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Les cages sont toujours là, vides de leurs prisonniers. Au sol on devine encore la tâche de sang séchée sur les dalles blanches laissée par l’exécution d’Aenaria. Je reste silencieux en balayant la cour du regard, constatant que l’endroit est désert, à l’abandon. Il n’y a même pas les restes fumants d’un brasero éteint. Nulle âme ne vit ici, c’est une crypte où est enterré l’espoir du succès d’une mission et un rappel de sa tragique conséquence. La voix d’Amélie se glisse jusqu’à mes oreilles bourdonnantes, comme un lointain écho, demandant l’endroit où nous sommes.
« La Roseraie. »
Répondis-je laconiquement en m’approchant d’une cage ouverte alors que la barde s’étonne de ce nom, n’ayant rien entendu à son propos concernant la bataille aux portes d’Oranan.
« C’est parce que seul ceux qui se sont tenus dans cette cour pourraient te raconter ce qui s’est passé ici. »
Je m’accroupis pour passer une main sur la tâche cramoisie, observant ensuite mon gant et massant la poussière entre mes doigts comme si je pouvais encore sentir la viscosité du sang. On m’avait affirmé que grâce à la magie de Cromax elle avait survécu mais j’avais encore du mal à le croire, dans quel état pouvait-elle être après s’être fait écrabouiller le crâne comme un fruit mure.
« Vous en faite partie ? »
Je hoche doucement la tête avant de me redresser, levant les yeux vers les étages supérieur et de prendre la direction de la salle d’armes par laquelle nous avons pénétré le palais. J’avance d’un pas lent, prudent même, avec la crainte de réveiller des fantômes du combat qui s’est tenu dans la chambre à l’étage. Amélie me suit, serrant son instrument contre elle et observant les alentours avec un air inquiet. Je pousse la porte qui mène à l’intérieur et pose mon regard sur le passage dissimulé avant d’en dire plus à celle qui m’accompagne.
« Avant la bataille, le Roi a envoyé plusieurs groupes d’aventuriers pour effectuer des missions secrètes. Celle de mon groupe était d’infiltrer ce palais pour vaincre Crean Lorener et Khynt. »
Elle garde le silence, contemplant le plafond et les murs comme si nous venions de trouver des ruines sacrées. Je découvre les lieux en même temps qu’elle étant donné que la dernière fois nous avions emprunté le toit pour trouver la chambre qui nous intéressait. En parcourant les couloirs je remarque que les lieux ont étés visités , dépossédés des tableaux, bibelots, tapisseries, tapis et autres richesses. Certaines pièces sont saccagées et ils n’y restent que des meubles brisés ou couvertures déchirées. Nous trouvons un escalier en colimaçon qui grimpe vers l’étage et je poursuis la narration de l’histoire alors que nous montons les marches.
« Nous nous sommes fait repérer une fois que nous avons infiltré le palais mais nous avons quand même réussi à prendre Lorener par surprise. »
Elle reste silencieuse mais je ressens qu’elle est attentive alors que je raconte notre combat, notre défaite et ce qui a suivi.
Je pousse quelques portes au hasard, trouvant des appartements dans le même état que les pièces à l’étage en dessous jusqu’à retrouver ceux où ça c’est passé.
« C’est ici. »
Dis-je dans un souffle en pénétrant la salle portant encore les stigmates de notre lutte. Les traces de calcination, la coiffeuse en miettes, les flèches de Faëlis sur le sol ou plantées dans le mur. Une soudaine douleur se réveille dans ma jambe comme si elle se brisait à nouveau même si ça ne dure qu’un infime moment.
Je me dirige vers le balcon, marchant sur les éclats de la fenêtre brisée. La vue sur la plaine est imprenable. Celle-ci ne s’est pas encore remise de la présence du campement Garzok et on distingue plus de boue que de brins d’herbes alors que des relents du charnier à l’ouest parviennent à mes narines, poussés par les vents venant de l’océan.
« Pourquoi revenir ici ? »
Demande Amélie, à la fois confuse et satisfaite de découvrir ce lieu qui doit pour elle être inspirant. Je ne réponds pas tout de suite, cherchant moi même la réponse. Une erreur m’a conduit ici mais c’est autre chose qui m’a poussé à explorer le palais.
