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par Sibelle » sam. 12 mars 2022 16:32
Une fois à l’intérieur, je choisis une place plus isolée et m’installai près du hublot. Si je ne pouvais sentir l’air frais sur mon visage, je pourrais au moins profiter de la vue.
Peu de temps après, un long soupir attira mon attention. Il s’agissait d’Ezak qui assis de l’autre côté de l’allée commentait à voix suffisamment haute pour que j’entende :
« Bien sûr… Il fallait que cette guerre se rappelle une énième fois à moi. »
Je levai ma tête dans sa direction et d’un ton neutre je déclarai :
« Si me voir vous déplait, vous pouvez toujours changer de place.... moi, j'ai rien contre vous. »
Ezak s’avérait être un bel humain possédant les cheveux blonds et la peau claire des Kendrans bien agencé aux yeux en amande des ynoriens. Malheureusement, l’air méprisant qu’il affichait coupait le charme qui aurait pu se dégager de lui. La dernière fois que je l’avais rencontré, c’était tout de suite après la guerre. Il était venu nous voir, moi, Sirat et Sirius afin de parler de son père. C’était sur un ton condescendant qu’il m’avait reproché de ne pas avoir fait mon rapport au général Bogast. Nous lui fîmes alors un compte rendu, qu’il n’avait pas apprécié. Réfutant l’idée que son père avait pu être de mèche avec le camp ennemi, ce fut avec mépris qu’il prit congé de nous, nous considérant comme de vulgaires commères.
Cette fois, il me parut plus calme. Il prit d’abord le temps de me jauger, puis contre toute attente, il haussa ses épaules, se cala confortablement dans son siège et répondit :
« Moi non plus… »
Au moins, j’étais fixée, il n’affichait plus la même attitude que quelques jours auparavant.
Après un bref moment d’hésitation, curieuse de connaître les raisons de son voyage en Nosvéris, je lui demandai.
« Nosveris n'est pas une destination, si commune. Y allez-vous tout comme moi pour répondre à l'appel du messager ? »
L’humain hocha la tête avant de rajouter.
« On peut dire ça. J’y vais pour réaliser… quelque chose au nom de mon Royaume. Disons que cet appel n’est qu’un moyen de plus pour moi de réussir ma mission. »
Il était demeuré vague, mais sa réponse me satisfit. Je détournai brièvement la tête vers le hublot et vit que nous survolions présentement les nuages. Sûrement habité par la même curiosité, il questionna à son tour :
« Qu’est-ce qui peut bien vous pousser vous autres à accourir à la demande d’aide de continents éloignés ? C’est pour l’argent ? L’appel de l’aventure ? »
Je reportai mon attention sur lui, le regardant droit dans les yeux, comme si je cherchais vainement à percer son âme.
(Vous autres ? Est-il question de mon genre, de ma race, de ma profession ?)
Perplexe, les sourcils froncés, je demandai, intriguée :
« Qu'entendez-vous par vous autres ? »
Apparemment, il considérait sa question suffisamment claire puisque ce fut en élevant un sourcil, marque de sa surprise qu’il rajouta :
« Vous n’êtes pas une sorte de mercenaire ? Ce que certains appellent des aventuriers ? »
J’esquissai alors un léger sourire.
« Je me considère comme une aventurière. Pour ma part, c’est l’appel à l’aventure, il n’y a pas de doute. J’ai besoin d’action. »
Certes, je ne dédaignai pas les yus. J’en avais besoin pour m’équiper convenablement et subvenir à mes besoins, mais il ne s’agissait pas pour moi d’une priorité.
Mon vis-à-vis détourna son regard un court moment avant de reprendre.
« Personnellement j’ai toujours haï cette vie d’errance. Je n’ai pas ce besoin d’aventure que vous avez et à vrai dire je ne le comprends pas. Si je pouvais, je ne quitterais plus ces terres. »
Le ton de sa voix s’avérait agréable, la conversation était détendue et nous avions plusieurs heures à perdre, je lui rétorquai donc de bon cœur.
« Je ne peux expliquer ce besoin. Il est là, tout simplement. Je pense aller d'aventure en aventure, jusqu'à ce que j'en sois plus capable... alors je serai mieux morte. Je ne ressens pas le besoin d'avoir un chez-moi. »
Du peu que j’avais vu de lui, avec sa fière allure, son orgueil mal placé par rapport à son paternel, je m’étais bien doutée que nous étions différents, mais pas à ce point. Ce qui équivalait pour lui au bien-être deviendrait bien vite pour moi une prison.
Surpris de ma réponse, il me questionna :
« Vous n’en avez jamais eu ? Vous venez bien de quelque part, vous avez bien des attaches ? Des parents, une culture… »
Cette remarque me fit rire bien malgré moi. Beaucoup de gens percevaient les aventuriers comme des personnes n’ayant que connu la vie d’errance depuis leur enfance, ou encore de la maltraitance de leur parent ou de leur entourage, ce qui n’était pas du tout mon cas.
