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L’ingénieur récite lentement la liste de ce que nous avons pu sauver de notre chute depuis le sommet du Karathren. Quelques vivres, une corde, trois couvertures, deux pioches, une pelle, une seule tente… inutile de préciser que le voyage vers la ville la plus proche va être difficile.
« Le voyage jusqu’à la ville la plus proche va être difficile. »
Quel couillon. Il le précise tout de même, histoire de bien nous mettre le moral dans les chaussettes. Maintenant que nos blessures les plus préoccupantes sont soignées il ne nous reste rien du matériel de premiers secours. Fort heureusement l’oeuf n’a rien. A défaut d’avoir pu abattre la bête qui rugit encore dehors nous avons réussi à subtiliser son oeuf.
« Elle ne nous lâchera pas tant qu’elle ne l’aura pas récupéré… »
Explique Bergham tout en tendant l’oreille.
« Faut bien qu’elle mange non ? »
« Elle vient de dévorer notre attelage de six boucs. Mes boucs. Je pense qu’elle tiendra plus longtemps que nous. »
Conclue t-il avec rancoeur avant de s’éloigner de la sortie de la grotte pour s’asseoir dans un coin. C’est vrai que c’étaient de belles bêtes; grandes, robustes, bien en chair, sans doute délicieuses. Je cesse d’y penser quand mon estomac se met à gronder.
« Qu’est-ce qu’on fait alors ? »
Demande le géant qui a déjà du mal à rester en place. Le regard de Luvik se dirige vers le fond de la caverne avec appréhension et tous nous soupirons, conscients que les choix ne sont de toute manière pas très nombreux.
« Ça débouche forcément quelque part… »
« Non. Ça pourrait tout à fait s’enfoncer dans les profondeurs du monde. Mais peu importe nous serons morts de faim avant de l’atteindre. »
« Tu préfères affronter la wyverne avec un arbalétrier qui n’a plus de carreaux ? »
« Ils étaient beaucoup trop cher ! J’allais pas me laisser enfumer quand même ! »
Me défendais-je. Comme ci tout ça était de ma faute !
« C’était ton idée de vouloir s’occuper de cette bête ! »
« … Oui bon c’est vrai… »
« A cinq pour avoir une plus grosse part de récompense. »
« … »
« Et tu as refusé de l’aide d’un chasseur plus expérimenté parce qu’il demandait une plus grosse part. »
« … C’était un charlatan… »
« Ainsi que la location de son matériel pour chasser le plus gros gibier. »
« Six Yus d’or pour sa baliste et ses deux munitions ! Et puis quoi encore ?! »
Explosais-je.
« C’est bon ! J’vais passer devant ! Bande de froussardes ! »
Je ramasse mes affaires et m’enfonce dans la caverne en maugréant dans ma barbe. C’est vrai que j’ai un peu surestimé la valeur de mon équipe et possiblement mal évalué la force d’une wyverne. Mais j’allais pas non plus investir presque la totalité de la récompense ! Puis un oeuf c’est pas mal déjà ! Nous trouverons sûrement un acheteur ! De quoi se reprendre un peu de matériel d’occasion avant de repartir traquer une autre bête.
Nous nous enfonçons dans la galerie brut de la montagne qui nous montre désormais son premier obstacle. Une crevasse, large de deux bons mètres, infranchissable sans équipement. Profonde de quinze mètre à vue de pif. Un regard entendu suffit à nous mettre d’accord et Furim déroule la corde. Nous tendons l’oreille mais le son qui provient du fond du gouffre nous tire à tous une plainte désabusée.
« Rhaa… putain… »
Un plouf, signifiant qu’au fond de ce trou se trouve de l’eau. Une bonne nouvelle en soit puisque l’eau peut mener à une sortie mais l’idée même d’être mouillés nous fait hésiter à faire demi-tour.
« C’est peut être là que commence le Narshass. »
Suppose Luvik tandis que je m’apprête à descendre tout en ricanant.
« J’en profiterais pour pisser dedans. Histoire de laisser un souvenir aux elfes. »
Je commence ma descente, un peu à la rustre, m’attirant les foudres de Furim qui raisonnent dans le gouffre.
« Tu peux faire doucement bordel ?! »
Je pousse un long soupire avant de poursuivre jusqu’à atteindre une cavité plus grande, immense même.
