" San-Goruuuuu ! On s'arrête ici mon gros nounours ! " Avais-je clamé tout en trônant sur les épaules de l'homme-ours qui nous conduisait à travers la forêt. J'avais trouvé un petit coin à l'ombre d'un gros arbre, non loin d'un cours d'eau qui chantait dans la mousse et assez éclairé, la canopée nous offrait un point de vue jusqu'aux cieux ce qui serait assez utile pour ne pas perdre la notion du temps et pouvoir se réveiller aux premières lueurs du jour, faute de coq pour nous brailler dans les oreilles.
" Xeloupatux, la nuit va tomber. Tu as un sort pour monter des tentes ? Et je parle pas d'la sœur de ta mère. "
« Pas besoin de sort pour ça. Quelques pièces suffisent. En ce qui concerne les tentes on devrait pouvoir s’en sortir sans magie. »
Le mage répondit avec son humour pinçant, comme à son habitude. Il semblait déjà las de devoir se coltiner le sale boulot tandis que je ferais - avec beaucoup de sérieux cependant - semblant de travailler.
" Ouiiii... beh faisons ça. Tu te charges de la tente pour dormir, et moi je regarde si j'ai des pièces au cas où ta tata ne vienne nous rejoindre. Tu sais où j'ai rangé le pain et la viande séchée ? "
« Ouais je m’en occupes. Je sais pas où tu ranges tes affaires mais saches que tu n’as pas besoin de pièces si tu veux que je mette ma brioche dans ton four. »
Encore un propos grivois. Je n'ai jamais compris cette facette chez Xël, je ne comprenais pas pourquoi il ramenait tout à la fesse. C'était si plaisant que ça ? Faudrait que j'essaie un de ces quatre, ça pourrait être marrant. Cependant je préférais diriger Xël vers notre guide qui se débarrassait de ses sacs et profita de l'écorce du chêne pour se frotter le dos avec vigueur sans cacher son plaisir, faisant voler de nombreux poils qui, sous le jour déclinant avaient l'aspect de fils d'or flottant dans l'air bucolique de la forêt.
" Tu as plus de chance avec San-Goru, mon canard. "
Disais-je en mâchonnant un bout de lard séché avec un morceau de cartilage qui grinçait sous les dents. Un crac plus loin dans la forêt attira mon attention. Je levais un oeil, d'abord peu attentive avant de scruter les coins qui baignaient déjà dans l'ombre grandissante; comme si cette petite place verte où nous avions établis notre campement était le dernier bastion de la lueur du jour. La forêt semblait tranquille, on entendait quelques bruissements et de lointaines branches qui craquaient et chutaient parfois dans un bruit mat de bois sec et de feuilles mortes.
" Tu entends pas un bruit ? Bah, on est en forêt après tout. "
« Rien de spécial mais tu as sans doute une meilleure ouïe que moi… »
« Pourquoi le Sans-Visage a dû te séparer de l’autre groupe ? »
" Bah j'ai essayé de ramener Arthes et... machine qui avaient contrôlé le temps et bloqué des titans en colère, ils ont cessé leur sort et puis la routine, Aki a tué Mathis en l'ecrasant en se transformant en Titan, j'ai été propulsée dans le titan putride, un Titan de feu a craché des flots de lave pour combattre le Gragon et a brûlé les jambes d'Aki. Le Sans-Visage nous a ramené, Yliria a été impolie et j'ai fait comprendre sans trop de détour que je la provoquait en duel, qu'elle a préféré refuser. Aki a voulu me mettre une claque, ma jumelle a voulu le désosser et... l'autre machine à la voix envoûtante, Maïzena nous a empêché de nous entretuer. Hrist allait tuer Aki, Yliria aussi et probablement Jorus s'il avait eu la bêtise de s'interposer. Mathis est mort écrasé sous un rocher et un Titan mais il va mieux et s'en remettra. Et toi ? "
Un autre bruit ? Je levais un oeil cette fois bien attentive, je m'attendais à un renard curieux qui serait venu raqueter mon morceau de lard sec, ou encore un terrible lapin albinos des contrées lointaines mais rien de tout ceci, non un gros que dalle oui, c'était un ours à la face plumée qui nous chargeait avec la grâce d'un herpès du haut de ses deux mètres et de sa stature de charrette. Fort heureusement, l'ombre avait rejoint notre petit camp et dans cette dernière, je disparue sans laisser de trace, dissimulée dans la noirceur, je vis Xël qui ouvrait un portail sur le chemin du colossal monstre pour l'envoyer s'écraser pleine face contre le grand chêne.
