Les Navires Marchands (X1)

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Yuimen
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Les Navires Marchands (X1)

Message par Yuimen » dim. 10 janv. 2021 13:15

Les navires marchands
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Voguant sur les mers en direction de tous les continents, les navires marchands représentent la majorité du trafic maritime. De toutes tailles, ces navires sont parfois accompagnés d'une escorte pour se prémunir des pirates rôdant sur les mers. Un capitaine pourra vous accueillir à son bord moyennant compensation. Certains sont plus demandant que d'autres et la qualité du voyage tend à varier, pour le meilleur comme pour le pire.

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Aenaria
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Aenaria » dim. 10 janv. 2021 14:18

En arrivant devant le navire de Théodorus, nous vîmes le ballet incessant des marins qui montaient dans le bateau les bras chargés de caisses et autres tonneaux et qui en redescendaient les bras vides. Nous nous présentâmes à la personne qui donnaient les ordres et qui tenait tout un tas de parchemins dans la main. Après lui avoir expliqué qui nous étions, il nous indiqua la direction à suivre afin de trouver la cabine du capitaine. Nous montâmes afin de nous retrouver sur le pont principal puis direction la droite pour rejoindre la cabine principale. Toquant à la porte, nous attendîmes une invitation à entrer qui ne tarda pas à arriver.

En ouvrant la porte, je découvris une cabine bien organisée, sans ornement inutile, un lit, une grande table avec tout le matériel nécessaire à la navigation, des rangements en nombre qui pouvaient se fermer intégralement en cas de grand vent. Théodorus étudiait une carte marine, il finit par lever les yeux pour savoir qui venait l'interrompre. En nous voyant, il sourit et nous ouvrit grand ses bras pour nous accueillir.

- "Mes amis, merci d'être arrivé aussi vite.

- Nous voulions nous installer rapidement et aider au chargement du navire.

- Pendant qu'il aide au chargement, je ferais un petit tour du navire pour découvrir les potentiels points de vulnérabilités.

- Je comprends mieux d'où vient la réputation de l'armée sindeldi. Votre cabine se situe en dessous de la mienne, à droite de celle du capitaine. Elle n'est pas utilisée depuis un moment donc vérifiez que vous avez tout ce dont vous avez besoin.

- Merci Théodorus.

- Nous partagerons notre repas du soir pour bien commencer la traversée. On se retrouve à huit heures sur le pont principal.

- Alors à ce soir.

Nous prîmes congé d'un hochement de tête et sortîmes de la cabine. Descendant l'escalier, nous arrivâmes aux cabines que le marchand nous avait indiqué. Nous entrâmes dans celle de droite et découvrîmes une cabine plus simple que celle de Théodorus : un lit, une petite table et de quoi ranger nos affaires et nos armes. Nous n'avions pas besoin de plus de toute façon. Nous laissâmes dans un coffre tout ce dont nous n'avions pas besoin pour accomplir nos tâches du jour. Alors qu'Ehemdim était prêt à sortir de la cabine juste avec ses vêtements, il se tourna vers moi pour me parler.

- "Bien joué avec Krakos tout à l'heure Naria, je crois que je n'ai absolument pas besoin de croiser le fer avec toi pour vérifier que tu vas bien. Tu as été capable d'utiliser correctement ta magie. Mon travail est terminé avec ma patiente.

- Je me demandais bien quand tu allais m'en parler. Je m'inquiétais un peu mais je suis rassurée. Tu es sûr que tu n'as pas besoin de porter une arme ?

- Tu as été inventive au possible, je ne me fais plus de souci pour toi mon amour. Et non, inutile de prendre une arme. Je vais me fondre dans le décor comme ça et observer un peu l'ambiance parmi les marins.

- A tout à l'heure alors.

Il referma derrière me laissant terminer de ranger mes affaires et quitter également la cabine. Mon premier réflexe fut d'inspecter le pont principal afin de vérifier que tout était en ordre avant d'inspecter les salles qui étaient en cours de chargement. La coque du navire paraissait solide même si je détectais ça et là des petits accrocs dans la coque qui mériteraient d'être surveillé durant le trajet. L'étage des marins était parfaitement bien organisé, les marins disposaient tous d'un couchage et d'un coffre visé au sol pour mettre leurs effets personnels dedans. Je revins sur le pont principal afin de terminer mon inspecter par les trois mats du navire. Mon petit tour se termina par le plus point le plus haut, la vigie qui me permit d'avoir un panorama hors norme sur le port et Yarthiss au loin.

Le soleil commençait doucement à décliner dans le ciel. En contre-bas, les marins commençaient à allumer les torches pour finir de charger notre navire alors qu'il en était de même un peu partout dans la ville. Tout ceci changea profondément les couleurs de la ville, et les couleurs du port. Près de moi on passait d'un bleu-vert à un rouge-orangé dont l'effet sur l'eau était des plus hypnotiques. Cela avait quelque chose de reposant et me rappelai un peu les couleurs du manoir de Faronia à Balsinh au coucher du soleil. Un peu de nostalgie ne faisait jamais de mal.

(Cette terre me manque.)
(Nous n'allons peut être pas rentrer de si tôt.)
(Je sais Naria et je pense que nous ne sommes pas prêtes encore à retourner sur le Naora.)
(Tu penses que c'est aussi grave que ça ?)
(Seul le temps nous le dira.)

Ma faera avait raison, nous devions attendre d'être sur place pour savoir à quel point la situation était critique pour Kendra Kâr. Le soleil continuait de descendre à l'horizon, il était temps pour moi de faire de même. Le navire allait bientôt appareiller et nous étions attendus avec Ehemdim pour le dîner avec le propriétaire du navire. Attrapant la première corde que je trouvais, je m'y agrippai et me laissai descendre jusqu'au pont principal. Me réceptionnant avec souplesse, je me retrouvai au milieu d'une sacrée activité. Des tonneaux servaient de tables et sur chacun d'eux se trouvant un chandelier à trois branches qui diffusaient une douce lumière.

Je trouvai Ehemdim autour d'un tonneau non loin des escaliers menant aux cabines. En m'approchant, je vis quatre verres et un plateau remplis de toutes sortes de produits de la terre et de la mer. Je m'accoudai à la table en attendant qu'Ehemdim me donne des explications.

- "Nous devons attendre que tous les marins soient sur le pont pour commencer.

- D'accord. Le chargement du navire s'est bien passé ?

- Parfaitement. J'ai découvert que les marins de ce navire constituaient une véritable famille, qu'ils pouvaient compter les uns sur les autres et qu'ils appréciaient énormément le capitaine, qui devrait bientôt nous rejoindre et le propriétaire du navire.

- Du respect sur un navire marchand, voilà qui est rare.

- Et nous cultivons le respect et l'entraide en toute circonstances mademoiselle.

- Aenaria, je te présente Crillus, le capitaine de ce navire."

Un bel homme, au teint basané, brun, avec un collier de barbe, les yeux bleus océan, se présenta à moi la main tendue. Je la serrai chaleureusement.

- "Bienvenue à bord Du Cormoran ! Nous sommes ravis de vous avoir à notre bord.

- C'est un honneur pour nous de pouvoir voyager à moindre prix tout en protégeant les intérêts de Théodorus.

- Il est vrai que Théodorus pense toujours à notre sécurité et à la sécurité de ses marchandises avant la sienne. C'est très rare et nous apprécions beaucoup cela, l'équipage et moi. Je n'ai jamais connu pareil propriétaire de navire.

- C'est une qualité assez admirable. Une personne avec autant d'abnégation est rare.

- Oui, cela nous permet de rester en vie."

Des mains qui tapent pour avoir l'attention de tous, les têtes se tournèrent vers la source du bruit et je découvris Théodorus en haut des escaliers.

- "Mes chers camarades, nous voici à l'aube de notre prochain voyage. Nous avons deux invités avec nous pour ce périple, deux elfes gris qui vont pouvoir assurer notre sécurité. Comme vous le savez, il est inutile de vous le cacher, la situation autour de Kendra Kâr est, d'après les dernières nouvelles, très inquiétantes. La présence d'Ehemdim et Aenaria à notre bord vous permettra de tranquilliser vos esprits, de faire votre travail et de nous conduire à bon port. Profitez de ce repas que nous avons l'habitude de partager avant notre départ et nous appareillons dans une heure messieurs."

Une clameur et des hourra fusèrent parmi les marins, de toute évidence cela faisait parti d'un rituel sur le navire, de quoi créer un belle cohésion au sein du groupe. J'adorais ce genre de comportement. Théodorus franchit les quelques marches qui nous séparait et souleva un verre, nous invitant à trinquer tous les quatre. L'ambiance était détendue et bon enfant. Le capitaine, au cours de la discussion qui suivit l'introduction de Théodorus, révéla que nous avions 20 jours de mer devant nous et que le temps pour partir était parfait. Ehemdim proposa plusieurs solutions concernant notre participation à la surveillance du navire et la version retenue fut la dernière, nous prendrions notre tour de surveillance tous les deux du lever au coucher du soleil et au besoin nous serions réveillés la nuit.

Lorsque le plateau de victuailles fut terminé, Crillus héla son second afin de lancer les opérations de départ. Une partie des marins débarrassa les tonneaux, une autre partie s'occupa de rapatrier nos tables de fortune dans les cales alors que les autres décrochaient les amarres, levaient l'ancre et se préparaient à appareiller. Ehemdim et moi demandâmes si nous pouvions aider à la manoeuvre et aussitôt Crillus nous donna comme tâche d'aider pour déployer la grande voile. Attrapant les cordes nous tirâmes de toutes nos forces afin de profiter de la brise descendant le fleuve, condition idéale pour quitter ce port fluviale. Après quelques efforts, le navire commença à filer et Crillus nous proposa d'aller nous reposer.

Nous le saluâmes et rejoignîmes notre cabine pour y passer notre première nuit. Nous passâmes une bonne partie de la soirée à discuter sur comment nous allions nous déposer demain, quand faire une pause dans notre surveillance pour manger un morceau, si nous allions proposer notre aide ou pas aux marins en cas de besoin... Bref pleins de petites choses qui méritaient réflexion et qui nous occupâmes pendant plusieurs heures à tel point que nous vîmes l'immensité de l'océan avant de nous endormir dans les bras de l'autre.

***

Durant les cinq premiers jours de notre voyage, nous nous retrouvâmes dans une forme de routine, avec un réveil au lever du soleil, des étirements et entrainements matinaux à l'épée afin de nous entretenir physiquement, une surveillance accrue du navire avec l'un de nous à la vigie pour seconder le marin s'y trouvant alors que l'autre arpentait le pont, n'hésitant pas à prêter main forte aux marins en cas de besoin. Le soir nous retrouvions Théodorus pour lui faire un rapport de la journée avant de nous coucher avec le soleil. Nous ne couchions pas vraiment, nous profitions surtout de ces moments ensemble pour pratiquer une autre forme de sport.

***

Le sixième jour nous fûmes réveillés par un violent coup de vent qui dura toute la journée et auquel s'ajouta une forme pluie, qui nous empêchait de voir plus loin que le bout de notre nez et même pour des elfes, cela était fort problématique. Du coup, Ehemdim et moi nous relayâmes à la vigie pour maintenir le bateau dans un cap correct. Malheureusement, un autre navire avait du chavirer peu avant notre passage, des débris jonchaient la mer, si bien que l'un d'eux créa une voie d'eau dans la coque. Ehemdim descendit pour aider les marins à combler le trou du mieux possible avec des planches et des clous qui étaient présentes dans la cale du navire. Il leur fallut deux bonnes heures de travail acharné afin de combler la brèche et de terminer d'écoper toute l'eau. Cette journée fut bien longue et bien humide.

La journée suivante, la septième du voyage, fut en tout point identique au niveau du temps à la précédente. Notre surveillance fut bien plus importante au niveau de la coque que sur le pont principal, vu comment nous étions portés à droite et à gauche par les vagues, bref deux jours de mer assez catastrophiques. Le troisième jour de tempête fut le moins violent, la pluie s'estompa légèrement en fin de journée, ce qui permit aux organismes de se reposer un peu, le vent était toujours présent et la mer était toujours démontée mais au moins sans la pluie, nous pouvions noir où nous allions. Le neuvième jour de mer vit la tempête s'estomper pour finalement disparaître avec le soleil couchant, les hommes étaient fatigués par ces jours qui en demandaient beaucoup physiquement, retrouver un peu de tranquillité calmerait les esprits.

***

Les sept jours qui suivirent furent bien monotones après les quatre jours de mers déchaînés que nous avions subi mais au moins les marins pouvaient respirer en terme de difficulté de travail. Ehemdim était de plus en plus puissant dans ses coups lors de nos sessions d'entrainement, de plus en plus méchant, comme si il nous préparait au pire. Les marins se rassemblaient tous les matins autour de nous pour nous observer mais jamais le sang n'avait coulé entre nous. Ce n'était pas l'objectif de notre pratique, plutôt une remise en forme complète pour moi et un très bon entretien physique pour mon fiancé. Lorsque nous arrêtions de nous battre, les marins avaient pour habitude de nous applaudir, pensaient-ils que nous faisions cela pour les rassurer ? Ou pour les impressionner ? J'espérais au plus profond de moi que ce n'était pas le cas. Ce qui me donna une idée. Le soir venu j'allais trouvé Crillus pour lui en toucher deux mots et il trouva mon idée intéressante et elle permettrait de casser la monotonie du travail des marins.

C'est ainsi que le dix-septième jour au moment de commencer notre session d'entraînement, je proposai aux marins présents sur le pont et qui le souhaitait de se joindre à nous pour s'entraîner et apprendre à manier une épée. Nous remplacions les épées par de simples bouts de bois qui feraient illusion. Nous leur apprîmes à tenir leur arme et à tenir la garde, à contrer de simples attaques, à porter de simples attaques. Ceci nous prit deux bonnes heures mais les marins semblaient heureux de faire autre chose, tant et si bien qu'Ehemdim et moi fîmes une deuxième sessions l'après-midi avec les marins qui n'avaient pas participé à la séance du matin. On voyait le sourire sur les visages des marins qui appréciaient d'apprendre et de faire autre chose. L'objectif n'était pas de les transformer en soldats, mais leur montrer les rudiments était déjà une bonne chose pour eux.

Durant les trois derniers jours de mer, nous continuâmes notre formation et certains marins devinrent des bons bretteurs mais qui ne seraient pas encore capable de défendre le navire. Pour terminer la session d'entraînement, certains nous défièrent en combat singulier si bien que nous dûmes honorer leur demande. Ce fut très divertissant. Théodorus et Crillus rirent de bons coeur devant leurs marins, ceci eut pour effet de bien détendre l'atmosphère à l'approche de Kendra Kâr. La vigie finit par hurler que la ville était en vue. Nous nous saluâmes une dernière et nous nous applaudîmes devant le travail accompli. Tout le monde retourna à son poste car la manoeuvre pour accoster dans la cité blanche était loin d'être évidente mais c'était sans compter les qualifications des personnes travaillant sur ce navire. Crillus donna des ordres d'une efficacité redoutable pour manoeuvrer, les marins lui obéissaient au doigt et à l'oeil, ne faisant qu'un, tant et si bien qu'après deux heures de manoeuvre, nous accostions à Kendra Kâr.

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Akihito
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Akihito » ven. 15 janv. 2021 01:06

Dans le chapitre précédent...

Troisième Arc : Encre de feu, Ancre de sang.

Chapitre XXV : Répit du voyage.

Ce matin-là, Akihito se réveilla en s’étirant dans le hamac qu’on lui avait attribué. Il était un peu plus large que les autres, obtenu par Anthelia pour que le couple puisse profiter de son sommeil ensemble. Une plaisante surprise, et malgré ses questions incessantes et les « faveurs » qu’il avait (volontiers) offertes à la jeune femme, cette dernière avait refusé de lui dire comment elle avait fait. Elle avait cependant été catégorique : aucune « faveur » n’avait été utilisée pour soudoyer le capitaine ou un marin quelconque. Il finit par abandonner, préférant laisser la jeune femme se moquer de lui.

Embrassant rapidement la malicieuse sur le front, il descendit dans la cale pour retrouver Brume. Il devait l’admettre, en à peine trois jours il s’était attaché à cette renne douce et affectueuse qui accueillit son propriétaire avec un bramement festif. Se saisissant d’un boisseau d’avoine, il nourrit le cervidé tout en caressant son encolure : comme toutes les montures elle n’était pas à l’aise sur un bateau, aussi se débrouillait-il pour ne pas qu’elle stresse et fasse n’importe quoi. Il se pencha sur la droite et esquiva adroitement un coup de langue râpeuse. Un réflexe salvateur puisque Brume adorait visiblement le recouvrir de bave. Il aurait pu s’en agacer, mais la renne était simplement trop joyeuse et adorable pour qu’il puisse lui en tenir rigueur.

« Bonne fille. »

Il donna une pichenette dans le bonnet qui ornait sa tête, faisant s’enrouler le pompon autour d’un de ses bois. Il avait le premier soir essayé de lui retirer, mais Brume s’était tellement agitée qu’il avait préféré lui laisser. Jouer avec semblait l’amuser elle aussi, et il la quitta alors qu’elle remuait ses bois dans tous les sens pour essayer de faire retomber le pompon devant ses yeux.

Plusieurs marins arpentaient le pont, en ce début de matinée. Le minimum pour faire avancer le navire à sa vitesse maximale. Un rythme soutenu qui forçait les marins à se relayer par roulement de huit heures afin de grappiller le plus de temps possible en attrapant le plus de vent possible, même de nuit. Grâce à cela, ils pouvaient rejoindre le port du camp des forces alliées en moins d’une semaine, là où un navire standard aurait mis au moins huit jours. Focalisés sur leur tâche, les marins n’accordaient que peu d’importance à leurs invités de marque, se contentant de les saluer ou d’échanger quelques mots avec eux durant une pause. Pas de quoi casser trois pattes à un Bouloum, mais Akihito s’en fichait : ils faisaient leur travail, et lui ferait le sien une fois arrivée à bon port.

Akihito grimpa la volée de marches menant au pont avant, où Yliria s’entraînait déjà. Tout en s’étirant de son côté, il observa la jeune fille faire les siens, trop concentrée pour l’avoir entendu s’approcher. L’enchanteur n’arrivait pas à se décider : devait-il qualifier sa souplesse de terrifiante ou d’impressionnante ? D’un côté, il était admiratif des prouesses d’un corps athlétique entraîné, mais de l’autre…

(Errh, on peut vraiment se pencher autant en arrière ?)

… Rien que voir certaines positions lui donnait froid dans le dos.

Pris d’une soudaine envie de la taquiner, il se glissa silencieusement dans son dos alors qu’elle regardait la mer en faisant une pause. Ses doigts se mirent de chaque côté de ses côtes, et il envoya une légère décharge de foudre la chatouiller. Elle poussa un cri de surprise et de rire avant de se retourner vers lui, le visage rouge pivoine. Ce qui le fit éclater de rire, ce à quoi elle répondit en balayant l’air de sa rapière, heureusement encore rengainée. Il para le coup de sa propre lame protégée du fourreau, et ainsi commença leur duel sous les invectives de semi-shaakte et le sourire hilare d’Akihito. Les entraînements qu’ils avaient tous deux effectués au cours des deux dernières semaines avaient grandement profités à l’enchanteur, qui pouvait désormais opposer une résistance décente sans abuser des pouvoirs de ses reliques. Mais c’était encore loin d’être suffisant, et la jeune fille continuait de le battre. Comble de la chose, le roulis du bateau ne semblait pas l’affecter le moins du monde. Profitant d’une de ces déstabilisations, elle plongea son fourreau dans son ventre et d’un balaiement du pied, le projeta sur le plancher du sol. Peinant à retrouver son souffle, ce fut encore plus difficile quand la jeune fille posa un genou sur sa poitrine, sa rapière sous la gorge.

