Le chaos régnait sur le Comté d’Orsan. Chacun prenait des décisions dures de conséquences potentielles, qui pour survivre, qui pour sauver l’avenir d’Aliaénon, qui pour sauver ses pairs. Des actions qui allaient parfois à l’encontre les unes des autres, avec une violence incroyable.
Xël s’était rué sur Simaya Sombreroc pour la sortir du souffle mortel que le Dragon Noir n’aurait pas tardé à déverser sur toute la zone. S’il n’avait pas reçu l’aide de Sibelle dans son entreprise, au moins était-il parvenu à l’atteindre, elle, la sorcière blonde d’Esseroth. La bousculant dans son effort pour la tracter sur ses épaules, il la fit tressaillir… Ses bras s’abaissèrent au même instant où il commença à la tirer sur le côté. Ses yeux d’un noir d’onyx se troublèrent un instant, puis redevinrent normaux. La zone de bouclier, immense, commença à se rétracter à une vitesse folle.
Mais tout se passait si rapidement, si abruptement. Yurlungur avait chargé si prestement que Sibelle, se ruant vers elle avec puissance, ne parvint pas à la stopper. Tout juste l’effleura-t-elle alors que la jeune assassine esquivait sa charge, à peine déséquilibrée par la tentative de l’elfe blanche. Déséquilibrée, mais non moins discrète, et c’est sans qu’il l’aperçoive qu’elle atteignit la position de Xël soutenant Simaya. D’un geste habile, elle s’appuya sur l’épaule de la blonde pour l’attaquer en lui passant devant… Cela fit ployer Xël sous leur poids conjoint, et le trio s’effondra au sol au moment où une flèche meurtrière parvint à toucher Yurlungur, avec moins de précision cependant qu’elle n’aurait pu avoir si le petit groupe avait maintenu son équilibre. Le projectile d’Endar frappa la jeune fille à la gorge, la transperçant de part en part et y restant fichée, mais sans toucher apparemment de point vital.
Aux côtés de Xël s’effondrèrent donc deux femmes à la gorge couverte de sang. Mais aucune des deux n’était morte, ni même inconsciente. Simaya porta la main à sa gorge en sang, stupéfaite, ne semblant pas prendre conscience de ce qui venait de se passer, alors que Yurlungur subissait le contrecoup de son action, en pleine conscience, une flèche en travers de la gorge et, apparemment, une plaie surprenante au bras gauche.
Et puis il y avait Jorus, dont le courage – la témérité – avait fait prendre un risque inconsidéré. Il s’était rué vers le dragon, son discours cahotant au rythme de ses pas rapides, donnant une drôle de sensation à l’écoute. Mais il avait surestimé sa rapidité, ses capacités physiques. Il eut beau sauter si haut et loin qu’il le pouvait, ce fut trop court pour atteindre le dragon. Il retomba même… nez à nez avec le saurien noir, au sol, devant cette immense gueule ouverte remplies de crocs acérés comme des lames de rasoir, exhalant un souffle brûlant qui n’était rien comparé au torrent de flammes qui s’apprêtait à en déferler… Et l’acrobate serait aux premières loges pour en profiter.
Mais au lieu de cracher droit devant lui, comme tout le laissait présager, il releva brusquement la tête et déversa son lot de flammes presque à la verticale. Un geyser flamboyant qui éclaira un instant toute la zone d’une lueur rougeâtre, infernale. D’une hauteur telle qu’il dépassa même la hauteur de la tour. S’il avait craché devant lui, sans nul doute tous y seraient passés, de Jorus à Endar, en une ligne droite qui aurait touché l’acrobate, Thensoor Val’Crooh, le Sans-Visage, Naral Shaam et tous les autres qui seraient restés dans cet axe. Mais il ne l’avait pas fait. Et, à la suite de son méfait spectaculaire mais bien inoffensif au final, il rabaissa sa tête de saurien et avisa Jorus de ses yeux dorés, lui susurrant d’une voix caverneuse et profonde comme un gouffre sans fond, d’un ton méprisant au possible :
« Insecte. Qu’espérais-tu donc faire ? »
Le bouclier de Simaya, après tout ça, s’était finalement totalement rétracté, rendant aux possesseurs de magies et de pouvoirs leur plein potentiel… Thensoor Val’Crooh sembla vouloir en profiter aussitôt, car lui et le Sans-Visage se firent bientôt entourer par un nuage d’ombres, masquant toute vision à ceux alentours, même les plus proches comme Jorus et Sibelle. Le nuage disparut presque aussitôt, et avec lui le Conseiller-liche et le Marcheur de mort… Disparus sans laisser la moindre trace. Un sacrifice de l’ancien dirigeant d’Elscar’Olth ? Une nouvelle manifestation des pouvoirs du Sans-Visage ?
Dans tout ce bazar, il en fut un qui avait su se faire oublier. Trifalgin, atterré, murmura subrepticement :
« Le ssssssignal ! »
Et d’une main assurée, il empoigna une lame acérée de son tablier ensanglanté, lui servant sans doute de scalpel habituellement, pour la tendre à sa créature, qui d’un bond s’en empara et alla avec virulence et force la ficher dans la gorge de Naral Shaam qui tomba aussitôt à genoux sous le choc, alors qu’un flot de sang s’échappa de la plaie. Nul ne vit venir le coup, tous étant trop occupés par le dragon noir ou d’autres actions. Chacun, cependant, put voir les conséquences de cette inattention. Une sorte d’aura violette, totalement magique, émana de l’elfe aux cheveux mauves alors que son agresseur difforme s’agrippait avec force à la lame toujours plantée dans sa gorge, apparemment décidé à en finir avec l’ancien prisonnier de la Tour…
Isolés de cette folie, ayant eu l’esprit de se réfugier dans la tour avec le corps inconscient de l’archi-sorcier Elurien d’Assamoth, le trio formé de Kivan, Ariane et Al-Ayrad fut témoin de tout autre chose. Alors que le chaos régnait dehors, ils furent surpris par un événement auquel ils ne s’attendaient sans doute pas… Le corps d’Elurien s’anima et se dégagea vivement de l’étreinte de ses sauveurs. Une expression terrible de satisfaction malfaisante ornait ses traits, et ses yeux bleus intenses se plantèrent dans ceux du trio avant même qu’ils aient pu atteindre l’escalier vers les sous-sols. Il s’exclama :
« Parfait ! Vous m’avez mené précisément où je voulais être. »
Sitôt qu’il eut prononcé ces paroles, la porte séparant le hall de la tour où ils se trouvaient et la salle des gardes qu’ils avaient explorée un peu plus tôt explosa en mille morceaux. Une silhouette massive se dessina dans l’embrasure de la porte. Une silhouette qu’Ariane n’eut aucun mal à reconnaître, sortie de son placard avec fracas… Une
silhouette vêtue d'une surprenante armure, qui se révéla au trio comme une menace majeure.