« Oui, oui, j'avais un chez-moi étant jeune. Et non, je ne vous raconterai pas d'histoire triste. J'ai eu une belle enfance et des parents aimants. Mais j'avais ces fourmis dans les jambes, le besoin de bouger. »
Mes parents avaient eu la sagesse de comprendre ce qu’il fallait à leur fille pour être heureuse. Très tôt, ils avaient accédé à ma demande de combattre à l’épée.
Me gratifiant d’un sourire dévoilant de belles dents, Ezak fit allusion à ma longévité de loin supérieure à la sienne.
« J’imagine que quand on a une aussi longue vie que vous autres, elfes, on finit par vite s’ennuyer… Ma vie sera courte alors, de mon côté j’essaye de me concentrer sur ce qui est vraiment essentiel à mes yeux. Les miens… »
(Vous autres les aventuriers, vous autres les elfes...) Je ne prie aucunement ombrage de ces remarques, mais je constatai qu’elles ne faisaient qu’accentuer le fossé entre lui et moi.
Je hochai la tête à sa dernière phrase tout en rajoutant :
« Ça rentre souvent en ligne de compte oui. » En vérité, je n’en étais pas tout à fait certaine, mais je n’étais pas de nature à pinailler sur ce genre de détails.
Ayant observé des signes de fatigue chez mon interlocuteur, je reportai mon regard vers le hublot. J’en profitai pour méditer deux ou trois heures pour ensuite reprendre l’observation du ciel.
Puis alors que le silence habitait tout l’espace, je perçus un léger bruit à ma gauche. Sans bruit, je tournai lentement la tête pour apercevoir une silhouette mâle penchée au-dessus de Ezak. Bien habillé, de stature et de corpulence moyenne, il n’y avait aucun doute quant à ses intentions.
Je me redressai, puis silencieusement, je pris le siège près de l’allée, puis d’une voix assez forte, mais surtout ferme teintée d’une légère agressivité je lui dis :
« Si vous voulez conserver vos bourses intactes, ne touchez pas à la sienne. »
L’homme sursauta. Puis adoptant un air innocent, il se tourna vers moi, bredouillant des excuses bidons :
« Heu… les apparences sont trompeuses chère dame… un petit soubresaut de l’aynore m’a fait perdre l’équilibre… je me suis retenu à temps pour ne pas tomber sur ce gentilhomme. »
Je le fixai ardemment de cet air qui ne nécessite aucun mot pour signifier que je ne crois pas un traître mot de ce qu’il me racontait.
De sa main droite manucurée, il repoussa une mèche blonde rebelle, ce qui mit en évidence son beau visage, dévoilant aussi des yeux apeurés et une peau blêmie par l’émotion. Il décida sagement de ne pas se justifier davantage et partit rapidement vers l’avant de l’aynore.
Je repris alors ma place près du hublot.
Cette courte et légère altercation avait réveillé Ezak qui, l’esprit encore embrumé, ne réalisa pas immédiatement ce qui venait de se passer.
« Attendez… Ne me dites pas que cet homme voulait me voler ? » Me dit-il au bout de quelques secondes.
Ce fut avec le sourire que je commentai :
« Je crois qu’il soupçonnait que votre bourse soit pleine. »
Secouant la tête d’un air désespéré, il répondit :
« La vermine se trouve vraiment partout… Il a pas intérêt à recroiser ma route celui-là. »
En effet, de la vermine, il y en avait partout et des biens plus dangereux que celui-ci.
« Je crois que je dois vous remercier. J’aurai été bien mal sur un continent inconnu et austère sans un sou. »
Je le regardai un instant avant de répondre. Il me semblait moins arrogant que lors de notre dernière rencontre, et puis il avait assez d’humilité pour reconnaître que je l’ai sauvé d’un cambriolage. Cela peut paraître un détail, mais j’en avais connu plus d’un incapable d’admettre sa vulnérabilité ou encore de prononcer un simple remerciement.
Je finis par lui répondre :
« Je crois que vous auriez trouvé moyen de vous en sortir… Mais, en effet, c’est une bonne chose de ne pas être seul, surtout sur ce continent, comme vous dites ... »
Il y eut une légère méprise de ma dernière affirmation puisqu’il me demanda :
« Vous connaissez les lieux ? »
« Aucunement. » Dis-je tout en hochant la tête. En fait, cela ne me déplaisait pas de me rendre dans un lieu qui m’était totalement inconnu. J’aimais l’aventure, le risque, le dépaysement.
Le silence s’était installé à peine quelques secondes lorsque Ezak reprit la parole, mais dans un tout autre contexte.