« Euff, euff… Je m’excuse, j’ai perdu ! Arrête Yli’, j’vais crever !

- Hmpf, ça t'apprendra à m'attaquer vicieusement par-derrière !

- Vicieusement, tout de suite les grands mots… »

Elle l’aida à se relever, ne lui en voulant apparemment déjà plus à la vue de son sourire. Mieux, elle lui demanda un service : s’il pouvait apporter son matériel de tatouage. Haussant un sourcil, il s’exécuta quand même : c’était sa façon à lui de se faire pardonner. Il ignorait pourquoi elle en avait besoin, et il était persuadé d'avoir été clair sur le fait que pour son tatouage dans le dos, il estimait avoir encore besoin de temps. Néanmoins, et après s'être essuyé le front d'un revers du bras pour enlever la sueur qui y perlait encore, il retrouva la jeune fille au même endroit, sur le pont avant.

« Et donc ? Que puis-je pour toi ?

- Est ce que tu pourrais percer une de mes oreilles avec ton aiguille pour que je puisse la mettre ? S'il te plaît.

- ... Excuse-moi ? »

La demande le perturba. Percer une oreille pour y glisser le bijou qu’elle lui montrait ? Avoir le matériel nécessaire ne voulait pas forcément dire qu'il pouvait le faire.

« Je veux dire, je peux sans doute le faire, mais tu ne peux pas plutôt demander à Theli ? Peut-être qu'elle a déjà fait... »

Elle assura qu'elle préférait lui demander, puisqu'elle lui faisait confiance. Un argument qui aida Akihito à accepter.

« Si tu me le demande comme ça, je ne peux qu'accepter. Je vais tenter de faire ça le plus en douceur possible, mais invoque au cas où Ssussun. »

Balayant le pont, il chercha une façon de se positionner pour lui percer l'oreille aisément. Le faire contre la rambarde de bois était hors de question, il n'avait pas envie d'avoir l'impression de lui clouer l'oreille au bateau. Les hamacs étaient eux trop flottants et mobiles. Finalement, il finit par s'asseoir en tailleur, adossé au bois ; il déposa une peau de tatouage sur sa cuisse, avant de tapoter cette dernière avec un sourire bienveillant.

« Pose ta tête là Yli. Oreille gauche ou droite ? »

Sa position des plus orthodoxe perturba la jeune fille, et l'effort qu'elle fournit pour indiquer qu'elle voulait qu'il perce l'oreille droite l'amusa, mais il n'en montra rien. La tête reposa sur sa cuisse, le petit poisson de lumière voletant tranquillement à côté de sa tête. Ssussun avait une présence aussi amusante que réconfortante : un poisson était difficile à prendre au sérieux, mais sa simplicité était ce qui le rendait apaisant en même temps.

« Je... Mes oreilles c'est un point sensible par contre... C'est un peu... Délicat.

- T'inquiète Yli', je vais faire attention. »

D'un doigt, Akihito dégagea les mèches nacrées pour dévoiler l'oreille elfique et se pencha au-dessus de la tête d'Yliria. C'était un organe, une partie représentative des elfes devant toutes les autres. Si on demandait à n'importe qui de citer une différence physique entre les elfes et les autres races, ce seraient invariablement les oreilles qui seraient évoquées. Et Akihito, comme beaucoup d'autres, était curieux de voir leur forme de plus près. Les pavillons semi-rigides qui formaient le rond haut d'une oreille humaine étaient là étirées en pointe, composant l'essentiel de l'oreille. Et là où les femmes humaines accrochaient majoritairement leurs boucles à leurs lobes, les elfes en étaient eux tout simplement dépourvus. Ce qui était une aubaine pour Akihito.

« Mmmh... Pas de lobe, alors on va devoir passer à travers le pavillon... C'est pas plus mal, ça rentrera droit. »

Ayant en tête l'avertissement de la jeune fille, il tendit des doigts prudents et palpa le bord de son oreille, estimant son épaisseur, sa rigidité, son élasticité. Bref, autant d'informations importantes pour un tatoueur s'apprêtant à user de son aiguille.

« Ok, je vois, ajouta-t-il à voix basse. Bon ce que je te propose Yli' pour ton perçage, ce sont ces endroits-là, proche de la base, ici plus vers le milieu... Non plus là, et enfin près de la pointe, ici. Lequel te conviendrait ? »

Il fit glisser son doigt d'un point à l'autre, en appuyant un peu plus fort pour bien lui faire sentir les emplacements qu'il lui proposait.

« Le plus... loin possible de la pointe s'il te plaît.

- Compris. »

Jetant finalement un coup d'oeil à la jeune fille, il lisait une certaine panique dans son regard. Elle en tremblait, et il y avait de quoi. Dans un sourire, il tapota sa tête et prit une voix rassurante.

« Je vais faire attention. Tout se passera bien, assura l'Ynorien avant d'adresser un regard au poisson, qui le regardait avec de grands yeux vides. Hum, Ssussun ? Tu peux faire quelque chose pour la détendre ? »

Il n'était pas sûr de savoir si l'élémentaire comprenait ce qu'il disait, ni s’il lui obéirait. Dans le même moment, il vérifia la pointe de la boucle d'oreille et la compara à son aiguille : les pointes étaient relativement de même épaisseur, ce qui faciliterait la tâche.

« Tu peux me faire une petite flamme et me la montrer ? »

Elle semblait visiblement intriguée par sa demande, mais s'exécuta. Il y plongea un temps la surface de son aiguille, en lui expliquant que comme il comptait perforer toute son oreille, il préférait éviter de l'infecter.

« Non pas que mes aiguilles soient sales, mais on est jamais trop prudent. Ah, ça devrait être bon. »

L'aiguille désormais bien chaude à son extrémité, il se saisit du visage de la semi-shaakte et avec précaution, l'incita à rouler la tête sur le côté pour que l'oreille repose sur sa cuisse. D'une main, il agita l'aiguille pour la rendre moins chaude et de l'autre, confirma l'emplacement de la future boucle. Enfin vint le moment. ses bras enserraient la tête pour éviter qu'elle ne bouge trop et s'ouvre l'oreille.

« Allez Yli’, on y est. J'y vais dans 3, 2... »

Et planta l'aiguille avant même de dire 1. Une vieille technique de sa mère, pour l'empêcher de stresser à attendre la fin du décompte. Il sentit Yliria tressaillir, mais ne bougea presque pas. La pénétration était un succès, en confirmant la pointe qui avait traversé de part en part le pavillon ; il donna quelques coups de maillet supplémentaires pour agrandir le trou, le rendant un peu plus large que la pointe de la boucle. Car en se refermant, la blessure allait tenter de reboucher tout le trou. Et s'il ne laissait pas un minimum d'espace, la peau allait se refaire autour de la boucle et la souder à la peau. Une très mauvaise idée, évidemment.

(Comme quoi, les cours anatomiques de Theli ont quelques utilités hors tatouage.)

L’aiguille retirée, il rinça à l'eau claire le petit trou nouvellement formé : l'oreille n'était pas très irriguée en sang, aussi le saignement s'arrêta rapidement. Il y inséra la boucle d'oreille, s'assura une dernière fois que tout était en ordre, puis libéra la semi-shaakte de son étreinte.

« Voilà. J'espère que je ne t'ai pas trop fait mal.

- Honnêtement, si, mais mes oreilles sont extrêmement sensibles, donc ce n'est pas ta faute. Merci Akihito, je pense que si je l'avais fait toute seule comme je l'envisageai, ça aurait été une catastrophe.

- Un poil imprudent, en effet.

- Ce.. Ce n'est pas bizarre comme ornement ? »

Il observa la boucle d’oreille sur la jeune fille. Une perle rouge sang, sans doute un rubis, sur une monture d’or finement ouvragée. Un cadeau du Père No-Hell, lui avait-elle dit. S’il devait être parfaitement honnête, ce n’était pas le meilleur choix de couleur avec l’apparence de la jeune fille, même si le renvoi à son armure rougeoyante était du plus bel effet. L’argent et un saphir, cela aurait été plus en accord avec ses yeux et sa chevelure.

« C’est très beau. M’est avis que le bleu d’un saphir aurait eu plus d’impact avec tes yeux, mais on ne refuse pas un cadeau du père No Hell comme ça, » conclut-il dans un sourire. Et à voir le sourire s’élargissant de la jeune fille, il vit que son compliment avait fait mouche.

Akihito se releva et s’étira de toute sa longueur. Il lui restait une chose à faire. Il avait obtenu l’accord du Dragon d’Ynorie et était impatient de voir les résultats de cette nouvelle expérience.

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Akihito
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Akihito » ven. 15 janv. 2021 01:08

Dans le chapitre précédent...

Troisième Arc : Encre de feu, Ancre de sang.

Chapitre XXVI : Le tatoueur arcanique.

L’idée lui était venue un soir, alors qu’il parlait de tatouages à voix basses avec Anthelia, sur la Slive. Le jeune homme regrettait alors la disparition des tatouages magiques et de ce qu’ils apportaient, et cherchait à savoir si les encres perdues n’étaient pas substituables. Malheureusement, ce n’était pas le cas. Non seulement les matières premières, déjà extrêmement rares, étaient pour la plupart épuisées, mais les méthodes de fabrications s’étaient éteintes avec le dernier artisan de la Cité Blanche. Alors même si Akihito mettait la main sur des composants, des ressources pouvant servir à l’élaboration d’une encre, personne ne serait en mesure de les faire. Il proposa de s’en charger lui-même, et rencontra un autre problème qui était lui insurmontable : il fallait posséder des fluides d’eau pour leur création, et avec ses fluides de foudre déjà présents, ingérer ces fluides reviendrait à un suicide pur et simple. Les deux forces magiques contraires s’affronteraient dans son corps et le transformerait en une bouillie sanguinolente en une poignée de seconde… S’il n’explosait tout simplement pas avant.

Au cœur de l’obscurité, il voyait briller dans le noir une faible lueur sur la maille de sa cotte, celle du sceau qu’il utilisait pour maintenir ses Transferts Magiques. Naturellement, il avait déjà essayé d’enchâsser un sort dans son propre corps à l’aide dudit sort, sans grand résultat. Un organisme vivant était une machine complexe qu’il était difficile d’altérer. Et stocker la puissance magique dans un corps, sans fluide pour le contenir… C’était…

La réflexion l’avait fait totalement se réveiller du sommeil douillet dans lequel il s’enfonçait jusque-là.

(Et si… Et si, les fluides étaient ce support ? Cette réserve ?)

Cela faisait partie des mystères que Akihito n’arrivait pas à s’expliquer. Comment les fluides parvenaient à se reconstituer, quand bien même ils se transformaient en puissants sorts sous diverses formes ? La magie, le mana, avait cette curieuse faculté auto régénérante. Et on pouvait les modeler pour créer des sorts. Et que se passerait-il si on enchâssait un Transfert Magique dans une fiole de fluide ? Ce dernier allait-il s’auto-alimenter, devenant une sorte de sort lançable indéfiniment, tant que le fluide se rechargeait ? Une image saugrenue : il pouvait poser une marque et son Transfert sur la fiole, pourquoi pas, mais pas sur le fluide.
Au fil de ses réflexions, une idée folle bourgeonna. Et à mesure qu’il la pensait, la retournait dans tous les sens pour en estimer les zones d’ombres, les points inconnus, le tatoueur en arriva à la conclusion que pour en avoir le cœur net, il devait le tester. Un test et une expérience aux résultats inconnus, et il devait le tester sur une personne. Il s’exclut ainsi qu’Anthelia, lui car il se devait d’être pleinement concentré pour un premier essai, et Anthelia à cause de la présence de fluides aqueux dans son corps. Le contact avec ses fluides de foudre était trop dangereux. Il fallait donc un cobaye volontaire ne possédant pas de fluides d’eau…

Akihito revint au présent, chassant de son esprit ces souvenirs. Le cobaye, il l’avait trouvé, en la personne du Dragon d’Or, qui émergea au même moment des cabines, simplement vêtu d’une chemise et de braies.

Deux jours auparavant, juste après leur départ, le navire avait été attaqué par un Drakarn. Après coup, le capitaine du navire supposa que la forte activité de Perhaillon, un des Treize qui dirigeait le futur blocus d’Oranan, avait sans aucun doute chassé le léviathan de son territoire. Il s’en était donc pris au bateau marchand… Au MAUVAIS bateau marchand. Akihito avait sonné l’alerte en reconnaissant son rugissement caractéristique, et il avait avec Yliria et le Dragon d’Or affronté la bête. Un combat à sens unique, où les trois combattants, renforcés par les sorts dopants de Ssussun, massacrèrent le léviathan. Un torrent de foudre s’abattit sur le Drakarn, Akihito étant soutenu par la nouvelle incrustation runique placée ironiquement dans des écailles du même monstre. Ses compagnons n’étaient pas en reste, déchaînant à leur tour des sorts de lumière, fluide que les deux semi-shaakts partageaient. Le sergent semblait même en être un redoutable utilisateur, utilisant son étrange arme à deux mains comme canaliseur magique. Et, à l’instar du marteau du forgeron, l’arme du Dragon d’Or n’était pas inoffensive au corps-à-corps. Le léviathan l’apprit à ses dépens lorsqu’il tenta de grimper sur le navire, voyant qu’il se faisait copieusement arroser de sorts. Ou peut-être essayait-il de retourner le navire ? Toujours est-il qu’il fut accueilli par les deux mages blancs baignés de la lumière de Ssussun. Les coups tombèrent, brisant les écailles et perforant le cuir avec une terrible aisance. Le Drakarn tenta alors de s’extirper, mais n’eut pas la chance d’aller très loin : plusieurs obus d’Akihito et d’Yliria achevèrent la bête moribonde.

Un combat rondement mené, qui rapprocha les deux envoyés Ynoriens. L’enchanteur avait dissipé une partie des doutes qu’avait le milicien a son encontre et s’il ne lui accordait pas encore toute sa confiance, ils discutèrent de manière plus amicale. Au fil de leurs conversations, Akihito finit par lui proposer un marché.

« Ser Kiyoheïki, j’aurais un service à vous demander. Anthelia vous a déjà tatoué un tatouage magique. Et comme je vous l’ai raconté, je suis à mon tour un tatoueur… Et j’aimerais tenter quelque chose. Connaissez-vous le sort de Transfert Magique ? demanda l’enchanteur, avec pour réponse un secouement de tête. Pour faire simple, cela revient à stocker un sort dans un objet, pour l’utiliser plus tard. Efficace, mais sa seule faiblesse est son caractère unique : une fois utilisé, il disparaît. Et j’en suis venu à échafauder une théorie… Et si on enchâssait ce sortnon pas dans un objet, mais dans un tatouage ? Pour éviter tout problème avec les fluides déjà présent, l’idée serait d’utiliser non pas de l’encre, mais un fluide pur. Ainsi, tout comme les fluides que nous possédons, le fluide du tatouage se régénérerait de lui-même, vous donnant accès à un sort à l’utilisation infinie… »

Si c’était séduisant sur le papier, il se devait également de lui présenter les risques, ainsi que sa demande.

« Le seul problème, c’est que c’est une théorie. SI je suis plutôt confiant dans l’opération, je n’ai jamais pu l’expérimenter sur un corps vivant, et je n’en connais pas les risques… Alors voilà ma requête : me laisseriez-vous vous faire le premier tatouage porteur de sort ?

- Une théorie n'a pas pour vocation de le rester. Mettez-la à l'épreuve. Je vous y aiderai. »

Telle avait été la réponse du milicien. Et maintenant, il était temps de passer aux choses sérieuses, et de vérifier si au-delà de la théorie, il y aurait un second souffle pour les tatouages magiques.

« Encore merci de bien vouloir m’aider. »

Son interlocuteur fit un hochement de tête, lui assurant qu’il n’avait pas à s’en faire. Anthelia arriva peu après, et comme pour le tatouage de Narem, il était important de savoir si les conditions météorologiques et la mer allaient rester bonnes ; il lui demanda donc d’aller chercher ces informations auprès de capitaine.

« Elle aurait été ravie de prendre votre place, expliqua Akihito en la regardant partir. Mais c’est une aquamancienne, alors introduire des fluides de foudre, même seulement sous la forme d’un tatouage, c’est un risque que je ne veux pas prendre. »

Le semi-shaakt lui demanda pourquoi ne pas avoir testé avec un autre fluide, dans ce cas-là.

« Toujours dans la théorie, c’est possible de tatouer avec d’autres fluides que le sien. Mais pour un premier essai, je préfère tout de même limiter le plus possible la zone d’incertitude. »

Visiblement convaincu par l’argument, les deux Ynoriens regardèrent la jeune femme revenir en hochant la tête. Si près des côtes, ils étaient relativement à l’abri de tout changement de météo brutal. Akihito mena ses deux camarades sur le pont avant, où Yliria se trouvait toujours et qui voudrait sans aucun doute assister au tatouage. Dépliant sa couverture de voyage, il invita Kiyoheïki à retirer sa chemise et s’allonger sur le dos. Ce qu’il fit, dévoilant une superbe arabesque de lierre couvrant tout son dos. Les feuilles et les tiges s’entrecroisaient, formant un réseau complexe et élaboré. Akihito siffla d’admiration.

« Eh bah Theli, c’est une belle pièce.

- Tu te sens capable de passer derrière moi ?

- Évidemment. J’ai été formé par les meilleurs, après tout. »

Sa réplique la fit sourire, tandis qu’il demandait à son « client » de lui indiquer ce qui lui ferait plaisir. Il avait déclaré vouloir une extension de son tatouage existant, mais peut-être avait-il des demandes particulières ? Lui déclara que non et que le tatoueur avait toute latitude à exprimer son art. Akihito regarda donc le dessin, essayant de voir ce qu’il pouvait faire.

Rapidement, une idée lui vint. Qu’aimait le milicien ? D’après ce qu’il voyait et des quelques discussions qu’ils avaient eu, deux choses en particuliers ressortaient : l’Ynorie et Talia, sa femme. Une personne merveilleuse selon ses dires, dotée de toutes les qualités du monde mais surtout de celle qu’il estimait par-dessus tout, l’honneur. Et cette femme n’était pas comme les autres : c’était une Pâle, une race venue d’un autre monde appelé Aliaénon, qui avait la particularité d’avoir des plumes disposées à diverses parties du corps. D’aucuns les auraient appelés des harpies, mais pas Kiyoheïki : lui avait vu la beauté sous ce plumage atypique. Ce dévouement et cet amour sans borne étaient trop forts pour que Akihito ne soit pas tenté d’y rendre un hommage.

(Je te préviens, Akihito Yoichi : les tatouages avec du texte, c’est d’un ridicule monstrueux. Je nierai t’avoir connu si c’est ce que tu fais.)

(Eh, je me respecte un peu. Maintenant, laisse moi travailler.)