« Ouaw ! »
« Un problème ? »
Je jette un regard circulaire pour pouvoir décrire l’endroit où je me trouve. Une gigantesque cavité où demeure un lac souterrain, trop grand pour en voir le bout. Heureusement je ne me retrouve pas en plein milieu mais sur un des bords avec une corniche accessible. Plus loin, je distingue ce qui ressemble à un courant léger qui se forme. Je continue de descendre et après m’être balancé, m’attirant une fois encore la colère raisonnante de mes compères, je parviens à atteindre la corniche, bien au sec !
Ils me rejoignent un par un, Luvik en dernier, sacrifiant au passage sa pioche pour pouvoir récupérer la corde en s’en servant comme poulie. Ils prennent un instant pour contempler les lieux avant de poursuivre le chemin l’un derrière l’autre. Pendant plusieurs minutes nous ne voyons rien de spécial si ce n’est l’eau calme et la roche brute de la montagne, nous nous rapprochons en silence de l’endroit où un courant doux emporte l’eau dans un passage plus étroit.
« Hey. Regardez. »
Souffle Igrit en désignant un étrange pilier de pierre de l’autre côté du bassin devenu plus proche ici. A nouveau, un regard de chacun suffit pour prendre la décision d’aller jeter un oeil. Nous faisons donc un détour dès que nous avons la possibilité de traverser pour rejoindre l’autre côté. Nous avançons à pas prudents, à la fois méfiants et excités à l’idée de faire une grande découverte.
Nous ne pouvons retenir un frisson d’admiration en atteignant ce qui est le poteau d’une demeure, ou plutôt les ruines d’une demeure, assurément naine, voisine d’une douzaine d’autres. Nous restons silencieux, interdits devant cette découverte, n’ayant aucune explication quant à sa présence.
« Des vestiges de l’ancienne Mertar ? »
« Non… nous sommes trop loin. »
« Une cité oublié ? »
« Peut être une autre civilisation très ancienne ? »
« Non. Pas de doute, c’est d’origine Thorkine. »
Les discussions se poursuivent sur l’origine de ses ruines jusqu’à ce que nous décidions de les explorer dans l’espoir de découvrir un trésor oublié. Nous formons deux groupes pour procéder plus rapidement sans être complètement vulnérables. Nous savons tous ce qui ce cache dans les profondeurs de la montagne.
Je rentre dans la maison en ruine en compagnie du géant, découvrant l’habitat datant d’au moins plusieurs siècles. Il ne subsiste que les meubles de pierres; tables, plans de travail, bancs, armoires, lits. Le bois est tombé en poussière, rongé par les termites, le temps et l’humidité. Le fer est rouillé, en témoigne le lustre, autrefois maintenu par des chaînes solides, échoué au beau milieu du plancher. Dans les placards sans portes sont soigneusement rangés la vaisselle en matériaux immortels, de l’argent, du cuivre… plus de traces du moindre bout de tissu ou de papier hormis les livres aux couvertures de cuir qui paraissent juste poussiéreux, rangés dans la bibliothèque. Cependant nous savons bien que l’intérieur n’est sans doute plus exploitable. Nous échangeons encore quelques théories mais aucune qui n’explique comment un village souterrain Thorkin a pu être ainsi oublié.
« Hey venez voir ! »
Nous rejoignons l’autre groupe quand un bruit d’eau attire notre attention alors qu’une onde se propage sur l’eau auparavant calme et silencieuse.
« C’est quoi ?! »
Demande Igrit, pas serein.
« Y a sans doute des poissons là dedans. Ou alors juste un caillou qui est tombé dans l’eau. Commence pas à chier dans ton froque. »
Rétorquais-je agacé en gardant tout de même un oeil méfiant sur la surface de l’eau. Nous continuons ensuite notre exploration, suivant la voix de l’ingénieur entre les vieilles demeures en parcourant des ruelles étroites qui nous éloignent du lac. Nous remarquons quelques créatures tel que des pieuvres terrestres ou des ratissas mais aucune n’ose s’en prendre à un groupe de Thorkins.
Nous retrouvons l’ingénieur et l’ami des bêtes au début de ce qui semble être l’artère principale du lieu, débouchant sur le coeur de la ville. Les galeries et les bâtiments sont plus grands, le plafond de la cavité plus haut et soutenu par des piliers de roche taillés et gravés. Enfin nous avons un début d’indice pour expliquer ce qu’il s’est passé ici: des cadavres. Enfin plutôt des squelettes ou ce qui reste de squelettes. Quelques crânes brisés, des cages thoraciques, des fémurs, des colonnes vertébrales. Le tout parsemé le long de l’avenue mais plus étonnant encore la taille des os varient d’un squelette à l’autre. Il y a bien des ossements de Thorkins dans ces ruines mais pas seulement.