Sortant des ombres et profitant que la bête soit surprise, je clignais vers l'ours gigantesque pour le frapper de mes deux lames au niveau de l'arrière train, si je pouvais altérer ses mouvements et pouvoir ensuite atteindre un organe vital, ça serait un bon avantage, je ne voulais pas tenter un assaut de face tout de suite sans connaître la portée de ses pattes avant ou de son bec que je devinais acéré. A mon avis, il ne se contentait pas de deux trois campagnols par semaine. D'un coup de fessou mi-plume mi-poil, la beyte m'envoya plus loin, mais un portail de Xël me ramena dans ses bras. J'étais prête à parier qu'il m'aurait pouêté un sein si je n'étais pas doublement armée. C'eut été con d'annoncer au reste du groupe pourquoi j'avais accidentellement lardé Xël de 74 coups de couteau en pleine face. Mais bon, les accidents ça arrive.
« Ma magie pourrait provoquer une catastrophe. J’attire son attention le temps que tu la découpe ! »
" Il a le poil bien épais pour mes lames. " Disais-je en me dégageant, prête à cligner une seconde fois mais au lieu de ça, je fermais les yeux, laissant la corruption prendre forme humaine et c'est devant moi qu'elle apparût, comme elle l'avait fait devant Akihito, elle était là, dans son Yukata violet, de sa main elle invoqua une longue lame courbée au tranchant corrompu. San-Goru quant à lui suivait l'arme au poing et l'écume aux lèvres le monstre qui apparaissait en tout point à cause des portails de Xël sans vraiment parvenir à le rattraper pour lui provoquer autre chose que de légères blessures. Après avoir percuté le grand chêne quatre fois se suite, je m'agaçais légèrement contre Xël, pestant :
" Tu as finis de jouer ? Invoque un de tes portails et ferme le sur la bête pour le couper en deux ! "
Mais le mage préféra user de grand cris pour attirer la bête contre lui cette fois-ci, je pense que le chêne n'était pas à ça près, mais Xël allait-il survivre à un choc frontal avec un bestiau de cette taille ? Je n'étais pas sûre et je ne voulais pas avoir à le savoir.
Hrist s'était approchée sans se presser, en marchant comme si elle avait anticipé le chemin du monstre pour le frapper d'un grand coup ascendant sur le flanc, la bête ne bronchait pas mais il fallait essayer autre chose, elle n'avait pas l'air de se fatiguer, si ça ressemblait pour l'instant à un rodéo de vachette à la Kermesse de Tulorim, je ne voulais pas voir un de mes compagnons se faire piétiner par ce satané prédateur. De toutes façons, dans cette forêt; Hrist et moi étions les pires garces et les plus dangereuses prédatrices, on n'allait pas se laisser intimider.
" Empalons la bête avec la magie ! " Avais-je dit à ma jumelle en lui caressant l'épaule. Comme à Keresztur, comme au bon vieux temps où en maître, nous régnions sur nos terres. Des pals dressés par les bourreaux au matin, le soleil du midi qui affûtait leur pointe cruelle, les mouches du soir qui dansaient avec les corbeaux qui se repaissaient des corps au soir. Quel beau paysage, quel poème, quelle poétesse et nous avions de quoi donner vie à ce poème. Ensemble nous tendions nos mains vers la créature, priant peut être secrètement pour que San-Goru soit épargné par les pals ou quoi que la magie de ce monde accepte de créer.
Mais celle-ci ne se montra pas capricieuse, elle entendit notre appel et de nombreux pieux créés par on ne savait trop quoi sortaient de terre, moitiés rêve et moitié rage pour pourfendre l'animal de toute part sans blesser ceux qui se trouvaient autour. L'animal ainsi bloqué n'était pas mort pour autant, il poussait un long râle qui se ponctuait par une respiration rauque et saccadée. Hrist fut la première à approcher la bête, elle tendit la main sur la gueule terrible de l'animal qui aurait pu la déchiqueter sans mal si elle n'était pas ainsi entravée, je sentais un frisson me parcourir. Hrist tendit alors la main devant l'oeil du monstre et invoqua de nouveau sa lame qui apparût, perforant l'oeil et plongeant sa pointe dans le cerveau de la bête. Elle expira pour de bon, laissant planer un silence d'abord interrompu par les souffles que nos oreilles daignaient entendre de nouveau, comme si le monde s'était arrêté de respirer autour de nous. Ensuite, les premières questions, d'abord si nos compagnons n'avaient rien puis ensuite la surprise de Xël, qu'est-ce qui provoquait l'apparition de ma jumelle. Si ce phénomène était nouveau et surtout, plus précisément à Hrist, qui était la femme en violet à la longue chevelure noire et aux yeux d'un violet électrique.
" Bah c'est ma jumeeelle. C'est pour ça que je ne pou... qu'ON ne pouvait pas rester avec le groupe. La vilaine Shaakte aboyait trop et... bah faut pas trop nous embêter tout de même. Pas vrai gros pépère ? " Disais-je en claquant violement l'arrière du crâne de la bête. J'avoue volontiers que si celle-ci s'était réveillée par ma claque, je me serais sentie bien conne.
Hrist entamait la macabre récolte, après tout, c'était elle qui avait tué la beyte, elle pouvait bien en faire ce qu'elle voulait.