Le lierre, malgré ses nombreuses feuilles, avait une structure centrale : une longue tige qui se scindait en deux au milieu du dos, partant en deux branches s’arrêtant aux omoplates. La première branche contiendrait le symbole de son premier amour, l’Ynorie. La seconde serait, elle, dédiée à Talia.
Désormais décidé, il s’agenouilla à côté du corps de Kiyoheïki. Un corps petit, presque enfantin, mais seulement par la taille : les muscles dessinés et tracés sous sa peau sombre témoignaient du fruit d’un entraînement rigoureux sur un corps adulte. Ses doigts commencèrent à masser les différentes parties sur lesquelles il comptait travailler, à la recherche du moindre nœud ou de la moindre tension. S'il en trouva quelques-unes, le dos du milicien était dans sa grande majorité parfaitement détendu. Ce qui impressionna Akihito : s’il avait été dans sa situation, la simple idée de servir de cobaye l’aurait stressé bien plus que ça. Décidé à faire honneur à la confiance qu’on plaçait en lui, le tatoueur descella une des fioles de foudre, répandant une odeur qu’il n’avait plus senti depuis Mertar, où il avait comblé ses réserves fluidiques. Il trempa son aiguille dedans, injecta un mince filet de ses propres fluides dans l’aiguille et se saisit de son maillet.

(… C’est le moment de vérité. On y va.)

Le tatoueur s’immergea dans son travail. Une tâche bien plus éprouvante que tous les autres tatouages : non seulement parce qu’il faisait quelque chose encore jamais vu sur Yuimen, mais aussi parce qu’il devait contrôler le flot de ses propres fluides qui engravait, morceau après morceau, le circuit dans lequel devait se loger le sort. Il commença d’abord par l’omoplate gauche, l’Ynorie. L’un des symboles de l’Ynorie, une fleur qui ne poussait presque exclusivement que dans son pays, était le lotus. Symbolisant la sagesse et l’honneur, deux vertus chères au peuple Ynoriens, il ne pouvait trouver meilleure représentation de sa nation se mélangeant à un décor végétal. Loin de la forme stylisée et simplifiée de la Kizoku Hana, Akihito s’appliqua à détailler avec minutie les pétales composant la fleur. Trempant à intervalles réguliers son aiguille dans la fiole de foudre, il pouvait voir, au fur et à mesure de la complétion de son tatouage, les lignes qu’il pointait lentement se mettre à luire. Pulsant d’une magie brute, attendant de recevoir le sort qu’elle allait garder jusqu’au bout.

De temps à autre, Akihito demandait au milicien comment il se sentait, s’il sentait un corps étranger en la présence des fluides de foudre sous sa peau. Il répondit invariablement que hormis les picotements laissés par son aiguille chargée de feu céleste, il ne ressentait rien de désagréable. Un début encourageant, mais rien n’était joué.

De la fleur de lotus, le tatoueur repassa sur les vignes du lierre principale tout en poursuivant le tracé de cette dernière. Telle la sève qui s’écoulait à travers un végétal, le fluide de foudre se propageait dans tout le réseau d’encre laissé par Anthelia, guidé par les points d’Akihito. Aucune feuille ne fut épargnée, mais le travail était là bien plus simple car l’essentiel du travail était fait. Arrivé au croisement des deux branches, il prit une pause pour reposer ses doigts endoloris et prendre une gorgée d’eau. Le travail était éreintant sur chantier de cette ampleur, mais il ne pouvait pas trop se reposer pour autant : qui savait ce qui se passerait si il laissait son tatouage de fluide incomplet trop longtemps.

La seconde branche, menant à l’omoplate droite, vit apparaître tout le long de la vigne de petites plumes, se fondant et se confondant avec les feuilles. Un rappel évident à la nature atypique de sa femme. Elles aussi se mirent à luire sous les doigts et le tracé habile d’Akihito, arrivant enfin au bout de la branche. Comment symboliser le plus simplement ce que représentait une femme, pour un homme aussi dévoué que le milicien ? Son foyer. Sa maison, l’endroit où il se sentait le mieux. Et pour une femme aux caractéristiques aviaires évident, un foyer ne pouvait prendre qu’une seule forme. Les extrémités de la vigne se virent prolongées, s’enroulant les unes autour des autres pour former ce qui se révéla être un nid. Un nid de lierre, au centre duquel reposait une unique plume, que Akihito détailla avec plus d’attention et de soin que les autres. Au centre de cette dernière, un T prit vie, achevant de lier Kiyoheïki à sa femme Talia.

L’enchanteur était incapable de savoir depuis combien de temps il tatouait, il savait juste qu’il avait faim. Et soif. Mais son travail n’était pas fini : les deux branches formaient un V luminescent, et il ne restait que le pied de la vigne, étirant le V en un Y. Un Y comme Ynorie, selon la langue commune. Il finit donc de transmettre le circuit de foudre, arrivant peu à peu aux limites du fluide contenu dans la bouteille. Lorsqu’enfin il arriva à son extrémité, une ultime question se posa : comment terminer cette dernière ?

(Comme terminerait tout Dragon digne de ce nom ?) Suggéra Amy.

(… Tu es géniale. Allez, un dernier effort.)

Une queue. Le pied de vigne se muerait en une queue serpentine. Il avait beau ne jamais avoir vu le semi-shaakt sous sa forme draconnique, il ne s’était pas prié de lui demander à quoi il pouvait bien ressembler. Et ce dernier lui avait décrit comme une forme serpentine, surmontée d’une crinière dorée se terminant en pointe. Ce qu’il s’efforça de reproduire du mieux qu’il pouvait, suivant ces maigres informations. Le résultat qu’il obtint, s’il n’était peut-être pas très fidèle à la réalité, restait tout de même très satisfaisant.

Le circuit était désormais complet : un Y, orné à chacune de ses extrémités d’une queue de serpent draconnique, d’une fleur de lotus et d’un nid. Ne restait plus qu’à y insérer la dernière pièce : le sort.

(Ca passe, ou ça casse.)

D’un commun accord, les deux Ynoriens avaient porté leur choix sur le sort d’Électrocution. Non seulement il était non-létal donc moins risqué si le tatouage échouait, mais la perspective d’avoir un sort de neutralisation séduisait le milicien plus que tout le reste de son arsenal magique. Lâchant ses ustensiles, il posa une main tremblante de fatigue sur le dos de son allié. Il se concentra une ultime fois, ressentant les fluides contenu dans son tatouage. Une coquille vide de fluide… Qu’il insuffla de son sort. La foudre de son sort se déversa dans la « sève » du lierre, remplissant chaque canal à une vitesse prodigieuse. Une curieuse coïncidence, quand on savait que le sort d’Akihito prenait précisément la forme d’une vigne paralysant les membres de ses adversaires.

L’enchanteur se laisse finalement tomber en arrière, épuisé. Les trois spectateurs regardaient le dos du milicien, dans un silence seulement troublé par la respiration haletante d’Akihito. Ils l’observèrent se relever, s’étirer de cette position inconfortable maintenue bien trop longtemps. Et se tourner vers eux. Il avait l’air d’aller bien. Restait l’ultime test.

« Allez-y, Ser Kiyoheïki. Testez-le sort sur moi.

- Akihito ?! Mais t’es malade ! protesta vivement la tatoueuse.

- Il a pris le risque de me faire confiance sur une expérience aux chances de succès inconnues. C'est évident de prendre moi aussi ma part de risque. »

Un avis que sembla partager le Dragon d’Ynorie.

« Faites tout de même un pas en arrière, par sécurité. »

Akihito se releva avec un peu de peine et se tint droit face à Kiyoheïki, plongeant son regard bicolore dans ses prunelles d’améthystes. Il les ferma, cherchant sans aucun doute un moyen d’accéder à ce sort tout nouveau pour lui. Mais il finit visiblement par le trouver en ouvrant les yeux quand l’enchanteur sentit une foudre étrangement familière s’enrouler autour de ses muscles, un à un. Il savait comment le sort fonctionnait, mais ne put s’empêcher d’avoir un pas de recul. La douleur qui s’ensuivit le fit lâcher un grognement de douleur entre ses dents serrées. Mais il tint bon et au bout de longues secondes, finit par être libéré de son propre sort. Il se laissa tomber sur le plancher. Fatigué, mais la satisfaction qu’il en tirait valait bien ce désagrément.

« J’ai réussi… »

Il venait de réussir quelque chose de sans précédent. Laissant enfin l’épuisement le gagner, il se laissa aller entre les bras de la tatoueuse qui s’était mise juste derrière lui. Et avant de sombrer dans un sommeil réparateur…

« Bravo à toi Akihito Yoichi, le Tatoueur Arcanique. »



HRP :
  • Consommation d'une fiole de foudre 1/16
  • Ajout à la fiche de Kiyoheïki :
    Tatouages arcaniques

    • Vigne de l'Ynorien protecteur
      Description : Tatouage dorsal représentant une vigne en forme de Y : le pied de la vigne au niveau du coccyx a la forme d'une queue de dragon, chaque branche du Y se termine sur une omoplate avec respectivement le lotus ynorien et le nid symbolisant la femme de Kiyoheïki, Talia. Les fluides de foudre parcourent le tatouage d'une faible lueur pourpre, telle une sève végétale.
      Contient le sort : Électrocution, Rang 3
      Post du tatouage.

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Kiyoheiki
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Kiyoheiki » ven. 15 janv. 2021 11:46

~Auparavant~

~7~

J'ai rarement porté si peu de vêtements en public, mais il faut croire que le temps a amoindri ma pudeur. Je me dirige vers le milieu du pont où se trouvent ser Cherock et Dame Anthelia, jetant un bref regard au bastingage portant encore les marques du prédateur. Un drakarn. Deux jours plus tôt, il a fallu que notre chemin croise celui d'une telle créature. J'en frissonne encore. La bête a certainement due être dérangée par l'approche des différentes flottes et a déchainé sa colère sur nous. Le capitaine du navire était du même avis. À toute chose malheur est bon. Cela m'a permis de voir mes compagnons de voyage à l’œuvre.

Le Porteur de la Kizoku-Rana a sonné l'alerte le premier, semblant connaître la méthode d'approche de ce type d'animal gigantesque. Il a frappé durement la créature de ses fluides de foudre, ne laissant passer quasiment aucune opportunité de lui porter un coup dès qu'elle pointait le bout de son museau. Dame Yliria a fait usage d'une magie que je n'avais jamais vu, en invoquant un poisson fait de lumière et qui nageait autour de l'équipage et de nous. Sa magie a su appuyer nos sorts et nos frappes, quand bien même nombreux sont les présents à avoir eu des sueurs froides en la voyant canaliser de la magie de feu. Le drakarn, assailli par la magie, s'était laissé aller à une rage suffisante pour bondir hors de l'eau et écraser le montant de bois. Pour monter à bord ou renverser le bâtiment, je ne saurais le dire. Sa gueule énorme avait manqué de se refermer sur le bras d'un matelot. Renforcé par la magie de soutien, mon bras n'a pas hésité un instant à faire s'abattre mon arme sur ses écailles. Même l'armure naturelle n'a pas su tenir longuement sous les assauts. La puissance des fluides de mes compagnons d'infortune a été amplement suffisante pour achever la bête marine. J'ai adressé une prière à Moura, lui demandant pardon d'avoir du prendre la vie de l'un de ses enfants.

Je tourne mon regard vers les jeunes gens et les rejoins. Aucune hésitation tandis que je me remémore la demande du ser Cherock après notre victoire et une fois les soins effectués. Il m'a parlé d'un sort appelé transfert magique, pratique mais limité par son usage unique, avant d'évoquer sa théorie. Utiliser non pas un objet mais un tatouage en tant que support ainsi que des fluides purs en guise d'encre pourrait permettre une utilisation illimitée du sort préparé. Une théorie qu'il n'a pas pu expérimenter sur un sujet et n'a donc pas pu en identifier les risques. À ma grande surprise, il m'a demandé s'il pouvait effectuer sur moi son premier essai. C'était une réflexion logique. Par Dame Anthelia, il savait que j'avais déjà reçu un tatouage à l'encre particulière et que mon corps l'avait accepté sans difficulté. Il ajoute cette fois-ci qu'étant aquamancienne, la pose présentait trop de risques pour elle, et l'ynorien se sentait plus confiant en l'usage de fluide de foudre que d'un autre.

D'un côté, prendre de tels risques avant de connaître le contenu de la mission était imprudent. Je pouvais très bien être victime d'effets secondaires à cause de cette manipulation. D'un autre côté, s'il avait voulu me nuire, il avait eu bien des occasions de le faire. Et puis, si je refusais, cela signifiait qu'une autre vie pas forcément aussi bien préparée devrait prendre ce risque. Mon honneur d'ynorien ne pouvait ignorer ce détail crucial. Je lui ai donné une réponse simple, évitant de lui demander pourquoi il n'avait pas testé sa théorie plus tôt car devinant la réponse.

(Une théorie n'a pas pour vocation de le rester. Mettez-la à l'épreuve. Je vous y aiderai.)

Après s'être assuré que le temps ne risquait pas de changer et de mettre à mal l'environnement, je les suis à l'avant du navire où Dame Yliria se trouve déjà. Je la salue du chef puis suis les instructions du tatoueur en ôtant ma chemise et m'étendant à plat ventre sur une couverture de voyage. Je ferme les yeux, les entendant admirer le travail précédent fait sur mon dos. Le lierre grimpant le long de ma colonne et s'étendant en deux branches vers les omoplates. Cela fait longtemps que je le porte, et il me vient naturellement l'idée que le végétal a du pousser depuis. C'est la seule indication que je donne au ser Cherock, lui laissant le champ libre pour s'exprimer. Après tout, c'est non seulement son premier essai, mais une reprise d'un travail d'une personne estimée. Il a deux fois plus d'importance à ses yeux.

Je garde les miens clos, détendu. Dire que je n'ai aucune appréhension serait faux, mais je me doute que le jeune humain exige déjà beaucoup de lui-même. Pas la peine de lui compliquer la tâche en demeurant tendu comme une corde d'arc et prêt à bondir au moindre contact. J'inspire lentement puis perçois le premier coup d'aiguille sous ma peau. Je ne peux que comparer les deux artistes, l'une parlant d'une voix douce pour me distraire de la douleur que je supportais peut-être un peu moins bien, l'autre silencieux et concentré. Je le sens progresser contre mon omoplate gauche, repasser sur les motifs pré-existants et m'amuse à imaginer à quoi ressemblera le dessin final. Ma peau proteste un peu contre le traitement, m'indiquant par des picotements qu'il s'est produit quelque chose. Aucune gêne ou douleur cependant.

Je pourrais presque méditer tandis qu'il œuvre, mais je me contente de patienter et d'écouter ce qui se passe autour de nous. Le temps s'écoule et toujours l'aiguille perce ma peau. Je commence à me faire du souci pour l'artiste, qui semble vouloir achever son travail sans prendre de long temps de pause. Bientôt, sa paume tremblante se pose contre mon dos. Un léger crépitement et une pulsation sont tout ce que je ressens avant que l'ynorien se laisse tomber en arrière, essoufflé. Je pivote légèrement la tête, m'assurant que c'est là la dernière étape de son travail, puis, doucement, je passe en posture agenouillée avant de me redresser et d'effectuer quelques étirements. Je me tourne vers eux et entends le tatoueur demander à être la victime du sort. Il est éreinté et a déjà beaucoup fait, mais il met un point d'honneur à vouloir partager les risques.

J'acquiesce avant d'aviser les dames présentes.

"Faites tout de même un pas en arrière, par sécurité."

Je ferme les yeux, aiguillant mon esprit vers cette pulsation dans mon dos. Il me faut un moment pour forcer mon instinct habitué à faire appel à ma propre magie à ne pas se manifester. Voilà une différence notable. Je dois consciemment aller chercher cette force nichée sous ma peau, un peu comme l'on dégainerait une arme alors que l'on est habitué à se battre aux poings. Quand je rouvre les yeux, je manifeste cette magie et fronce légèrement les sourcils de voir le visage du tatoueur se tordre de douleur. Quelque part, je suis heureux d'avoir choisi le sort d'électrocution. Cela reste dangereux, mais il s'en remettra si j'en juge à la satisfaction qu'il dégage avant de s'effondrer dans les bras de la tatoueuse.

Pendant les quelques heures où il prend un repos bien mérité, je laisse dame Anthelia veiller sur le travail et panser ma peau. Lorsque le ser Cherock est de nouveau sur pied, il me décrit le dessin en effleurant les emplacements. Une fleur de lotus grandement détaillée sur l'omoplate gauche, symbole de sagesse et d'honneur. Et s'il l'avait oublié, plante commençant dans la boue pour s'élever en quelque chose d'admirable. Sur la seconde branche menant à l'omoplate opposée, il a dessiné des plumes, le tout menant à un nid. Dans celui-ci une unique plume dont le centre était occupé par l'initiale en langue commune de ma Talia. Si ma peau pouvait trahir mes émotions, j'aurais été pivoine. Le bref moment d'embarras passé, une chaleur apaisante étreint mon cœur. Mon épouse est ancrée en moi au sens littéral cette fois. Mais la description ne s'arrête pas là. La vigne s'achève en une queue serpentine, rappelant qui je suis. L'ensemble du tatouage forme un Y, évoquant le nom de ma Patrie. Une symbolique incroyablement détaillée et dont je suis reconnaissant, touché même. Le jeune ynorien est visiblement attentif à ce qu'on lui conte.

D'un commun accord, nous estimons devoir échanger régulièrement afin de savoir si le travail effectué correspond bien à la théorie. D'ici quelques jours, nous atteindrons notre destination. C'est un temps amplement suffisant pour consigner bon nombre d'informations. Je me tourne vers l'horizon, un brin de confiance supplémentaire tissé entre Cherock O'Fall et moi. Puisse-t-elle perdurer.

~Suite~

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Yliria
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Yliria » ven. 15 janv. 2021 16:23

<< Précédemment

Ce fut avec un salut tout à fait martial que le sergent, qui se présenta comme D'Esh Elvohk Kiyoheiki et milicien d'Oranan, nous répondit à Cherock et moi. Je me permis de l'observer un peu plus maintenant qu'il s'était présenté. Ses cheveux sombres encadraient un visage aux angles plus gracieux qu'un humain. Son regard était d'un mauve brillant, apanage des shaakts, tout comme sa peau, cependant moins sombre que la mienne, et ses oreilles à mi-chemin entre celles d'un elfe et d'un humain. Une fois la surprise de voir un semi-shaakt à une telle position dans une ville qui n'était vraisemblablement pas encline à les accepter de prime abord passée, je l'écoutai. Il parlait d'une voix claire et plus posée que celles plus sèches des militaires que j'avais croisé çà et là. Il se montra prudent malgré les paroles rassurantes de Cherock et préférait attester en personne de ce dont j'étais capable, même s'il me laisser visiblement une chance. Je ne pus m'empêcher de hocher la tête.

- C'est bien plus que ce que l'on m'offre habituellement. Merci.