« Je ne sais pas. »
La réponse semble la surprendre mais je n’en ai pas d’autre à fournir. Je sens qu’elle me fixe alors que mon regard parcours l’horizon.
« Je vais vous laisser seul un peu. »
Dit-elle avant de s’éloigner en sortant de quoi écrire.
Je vagabonde dans la pièce, m’imprégnant des souvenirs du combat pendant plusieurs minutes jusqu’à ce qu’un vacarme ressemblant au tonnerre ne fasse trembler les murs suivi de l’appel à l’aide d’Amélie. Je sursaute et me précipite dans le couloir alors qu’un nouveau bruit ne secoue le palais, me forçant à arrêter ma course pour me tenir au mur.
« Amélie ! »
« Xël ! A l’aide ! »
Je me remets à courir, suivant l’appel au secours qui vient du fond du couloir. J’aperçois Amélie, galopant à toute jambe avec un visage proche de l’effroi, déboulant d’un coin en tendant une main vers moi comme un dernier espoir de s’en sortir. Je comprends instinctivement que je dois agir si je ne veux pas la perdre ici, alors que le bourdonnement d’un nouveau coup de tonnerre menace du pire. Je libère ma magie, générant un portail sur son chemin dans lequel elle s’engouffre pour atterrir dans mes bras tandis que surgit au bout du couloir une créature que je peux directement associer à Khynt. Faites d’acier et de câbles, parcouru d’un flux électrique, d’une taille imposante l’obligeant à se baisser pour emprunter le couloir. Elle percute avec violence le mur comme si elle venait de se projeter à l’aide de ressors. Le mur se fissure, se brise, ouvrant une partie du couloir vers le vide et les plaines aux pieds de la falaise où est bâtit la Roseraie. La machine se redresse rapidement et pointe une lumière clignotante dans notre direction en provoquant un bruit d’engrenages et de ferraille.
« Va te mettre à l’abri ! »
Ordonnais-je fermement à Amélie en la poussant vivement vers l’escalier alors qu’une lumière rouge venant du bras dressé de la machine se fixe sur ma poitrine. Je m’attends au pire et rassemble mes fluides pour me construire une armure capable de repousser les projectiles. Elle m’expédie une nuée de dards d’aciers qui sont repoussés par ma magie, tapissant les murs, le sol et le plafond du couloir. Plus vive que ce à quoi sa stature le laisse penser, elle bondit de nouveau, engloutissant la distance qui nous sépare en un éclair. Je m’évite un choc mortel grâce à un cyclone puissant qui repousse l’assaut et fait trembler à mon tour le bâtiment. La création de Khynt est projetée contre le mur malgré son poids, y creusant un trou béant avant de s’écraser dans la cour du palais.
Je m’interroge sur sa présence pendant qu’elle se relève. Un oubli ? Un gardien ? Ou alors est-ce un rebut ? Une machine que le Modifié a laissé ici parce que inachevée ? Ça expliquerait les défauts qu’elle semble avoir. Cette lanterne puissante sur son visage qui ressemble à un oeil de cyclope, qui s’éteint et s’allume sans arrêt. Ainsi que son deuxième bras qui reste inanimé et se balance au gré des mouvements de la machine. Enfin, les plaques d’acier qui lui servent d’armures sont rayées, cabossée, voir trouées à certains endroits, laissant apparaître derrière son plastron un coeur lumineux prit de pulsations irrégulières. J’ai le souvenir de l’insecte mécanique vaincu sur le plateau de Luminion, enchevêtrements de câbles et pièces métalliques graisseuses qui faisaient bouger ces machines à tuer, protégés par des plaques d’acier que j’avais du mal à arracher malgré des bourrasques tempétueuses.
