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" Hé ! Réveille-toi ! "
Je grommelle. Je venais de finir mon premier quart de surveillance, je pourrais jurer que ça ne fait que quelques minutes que je suis endormi et me voilà déjà dérangé.
" Réveille-toi merde ! " Insiste-il en me secouant l’épaule.
" Quoi ?! " Dis-je encore à moitié endormi.
" J’ai entendu des chevaux. "
Je n’ouvre qu’un œil, dardant vers le forgeron ma colère de me faire réveiller pour quelques bruits de sabots. Loin d’être impressionné et surtout incapable de le voir avec l’obscurité, il insiste encore en me bousculant plus violemment.
" T’as un foutue sommeil de plomb ! Tu vas bouger ton cul oui ! "
Je pousse un autre grommellement en m’extirpant de ma couverture pour affronter la fraîcheur de la nuit tandis qu’il me donne des explications.
"Je crois qu’il y a un problème à la ferme où nous avons toqué. "
Je baille longuement avant de l’imiter en m’accroupissant dans les hautes herbes. En effet, largement à portée de vue, je remarque de l’agitation dans la masure. La lumière vacillante d’une flamme s’échappe par les fenêtres et la porte ouverte. Plusieurs personnes se déplacent à l’intérieur de la ferme, projetant leurs ombres dans la cour où trois chevaux patientent en broutant les herbes folles sur les abords des pâturages. Moi et mon forgeron nous échangeons un regard. C’est certainement louche mais est-ce une raison de nous inquiéter ? Un cri venant de la ferme nous décide finalement à aller voir ce qu’il se passe. Sans plus attendre, nous avançons d’un pas rapide, abandonnant nos affaires trop bruyantes. J’attrape seulement mon sabre et Kazuto son marteau de forgeron. Nous parcourons les derniers mètres sur la pointe des pieds et prenons une position nous permettant de voir l’intérieur du bâtiment. Nous apercevons trois hommes vêtus de noir. Deux d’entre eux se livrent au saccage, renversant table et chaise. Un troisième semble menacer quelqu’un au sol avec sa dague. Nous sortons de notre cachette pour avancer d’un pas décidé. Les agresseurs ne nous remarquent pas, trop occupé à commettre leurs méfaits. Même celui le plus proche de l'entrée, avec sa dague, ne remarque pas le forgeron qui prend maintenant place dans le cadre de la porte. Il donne deux petits coups secs sur le battant de bois en prononçant.
" Toc ! Toc ! "
Le malfaiteur a à peine le temps de tourner la tête qu’un coup de poing magistrale lui écrase le nez. Il lâche son arme et tombe à la renverse sans dire un mot. Kazuto s’avance dans la pièce sous le regard sidéré des deux autres bandits qui restent, pour l’instant, immobiles. J’emboîte le pas du forgeron pour pénétrer la pièce en désordre. Un silence lourd s’installe, excepté les gémissements de douleur du malfrat qui se tient le nez au sol et les tremblements de genoux de celui qui doit probablement être le fermier. Maigre, le regard terrifié, les cheveux gras. Il lève encore un bras devant lui pour encaisser un éventuel coup. D’ailleurs, les marques qu’il porte sur son corps sont visibles à travers ses habits troués. Preuve que ce n’est pas la première fois qu’il se fait passer à tabac. Je pointe un regard meurtrier vers les deux intrus. Kazuto brise le silence, prenant un ton impérieux en se servant de sa grosse voix grave et menaçante.
" Ca peut se passer de deux façons. "
Il dresse une main en l’air, exposant deux doigts qu’il agite lentement.
" Soit vous ramassez votre copain et vous dégagez d’ici pour ne plus jamais revenir. Soit moi et mon camarade on vous botte le cul jusqu’à ce que vous ayez la trace de nos semelles sur vos tronches d’ahuris. "
Un instant d’hésitation plane avant qu’ils ne se précipitent vers leur acolyte pour le ramasser. Nous libérons le passage jusqu’à la porte. Une fois dehors, on entend un petit cri de canard, comme si quelqu’un avec un nez bouché essayait de parler.
" Vous êtes morts ! Vous entendez ! On reviendra demain ! Et je brûlerai cette ferme ! "
La menace semble être sincère. Mais exprimé avec cette voix nasillarde ça a simplement le don de nous faire rire.
" Pourquoi avez-vous fait ça ?! "
Le paysan traumatisé parvient à articuler quelques mots, d’une voix tremblante.
" Ils vont revenir ! Ils vont revenir ! Ils vont me tuer ! "
Répète-il sans cesse en sanglotant. Kazuto s’approche de lui pour le soulever comme une plume, le remettant sur ses pieds sans le lâcher. Le fermier s’effraie, se protège instinctivement le visage. Je rapporte une chaise pour qu’il puisse s’y asseoir. Il nous observe avec un air curieux. Celui de l’étonné qui s’attendait à prendre un coup.
" Calmez-vous. On ne veut pas vous faire de mal. Qui sont ces types ? "
Lui demandais-je d’une voix calme alors que mon compagnon de voyage entreprend de remettre l’intérieur dans un état correct. Le fermier conserve son regard fuyant. Passe les mains dans ses cheveux sales puis sur son visage.
" Ils vont revenir. Ils vont revenir. "
" Qui sont-ils ? Des brigands ? "
Il hoche la tête. D’abord doucement puis avec frénésie.
" Ils m’ont tout pris. Tout. Je n’ai plus d’argent alors ils prennent la nourriture, mes bêtes. Je n’ai plus rien à manger. Je n’ai plus la force de travailler. Ils vont revenir. Revenir et me tuer. Tout brûler. "
Je me redresse. Croise les bras. Mordant l’intérieur de ma joue pour ne pas succomber à la colère et partir à la poursuite de ces monstres. Kazuto prend la parole, d’un air tout aussi tendu que moi.
" Il n’y a personne pour vous défendre ? "
" Ils sont trop nombreux. La milice doit se défendre contre des raids de centaures plus au nord. Je suis seul. Seul. "
Le forgeron s’approche de nous et déclare :
" On va vous débarrasser de cette vermine. "
Il lève vers nous des yeux pleins d’espoir alors que Kazuto m’attrape doucement le bras pour m’emmener un peu à l’écart et s’adresse à moi à voix basse.
" Je sais que nous sommes limités en temps et que tu veux me voir gagner ce concours mais je ne peux pas laisser ces sales type s’en prendre à ce pauvre homme sans défense. Si ça ne te convient pas tu peux retourner à Oranan et trouver un autre forgeron. "
Un sourire se dessine sur ma joue alors que je lui donne une tape sur l’épaule.
" Non. En fait c’est ce que j’aurais fait si tu avais décidé d’abandonner ce type pour continuer la route. "
Il pose brièvement sa main sur mon épaule avant de lâcher un souffle du nez amusé. C’est décidé. Nous allons rester un jour ici à attendre que ces brigands reviennent et leur donner une bonne leçon.
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