Le bénéfice du doute était suffisant, je n'allais pas demander plus à un parfait inconnu dont le travail était probablement d'être méfiant au-delà du raisonnable. Le fait de simplement être capable de monter à bord du navire était déjà une bonne chose en soit, je n'allais pas forcer la chance en demandant trop. Après les salutations d'usage, chacun vaqua à ses occupations et je me mis là où je gênais le moins possible les manœuvres de l'équipage. Je baillai à m'en décrocher la mâchoire, mais ne comptai pas m'enfermer pour aller dormir. Vu l'expérience de la dernière fois, je préférai éviter les milieux confinés comme une cale ou un dortoir et me calai près de la proue tandis que le bateau quittait le port dans un silence étonnant, à peine gêné par le clapotis de l'eau ou le souffle du vent chargé d'iode.

Une fois à bonne distance du port les manœuvre de l'équipage nécessitaient peu de monde et chacun alla se préparer à dormir. J'hésitai un moment avant de lever le nez vers le ciel, la lune, les étoiles et la quiétude de la place qui semblait m'appeler. Sous les grognements désapprobateurs d'Alyah, je grimpai jusqu'à la vigie inoccupée et m'y installai avec un soupir d'aise en fixant la lune qui dardait faiblement ses rayons blanchâtres sur la mer, créant un scintillement presque irréel. Je déposai mon sac à côté et en sorti la corde que j'y rangeai. Je l'enroulai autour du mât, sécurisai mes affaires et moi-même pour faire plaisir à Alyah qui continua de rouspéter pour la forme, mais je savais que j'avais gagné.

(Curieuse rencontre en tout cas...)

( Qui ? Le sergent ? Il m'a l'air... droit, et j'apprécie qu'il me laisse ma chance)

(Oh... je parlais de sa faera, en fait, même si tu as raison.)

(Lui aussi a une faera ? Vous êtes combien en fait?)

(Aucune idée. Peut-être des milliers, je n'en sais rien. Je n'en ai croisé que très peu, au final. Celle-ci semblait très discrète en tout cas, je ne l'ai pas abordée en le comprenant.)

(Étonnamment attentionné de ta part.)

(Dis que je suis impolie aussi!)

(C'est exactement ce que je dis!)

Je me chamaillai joyeusement avec elle jusqu'à ce qu'un nouveau bâillement me fasse presque me craquer la mâchoire et qu'elle ne m'ordonne de fermer les yeux. Je ne tardai pas à obtempérer et je ne me réveillai qu'aux premiers rayons du soleil, un peu surprise de ne pas m'être sentie tomber dans le sommeil. Je me redressai un peu contre le mât et mon regard se posa sur un étrange colis emballé de rouge qui n'était pas là hier soir. Méfiante, je l'observai un moment, mais ne décelai aucune magie et Alyah ne m'aida pas plus que cela, ma faera ayant apparemment été faire un tour au mauvais moment puisqu'elle n'avait pas vu qui avait posé le colis ici. Cédant finalement à la curiosité, je pris la boite et l'ouvris pour y découvrir deux objet. L'un d'eux était un coupon qui semblait fait d'or tout en étant aussi flexible qu'un parchemin, ce qui était curieux et l'autre était un bijou. Le bijou en question était une boucle d'oreille faite d'un rubis encerclé de ce qui semblait être de l'or, là aussi. Outre la beauté et la qualité de l'objet, je pouvais sentir un étrange pouvoir en émaner. Je me focalisai dessus et fermai les yeux, laissant la magie m'envahir avant d'ouvrir et d'écarquiller les yeux.

(Alyah... Ce... Ça peut me renvoyer directement là où je me sens chez moi...)

(C'est un sacré présent!)

(Qui... Qui a mis ça là?)

(Regarde s'il n'y a pas une note à l'intérieur.)

Je suivis son conseil et trouvai effectivement un petit parchemin de quelques lignes que je parcourus rapidement. C'était un présent du Père No-Hell, gageant que je saurai retrouver le chemin de ce qui m'était cher grâce au pouvoir de la boucle. Touchée par son geste, je le remerciai silencieusement, observant le bijou avec un mélange d'adoration et de gratitude. Le coupon, lui, me permettrait de le remercier tout en me faisant voyager sur son fameux traîneau. Je le rangeai précautionneusement dans mon étui à carte pour qu'il soit à l'abri et gardai la boucle d’oreille sur moi. L'idée de me percer l'oreille n'était guère attrayante en soit, mais le don offert était si incroyable que je ne pouvais décemment pas refuser un tel présent. Restait à trouver comment m'en affubler...

La journée commença donc sur ces hospices, avec un ciel bleu et un soleil dont je ne me lassai pas. Après l’entraînement habituel, je flânai en fixant l'océan, heureuse d'être à nouveau sur la mer malgré la destination qui pouvait me donner des sueurs froides en y pensant. Je passai mon temps à évacuer les pensées concernant ce qui allait advenir et méditai, rarement dérangée par qui que ce fusse. Les marins semblaient avoir plus urgent à faire et je ne pouvais leur en tenir rigueur. Pourtant le voyage commença avec un événement qui n'annonçait rien de bon.

Peu après le début de la journée, une créature marine avait attaqué le vaisseau. Ce fut Cherock qui sonna l'alerte et je pus finalement apercevoir ce qu'était le fameux Drakarn qu'il s'était vanté d'avoir affronté et vaincu pour protéger un autre équipage. Un gros lézard aquatique avec une immense gueule garnies de longs crocs. Sans doute l'aurais-je trouvé terrifiant en d'autres circonstances, mais après avoir affronté une salamandre aquatique et Klakhyss, cette bête marine n'avait rien de si impressionnant. Et avec le sergent et Cherock, elle regretta rapidement d'avoir attaqué ce navire en particulier. Le déluge de foudre qui s'abattit sur elle aurait dû lui mettre la puce à l'oreille, mais elle s’évertua à grimper sur le navire, manquant d'arracher le bras d'un matelot. Le sergent et moi l'attaquèrent aussitôt, renforcés par les sorts lancés par Ssussun dont la puissance commençait à sincèrement m'étonner et m'émerveiller. Bien vite, la créature abandonna, largement dépassée par nos attaques et commença à s'enfuir. Cherock chercha à l’abattre et je l'en aurais empêché s'il n'avait pas hurler qu'il risquait de s'en prendre à un navire de réfugiés si on le laissait fuir ainsi. Je serrai les dents mais fit comme lui et la créature rendit son dernier souffle une fois frappée par nos obus magiques. Tuer pour tuer ; ce n'était vraiment pas quelque chose que j'appréciai. J'aurai préféré la laisser s'enfuir.

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Yliria
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Yliria » ven. 15 janv. 2021 16:51

<< Précédemment

Le voyage continua avec une monotonie presque surréelle lorsqu'on savait ce qui nous attendait et après le combat contre le drakarn. Je continuai de m'entraîner chaque jour dès l'aurore, certaine que ce n'était pas des exercices inutiles. La brise marine allégeait significativement la sensation de chaleur alors que je m’essoufflai après près d'une heure d'exercice. J'inspirai et fis une pause en laissant mon regard et mon esprit dériver sur le grand bleu qui étincelait doucement sous les rayons chaleureux. Une soudaine sensation intense de démangeaison me foudroya les côtes et je sautai en poussant un cri à mi-chemin entre le rire et la surprise outrée. Je me retournai pour croiser le regard d'un Cherock qui riait aux éclats, fier de son effet alors que mon visage me chauffai violemment. Vexée, ma rapière fut dans ma main en un rien de temps et, sans dégainer, je le frappai en représailles. Il para l'attaque et s'ensuivit un autre de nos nombreux échanges.

Nous avions passé près de deux semaines à nous entraîner ensemble et, si au début j'avais largement l'avantage quand la magie n'était pas impliquée, l'ynorien avait commencé à être plus vif et efficace dans ses mouvements et les duels étaient bien plus corsée à présent. Malheureusement pour lui, j'avais toujours un léger avantage et le fait d'être sur un bateau qui tanguait lui conférait un désavantage dont je profitai. Lorsque son équilibre fut légèrement instable, je frappai, et il finit par s'écrouler sur le sol. Je posai mon genou sur son torse et ma rapière sur sa gorge, un sourire narquois sur les lèvres et fière de lui avoir donné une bonne leçon. Quelle idée de surprendre les gens de cette façon ! Il supplia que je le laisse respirer, mon genou le gênant visiblement et je me redressai, non sans lui tendre la main.

- Hmpf, ça t'apprendra à m'attaquer vicieusement par-derrière !

- Vicieusement, tout de suite les grands mots…

Je ne pus m'empêcher de sourire alors qu'il se relevait et pris mon courage à deux mains. J'y avais réfléchis pendant ces quelques jours et je ne voyais pas qui d'autre pouvait m'aider. Alyah déconseillait vraiment que je m'en occupe seule et la confiance que j'avais en Cherock m'avait automatiquement poussée vers lui. Je lui demandai doucement s’il pouvait apporter ses aiguilles et au vu de son expression étonnée, je compris qu'il imaginait que je voulais un tatouage. Pourtant il ne fit aucune remarque et les remonta après quelques minutes. Il me demande évidemment ce que je voulais exactement. Je pris une profonde inspiration. Me décider n'avait pas été facile, mais je ne voyais pas vraiment d'autre option, à vrai dire. Je sortis la boucle d'oreille et la lui présentai.

- Est ce que tu pourrais percer une de mes oreilles avec ton aiguille pour que je puisse la mettre ? S'il te plaît.

Il me fixa avec des yeux ronds, et fit comme s'il avait mal entendu avant de suggérer, non sans raison, qu'Anthelia aurait été plus à même de s'en occuper. Je le fixai une seconde avant de détourner le regard, gênée. La vérité c'est que je n'y avais pas pensé, mais surtout que je me voyais mal demander ça à quelqu'un que je connaissais bien peu, au final, même en l'appréciant beaucoup.

- C'est... Déjà assez gênant comme ça. Je te le demande parce que j'ai pensé à toi en premier et... Et que j'ai confiance en toi.

Il accepta finalement et cela me soulagea. Soulagement de courte durée lorsqu'il me conseilla d'invoquer Ssussun au cas où. Je l'appelais doucement, contente de voir le poisson apparaître de nul part. Voir en revanche Cherock s'installer en tailleur et tapoter sa cuisse pour que je pose ma tête dessus en me demandant quelle oreille percer fut suffisant pour tant me prendre au dépourvu que je le fixai plusieurs secondes avant de piquer un fard.

- Euh de... Je... D...Droite ?

J'étais tellement gênée que ça en devenait ridicule. Je pris sur moi et posai ma tête sur la peau qu'il avait installée avant d'inspirer.

- Je... Mes oreilles c'est un point sensible par contre... C'est un peu... Délicat.

Il assura qu'il ferait attention, mais j'étais toujours nerveuse. Mon souffle se coupa dans ma gorge lorsqu'il se pencha et dévoila mon oreille en écartant mes cheveux. Il la fixa un moment et je me mordis l'intérieur de la joue pour ne pas lui dire d'arrêter de me fixer comme ça. Je maudissais Alyah d'avoir eu cette idée, maudissais le Père No-Hell pour avoir choisi une boucle d'oreille et me maudissais moi pour réagir comme ça. Il marmonna quelque chose à propos d'un lobe que je ne compris qu'à moitié, mais ce fut sentir ses doigts sur mon oreille qui me fit me crisper et je serrai la mâchoire pour ne pas émettre le moindre son. Ce n'était vraiment pas le moment, mais le fait qu'il fasse courir ses doigts pour me montrer là où il pouvait percer me flanquait des frissons que j'avais du mal à contrôler. Je lui avais pourtant dit qu'elles étaient sensibles, par Sithi !

(Probablement qu'il ne pensais pas à ce genre de sensibilité.)

(C'est ta faute ! Toi et tes idées ! J'aurai pu percer avec autre chose !)

(C'est ça, et choper une infection ?Tu n'avais qu'à ne pas lui demander si tu ne voulais pas, ne t'en prends pas à moi.)

Elle me moucha et j'inspirai en écoutant Cherock proposer les endroits où percer. Mon choix fut vite fait.

- Le plus... loin possible de la pointe s'il te plaît.

Il acquiesça à ma demande et le tapotement sur ma tête me fit lever les yeux vers lui alors qu'il tentait de me rassurer. Il alla même jusqu'à demander à Ssussun de m'apaiser. L'élémentaire n'eut aucune réaction et nulle magie ne vint me calmer. Au moins je savais que personne à part moi ne pouvait lui demander quoi que ce soit. Ne voulant pas abuser de la capacité d'éteindre les émotions, je tentai de me calmer par mes propres moyens, comme me l'avait appris le prêtre Vikar et inspirai profondément. Cherock perturba un peu ma concentration en me demandant de lui montrer une flamme. N'en comprenant pas l'intérêt, je me contentai de hocher la tête en tendant mon index sur laquelle je fis danser une flamme comme j'avais l'habitude de faire pour allumer un feu.

- Ça ira ? Tu vas en faire quoi ?

Il m'expliqua que c'était pour désinfecter son aiguille. Il s'empressa d'ajouter que ses aiguilles étaient propres, mais qu'il préférait ne prendre aucun risque, ce dont je lui étais reconnaissant. Il me fit rouler sur le côté pour que mon oreille repose sur sa cuisse. Je sentis la pointe picoter mon oreilles à l'emplacement où il comptait percer et j'inspirai lentement tandis qu'il bloquait ma tête avec son bras.

- Allez Yli, on y est. J'y vais dans 3, 2...

Et il piqua avant même de dire 1. La douleur me fit serrer les poings et me crisper tandis que mes yeux s'embuaient, mais je parvins à ne pas bouger et à ne pas émettre le moindre son. Il donna plusieurs coups avec son maillet et chacun d'eux fut comme s'il piquait à nouveau et je fermai les yeux en bloquant mon souffle, espérant faire passer ce moment aussi vite que possible. Quelle idée de merde j'avais eu, par Meno ! Il finit par retirer l'aiguille et je relâchai enfin mon souffle, soulagée. Il rinça la blessure et le picotement ne fut rien de plus qu'un peu dérangeant. C'était toujours un peu à vif, mais ça allait. Je le sentis plus que je ne le vis insérer la boucle d'oreille et il me libéra finalement. Je me redressai en vitesse et portai ma main à mon oreille, me forçant à m'arrêter à mi-chemin. Ke sentais le poids de la boucle, mais je n'avais pas vraiment mal à présent, c'était plus une légère gène qu'autre chose, qui allait sans doute disparaître une fois la plaie cicatrisée entièrement. Je me tournai vers Cherock qui voulait s'assurer que ça n'avait pas été trop douloureux en balayant mes yeux humides et lui souris.

- Honnêtement, si, mais mes oreilles sont extrêmement sensibles, donc ce n'est pas ta faute. Merci Cherock, je pense que si je l'avais fait toute seule comme je l'envisageai, ça aurait été une catastrophe.

Je portai la main au bijou rouge et or et haussai un sourcil.

- Ce.. Ce n'est pas bizarre comme ornement ?

- C’est très beau. M’est avis que le bleu d’un saphir aurait eu plus d’impact avec tes yeux, mais on ne refuse pas un cadeau du père No-Hell comme ça.

Je ne pus empêcher un sourire béat de s'étendre sur mon visage. Tout en ignorant superbement les remarques d'une Alyah amusée et décidément bien trop fouineuse à mon goût, je remerciai Cherock et le laissai retourner à ses occupations. Ce voyage avait du bon, quelque part.

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Relonor
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Relonor » jeu. 1 juil. 2021 16:22

Chapitre 30 - Une victoire amère ( [:attention:] Scène gore !)
VI.31 Voyage mouvementé



Comme il l’escomptait, Relonor est parvenu à embarquer à bord d’un bateau transportant des vivres. Ce qu’il aurait dû prévoir cependant, c’est l’escorte militaire qui va avec. Une demi-douzaine d’hommes armés aux armoiries du roi sont présents et garde toujours un œil sur la précieuse marchandise, à destination des forces kendranne. Lorsqu’ils ont entendu que Relonor allait participer à la guerre, loin d’être ravis de voir un elfe noir être présent à leurs côtés, ils ont obligé celui-ci à voyager la nuit dans une sorte de cachot fermé à clef, initialement prévu pour les marins trop ivres. Le reste de la journée et sous la surveillance des gardes, l’elfe noir participe aux diverses tâches du navire, souvent les plus ingrates. Son équipement à quant à lui, été confisqué peu de temps après que les militaires aient donné leurs ordres. Pourtant, durant ce temps d’isolement, l’enchanteur ne s’est pas contenté d’attendre. Travaillant sur sa magie aérienne, il s’est rendu compte qu’il était en mesure d’utiliser ses aptitudes de diverses façons. En plus de s’entourer d’une bulle qui réduit les sons de part et d’autres, il a appris à émettre un léger vent froid ou chaud, à modifier légèrement le son de sa voix et à déplacer des objets légers.

Patiemment, l’elfe noir observe la situation changer petit à petit. Sur le bateau, les gardes se prennent pour des rois. Ils se réservent la nourriture de qualité, tandis que l’équipage ainsi que l’elfe noir n’ont pour le moment qu’une sorte de bouillie peu appétissante pour se sustenter. Alors qu’il lave le pont en plein soleil, Relonor laisse une oreille distraite écouter une énième altercation entre un des membres de l’équipage et le capitaine du navire. Le premier se plaignant des conditions inacceptables sur le bateau, tandis que le second plaide pour l’effort de guerre. Les deux hommes se quittent après avoir failli s’étrangler l’un l’autre. Celui que Relonor juge comme étant le représentant de la grogne qui monte, finit par arriver au bord du navire à contempler la mer, non loin du shaakt.

"Insatisfait des conditions de voyage ?" Se moque l’elfe noir qui en plus de la nourriture, subit davantage que les autres, sans avoir la possibilité de broncher.

"La ferme et lave peau noire !"
Réplique-t-il sans ménagement, fixant l’horizon.

"Je parie que tu voyais tes voyages différemment non ?" Continue de titiller le shaakt.

"Je t’ai dit de la fermer ou je te balance par dessus-bord !" Grogner l’humain qui tourne légèrement la tête vers Relonor.

"Ha l’effort de guerre, ce plaisir de savoir qu’on œuvre pour une juste cause, même si on est traité comme la merde qu’on bouffe !" Insiste l’elfe noir.

L’homme s’emporte et vient attraper par le col, l’elfe noir qui se laisse faire, planquant celui-ci contre le mât central du bateau.

"Bon sang, t’as vraiment envie de finir ta traversée à la nage, priant qu’aucun requin ne vienne casser la croute ?" Demande-t-il en serrant les dents.

"Et toi t’as vraiment envie d’être traité de cette manière à chaque fois que l’effort de guerre l’exigera ? Tu crois qu’ils arriveront à vaincre les forces d’Omyre et à prendre la cité noire ? Non, ce n’est qu’une bataille et non le terme !" Déclare à son tour Relonor à voix basse.

"Je t’emmerde sale peau noire ! Toi et les tiens ne méritez que la mort ! Je sais pas ce qui retient le capitaine de t’envoyer par le fond avec un boulet aux pieds !" Répond-il sur le même ton, non sans chercher à enfoncer davantage l’elfe noir dans le mât.

"Tu n’aimes donc ni les shaakts, ni ces militaires qui se prennent pour des rois ! Et si je te proposais un marché pour te débarrasser d’au moins l’un des deux ?" Tente d’amadouer Relonor.

"Qu’est-ce que ta langue de vipère ose prononcer ?" Demande l’homme, un peu curieux malgré sa colère.

