurait pu déstabiliser n’importe qui, mais elle, comme à son habitude, resta impassible.
"Tu avais négligé ?" répéta-t-il, incrédule. "
Tu sais ce que cette erreur aurait pu nous coûter ? Kibarg n’est pas un type à prendre à la légère, Morrigane. On aurait tous pu finir égorgés, là, sur cette ferme. Et toi, tu as juste... oublié ?"
Morrigane le regarda sans ciller.
"Oui."
Cette réponse, aussi simple que déconcertante, sembla rendre Vallen encore plus furieux. Il s’avança d’un pas, se retrouvant presque nez à nez avec elle, cherchant à capter une émotion, un regret, n’importe quoi qui trahirait un remord chez elle. Mais il n’y avait rien. Juste son regard froid et distant, comme si toute cette conversation n’avait aucune importance.
"Tu te rends compte de ce que tu fais, Morrigane ?" cracha-t-il, sa voix basse mais remplie de rancœur. "O
n parle de nos vies ici. Pas d’un simple jeu de manipulation. Tes actions ont des conséquences."
Morrigane haussa légèrement les épaules d'un geste désinvolte.
"J’ai fait ce qu’il fallait pour faire tourner une situation à mon avantage," dit-elle, toujours aussi calme. "
J’ai minimisé les chances qu’il y avait pour qu’il y ait un lien entre un simple tavernier et ce Kibarg. Si j'avais su, j’aurais fait les choses différement."
Vallen, passa une main dans ses cheveux en un geste exaspéré.
"C’est tout ce que tu trouves à dire ? On a failli y passer, et tu penses que ça va suffire ?"
"Que veux-tu que je dise ?" répliqua Morrigane d'une voix égale. "
C’est fait. Kibarg a accepté une solution. Nous sommes encore en vie. Fin de l’histoire."
"Ce n’est pas la fin de l’histoire," siffla Vallen.
"On est maintenant redevables à ce type. Pour quelque chose que toi tu as causé."
"Vous étiez déjà en affaires avec lui," rétorqua Morrigane, l’air légèrement las.
"C’est juste un autre accord. Rien de plus."
Vallen secoua la tête, visiblement frustré.
"Tu ne comprends pas... Il ne s’agit pas d’une affaire de contrat. Il s’agit de faire les choses correctement, de respecter un minimum de loyauté envers ceux avec qui tu travailles."
"De quelle loyauté tu parles ?" demanda Morrigane, son ton devenant plus tranchant. Elle en avait marre de cette discussion stérile face des êtres guidés par leurs émotions. "
Elle était où la tienne face à Ardur quand tu as accepté un coffre dans le dos de ton associé ? Et tu oses me faire la leçon ? Tu m’as utilisée autant que je vous ai utilisés. N’essayes pas de faire passer cela pour quelque chose de noble. "
Le silence tomba lourd et pesant. Vallen semblait déçu. Comprenant enfin sans doute, que Morrigane ne voyait les choses qu’à travers son propre prisme, celui d’une froide logique dénuée de véritable empathie. Finalement, il recula, résigné.
"Que ce soit clair, Morrigane. Si je ne mets pas fin à notre collaboration c’est parceque il est hors de question que tu n’assumes pas ta propre merde. Quand on aura fait ce que Kibarg demandera, ce sera finit. Jusque là, si tu fais encore cavalier seul, tu assumeras toute seule. Parceque moi je ne marcherai plus ça m’éttonerait que tes frères bougent encore le petit doigt pour toi."
"Très bien ! " répondit-elle, sans émotion, avant de se tourner en laissant Vallen à sa frustration.