« Des elfes ? »
Propose Furim à mi-voix. Ces ruines seraient donc un vestige de la guerre mené contre l’Anorfain ? Un avant poste ? Une forteresse ?Un simple village ? Maintenant que nous sommes en son centre il ne paraît pas bien grand. En tout cas une bataille a eu lieu ici il y a très longtemps mais le temps a eu raison des armures et des armes qui ont servis, leur donnant une apparence de vieux tas de ferraille rouillé. Nous marchons vers le plus grand bâtiment, tout de roche, aux portes de pierres faisant deux fois notre taille. Devant s’entassent les ossements mélangés, les boucliers rouillés et brisés ainsi que des armes émoussées.
« Si y a un trésor c’est là dedans les gars. »
Un bruit plus fort d’éclaboussement se fait entendre venant du lac. Nous sursautons et dressons nos armes mise à part Luvik, convaincu qu’il s’agit seulement d’un plus gros caillou que le précédent. Furim, lui, ne se gêne pas pour me rappeler qu’il ne sert à rien de lever mon arbalète si je n’ai pas de munitions. Ce à quoi je lui rétorque de bien fermer sa grande g…
« Allez venez m’aider au lieu de rester planter là comme des pierres. »
S’agace Bergham qui me coupe la parole en se frayant un chemin jusqu’aux portes. Nous apportons notre aide, le géant préférant tout de même surveiller nos arrières. Nous grognons d’effort pour faire bouger les lourdes portes immobiles depuis fort longtemps. Quasiment vingt millénaires si nos suppositions sont exactes. Elles se déplacent en provoquant un crissement grave qui raisonne dans toute la caverne et libérant une odeur de renfermé. Nous pénétrons à l’intérieur comme si c’était un temple, contemplatif devant ces reliques d’un passé lointain. L’air lourd et la poussière qu’a soulevé l’ouverture des portes nous tire quelques toussotements qui brisent le silence quasi-religieux du lieu.
A l’intérieur nous trouvons encore des corps, en meilleur état cependant, ce sont des squelettes mais ils ne sont pas brisés et répartis dans la large pièce qui sert de hall. Ils sont prostrés, assis dans des coins, souvent à plusieurs, des Thorkins plus grands et d’autres plus petits. Peu à peu les images de ce qui a dû se passer ici se dessine dans ma tête et mes poings se resserrent. Nous sommes les témoins de l’horreur d’une guerre, des milliers d’années plus tard.
Nous avançons dans la large salle où subsistent encore les lustres de fer pendues à de lourdes chaînes de fer qui résistent encore aux assauts de l’oxydation.
« Il doit forcement y avoir des objets de valeur ici… »
« Est-ce qu’on devrait pas plutôt prévenir Mertar pour entreprendre des fouilles archéologiques ? »
« Et leur laisser tous les trésors ?! Après tout le mal qu’on s’est donné ?! »
« On est tombé dessus par hasard ! »
« Oui mais la chance sourit aux audacieux ! »
« On sait même pas si on va trouver quelque chose de valeur ici… »
« Bah justement ! Cherchons ! »
« On est quoi ? Des chasseurs ou des pilleurs ? »
« On sera bientôt plus rien vu les ressources qu’il nous reste… »
Les discussions se poursuivent plusieurs minutes et nous nous mettons finalement d’accord. On ne casse rien, on ne prends que ce qui a de la valeur et on laisse ce qui peut intéresser les historiens de la capitale Thorkin. Nous empruntons un escalier pour descendre à l’étage inférieur où se regroupent encore des familles qui y sont venus passer leurs derniers instants. Pas de squelettes elfes ici, seulement des nains, des nains et encore des nains.
Nous arrivons dans ce qui semble être la pièce principale. Aux murs sont encore accrochés les barres d’acier aux quelles étaient sans doute tendues les tapisseries décoratives. Un grand siège de pierre trône au fond de la pièce, surélevé par rapport au reste. Nulle trace d’autres bancs ou tabourets, le temps aura probablement eu raison du bois qui les façonnaient. Au centre de la pièce est également présent une large table, je passe mon bras dessus, remarquant des reliefs dans la poussière. Je m’y reprends à plusieurs reprises pour enlever couche après couche jusqu’à révéler un texte entier, gravé sur toute la table.
« Hey l’intello. »
Mais l’ingénieur est déjà entrain de parcourir du regard les écrits pour réciter ce qui est, nous dit-il, les derniers instants de la ville naine.
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