"Tous les soirs, on m’enferme ! Les clefs de ma cellule sont mises dans un petit coffre sur le bureau. Si tu fais en sorte qu’elles soient visibles sur le bureau, je m’occuperai du reste." Propose le shaakt.

"Toi, désarmé face à des hommes entraînés ? Tu n’as aucune chance !" Ricane son interlocuteur qui laisse entendre qu’il n’y croit pas, tout en continuant de murmurer pour que la conversation ne soit pas entendue.

"Comme tu l’as dit, je n’ai aucune chance. Tu auras donc le plaisir de voir mon corps agonisant au sol à ton réveil ! Et sinon, plus de bouillie !" Tente à nouveau l’elfe noir. "Tu gagnes sur les deux tableaux !"

"Tes paroles ne sont que poisons. Retourne récurer le sol à t’en râper les genoux jusqu’à l’os !" Déclare l’homme qui le balance sauvagement contre le pont.

Sous les regards des gardes armés, Relonor reprend son dur labeur, espérant que le doux poison qu’il a verbalement insinué dans ses mots, s’infiltre dans l’esprit de l’homme. Il devra attendre encore un peu, quelques nuits, avant que la tension ne s’aggrave et que l’humain avec qui il a échangé se charge de le mettre en cellule, sous la brève surveillance d’un garde. L’homme le lance sans ménagement dans sa chambre minimaliste, laissant distraitement la clef sur le bureau au lieu du petit coffre. La porte se referme en occultant la dernière lueur de lumière dans la pièce et permettant au shaakt d’offrir son plus malveillant sourire à la nuit, qui promet d’être sanglante.

Patiemment, Relonor attend que l’obscurité endorme les sens et les corps de l’équipage présents. Usant de sa capacité à bouger les objets à distances, il fait soulever les clefs avec une précision digne d’un ivrogne après une longue nuit dans tous les bars de la ville. Le trousseau va et vient à gauche et à droite, se rapprochant pourtant de l’enchanteur. Il faut une bonne minute à l’elfe noir pour déplacer les clefs sur les quelques mètres qui les séparent. Le bras allongé au travers des barreaux de sa cellule, il attrape les clefs, serrant fortement ce précieux assemblage métallique dans ses mains.

Ouvrir sa joyeuse chambre est un jeu d’enfant et c’est à pas feutré qu’il avance jusqu’à la porte. Il ouvre celle-ci doucement. Quelques marins sont sur le pont pour réagir en cas d’attaque de pirate ou de soudaine tempête. Un militaire est tout de même présent pour veiller au bon déroulement du voyage de nuit. Analysant ses perspectives, Relonor établit un plan. Il laisse ouverte la porte menant à sa prison, permettant à celle-ci de s’ouvrir et se refermer au gré du tangage. Tapis dans les ombres, il attend au travers d’un interstice dans le bois que quelqu’un vienne, espérant ce quelqu’un sera le garde. Un des marins s’aperçoit de l’ouverture de la porte et alors qu’il s’y dirige, il est arrêté par l’homme armé. Celui-ci arrive jusqu’à la porte arme en main et s’engouffre à l’intérieur. De son côté, Relonor use du tangage pour refermer la porte sans éveiller les soupçons, plongeant lui et le garde dans une obscurité tellement appréciée des elfes noirs. Ayant créé magiquement une dague dans sa main, quelques secondes auparavant, il frappe sournoisement l’homme à la gorge, empêchant celui-ci d’appeler à l’aide pour la poignée de secondes qui lui reste à vivre. Il retient le corps de l’homme de tomber en sol et de répandre trop de sang sur ses vêtements.

Il se charge ensuite de s’équiper de toute la panoplie du garde, avant de cacher autrement les marques sanglantes qu’il n’a pu empêcher. Puis il quitte enfin sa cellule avant de la refermer, libre de sentir la douceur de la nuit sur sa peau, l’air marin nocturne s’engouffrer dans ses poumons et d’aller rendre visite aux gardes qui doivent dormir pour la majorité. Une fois qu’il quitte le pont pour s’engouffrer dans l’espace alloué à l’équipage pour dormir, il mobilise sa magie aérienne pour cette fois-ci, réduire le bruit qu’il génère. Bien entendu, les militaires se sont gardés la pièce la plus spacieuse, séparée des marins dans la soute. Couché dans des hamacs qui bercent les hommes avec le tangage, les soldats kendrans sont particulièrement vulnérables, leurs armes étant soigneusement posées à l’entrée pour ne pas qu’elles s’entrechoquent avec le roulis. Bien qu’il dispose d’un sort permettant de diminuer le son généré, Relonor avance prudemment, même si l’obscurité est son alliée. Il use d’une lame courte qu’il a précédemment dérobée sur le garde dépouillé. Méticuleusement, il prépare ses prochains coups pour n’en louper aucun. Il place le bout de la lame sous la gorge, l’autre main au-dessus de la tête et rejoint d’un coup sec ses deux mains. La lame s’enfonce facilement dans la chair, ne laissant pas l’opportunité au malheureux de comprendre ce qui lui arrive. Avec la même efficacité, il frappe mortellement ceux qui dorment dans les hamacs du bas, ceux du haut ne permettant pas d’être aussi précis dans la mise à mort. De plus, le shaakt veut garder quelques hommes vivants.

Sur les dix militaires présents, quatre sont déjà morts, cinq autres attendent leur sort et le corps du dernier gît dans la précédente chambre de l’elfe noir. L’enchanteur charge son arme de sa magie aérienne, rompt le sort qui l’entoure et mobilise ensuite sa magie pour accroître ses mouvements, facilitant la réalisation à venir. D’un geste vif, il entaille profondément la cuisse d’un soldat qui hurle de douleur. Avant que les autres n’aient le temps de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar, il enfonce sa lame dans le corps d’un autre. Les protections étant laissées pour la nuit, l’acier se plonge comme dans du beurre. Plus que trois hommes encore en état de se battre. Pourtant, c’est vers le dernier au sol que l’elfe noir se rue. Le capitaine de ces misérables kendrans est le seul au sol encore en vie. Le shaakt arrive sur lui alors qu’il peine à se relever de son hamac dans le noir. Les hurlements de deux de ses hommes lui indiquent que quelque chose cloche et les bruits d’une course se rapprochant, révèlent qu’il est le suivant. L’enchanteur a eu raison de rompre son sort, qui ne lui permet pas d’être absolument silencieux et l’aurait empêché d’entendre le bruit caractéristique d’une lame sortant de son fourreau. Il évite ainsi le large coup d’épée devant lui, frappe la main armée en sectionnant les doigts et attrape le capitaine au sol avant de placer sa lame sous la gorge.

Contrairement aux gardes, les marins sont bien plus prompts à réagir aux cris des gardes. Ils déboulent dans la chambre des gardes, des torches en main pour éclairer une scène de carnage où les deux militaires, que Relonor a évités, descendent sur un tapis sang.

"Mais c’est quoi ce délire ? Qui a fait sortir le shaakt ?" Hurle le commandant du navire comme si Relonor n’était qu’un vulgaire animal.

"Posez pas de question et butez-le !" Ordonne le capitaine sous le joug du shaakt à ses hommes qui savent ce qui va arriver à leur chef s’ils approchent.

"Messieurs,…" Commence l’elfe noir."…je crois qu’il est temps de reprendre le contrôle de vos vies ! Qui souhaite un vrai repas ?" Demande finalement Relonor.

"Misérable peau noire, tu crois que mes hommes te suivront dans ton délire ? On va te faire regretter ton geste !" Grogne le commandant.

Pour toute réponse, une lame vient se planter dans le corps du commandant. En tombant, Relonor fait face à celui qu’il a manipulé pour qu’il lui laisse l’opportunité de se libérer. Le sang encore frais sur la lame, il la pointe vers Relonor et les gardes.

"Attachez les gardes et foutez-les dans la cellule de dégrisement. Ce soir, on va rattraper notre retard avec un vrai festin !" Ordonne-t-il sous la clameur de ses hommes.

Ces derniers ne se font pas prier lorsqu’il est question de se venger des gardes et de manger enfin avec envie. Relonor garde cela en tête : il est possible de retourner l’esprit d’un homme en le manipulant avec sa faim. S’assurant qu’il n’y ait pas un soudaine rébellion contre lui, le shaakt contrôle que tous les gardes vivants sont enfermés dans la cellule qu’il occupait seul et que ceux étant blessés, reçoivent des soins pour rester en vie le temps du trajet. Alors qu’il ressort avec l’unique clef, son nouvel allié vient à lui avec quelques hommes armés.

"Vous voulez abattre votre sauveur maintenant ?" Toise-t-il de toute sa hauteur.

"Et pourquoi pas ? Ainsi plus de témoin !" Réponds l’homme.

"Stupide idiot ! Les allées et venues sont consignées. Ils sauront que quelque chose a mal tourné et ce n’est clairement pas une tempête qui vous aidera à le justifier. Vous serez rapidement identifié comme des traîtres et je peux vous assurer qu’ils ne lésineront pas sur les moyens pour vous retrouver !" Il hausse un sourcil avant de reprendre. "A moins que vous ne pensiez à continuer votre route comme si de rien était. Vous prendrez le temps de la réflexion pour justifier la mort de plusieurs soldats et la détention des survivants !" Il fixe son interlocuteur dans les yeux avant de reprendre d’un regard sévère.

"Merde c’est vrai, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?" Gémit un des hommes venus pour le shaakt.

"Il y a une voie qui vous apportera richesses !" Il regarde ensuite les hommes un par un avant de continuer. "Continuer votre voyage jusqu’aux forces d’Omyre ! Vous y offrirez les vivres prévus pour les kendrans ainsi que des prisonniers ! Du pain béni pour vous ! Cependant, je vous conseille de garder l’unique elfe noir présent en vie. Les Garzocks se méfient moins des shaakts que des humains venant de Kendra Kâr !"

Finalement, l’argument de Relonor fait effet. Un à un, les hommes baissent leurs épées avant de retourner manger. Seul le nouveau capitaine du navire reste à fixer l’elfe noir, cherchant vainement à comprendre le sens de ses pensées. Entendant finalement le doux son d’un repas festif, il s’en retourne à son tour manger avec le reste de l’équipage. Il s’en est fallu de peu pour Relonor, mais le voilà contre toute attente à destination des forces Omyriennes.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Relonor » jeu. 1 juil. 2021 16:25

Chapitre 31 - Voyage mouvementé
VI.32 Dominer les esprits



L’elfe noir a complètement renversé la situation dans laquelle il se trouvait. Partant depuis le port de Kendra Kâr vers Oranan, enfermé la nuit dans une petite cellule et le jour à trimer en plein soleil. Sans être le commandant du navire, il est désormais dans une position idéale, mangeant des mets de choix au lieu de sa bouillie, allant visiter des soldats Kendrans dans son ancienne cellule et surtout, dirigeant le bateau vers les forces d’Omyre.

Maintenant qu’il a repris son destin en main, il va pouvoir s’occuper de ces maudits esprits qu’il n’a pas pu soumettre durant son combat face au nécromancien. La capacité de regagner ses réserves magiques, avec simplement une portion de mana est tellement alléchante. Se rendant à la proue du navire, le regard porté vers l’avant, l’enchanteur se plonge dans la dimension magique que lui offre ses capacités mystiques. Usant de ses fluides, il plonge sa conscience pour rechercher la présence des esprits. Comme précédemment, l’elfe noir matérialise ses fluides en plusieurs bras qu’il projette au loin. Aucune présence ne se fait sentir. Pourtant, même s’il n’avait pas atteint un esprit les premières fois, il en sentait toujours la présence. Ici rien, tout comme lors de son combat face au nécromancien.

(Comment cela est possible ? Je ne sens rien alors que face au nécromancien, je n’avais pas la possibilité de me concentrer sereinement comme maintenant. Etait-ce parce que j’étais dans l’unique lieu que je pouvais appeler chez moi, que ma présence avait déjà imprégné les lieux ?)

Assez contrarié par cette perspective, l’enchanteur se demande s’il ne va pas devoir reprendre tout depuis le début et commence par faire le point de ce qu’il pense être certain concernant cette magie.

(Bon, ce sort permet de communiquer avec les esprits et de regagner du mana. Il n’utilise pas non plus de fluide précis, alors que me manque-t-il ?)

Se remémorant la seule utilisation qu’il a vue, l’enchanteur plonge dans les souvenirs de ce combat, où une aéromancienne a montré une véritable aptitude pour se connecter aux esprits. Il la voit encore entrer dans une sorte de transe lorsqu’elle utilisait cette magie.

(Cette transe d’ailleurs, pourquoi je ne sens pas de changement en moi lorsque j’utilise cette magie, comme cette altération de la magicienne ?)

Cette fois-ci, plutôt que de lancer ses bras magiques pour attraper les esprits, Relonor concentre ses fluides en lui, cherchant cette même sensation lorsqu’il se connectait aux esprits chez lui. Il n’obtient malheureusement pas de changement comme cette altération sur son corps. Ne sentant toujours pas la présence des esprits, il utilise sa magie pour accroître ses sens, cherchant une nouvelle perception magique du monde qui l’entour. Il sent en lui un changement qui s’opère. De légers spasmes parcourent son corps tandis que sa magie s’élève autour de lui comme une aura. A ce moment, les esprits deviennent perceptibles grâce à ce sixième sens magique. Usant comme auparavant lorsqu’il était chez lui, il manipule sa magie pour émettre des bras qui vont atteindre les esprits. L’un d’eux est attrapé, formant un lien entre eux et l’enchanteur renforce ce pont qui les unit désormais pour s’assurer qu’il ne s’échappe pas. Le duel entre l’elfe noir de chair et l’être immatériel commence.

Loin de faire face à un esprit plein de peur et de ressentiment provenant de sa demeure, son adversaire est sauvage, puissant et indomptable comme l’océan sur lequel navigue l’elfe noir. Oui, il s’agit bien d’un adversaire pour le shaakt et tout aussi fort qu’il puisse être, ce n’est rien de plus qu’un savoureux défi pour Relonor. Comme à sa dernière tentative, il manipule sa magie pour qu’elle prenne la forme d’une épée, une arme instinctive pour l’elfe noir. Il frappe avec sa lame mystique, mais la créature immatérielle est aussi vive qu’un poisson hors de l’eau, luttant pour regagner son milieu. L’enchanteur essaie encore et encore, mais l’esprit sauvage, loin d’être affecté par les ressentiments de la multitude des êtres d’une cité, est bien plus fort. Celui-ci contre-attaque en chargeant l’elfe noir, qui se voit ironiquement ponctionner une bonne partie de son mana avant de devoir rompre le sort.

Touché dans son ego, le shaakt laisse une rage violente nourrir son être. Loin d’avoir envie de fracasser tout ce qui se trouve à sa portée et de laisser tomber de crainte d’échouer à nouveau, Relonor se charge des dernières portions de mana en lui et éveille ses sens. Galvanisé par la colère qui l’habite, une aura de magie malveillante émane de lui, accompagnée de tremblements et de spasmes sur tout son corps. Loin de s’en inquiéter, il n’est obnubilé que par la vengeance qui l’anime. Ses sens plus développés que précédemment, parviennent à sentir plus facilement les esprits que précédemment. Trouvant sans mal celui qui l’a malmené, il envoie son bras magique pour se lier à lui et renforce à nouveau le pont entre eux.

Cette fois-ci, la magie de l’enchanteur est portée par ses fortes émotions de revanche et ces émotions affectent l’esprit qui se voit diminuer. Moins agile, il parvient à éviter les premiers coups de l’elfe noir, mais au prix d’une forte fatigue. Le shaakt a tout le loisir de planter sa lame magique dans le corps de l’esprit, laissant ses fluides s’immiscer à l’intérieur de l’esprit comme une racine et ponctionne tout jusqu’à la dernière bribe d’essence.

(Ainsi les émotions des mortels sont le point faible de ces créatures !)

De sa réussite, l’elfe noir en tire une grande satisfaction, mais également une bonne moitié de ses réserves magiques. A la tentative suivante, il garde à l’esprit tous les actes, les mots et les individus qui ont par le passé provoqué sa colère, pour s’en servir. Il nourrit ses sens avec sa magie, ce qui provoque une sorte de transe durant laquelle son corps, qui émet une aura de magie terrifiante, est également malmené par des spasmes incontrôlables. Maintenant qu’il connaît la faiblesse des esprits, il est beaucoup plus rapide que précédemment et n’a aucune peine pour toucher sa proie suivante et absorber le mana qui l’anime. Pourtant, loin d’avoir recouvert l’autre moitié de ses réserves, seul un quart a été nourri, ou plus simplement la moitié qui lui manquait pour combler ses réserves manquantes.

(Si je comprends bien, la quantité du mana rechargé dépend principalement des ressources magiques manquantes. Plus mes réserves sont au plus bas et plus le sort est efficace. Je vais devoir insérer ce sortilège dans mes équipements, pour que lorsque ma magie sera complètement tarie, elle se recharge au maximum de mes capacités !)

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Relonor
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Relonor » jeu. 1 juil. 2021 21:42

Après une longue traversée, le navire dérobé aux kendrans arrive à proximité des eaux Oranaises. La présence d’un bateau provenant de Kendra Kâr attire plusieurs vaisseaux qui les encerclent. Face à ces navires armés pour la guerre, celui de Relonor fait pâle figure. Assez rapidement les têtes de nombreux Garzocks sont sur le pont, pour regarder qui sont les fous à oser s’approcher de la guerre. L’elfe noir les fixe tous, attendant que le chef de toutes ces peaux vertes se dévoile. Il n’est pas seul. Avec lui plusieurs humains sont présents, en particuliers celui qui a pris le commandement après avoir rué le précédent capitaine du navire.

"J’ai une très mauvaise impression, je crois qu’on a fait erreur en venant ici ?" Craint-il justement en se rapprochant du shaakt.

"N’aie crainte, les garzocks ont une bonne opinion des elfes noirs." Ment Relonor qui l'ignore totalement. "Mais ils détestent la faiblesse alors si vous ne vous sentez pas assez forts pour leurs faire face, laissez-moi engager l’échange et suivez la danse ! Lorsque la guerre commencera, vous pourrez profiter du chaos pour fuir."

Le navire à babord s’arrime au bateau kendran et sept garzocks arrivent sur le pont à l’aide de cordes et d’un jeu de poulie. Le shaakt décide de les déstabiliser en s’avançant nonchalamment vers eux, seul. Lorsqu’il arrive assez prêt pour se faire occire du bout d‘une lame, la peau verte au milieu, plus impressionnante que ses comparses avec son énorme hache dans le dos et ses solides protections sur le corps, lui parle sans ménagement.

"Je ne sais pas si vous êtes complètement stupides ou justes arriérés, mais vos vies sont désormais miennes chiens kendrans !"

Relonor le fixe droit dans les yeux et s’incline pour montrer son respect.

"Les choses ne sont pas ce qu’elles vous paraissent. Nous sommes venus pour servir la reine noire, non pour nous opposer à elle et à ses valeureux soldats. Nous avons détourné ce navire apportant du ravitaillement pour ces ridicules hommes de Kendra kâr. Si vous me le permettez !" Le shaakt se déporte légèrement sur le côté et tend le bras vers les humains, attendant un signe du garzock.

Lorsque celui-ci lève la tête pour signifier sa curiosité, l’elfe noir tourne son attention sur les membres de l’équipage humain pour parler à voix haute.