Nous avions récolté un petit trophée, le bec, quelques plumes, deux trois griffes tranchantes. Hrist me les confiant, observait avec moi Xël qui, imperturbable avait monté le campement sous nos moqueries sans jamais trésailler. J'étais contente de notre synergie, nous avions presque quelque chose qui se rapprochait d'une famille, celle que j'avais connu jadis avec mes soeurs. Cette pensée aurait pu me faire couler une larme mais j'étais trop heureuse.
Les personnes que j'avais perdue, certes me manquaient, il fallait aller de l'avant quant bien même le poids des morts paraît lourd à porter. Les jours passaient sans alléger ma peine, j'avais été triste, amère, confuse et déconfite le plus souvent. Les plus chers me manquaient quant bien même j'avais essayé de me convaincre de l'inverse, je m'étais rendue compte trop tard. Le coeur avait accepté plus tard ce que la raison attendait de lui, il fallait soulager son âme, se nourrir de bonne chose, vivre pour le bien sans s'entériner dangereusement dans la misère et la tristesse.
C'était ma croix, je ne savais pas ce que Xël vivait en ce moment ou pourquoi il était imperméable à mes plaisanteries mais j'espérais qu'il soulagerait sa peine très vite et qu'il comprendrait que même si nous étions des inconnus dirigés par une puissance mystérieuse qui jouait nos actions à l'aide de ses dés cosmiques, il était un fier camarade avec qui j'avais plaisir à partager mes aventures et qu'il se rassure et vive heureux, il était apprécié, il était aimé.
Sans trop comprendre pourquoi, nous avions terminé la soirée autour du cadavre dépecé de ce vilain Hibours qui n'était finalement pas un cousin éloigné de San-Goru.
Nous avions cuisiné avec San-Goru, Hrist et moi même une série de brochette faites avec le filet de l'animal enveloppé de lard un peu gras et pas trop sec qu'on avait fait cuire sur les braises du feu. Quelques bons morceaux de viande que San-Goru avait choisi qu'on avait enveloppé dans les herbes, il fallait avouer que ma besace était dégueulasse et qu'au fond de celle ci on avait une bonne dose d'herbes mortes, certaines potentiellement toxiques mais allez savoir pourquoi, San-Goru s'était servi de ça pour assaisonner la viande. Elle avait été cuite avec une certaine maîtrise que je n'aurai pas suspecté chez un ours, la croûte extérieure était caramélisée et l'intérieur juteux et réconfortant. J'avais encore de quoi envelopper des oignons dans une pâte brisée avec un peu de miel et un reste de condiment épicé jauni par le temps, nous avions pu faire des beignets d'oignons chauds confits dans le miel au coin du feu, j'étais prête à jurer qu'il n'y avait rien de meilleur quand le froid commençait à tomber que de se lécher les doigts collants de miel parfumé et légèrement bruni par la cuisson. Sous cette douce atmosphère bon enfant, heureuse, je m'étais amusée à taquiner Xël, essayant de lui redonner le sourire, enveloppant son cou de mes bras pour lui dire que tout allait bien, que ça passerait, quelque soit son mal, embrassant sa joue à plusieurs reprises.
Hrist quant à elle, allez savoir comment, avait affronté les peurs de tous et était allée voir Cauch' lui demandant d'une voix dont le tremblement était à peine perceptible :
" Je ne veux pas avoir peur de toi, dis-moi comment ? "
Je ne sais pas ce que Cauch' avait répondu mais je m'étais couchée contre ce grand chêne, observant le feu pour y ajouter des bûches de temps à autre afin de prolonger ses flammes et sa chaleur réconfortante. Tous étaient endormis autour de l'âtre, Hrist ne dormait pas, je m'en doutais bien, cependant elle n'était pas bien loin de Cauch' est-ce qu'elle essayait de s'habituer à la terreur magique ? J'dois dire que je n'aurai pas osé. Mais qu'importe, il fallait veiller sur cette joyeuse troupe et quoi de mieux que deux psychopathes pour protéger ces braves âmes. Hrist et moi nous relayons pour la nuit, le sommeil de toutes façons, très peu pour nous.
Lorsque le jour pointa au travers des cîmes, nous avancions pour rejoindre l'orée du bois qui selon San-Goru n'était qu'à quelques lieux et enfin, approchions de la terre des centaures.
C'était là que San-Goru devait nous laisser, je levais vers mon nounours un regard triste et dit d'une petite voix :
" Si tu viens pas, t'es un gros poisson qui pue."
Sans même l'espérer, Hrist s'était approché de moi, avait posé sa main sur mon épaule et pris parti
" Si tu ne viens pas, j'espère que toute la forêt sera à court de miel, que les puces d'un millier de chiens galeux t'infestent le croupion et que tes bras deviennent trop courts pour que tu puisses te gratter. Alors suis-nous, sinon je t'épluche. "
Faisant une mine boudeuse, je dis à San-Goru :
" Moi j'pense c'est dang'reux d'la contrarier, tavu. Graou ? "
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Xëlou
![Coeurs [:coeurs:]](./images/smilies/coeurs.gif)
pensée pour toi.