Un orbe magique se façonne dans ma main, emprisonnant la puissance nécessaire pour ouvrir une brèche jusqu’au point faible du tas de ferraille qui tourne son visage dans ma direction en terminant de mettre son lourd corps sur pied. Je bondis tout en brandissant mon bras tandis qu’elle saisit du sien un débris du mur pour me l’envoyer. Mon armure magique agit encore, repoussant le bout de mur qui est renvoyé à l’expéditeur qui, déséquilibré, ne se protège pas de mon attaque. La sphère explose au contact de l’armure animée, rependant le souffle magistral qui y était enfermé. Les fenêtres donnant vue sur la cour éclatent quand l’onde de choc les atteints, étage par étage, laissant retomber une pluie de verres et de bois sur le combat. Mais le monstre de métal ne connait pas la douleur et elle réplique immédiatement, projetant des arcs électriques qui me frappent à travers l’armure à l’exception de mes bras, protégés par l’enchantement de mon épaulière. Mais mon bras droit n’est pas indemne pour autant, ayant subit le contre-coup de mon sort précédent. Je ressens une vive douleur et suis tout juste capable de la bouger. Je retombe sur le sol, usant d’un coussin d’air pour ne pas me blesser d’avantage.
La magie se charge dans mes jambes, me permettant d’esquiver le bras qui tente de m’écrabouiller, causant un cratère dans les dalles de la cour. Je prépare un nouveau sort, visant le trou béant qui se trouve dans la cuirasse de la machine. Mais elle bondit avant que mon vent infernal ne s’échappe de mon bras, évitant le souffle qui dévaste la salle d’armes où se trouve le passage secret, et creuse un accès au jardin qui se trouve de l’autre côté. La lumière rouge se pointe à nouveau sur moi avant qu’une pluie de pointes métalliques ne soit à nouveau repousser par mon sort d’air. Je génère un portail l’instant d’après pour m’y échapper avant d’être écrasé sous le poids de l’engin de mort qui creuse un nouveau cratère. Nouveau bond de la machine qui projette une gerbe de pierres. Je brandis mon bouclier et le renforce de ma magie pour accueillir la charge dévastatrice. Le poing d’acier se confronte à la pellicule grise qui me protège, un choc qui fait tout de même trembler le sol sous nos pieds et qui en fissurent les dalles et les murs à proximité. Elle réarme son bras tandis qu’un nouveau flux de volutes aériennes me recouvre pour m’aider dans le combat au corps à corps qui se dessine. D’un pas de côté, j’esquive une nouvelle frappe qui écrase le sol avant de riposter d’une munition élémentaire vers son coeur. La machine se protège en relevant son bras avant d’armer sa jambe qui se charge de magie électrique. Je présage du pire et bondis dans un portail qui m’emmène au dessus de la bête de métal avant que son pied ne s’écrase sur le sol en générant une vague d’énergie électrique qui termine de retourner les dalles de la cour. Nouveau sort, nouvelle parade de la créature qui recule tout de même face à la force du vent.
Je ne parviendrais pas à toucher son coeur tant que je ne lui arracherais pas son bras. Je pose délicatement pied à terre et dresse mon bouclier pour me protéger d’une autre nuée d’arcs foudroyants. Cette fois je ne subis pas de dégâts et je parviens même à en dévier un qui frappe le bras inanimé. L’éclair le parcourt de haut en bas et il se produit alors une chose que je n’attendais pas. Le bras se remet à bouger et frappe mon bouclier en libérant un sort qui m’atteint durement, crispant mes muscles et me causant une douleur qui m’arrache un grognement. J’écarquille les yeux alors que le second bras me percute sans que je ne puisse bouger.