"Apportez les vivres et faites venir les prisonniers !"

Les marins apportent rapidement les cargaisons de nourriture tandis qu’une partie d’entre eux emmènent les soldats kendrans, ficelés comme du bétail sous les hurlements des garzocks avides de leurs trancher le cou.

"Comme promis voici les rations que nous vous offrons généreusement ainsi qu’une offrande personnelle. J’espère que ce cadeau particulier me permettra de vous demander une faveur !" Déclare l’elfe noir.

Alors que le chef des peaux vertes accueillait les vivres avec un regard plein d’envie et la venue des soldats avec un plaisir malsain, un rictus déforme son visage lorsque Relonor demande une faveur. Il s’approche du prisonnier en tête de fil pour tomber face à un capitaine de l’armée kendranne.

"Espèce de sale merde ! J’aurais dû te faire passer par-dessus bord à la première occasion. Maudite soit ta sale engeance !" Insulte l’humain qui reçoit une main verte titanesque en pleine tête et le faisant tomber au sol.

"Tu aboieras lorsque je te dirais de japper, pas avant !" Clame la peau verte avant de s’intéresser à Relonor. "C’est en effet un bon présent, ils feront un sacrifice de choix avant d’engager le combat ! Parle, que veux-tu ?" Interroge le garzock, d’une manière assez proche de la menace.

"La permission d’accoster et de rejoindre les forces d’Omyre sur le front. Je me rendrai sur le champ de bataille en fonction des besoins, cependant si je puis me le permettre, je souhaiterais rejoindre les rangs de vos maîtres de la magie noire. "

"Si ce n’est que cela !" Consent le chef.

D’un geste de la main, il fait venir plusieurs hommes pour charger les vivres et emporter les prisonniers, non sans les malmener. Relonor suit le cortège en compagnie des garzocks, laissant un équipage d’humains qui paraît soulagé de voir partir ces monstrueuses peaux noires. Avant de partir à bord d’une chaloupe affrétée pour l’elfe noir, loin des marins kendrans il interpelle le capitaine.

"Cet équipage d’humains, méfiez-vous d’eux ! Je les suspecte de fuir à la première occasion." Déclare le shaakt avant de partir, faisant porter à l’équipage qui l’a accompagné jusqu’ici, un regard malveillant de la par du garzock.

XP : 0.5 (Négociations avec les Garzoks) + 0.5 (Arrivée dans l'armée et traitrise)

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Jorus Kayne
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 12 juin 2022 16:02

IV Conversation entre deux pains.

V Le calme de la mer et l'ego des hommes.


Je trouve avec facilité un bateau marchand se dirigeant vers Eniod. J’ai l’expérience des voyages en mer et ma participation active face à Oaxaca, m’ouvre visiblement de grandes portes. J’aurais pu faire le voyage par la voie des airs, mais l’idée de prendre la mer me plaît. J’intègre donc l’équipage officiellement en tant que force à mobiliser en cas de danger nécessitant un affrontement, mais je dois aussi participer à la vie à bord durant le trajet. De nombreuses tâches m’attendent donc, mais retrouver ces activités m’apporte un plaisir nostalgique. Plaisir qui contraste avec la crainte que me provoque la destination de l’expédition maritime.

C’est par bateau que j’ai fui Eniod, il y a tant d’années. J’y ai grandi dans les rues et j’y serais encore si je n’avais rencontré un de ces maudits nobles, dont la réaction à ma présence ma fait craindre pour ma vie. Parmi mes proches, une femme qui a veillé sur moi depuis que j’ai commencé à vivre dans la rue, m’a poussé à quitter la ville rapidement. Même trois ans plus tard, lorsque je suis revenu, mon passé m’a mis une sacrée claque. Je me suis battu avec mon meilleur ami, après avoir appris qu’il travaillait comme homme armé au service de ces riches nobles qui exploitent les plus pauvres. Cependant, cela a vite tourné court lorsqu’il m'a balancé au visage, la mort de mon amour de jeunesse et m’en a imposé la responsabilité. Blessé au plus profond de moi-même, j’ai fait la seule chose que je savais faire : fuir à nouveau.

Pourtant, les choses ne se sont pas passées comme la première fois. J’ai rencontré beaucoup de personnes et vécu tout autant d’histoires dingues. Ma faéra, Castamir, Panaka, ainsi que de nombreuses personnes qui tentent de rendre ce monde, ainsi les mondes qui y sont liés comme Aliaénon, un peu meilleurs. J’ai moi-même changé. J’ai grandi que ce soit en tant que combattant ou dans ma tête. Je sais que si par moment les choses m’échappent et me semblent impossibles, il suffit de savoir s’entourer pour rendre impensable possible. Comme un brouillard qui nous empêche d’avancer, ils sont des êtres capables d’éclairer la voie, même lorsque tout semble contre nous.

C’est donc avec un mélange de mélancolie, de crainte d’être de nouveau face à mon passé, mais également d’espoir, car je ne suis plus le même homme qu’avant. La vie y est agréable et au milieu de la mer, les tracas s’éloignent. C’est l’effet qu’a la mer sur moi. Comme un second foyer, elle a ce pouvoir de balayer mes angoisses les plus profondes, le temps du voyage tout du moins. Nous n’avons pas à subir les problèmes de tempêtes. Nous voguons sur les flots, guidés par un vent qui nous est favorable, tandis que l’humeur sur le navire est excellente. D’ailleurs, les marins se défient mutuellement lorsque le temps le permet. Cela favorise la cohésion de l’équipage et fait par moment, ressortir certains membres trop renfermés sur eux même. Etant nouveau, on me pousse rapidement à participer lorsqu’un attroupement se fait sur le pont autour d’un homme.

Il propose de s’opposer dans des affrontements de sauts. Je me sais assez bon dans ce domaine, mais si l’épreuve est proposée, je doute être le seul qui soit confiant. Une corde forme une ligne de saut, qu’il ne faut pas dépasser, sous peine de s’emmêler les pieds et de tomber maladroitement. Pour éviter toute tricherie, ils utilisent un cordage entremêlé, dont les pieds se prendront inexorablement en cas d’échec. Pour ajouter un peu de piment, une mise est imposée pour la participation et la cagnotte formera la récompense du vainqueur.

Quelques hommes participent avec moi et sautent sans peine la distance. Lorsque vient mon tour, je ne me contente pas de sauter bêtement. La distance actuelle est largement dans mes capacités. J’exécute donc une belle acrobatie qui stupéfait les spectateurs et démoralise certains de mes adversaires du moment. Touchés dans leur ego et poussé par le public, les suivants font de même, mais ils sont bien moins habiles que moi. Les premiers se prennent les pieds dans le cordage entremêlé et tombent lourdement au sol dans l’hilarité. D’autres sautent à leur tour, mais s’ils parviennent à franchir la limite imposée, ils ne tentent pas les mêmes acrobaties, sauf un homme, plutôt svelte. Physiquement, il pourrait être mon sosie blond, si ce n’est quelques années supplémentaires par rapport à moi.

Une fois le premier tour passé, la distance augmente et si les acrobaties se font plus rares, ce n’est pas le cas des éliminations. Il ne reste qu’une dizaine de participants lorsque la difficulté augmente brutalement, dont moi et le blondinet. En moi, naît un étrange sentiment d’excitation mélangé à un ego qui gonfle. Vu que les participants semblent vouloir donner du spectacle, il nous est proposé de sauter depuis le pont supérieur. Une hauteur qui permet d’aller plus loin, mais donne un risque important de blessure en cas de mauvaise réception. Un peu craintifs, les participants ne se pressent pas à sauter et c’est le blondinet qui passe en premier. Il passe sans difficulté le cordage et exécute une pirouette pour amortir sa chute, en bondissant en avant, roulant sur le sol. Si j’ai déjà eu l’occasion de voir une telle chose, c’est la première fois que j’ai l’occasion de m’y essayer franchement. Je saute à mon tour et lorsque j’atteins le sol, je me propulse en avant. Hélas, je ne suis que novice dans cette épreuve et je me fais mal à l’atterrissage. Une légère douleur, mais qui pourra se révéler plus grave si je me loupe de nouveau. Malgré cela, une poussée d’adrénaline vient renforcer mon ego, laissant presque le risque de blessure de côté.

Pendant que mes opposants se proposent les uns les autres, je m’éloigne de leur passage et une femme rousse, d’une trentaine d’année, vient me voir.

"Il y a de l’idée dans ta façon de faire, mais tu ne t’y prends pas au bon moment ! Besoin d’un coup de main ?"

Je me tourne vers elle et la regarde méfiant.

"Qu’est-ce que vous avez à gagner à m’aider !"

"Je n’aime pas sa tête lorsqu’il gagne à chaque fois !" Commence-t-elle en désignant le blondinet du menton. "D’ordinaire, je ne m’en mêle pas. Mais cette fois, je vois quelqu’un qui a peut-être les capacités de lui clouer le bec. Mais tu auras besoin de moi si tu veux l’emporter !"

Pas vraiment convaincu, je me laisse pourtant guider. Je me dis surtout que je n’ai rien à perdre à l’écouter.

"Dites toujours !"

"Méfiant ? On verra si tu l’es toujours." S’approche-t-elle de moi. "Tu t’es fait mal je présume. Cela ne vient pas de ta réception, mais de son retard. Pour éviter de se faire mal, il faut se propulser en avant pour rediriger la force de l’atterrissage vers l’avant."

"Mais c’est…"Dis-je avant de me faire couper.

"…ce que tu as fait oui ! Cependant, tu t’y es pris trop tard. Tu n’as pas été en mesure de rediriger toute la force de ta chute et résultat : tu t’es fait mal ! Pigé ?"

Alors qu’on me fait signe que vient mon tour, je croise de nouveau le regard de la femme.

"Je vais garder ça en tête !"

Depuis mon dernier passage, deux participants se sont vus être éliminés. Pas le blond bien entendu. Il recommence d’ailleurs à sauter et retombe sans problème, tandis que j’observe avec attention ses moindres gestes. Lorsque tous les regards sont rivés sur moi, je fais de même et si la réception de mes pieds est meilleure, je me réceptionne mal en roulant et me blesse à l’épaule. Une nouvelle poussée d’adrénaline afflux en moi et commence à devenir grisant. Si j’ai droit à des acclamations, le visage de la femme est plus froid, presque déçu.

"C’est mieux, mais incline toi d’avantage pour éviter de te faire mal comme tu l’as fait. Regarde les autres !"

(Vous n’êtes qu’une bande d’inconscient !)

(Mais non. On passe juste le temps en s’amusant !)

(Tu rigoleras moins lorsque ta rotule sera relevée à mi-cuisse !)

Loin de me laisser embarquer par ma faéra, j’observe les autres participants. Eux aussi utilise la même méthode pour amortir leur chute et je comprends mieux ce qui clochait à mon dernier passage. Lorsque mon tour revient à nouveau, ma réception est bien meilleure, bien qu’encore incomplète. Lorsque ce tour est enfin terminé, une nouvelle difficulté est proposée alors qu’il ne reste plus que cinq participants. L’excitation en moi devient de plus en plus importante et ma succession de réussites me fait tourner la tête, au point où cette nouvelle difficulté ne fait bondir de plaisir.

Au lieu de sauter, l’homme à la chevelure doré demande à retirer les cordages et à laisser pendre trois cordes qui servent de maintiens aux voiles. Avec le tangage, celles-ci vont et viennent de gauche à droite avec une absence totale de périodicité. Avec la diminution des participants et la difficulté grandissante, les paris naissent rapidement. Je comprends où il veut en venir lorsqu’il saute et se rattrape à l’une des cordes, avant de se laisser glisser jusqu’au pont.

"Vous avez compris ? Il faut attraper les cordes, sans toucher le sol ! Rien de plus simple non ?" Nargue-t-il.

(Mais c’est un grand malade lui !)

(Toute à fait ! Il commence à me plaire de type !)

Je cherche à trouver le bon moment pour attraper ces cordes avant de sauter. Ma faéra me hurle de ne pas sauter, mais c’est plus fort que moi. Le défi qui m’est proposé me semble tellement tentant. J’attrape au vol une corde et me laisse descendre au sol sous les acclamations des spectateurs et le sourire fier du blondinet. Celui qui après moi fait de même, mais sa chute est lourde et il se fait sévèrement mal. Il est envoyé se faire soigner, tandis que tous les autres participants abandonnent.

"Il n’y a pas de honte à abandonner si tu le désires !" Me propose-t-il en posant une main sur mon épaule.

Mon regard croisant le sien, j’y vois de la sincérité plutôt qu’une simple envie de gagner sans risquer de se rater à la prochaine tentative.

(Il a raison. Pourquoi chercher à se faire mal comme ça ! Tu as déjà montré ce dont tu étais capable, pas la peine de risquer plus.)

"Merci…mais non merci !" Dis-je autant pour lui que pour ma faéra.

"T’as du cran je l’admets, mais ne cherche pas à en faire trop. Tant que tu n’as pas sauté, tu peux encore te désister !" Déclare-t-il en se dirigeant sur le pont supérieur. Il s’élance de nouveau et attrape encore les cordes, sous les acclamations du public.

La femme se joint à moi.

"Il a raison, tu peux encore abandonner. Mais si tu veux vraiment le tenter, laisse-moi te donner un conseil : laisse ton instinct agir à la place de ta tête !"

(T’as bien compris ce qu’elle a dit ?)

(Oui je dois me fier à mon instinct !)

(Non triple buse de phacochère, tu peux encore abandonner !)

"Attrape-ça !" M’ordonne-t-elle en lançant un sac en cuir rempli au touché, de quelque chose comme du sable ou de la farine. Pris au dépourvu, je le fais tomber. "Ne réfléchit pas !" Grogne-t-elle en lançant toute une série de sacs similaires, accompagnée de deux autres marins. "Ne te contente pas de les dévier, attrape-les !"

Je manque les premiers, mais petit à petit, je commence à piger le truc. Je rattrape les petits sacs et les lâche au sol, formant un petit monticule à mes pieds.

"Tu t’es trouvé un nouveau poulain Cadmis ?" Nargue le blondinet venu jusqu’à nous.

"Depuis le temps que j’attends de trouver quelqu’un qui pourrait bien effacer ce visage satisfait, je ne compte pas lâcher l’affaire !" Réplique-t-elle en m’offrant un clin d’œil avant que je ne monte à mon tour.

Je suis légèrement surpris par son attitude et si je commence à avoir confiance en elle, ainsi qu’à son désir de remplacer le roi actuel, j’éprouve l’envie de ressortir vainqueur pour attiser encore son intérêt pour moi.

(Ha les hommes !)

Lorsque je suis sur le pont supérieur, je les vois tous les deux, le blondinet se frotter à la rousse en passant un bras derrière son dos, comme le ferait un chat. Un étrange sentiment de colère monte en moi en les voyant ainsi. Je m’élance à mon tour et saute. Dans ma précipitation, j’oublie de prendre en compte le tangage du bateau pour atteindre au bon moment la corde. Pris par la panique, je cherche du regard parmi les cordes, celle qui est la plus proche. Cependant, la peur mélange toutes les cordes du bateau devant moi et m’empêche de visualiser correctement les trois cordes. Je n’en vois que deux dans mon champ de vision, alors que le sol se rapproche dangereusement. Cependant, le dos de ma main droite touche quelque chose de familier et par pur réflexe, elle se retourne et attrape la corde. Ma position est néanmoins précaire et je me fais malmener, tournant sur moi-même avec une seule main comme support. Ayant attrapé la corde trop tard, mon élan m’envoie percuter le mât en face de moi. L’air s’expulse de mes poumons. Je gémis à cause de la douleur et mon corps est particulièrement raide.

"Il a pas touché le sol !" Hurle de joie un marin, rapidement suivis par les autres qui m’acclament.

Ouvrant les yeux, je me vois plié sur moi-même, mes pieds survolant le sol à une vingtaine de centimètres. Plus encore que les acclamations, je ressens une nouvelle poussée d’adrénaline qui m’enivre au-delà du raisonnable. Je suis rejoint par mon rival blond affichant deux expressions différentes : la fierté de voir enfin un rival et la déception de voir que j’attire toute l’attention à moi.

"Mais t’es un grand malade toi !"

Il me tend la main pour m’aider à me relever, alors que je m’étais laissé tomber le cul au sol. Une fois relevé, je lui fais face en reprenant mot pour mot ses paroles.

"Il n’y a pas de honte à abandonner si tu le désires !"

La remarque lui fait tirer un large sourire et l’homme me défie du regard, avant de le faire verbalement.

"Dans ce cas pourquoi ne pas pimenter encore la chose en enlevant deux cordes ? Mais tu peux encore refuser !"

"Une corde ?" Dis-je en réfléchissant. "Pourquoi pas ! Mais on va aller plus loin en pariant gros ! J’ai avec moi, l’arbalète de Xenair, l’assassin d’Oaxaca. Elle est à toi si tu l’emporte !"

La proposition surprend tout le monde et un silence à peine brisé par des murmures s’installe. Si ma présence sur le champ de bataille n’est inconnue de personne, je n’ai pas mentionné précisément mon rôle dans celle-ci. Je n’avais juste pas l’intention ni me glorifier, ni de vouloir me remémorer cette période.

"Je passe !" Dit-il en stupéfiant tout le monde, avant de finalement s’expliquer. "J’ai rien sur moi qui vaille autant !"

"J’ai cru voir que tu avais quelques armes intéressantes : des boomerangs ! Ce sont des armes rares, mais avec lesquelles je me sens plus à l’aise que cette arme."

"En effet j’en ai, mais ça ne vaut certainement pas l’arbalète !" Met-il en évidence. "Rien que son histoire vaut beaucoup sur le marché des collectionneurs !"

"Alors dans ce cas, rajoute quelques yus et si tu y tiens, pourquoi ne pas me jurer fidélité devant tout le monde ?"

Les propositions de défis sont des attaques visant à déstabiliser l’adversaire, visant l’abandon, mais mon ego a tellement pris le pas sur moi que je veux tout faire pour qu’il accepte finalement.

"Marché conclu !" Me serre-t-il la main en fixant son regard dans le mien.

Sous les acclamations des spectateurs, nous montons tous les deux sur le pont supérieur, alors qu’une seule corde malmenée par le vent, nous nargue de l’attraper en dansant dans tous les sens. Alors que mon rival se place, je mets une main devant lui pour l’arrêter.

"Non ! Cette fois-ci, c’est moi qui passe en premier !"

Mimant de la main, une révérence exagérée de la noblesse, il me laisse le champ libre pour me lancer. Me voilà face à un nouveau défi grisant. Deux mains faces à une corde. Elle va et vient d’avant en arrière et de gauche à droite sans aucune logique apparente, si ce n’est les caprices du vent. Pendant un temps, j’ai l’impression de voir une de ces danseuses des rues populaires d’Eniod, me renvoyant dans un passé nostalgique. La danseuse vient dans ma direction, m'invitant à la rejoindre dans une nouvelle promesse d’adrénaline, qui fait déjà frissonner de plaisir chaque partie de mon corps.

(Faut pas réfléchir et se laisser aller !)

(Non, faut surtout pas sauter et rester intact !)