« J’y pense. Vous êtes partis sur l’île des dieux, avec les autres ? »
Je me contentai d'un simple signe affirmatif de la tête avant de rajouter : « Cela ne vous a pas tenté ? »
Sa réponse ne se fit pas attendre :
« Pas un instant. Ma place était auprès des kendrans pas avec les divins.»
Puis avant que je n’eus le temps d’émettre un commentaire il questionna :
« Vous les avez vus ? Vous leur avez parlé ? »
Rencontrer les dieux s’avérait une expérience unique qui risquait de ne plus se présenter. Je comprenais cependant qu’il préférait demeurer près des siens. J’avais moi-même hésité à m’y rendre. Je lui répondis donc :
« J'ai vu leur résidence respective, mais je n'ai parlé qu'à Gaïa... Je suis allée sur cette île pour avoir des réponses, pour comprendre la non-implication des dieux dans cette affaire. Pour comprendre pourquoi, ils n'étaient pas intervenus plus tôt... Et puis Gaïa m'a expliqué qu'ils avaient les mains liées. »
La discussion avec Gaïa avait été beaucoup plus longue, mais je n’avais pas le goût de m’étendre dans les détails. Je réalisai un peu trop tard que j’en avais trop dit. Sa curiosité piquée, Ezak voulut en savoir plus.
« Les mains liées ? »
Je tâchai donc d’être plus claire :
« Zewen leur avait interdit de se mêler des affaires des mortels. »
Un peu songeur, il me dévoila ce qui le dérangeait dans la discussion que je lui rapportais.
« Donc vous êtes en train de me dire, que les dévots prient leurs Dieux en vain et qu’ils n’intercèderont jamais en leur faveur, car Zewen leur interdit d’intervenir dans leur vie ? »
Je poussai un soupir d’exaspération. Non pas que j’avais quelque chose à cacher, mais cette discussion avait eu lieu et j’avais eu mes réponses et je m’en étais accommodée, je n’avais pas poussé plus loin ma réflexion et je n’avais pas l’intention de le faire. Ce fut donc sur le même ton de la conversation que je finis par répondre :
« Je ne sais pas ce qu'il en est des dévots et de leur prière... Je ne me fais pas la défenderesse des Dieux... mais dans ce cas précis, elle m'expliquait qu'ils n'avaient à intervenir entre deux clans de Yuimeniens,… et je la comprends…pourquoi favoriser les Ynoriens au profit des Liykors ou d’une autre race ? »
À peine prononcée, je regrettai déjà cette dernière phrase et je m’en mordis même les lèvres. Si cette question n’en était pas vraiment une, elle invitait par contre à poursuivre la discussion, ce qu’il fit :
« Le problème était pas tant d’intervenir pour un camp ou un autre, mais d’intervenir face à des créatures divines, comme elles, et qu’elles ont créé. Le Dragon Noir et Oaxaca…Et bien qu’ils aient finalement fait quelque chose pour la Reine noire, sans Brytha, je ne suis pas sûr que vous et moi serions là à déblatérer... »
Je partageais son opinion et je lui en fis part.
« Cette fois, je suis bien d'accord, et c'est également ce que je lui ai mentionné. Et elle m'a assuré qu'ils n'avaient aucune idée des intentions du dragon. »
Agacé, il leva les yeux au ciel tout en commentant.
« Pour des dieux censés symboliser la toute-puissance, ils ont l’air extrêmement faillibles… »
Je ne fis aucun commentaire, laissant cette discussion prendre fin.
Cela faisait plusieurs heures que nous volions en aynore lorsque l’employé vint nous annoncer que nous nous préparions à atterrir. Ne connaissant aucunement ce continent nordique et ses dangers, j’évaluai qu’il serait préférable de se rendre à Pohélis en compagnie plutôt qu’en solitaire.
« Une fois sur Lebher, j'ai un achat à faire et ensuite je partirai pour Pohélis,.. Seriez-vous intéressé à faire cette dernière portion de voyage en ma compagnie ? »
Accompagnant ses paroles d’un haussement d’épaules, il me répondit :
« Compte tenu du fait que nous allons au même endroit, je n’y vois aucun inconvénient. »
Cette question réglée, il me restait à poursuivre vers une un peu plus délicate.
« J'avais l'intention de faire la dernière portion du voyage avec un autre moyen de transport. Auriez-vous une réticence à la faire à dos d'hippogriffe ? »
Affichant d’abord un air sceptique, il répondit positivement à ma demande rajoutant qu’il avait déjà monté des créatures ailées. Il aurait pu légitimement me demander comment je pensais trouver un hippogriffe sur un continent dont je ne connaissais rien. Mais il n’en fit rien, ce qui m’arrangeait en fait. Je préférais faire mes emplettes d’abord et ne lui montrer ma forme ailée qu’au moment de partir.
L’aynore amorça sa descente et j’observai à travers l’hublot le paysage qui s’offrait à moi…Blanc… tout était blanc.