Je ressens le lourd choc qui m’aurait broyé si ma magie ne m’avait pas protégé. Je traverse la cour et la salle d’armes dans un vol plané jusqu’à atterrir dans les roses du jardin, arrachant quelques bosquets qui amortissent ma chute. Étourdis, les muscles encore douloureux, je pousse des quintes de toux en cherchant un peu d’air. La machine, elle, se met en marche pour venir vers moi, parcourant de son oeil clignotant la roseraie en piteux état pour me retrouver dans ce mélange de pétales et de tiges épineuses. J’en profites pour me remettre du vol vertigineux que je viens d’accomplir et me concentre pour remplir mes réserves de magie et de combativité. Je laisse le tatouage sur mon bras se gorger de magie avant de me redresser et de siffler dans la direction de mon ennemi, attirant l’oeil clignotant qui se darde vers moi. Je pense que si cette machine avait un visage, il exprimerait la surprise en voyant un dragon d’air se ruer dans sa direction en poussant un cri similaire. Le sort lui frappe son crâne en forme de casque sans qu’il puisse parer. Sa tête s’arrache de son corps, n’y laissant qu’une multitude de câbles arrachés qui retombe sur le col de son plastron. Ça ne suffit pas pour la vaincre, elle continue de s’approcher et en atteignant l’herbe des jardins elle lève son pied, préparant une nouvelle vague dévastatrice. Je prépare de quoi la contrer, libérant un flux de fluides magiques qui s’enroulent autour de mon corps avant d’être libéré. Mon cyclone rencontre sa vague d’énergie en provoquant un vacarme et un souffle qui brise les fenêtres du côté de ce bâtiment, carbonise les roses encore sur pied avant que le vent ne les arraches de terre. Le choc entre les sorts met un temps à se disperser complètement, résonnant encore dans les airs alors que le combat reprend avec d’autant plus d’intensité et de complexité, la machine aveugle frappant maintenant aléatoirement autour d’elle, pulvérisant encore par inadvertance un pan de mur à côté de nous. Je projette un nouveau vent infernal qui lui touche l’épaule, arrachant son bras auparavant inerte. Elle réplique, utilise les ressors dans ses jambes pour charger dans ma direction. Ma magie me pousse sur le côté mais son passage parvient tout de même à me renverser. Son bras restant se lève au dessus de ma tête et s’écrase juste à côté de moi. Je suis projeté dans les airs avec des gerbes de terres et de branches tandis que pour m’atteindre à l’aveugle elle projette ses dards métalliques dans plusieurs directions. Mon armure d’alizés me préserve à nouveau de me faire transpercer par des pointes d’acier mais transforme le sol en champs d’épieux mortelles.
J’atterris doucement sur le sol grâce à ma magie et riposte d’une tempête qui touche cette fois son torse. Je vois son cœur s’emballer à travers le trou dans son armure, tournoyer et briller avec plus d’intensité alors que la machine est prise de frénésie me donnant l’impression qu’elle va exploser. Nouvelle sphère, nouvelle attaque, après qu’une nouvelle salve de dards nettoie le mobilier dans une salle adjacente. Je me retrouve à nouveau au corps à corps, avec le risque qu’à tout instant une gifle de métal ne me fauche. Des arcs électriques s’échappent du torse, m’arrachant un rugissement de douleur qui se mue en effort quand je frappe le golem de Khynt en plein cœur. Ma main traverse la cuirasse, je sens l’os de mon bras se briser alors que le dos de l’armure explose en milliers de morceaux qui se mélangent à ceux encore scintillants du cœur de la machine. Celle-ci s’éteint instantanément, raidissant son bras restant et ses jambes avant de tomber en arrière en emportant mon bras coincé, provoquant un nouveau son métallique quand mon armure cogne contre ce qui reste de la sienne.
Le vacarme de mon sort se diffuse dans les airs et revient en écho avant de disparaître pour ne laisser que le silence qui régnait ici avant la découverte de ce monstre d’acier. Je fournis un dernier effort pour extirper ma main du plastron avant de me laisse glisser vers le sol puis de m’affaler contre la machine vaincue. La fin du combat marque le début de la souffrance. Je peux sentir chaque blessure que j’ai subis, mes côtes me font souffrir, mon dos est douloureux, une migraine commence à me lanciner les tempes. Je sens mon bras cassé, les brûlures que m’ont causés les éclairs. J’ajoute à ça la fatigue du combat et de la magie du portail que j’ai utilisé pour venir jusqu’ici avec Amélie. Amélie ! Penser à elle me fait rouvrir brusquement les yeux. Est-ce qu’elle va bien ?
Je me sers de mon bras valide pour m’accrocher au robot afin de me redresser pour guetter les environs à la recherche de la barde en espérant qu’elle a eu le temps de se mettre à l’abri. Mais il suffit de quelques secondes pour que je sois rassuré.
« Putain ! C’était trop génial ! »
S’exclame t-elle depuis une fenêtre brisée. Des débris de verre et de bois parsèment ses cheveux mais elle semble en pleine forme à en croire ses cris d’excitations ponctués d’injures. Je l’entends décrire mes actions, assurer qu’elle va en faire une chanson incroyable avant de m’affaler à nouveau, à bout de force et que mes yeux se ferment.
« Monsieur Xël ! Bougez pas j’arrive ! »
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