La voix de ma faéra ne m’atteint plus depuis un petit moment déjà et ses avertissements ne font pas le poids devant le défi qui me fait face. Profitant d’un moment de vent calme et d’une cible presque immobile, je m’élance aussi vite et aussi haut que possible pour en profiter, la partie haute de ma danseuse étant plus stable que le bas. Cependant, à mon approche ce sournois de vent vient me chiper ma cavalière sous le nez et l’éloigne de moi. Me voilà dans le vide, contemplant le sol qui souhaite me rappeler la dure réalité d’un ego surdimensionné. La panique m’atteint. Une frayeur, si elle est loin d’égaler l’aura d’Oaxaca, est capable de me rappeler l’essentiel : trouver un moyen d’atteindre le sol sans dommage. Résultat, je bats des bras et des jambes comme un fou se prenant pour un oiseau. L’idée est stupide, la réalisation serait hilarante pour les spectateurs s’ils ne partageaient pas cette même peur.

Pourtant, mon pied sent quelque chose. Rappelée par le vent, la corde est revenue à moi, cherchant contact avec l’un des deux seuls membres qui ne peut rien attraper, emmitouflé dans son soulier. L’instinct de survie est une chose stupéfiante. Alors que personne ne parierait sur une réussite, en une fraction de seconde, cette force me pousse à enrouler mon pied dans la corde et à serrer les jambes. Aucune chance que j’arrive à me stabiliser de la sorte. Alors que le haut de mon corps part en avant, sa corde s’échappe facilement de l’emprise de mes pieds, mais en l’enfermant entre mes cuisses, mes chances s’améliorent. Mes deux mains viennent la saisir et c’est la gauche la plus proche et la plus rapide. Serrant de toutes mes forces pour m’arrêter, j’entame une rotation sur moi-même si violente, que mon poignet se tord douloureusement, me faisant échapper de nouveau la corde. Me voilà de nouveau, tombant en tournoyant à m’en désorienter. Tout se mélange autour de moi, tant les couleurs que les formes. Je ne sais plus où se trouve le haut et le bas et la mer pourrait très bien avoir remplacé le ciel à cet instant, que cela ne me surprendrait pas. Si un peintre devait réaliser ce que je ressens en ce moment, il lui suffirait de mettre plusieurs tas de peintures et de faire tournoyer le tableau sur lui-même. Cependant, je ne perds pas espoir, ou plutôt, je n’ai pas le choix. L’image distordue du pont devenant plus importante indique que c’est bientôt la fin de cette chute.

Ma main droite attrape finalement un bout de corde entre mes jambes, que je serre comme jamais je ne l’ai fait auparavant. Tout mon corps subit le choc. Complètement désorienté et le paysage tournoyant encore autour de moi, la seule chose dont je sois sûr, c’est une brûlure à la main. Petit à petit, mon monde qui jouait à la toupie infernale redevient à des normes plus reposantes. Je vois des pieds tournés dans le mauvais sens et un plafond trop près.

(Un plafond ?)

Une fois mes sens plus fiables, un petit examen de mon environnement m’indique que c’est moi qui suis à l’envers et que mon plafond, était en réalité le pont du navire se trouvant à quelques centimètres de mon visage, mon corps emporté par le tangage, fixé par la seule force d’une unique main à la corde.

"Il a réussi !" Hurle un homme, dont la joie trouve rapidement écho auprès des autres spectateurs.

(Je n’arrive pas à croire que tu sois aussi stupide pour t’être lancé dans le vide comme ça !)

(Cette chute m’a paru durer une éternité, mais ces quelques secondes ont été particulièrement stimulantes !)

On vient vers moi pour m’aider à m’asseoir correctement, mais il faut s’y prendre à plusieurs pour parvenir à me lâcher prise. Je finis le dos contre l’un des mâts, mes sens en alerte après un bon seau d’eau froide en plein visage. Autour de moi, certains hommes rient au dépens d’autres. Il est facile de déterminé qui a parié sur ma réussite pour le coup. Puis les regards se posent sur mon rival, toujours sur le pont supérieur à contempler la scène.

"On m’a souvent traité de fou, mais je crois avoir trouvé mon maître en la matière. J’abandonne !" Déclare-t-il en sonnant le glas de ses partisans pour le pari.

Je les regarde avec amusement et parmi eux, l’individu qui a gagné le plus gros n’est autre que la rouquine. Je la regarde, comprenant qu’elle s’est servie de moi pour remporter le gros lot. Peut-être devrais-je ressentir une forme de colère pour m’être laissé embobiner de la sorte, mais son petit sourire à mon attention efface le reste.

(Oublie pas qu’elle t’a poussé à l’abandon aussi.)

(Touché !)

Alors que le capitaine est venu en personne pour remettre son équipage au travail, le blondinet vient à moi avec les mains chargées.

"Un pari est un pari. Ceci te revient." Il me présente ses boomerangs ainsi qu’une bourse possédant le doux tintement des pièces de yus.

"Merci mais…cette histoire de pari c’était du vent ! Je comptais pas te prendre tes biens !" Lui dis-je.

"Je pense que tu m’aurais donné ma récompense si j’avais remporté notre pari non ? Accepte-les, tu m’offenserais en les refusant !" Insiste-t-il.

"D’accord, mais uniquement si on boit tous les deux avec cet argent à la prochaine escale !"

"Rappelle-moi ton nom ?" Demande-t-il.

"Jorus et toi ?"

" Zefir !"

Modifié en dernier par Jorus Kayne le dim. 11 sept. 2022 14:44, modifié 3 fois.

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Jorus Kayne
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 28 août 2022 14:01

V Le calme de la mer et l'ego des hommes.

VI Le fléau des mers.


Le capitaine, un homme rigoureux et exigeant avec ses matelots, a cependant la loyauté de ses hommes. Si ceux-ci se comportent correctement, il est généreux en retour. J’ai cru comprendre qu’il n’est cependant pas rare, d’avoir eu à jeter un nouveau membre par-dessus bord à cause de son mauvais comportement, même si cela a toujours été fait non loin du port. Un motif qui le pousse à m’observer à de nombreuses reprises, à défaut de l’horizon et une raison pour laquelle l’autre navire n’a pas été repéré immédiatement.

"NAVIRE ENNEMI A LA POUPE !" Hurle la vigie.

Soudainement, tous les regards sans exception se portent à l’arrière du bateau. Loin derrière, un navire se dirige dans notre direction. Je prends de force une longue-vue d’un marin dépité, qui vient d’observer le bâtiment qui nous suit. Notre poursuivant vogue sur un trois-mâts. Plus grand que nous et avec bien plus de voiles, ce qui lui permet de nous rattraper malgré son volume plus important. Sur le pont, j’aperçois brièvement l’équipage qui s’affaire avec énergie : des humains. Je porte ensuite mon attention sur le pavillon en haut du mât central. Reconnaissable entre toute, la forme est celle de l’Omyrhie et impose la crainte à elle seule. Pourtant le dragon, unique représentation sur le blason d’Omyre en trois d’acier, est bleu ici et ne représente qu’un quart des éléments. De type tranché, deux éléments sont distincts : l’acier, pour le combat, ainsi que l’ombre pour la domination Oaxienne. En un d’acier, deux sabres se croisent. Un d’eau en bande et un de sang posé dessus en barre. En deux et quatre d’ombre, un alambique d’argent chauffé par un feu d’or.

Je baisse la longue-vue, affichant la même expression que mes camarades marins, comprenant à qui nous avons affaire.

"Darhàm !" Fais-je dans un souffle.

Je rends la longue-vue à son propriétaire et lui demande.

"Le roi de Darhàm n’avait pas été fait prisonnier ?"

Il me regarde comme si je venais de poser la question la plus débile au monde.

"D’où tu viens pour pas être au courant savoir un truc pareil ? C’est Perhaillon qui dirige Darhàm à présent. Ils sont devenus un véritable fléau sur les mers depuis la chute d’Oaxaca."

Nous nous préparons à un abordage en règle, car les chances qu’ils nous poursuivent pour nous inviter à trinquer sont faibles. Le capitaine ordonne à ses hommes de préparer des barricades d’urgence pour empêcher, ou au moins réduire au maximum l’assaut sur notre navire. Tables, chaises, caisses de marchandises, tout y passe pour présenter un obstacle supplémentaire. A l’approche du trois-mâts ennemi, le capitaine dirige le navire pour ne présenter que la poupe, diminuant la zone d’abordage. Des grappins sont tirés depuis le pont adverse et les quelques-uns qui ont tenté de couper les liens ont été criblés de flèches. A la force des bras, les ponts des deux bateaux se rapprochent, jusqu’à entendre le fatidique « Chpoum !", annonçant le début de l’étape suivante.

"A l’abordage !" Hurle une voix qui parvient à se faire entendre malgré le tumulte.

Le cri des hommes, heureux de se défouler après une longue attente suit l’ordre du meneur. De nouveaux grappins atteignant nos mâts sont lancés et un bon nombre de pirates ont saisi des cordes et se laissent emporter. S’ils sont vulnérables, ce n’est pas le cas de leurs archers qui visent mes camarades voulant les cueillir avec facilité.

(Ce n’est qu’une question d’ajustement !)

Tapis derrière une barricade, j’attends de voir arriver un ennemi. Ce n’est qu’au dernier moment que je saute de toutes mes forces, prenant appui sur une table renversée, évitant de peu les flèches en les prenant de court. Mon adversaire ne s’attendait pas à un saut si haut et c’est sans difficulté qu’il reçoit une lame en pleine poitrine. Ma dague, forgée avec une dent du dragon noir d’Oaxaca par un maître forgeron au talent unique, est plus tranchante que n’importe quoi. Elle déchire la maigre armure ainsi que la chair sans aucune compassion pour la victime.

La piraterie est bien une activité qui me rend hors de moi. La mer est un lieu à respecter et les marins, qui voguent sur des mers au péril de leur vie sont tout aussi honorable. Ma colère face à ce genre de barbarie sort de moi en hurlant.

"Et de un ! Au suivant !"

Le corps de ma victime, se laisse tomber devant moi et comprenant son sort, ses camarades me tirent dessus sans sommation. Dénuée d’arme, ma main gauche attrape le corps mort et le maintient devant moi, m’offrant une protection suffisante pour le moment. Je range ma lame et me prépare à répliquer. Jetant le corps qui commence à m’embarrasser, j'use de mon énergie pour solliciter à mon corps une posture plus propice à l’esquive. Je plonge sur le côté pour éviter une salve de flèches et me cacher derrière un mât. Les tireurs ne cherchent pas à se cacher, je les trouve facilement. Je prends deux de mes nouveaux boomerangs, disposés dans le dos et les lance. L’un frôle l’oreille de ma cible tandis que le second touche sévèrement le bras portant l’arc.

(Un qui ne brandira plus d’arme dans l’immédiat !)

Ma contre-attaque provoque la stupéfaction chez les hommes de Darhàm, qui l’espace d’un instant, supprime l’élan dans lequel ils faisaient de lourdes pertes dans nos rangs. Je suis visé par plusieurs tireurs, mais je trouve le couvert d’un mât près de moi.

(Tant qu’ils tireront en toute tranquillité, ils auront un avantage sur nous. Il faut les en empêcher !)

(Je n’aime pas quand tu prends ce ton-là ! Tu as toujours une idée pourrie en tête qui arrive peu après. Comme avec le comte !)

(Merci de me rappeler ce doux souvenir !)

Je regarde le mât qui me protège et remarque que les poutres qui soutiennent les voiles ne sont pas si éloignées des deux navires.

(N’empêche, tu as raison. J’ai une très, mais alors très mauvaise idée en tête ! Tu connais la différence entre la folie et un acte de bravoure ?)

(Tu n’es capable que du premier ?)

(Je penchais plutôt pour : le résultat final !)

Joignant la folie à l’action, je me rends au cordage, à l'opposé du bateau ennemi et les armes rangées, je monte aussi vite qu’il m’est possible jusqu’au mât, avant de terminer mon ascension sur la vergue au-dessus de la grande voile. Il faudrait être stupide pour aborder un navire par ce chemin. Raison pour laquelle je ne trouve personne qui m’empêche de progresser. Une fois en haut, je me demande si je n’ai pas eu une mauvaise appréciation des distances.

(Si tu te foires, tu t’étaleras comme une vulgaire pastèque. Y’aura des morceaux partout ! Mieux vaut redescendre.)

(Te fais pas de bile Odile. J’ai ce qu’il faut !)

Je dégaine mon grappin, ainsi que la corde à laquelle il est constamment accroché.

(Si tu te loupes, tu vas vraiment t’écraser. Tu ne comptes quand même pas faire ça ?)

(Et comment !)

(Je maintiens mes pronostiques : Paf pastèque !)

Ignorant les remarques de ma faéra et m’élance le long de la vergue. Du moins, je m’approche petit à petit de l’extrémité en prenant soin de ne pas tomber et une fois que je m’approche de l’extrémité, j’accélère le pas et saute littéralement dans le vide. Face à moi, la grande voile du navire ennemi me fait face et je compte bien me stabiliser en agrippant la vergue avec mon grappin. Lorsque la distance est la plus réduite, je le lance…et manque ma cible.

(Ho non, je veux pas voir ça !)

Dans ma malchance, le crochet se plante dans la voile et la déchire de tout son long, entraîné par mon poids, jusqu’au pont où je rattrape de justesse le grappin qui allait mon tomber sur la tête. C’est ainsi que j’atterris derrière les lignes ennemies.

(Alors ? Y'a du jus partout ?)

(Non, mais ça va venir !)

Je laisse tomber mon grappin au sol pour dégainer mes lames et me précipiter là où se trouvent ses maudits archers. Il est trop tard lorsqu’ils me remarquent, même si plus loin d'autres ont vu ma folie. Concentrant mon énergie, je frappe avec rapidité plusieurs hommes. Si ma Pourfen'dent les blesse sévèrement avec une seule frappe, ma dague de glace fera son office d’ici peu. Je pivote sur moi-même pour éviter un coup de sabre visant ma poitrine et contre en plantant une lame de dragon profondément dans la cuisse. J’use du corps qui se courbe de douleur pour sauter par-dessus mes assaillants. De nouveau, je concentre mon énergie et frappe avec autant de férocité que de vivacité d’autres adversaires. Plus alerte qu’à ma précédente tentative, j’en mets cependant un hors combat, tandis que j’en estime qu’un autre le sera d’ici peu.

L’attention portée sur moi offre un souffle de répit sur l’autre navire et déjà, les plus téméraires sautent sur le bateau pirate. Un blondinet et une rousse se démarquent même dans cet assaut. Les hurlements de douleur se joignent au croisement des armes qui s’entrechoquent. Les coups pleuvent, les corps tombent et je commence même à prendre plaisir à lutter en compagnie de Cadmis et Zefir qui sont parvenus à me rejoindre. Nos styles de combats sont différents. Zefir est particulièrement doué pour lancer tous types d’armes, qu’il s’agisse d’arme de jet ou même de petites dagues. Il met en déroute les tireurs qui nous visent. Cadmis semble avoir un petit faible pour le fouet. Elle le manie avec une dextérité dont le simple claquement faire tressaillir nos adversaires et les tiens à distance. Quant à moi, mon agilité et ma rapidité me permettent de repousser mes assaillants. Quelques coups m’atteignent, mais après avoir participé à une guerre de grande ampleur, je ne suis plus à quelques blessures près.

Alors que les nombreux projectiles ont raison du cordage, laissant la base des voiles libres, une voix féminine m’alerte.

"Attention Jorus, derrière…"

Je n’aurais pas le temps d’entendre le reste. Si mes réflexes m’ont permis d’éviter des coups mortels, ils ne m’ont été d’aucun secours pour éviter la poulie qui m’a frappé en pleine tête. En l’espace d’un clignement, tout s’obscurcit devant moi et le voile de l’inconscience, me coupe de l’environnement particulièrement dangereux qui m’entoure.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 28 août 2022 14:19

VI Le fléau des mers.

VII Un réveil mouvementé.


J’ai la tête lourde et une effroyable nausée traverse ma trachée pour finir au sol, m’obligeant à me tourner sur le côté pour déverser le flux gastrique hors de mon corps. L’odeur qui m’atteint m’agresse le nez. J’ouvre péniblement les yeux. Je suis dans une pièce sombre. Quelques raies de lumières éclairent légèrement des lieux étranges qui ondulent aléatoirement.

(Ho putain ma tête !)

(Jorus, comment tu te sens ?)

(Je t’en supplie tais-toi ? Ca me fait un mal de chien !)

(Mais c’est que…)

(Non arrête ! J’ai l’impression qu’on m’ouvre le crâne par l’arrière !)

Je me lève péniblement, la main me tenant le crâne à cause de la douleur qui me vrille soudainement. Au bout d’un petit moment, je finis par m’habituer, ou alors je commence seulement à aller mieux. Je suis sur une couche, presque au niveau du sol. Je tente de me lever, mais mes jambes sont molles. Ce n’est qu’en me tenant à tout ce qui m’entoure que je parviens à marcher vers ce qui me semble être une porte. On est toujours en mer. Je le sais, car le tangage que je sens soudainement me rend la tâche encore plus dure, mais bien moins que le lien qui tire la cheville. Ma main glisse le long de ma jambe et vient toucher un anneau de fer froid autour qui enferme ma jambe. Le métal continue avec un entremêlement d’anneaux, qui se termine avec une masse particulièrement lourde.

(Je suis enchaîné à un boulet ?)

D’ailleurs, je ne porte ni arme, ni armure. Un cri me parvient depuis l’extérieur et m’arrache à la stupéfaction de ma situation. J’avance en tirant comme je peux le boulet qui m’enchaîne.

(Bordel, mais qu’est-ce qui se passe ?)

Lorsque j’ouvre enfin la porte, un flot de lumière m’aveugle. Le temps que je m’y habitue, j’entends la joie des festivités entre marins. Les rires, les chants, le tout dans une ambiance de vague se brisant sur la coque et de pleures.

(Quoi ?)

"Mais qui vient nous faire l’honneur de sa présence ?" Déclare une voix que je ne reconnais pas.

Une main m’agrippe et m’entraîne violemment au sol. L'un d'eux verse un liquide chaud sur le visage alors que je ne distingue que des formes humaines qui me toisent. L’odeur qui émane du liquide est forte et reconnaissable : on me pisse dessus. Je tente de m’opposer à ce traitement en me levant, mais un violent coup au visage me plaque au sol.

"Mais qu’est-ce qui se passe ?" Dis-je en murmurant. Ma vision s’éclaire petit à petit et je commence à voir mieux.

(Rappelle-toi l’affrontement avec les pirates. Tu as reçu un violent coup à la tête et tu as perdu connaissance. Après cela, votre équipage a finalement perdu le combat et beaucoup ont été fait prisonniers !)

"Aller, emmenez-le à la planche !" Fais une autre voix.

On me tire par les bras, m’entraînant jusqu’à la rambarde. En chemin, je finis par voir des têtes connues. Tous sont dans des états pitoyables, enchaînés comme de vulgaires esclaves avec à peine de quoi dire qu’ils sont vêtus. Attachés sur les mâts, d’autres se font fouetter et parmi eux, la rousse est présente. Elle subit bien plus de coups que les autres et une bonne partie de son corps est ensanglanté. On ne me laisse pas le temps d’en voir plus, qu’on termine de me traîner au bord du navire. Là, une planche m’y attend et on me force à monter dessus, après m’avoir délesté de mon boulet.

"Haha ! J’ai hâte de voir sa tête perdue au milieu de l’océan !" S’amuse un des hommes qui m’entourent.

Je peine à rester debout, mais ma position précaire ne me permet pas de me défendre convenablement. Hors de question de finir à l’eau, ma mort serait certaine. Pour me pousser, ces lâches utilisent des lances effilées. Pas moyen de lutter contre ça. Un pirate au crâne chauve attrape un balai particulièrement délabré et parvient à me le coller en plein visage, provoquant l’hilarité de ses comparses. Je lui retire son sourire satisfait, en lui dérobant l’objet de ma moquerie, mais l’espace d’une seule seconde. Je suis au bout de la planche et tous les hommes ont retiré leurs armes et m’observent avec un regard cruel. Je ne comprends qu’au dernier instant pourquoi. Je m’élance en avant, mais il est trop tard. La planche pivote et dérobe sous mes pieds mon maigre support. Je tombe finalement dans l’eau. Cependant, mon maigre élan me rapproche suffisamment du bateau pour m’accrocher à une maigre cavité dans le bois de la coque. Je ne tiens que par la force de quelques doigts, l’eau à hauteur de la bouche et le reste de mon corps, immergé dans l’eau, me tirant vers un destin funeste.

"Regardez-moi ça les gars ! C’est qu’il s’accroche le petit !" Ricane une voix.

Quelques fruits entamés et des objets divers sont projetés dans ma direction, mais force est de constater que ceux-là sont de piètres lanceurs.

"Jamais vu ça dis donc ! Il mérite une chance non ?" Propose un autre.

Quelques secondes plus tard et de l’eau plein le nez, une corde est lancée du pont et la même voix se fait entendre.

"Tu m’as épaté p’tit ! Attrape la corde !"

(C’est clairement un piège ! Ils vont la lâcher à la première occasion !)

"Aller, prends-là ! Fais pas ton timide !"

(J’en suis également certain, mais que puis-je faire d’autre ? Je ne tiendrais pas indéfiniment ainsi !)

Je finis par prendre la corde, sans lâcher ma prise, jusqu’à ce que plusieurs hommes m’en éloignent en me remontant sur le pont. Sauf que la corde devient soudainement molle et que je retombe complètement dans l’eau cette fois-ci. Je ne sors que l’eau que lorsqu’elle est de nouveau tirée.

"Désolé, elle nous a glissé des mains !" S’amuse-t-il en riant avec ses petits copains.

Je suis tiré avant d’être de nouveau relâché dans l’eau. Je suis complètement à leurs mercis et cela semble les satisfaire particulièrement. Je commence à fatiguer et de plus en plus d’eau pénètre un peu plus dans mes poumons à chaque fois.

"Remontez-le !" Tonne une voix féminine qui me parvient.

"Hooo capitaine ! Encore un peu !" Se lamente un des joueurs.

Je n’entends pas la réponse, mais la corde est tirée et cette fois-ci, c’est la bonne. Une fois que la rambarde atteinte, plusieurs bras m’attrapent pour me jeter sur le pont. Un vent doux me caresse le visage, le bois est chaud, un peu humide, mais l’ambiance est idéale pour cracher le trop plein d’eau de mon corps. Face à moi, une femme svelte à l’attitude dominante, se dresse de toute sa fine carrure. Elle est bien mieux habillée que les autres pirates, avec quelques frous-frous aux bouts des manches et arborant le mythique chapeau des capitaines pirates. Elle pointe vers moi une arbalète que je reconnais au premier coup d’œil.

"Cette arme, il paraît que c’est la tienne, c’est vrai ?" Me demande-t-elle.

"En effet." Dis-je en reprenant péniblement une respiration normale. "Je l’ai eu à la capture de son ancien propriétaire. Je vous en fais un bon prix si elle vous intéresse !"

"Comment tu parles au capitaine ? Tu feras moins le malin à nourrir les poissons !" Rugit un homme qui m’attrape par le bras.

"Laisse-le !" Tonne la femme. "Je reconnais cette arme. Tu es un de ceux ayant capturé Xenair durant la bataille de Kochii, tu dois valoir un bon paquet de yus ! Occupez-vous de lui et assurez-vous qu’il reste en vie !" Ordonne-t-elle.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 28 août 2022 14:38

VII Un réveil mouvementé.

VIII L'étincelle d'un espoir.


Après ce bref échange, j'ai appris des autres prisonniers ce qui s'est déroulé, suite à mon évanouissement. La capitaine des pirates se nomme Aurionne et contrôle une étrange créature volante, capable de générer des sorts aériens à l’infini. J’en conclu qu’il s’agit-là d’une invocatrice, tout comme Yliria. C’est elle qui est parvenue à retourner la situation grâce à la magie de son invocation. Sa première victime fût Zefir, un des seuls qui auraient pu atteindre la créature magique à distance. La panoplie de sorts a mis en déroute nos hommes et les pirates ont rapidement pris l’avantage.

Après cette première entrevue avec Aurionne, il y a une nette amélioration de mes conditions de voyage, comparé à une tentative de noyade orchestrée par les pirates. Nous sommes tous enchaînés, forcés à travailler jusqu’à l’épuisement. En plus d’une petite ration d’eau, on ne nous sert qu’une sorte de purée de reste particulièrement immonde, mais comme nous n’avons que ça à manger, il faut bien faire avec. Malheureusement, ce n’est pas du goût de tout le monde et certains commencent à perdre espoir. Nous sommes régulièrement roués de coups, pour éviter les rebellions ou alors par simple envie. Nous ignorons tous où nous nous rendons, mais il est certain que nous finirons esclaves quelque part. Les femmes sont peut-être les plus à plaindre. Beaucoup subissent des sévices sexuels de nos geôliers et quelques-unes ont préféré mettre fin à leur vie, en trouvant un morceau suffisamment coupant pour se trancher la gorge. Je ne vais pas les blâmer pour un tel acte, mais à présent, la raison de ma tentative me fait sentir bien ridicule comparé à ce qu’elles subissent.

Il est clair qu’ils ont un objectif précis : saper toutes nos forces, tant physique que morale, pour nous restreindre à une docilité suffisante durant le voyage. Certains tombent de fatigue ou le traitement subit à raison de leur santé. Leur corps, encore vivant, sont simplement jeter par dessus-bord pour éviter de déployer plus de ressources pour les maintenir en vie. Moi-même, je commence à perdre espoir devant notre situation, même avec ma faéra qui me soutient jour et nuit. Jusqu’à ce qu’un soir, Cadmis vienne à moi évitant de réveiller les autres prisonniers. Il y a quelques jours, certains ont balancé le nom de prisonnier ayant tenté de se jouer de nos ravisseurs, pour un peu de nourriture. D’ailleurs, ces derniers jours, la rousse semble apprécier la compagnie nocturne d’un homme en particulier, gagnant certains privilèges, ainsi que l’hostilité de ses anciens camarades de mer.

"Hey Jorus, commence pas à flancher veux-tu ?"

Je la regarde dans les yeux et y voir une forte détermination.

"Comment fais-tu pour surmonter tout cela ? Comment as-tu pu…" Je préfère ne pas terminer ma phrase, cela me déchire le cœur rien que d’y penser.

"Apparemment, d’ici peu nous allons arriver à destination." Cette simple déclaration me laisse dans un état mitigé. Autant ce calvaire va vite prendre fin, autant il laissera la place pour un autre. "J’ai un plan !" Me murmure-t-elle à l’oreille. "Il suffira de feindre un malaise pour reprendre des forces et les surprendre un à un !"

(Fûté la petite !)

"Ca ne marcheras jamais ! Ils vont simplement jeter par-dessus bord celui qui le tentera !" Dis-je, résigné.

(Non, écoute-là un instant.)

"Non, pas toi ! Ils te veulent vivant !" Continue-t-elle en me serrant le col. "Toi, tu es différent des autres, je t’ai vu te battre ! Si tu n’avais pas pris ce coup, les choses auraient pris un tournant différent, j’en suis sûr." Elle plaque mon visage entre ses mains et force mon regard à fixer le sien. "Le marin avec qui j’ai passé ces dernières nuits possède de la Xiuhl, j’ai enfin réussi à lui en dérober. Inhalé, cela provoque des symptômes similaires à l’insolation. Je connais la dose pour que cela ne dure que peu de temps. Ils ne craindront pas un malade souffrant."

"C’est que…je sais pas si…si j’en serais capable !" Dis-je en baissant les yeux.

Elle sert fortement mon visage si fort que je dois réprimer l’envie de crier.

"Ecoute-moi bien !" Commence-t-elle avec les yeux plein de larmes. "Je n’ai pas subi toutes ces nuits pour rien ! Tu m’entends ? Et puis nous le devons à Zefir. Lorsqu’Aurionne est apparue, sa créature a utilisé un sort qui nous a tous propulsés un peu partout et à la merci des pirates. J’aurais dû mourir à ce moment-là si Zefir ne s’était pas interposé. Ca lui a coûté la vie, alors je t’interdis d’insulter sa mémoire en refusant !"

(Elle a raison. La tâche est aussi difficile que dangereuse, mais tu comptes vraiment abandonner. Je sais que ces derniers jours ont été éprouvants, mais demande-toi. Qu’aurait fait Yliria à ta place ? Que penserait-elle de toi en te voyant ainsi ?)

La remarque me frappe comme une gifle.

(Yliria ? Elle se serait certainement battue jusqu’au bout, quitte à mettre le feu au navire !)

"Le feu !" Fais-je brusquement, avant que Cadmis ne porte sa main à ma bouche. Nous nous éloignons un peu et reprenons notre discussion. "Si on met le feu, se sera la panique à bord ! Tu m’as dis que la capitaine était assez forte. Il faudra probablement l’isoler avant de s’attaquer à elle." Dis-je plus bas.

"Ce n'est pas que je ne veuille pas, mais comment on fait si on a plus de bateau ? En plus, pas moyen de dégoter de quoi faire du feu ici. Même la plus petite lanterne est gardée sous surveillance." Déclare-t-elle.

"Merde oui ! Si seulement j’avais accès à mon sac !"

"Ton sac ? Tu n’y auras jamais accès…" Déclare-t-elle. "…mais moi si ! Que te faut-il ?"

"De ce que je sais de la capitaine, elle contrôle une invocation. Ces créatures sont aussi fragiles que puissantes, un seul coup pourrait l"éliminer. Cependant, il reste le problème de l'invocatrice et de sa capacité à lancer des sorts et pour ça, rien de mieux que la brise magie. J’en ai justement dans une de mes gourdes. Trouve-là !"

La conviction dans ma voix satisfait Cadmis qui me sourit soudainement.

"Contente de te retrouver ! Il va me falloir un peu de temps pour préparer la poudre avec les moyens du bord. Quand c’est prêt, je te préviens."

Elle part, mais un pressentiment m’atteint soudainement.

"Tu l’auras à temps n’est-ce pas ?"

Elle croise mon regard rapidement avant de répondre.

"Espérons-le !"

Puis s'en va.

Modifié en dernier par Jorus Kayne le dim. 4 sept. 2022 14:43, modifié 1 fois.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 4 sept. 2022 14:42

VIII L'étincelle d'un espoir.

IX Mutinerie.


Le temps passe sans que je n’aie de nouveau la venue de Cadmis. J’essaie de ne pas forcer et de faire semblant, pour garder un maximum de force. J’espère que cela ne va pas trop tarder, car l’impatience des hommes trahit l’arrivée proche. J’en parlais justement avec un camarade de chaînes il y a peu, me demandant où nous devrions être. Nous aurions dû atteindre le port depuis le temps.

"Je suis d’accord, on vogue depuis un bon moment maintenant. On est parti d’Oranan vers l’Imiftil et on a été pris sur le trajet. Cependant, même s’il s’agit de pirates de Darhàm, nous aurions déjà dû atteindre la cité portuaire." Dis-je en continuant mes suppositions. "La seule explication est qu’ils comptent nous vendre directement, va savoir pourquoi. Peut-être pour rentrer à Darhàm plein les poches. Comme Perailhon est aux commandes, les choses sont probablement différentes. S’ils comptent nous vendre comme esclaves, je doute qu’ils le fassent avec une cité inamicale envers le royaume d’Oaxaca du temps de son règne. Comme il fait de plus en plus froid ces derniers jours, pour moi la seule destination possible serait qu’ils nous conduisent à Pohelis !"

Voyant la mine désastreuse, j’ai bien vu que mes soupçons n’étaient pas dénués de sens. Y a-t-il quelqu’un à Pohelis qui serait ravis de m’avoir en tant que trophée ? Exhiber au bout d’une laisse, un de ceux ayant vaincu Oaxaca ? Cette idée provoque un frisson glacial à chaque fois que j’y pense.

(Dépêche-toi Cadmis !)

Alors que je suis de corvée sur le pont depuis plusieurs heures, l’apparition de la rousse provoque des sentiments mitigés. D’une part, j’ai une force envie de me venger et de mettre un terme à ce calvaire, mais d’une autre, la pression d’avoir toutes ces vies sur la conscience si jamais j’échoue est forte, presque handicapante. Cadmis jette un regard vers moi et désigne le sol à mes pieds. Elle semble insister et la distance entre nous diminuant, s’agace même un peu. Je ne comprends pas sa signification, mais heureusement que je ne suis pas seul.

(A mon avis, qu’elle veut que tu te baisses. Il faut faire croire à une insolation donc donne l'impression que tu ne te sens pas bien.)

(Je pense que ça ne va pas être dur à simuler !)

Je feins d’échapper mes affaires et tombe au sol en voulant les rattraper. Deux mains viennent rapidement à moi. Une à la taille pour me relever, même si la force n’y est pas et l’autre, au visage.

"Respire fort !" Murmure la voix de Cadmis

J’obéis et respire quelque chose de particulièrement désagréable. Une irritation qui s’intensifie avec le temps, au point d’avoir l’impression que mon nez sert de culture à du piment extra-fort. Ma main étant légèrement mouillée, j’en profite pour enlever quelques traces de poudre qui resteraient. Rapidement, une forte fièvre m’atteint, au point où je n’ai plus à feindre le malaise. Je tombe de nouveau au sol, haletant avec force, espérant me rafraîchir en vain.

"Qu’est-ce qu’il a celui-là ?" Demande une voix d’homme.

"Il a une forte fièvre. Je crois que c’est une insolation !" Répond Cadmis.

"Quoi ? Y’a un peu de soleil, mais il fait pas si chaud !" Réplique encore l’homme.

"C’est à vous de voir, mais je doute que votre capitaine apprécie le voir ainsi, alors qu’on arrive. Il a besoin de repos et surtout de manger convenablement !" S’agace-t-elle avant de le provoquer. "Ou alors vous pouvez le jeter par-dessus bord comme les autres !"

(Heu...tu es sûr de toi Cadmis ?)

J’entends ses bruits de pas s’éloigner brièvement avant que l’homme ne l’interpelle.

"Ca va, ça va ! Allez, emmène-le ! Mais pas de coup fourré ou tu vas le regretter !"

Cadmis me soulève avec difficulté et m’entraîne dans une cabine à l’intérieur. Je me laisse tomber sur la couche, tandis qu’un homme un peu bouffi vient me saisir le visage pour m’examiner. L’effet de la poudre est toujours actif et la fièvre n’est pas simulée. Une aide précieuse pour m’aider à le tromper. Après m’avoir serré la mâchoire comme c’est pas permis, il me repousse le visage en grommelant quelque chose d’intangible, avant de déclarer vouloir passer régulièrement. Avant de partir, il détache le boulet à mes chaînes, pour le rattacher de nouveau en passant par l’armature du lit. Une façon de s’assurer que même si je me remets, je ne puisse pas bouger. Cadmis reste avec moi après que l’homme nous laisse seuls.

"Je t’apporte à manger et à boire. Repose-toi !" Puis elle s’approche de moi pour me déposer un oreiller avant de me murmurer. "Tu en auras besoin pour la suite. Je compte sur toi !"

Elle quitte finalement la pièce, me permettant de dormir un peu. Mon repos est assez agité. Je parviens à dormir un petit peu et les quelques moments où je reprends conscience me montre que Cadmis m'a apporté à manger ainsi qu’à boire et que l’homme qui me surveille ne lésine pas sur les moyens pour me réveiller et s’assurer que je me porte mal. Lorsque je me réveille, ma faéra me pousse à me nourrir pour reprendre des forces. Puisque mon état n’est pas feint, les visites et les réveils se font moins fréquents et finalement, les effets de la poudre disparaissent alors que la nuit est tombée.

(J’ai pu me reposer et reprendre des forces, mais il faut absolument que je trouve un moyen de me libérer de mes chaînes !)

Je me relève pour observer correctement ce qu’il m’entoure. Il fait sombre, mais je perçois une table, une chaise et une commode en plus du lit. Je vais pour examiner plus en détail à la recherche d’une arme de fortune ou de quoi crocheter la serrure, mais la chaîne prise dans le lit, diminue considérablement mon champ d’action et m’empêche de les atteindre. Je n’ai qu’accès à la chaise en bois où se trouvait de quoi manger et une outre d‘eau à ses pieds.

(C’est à croire qu’il avait bien prévu son coup.)

(Il est certainement moins idiot qu’il n’en a l’air. Tu es sûr que tu ne peux atteindre la commode ?)

(Même si j’arrive à l’ouvrir, je doute parvenir à prendre quoi qu'il y ait à l'intérieur, mais c’est mieux que de ne rien faire !)

(Sinon il y a la chaise. Tu pourrais t’en faire un pieu ?)

(Non. Il faut que je taille le bois correctement pour qu’il soit utile et je te parle même pas du bruit en brisant un des pieds. Je vais essayer d’ouvrir la commode avec le drap.)

Je défais le drap sur lequel j’ai dormi et l’enroule pour en faire un simili de corde solide. Je réalise une boucle et voilà une prise de fortune ! J’use du drap enroulé sur lui-même pour essayer d’atteindre la poignée de la commode, mais je dois admettre que je ne suis pas très doué. Je tire un maximum sur la chaîne pour gagner du terrain, soulevant ainsi le boulet, mais en échouant une nouvelle fois, je perds l’équilibre et le boulet tombe lourdement, provoquant un bruit qui me fait craindre le pire. Rapidement, des bruits pas très rapprochés se font entendre : quelqu’un vient en courant. Sans plus attendre, je retourne dans mon lit et, ne pouvant le remettre à temps, cache le drap sous l’oreiller.

La porte s’ouvre avec force. J’ai les yeux fermés, mais je me doute de qui il s’agit. Je le reconnais à l’odeur particulière de sueur et d’alcool qui m’a accompagnée cette après-midi. Moi, je suis sur le dos, une main sur le ventre et l’autre sous l’oreiller. Les bruits de pas se rapprochent de moi. J’entends et sens qu’on tire sur les chaînes pour s’assurer qu’elles sont bien en place. Les pas se rapprochent, mais rien. Si ce n’est une forte odeur d’haleine chargée, contre laquelle je me force de ne pas réagir. J’entends la chaise bouger, les pas qui trépignent au sol et la commode qui s’ouvre. Je me permets d’ouvrir brièvement les yeux à ce moment et voit l’homme devant le meuble, me tournant le dos. Si la commode est hors de portée, ce n’est pas le cas du pirate. Je me redresse lentement sur ma couche pour me diriger vers lui et lorsque le bruit de mes chaînes se fait entendre, je n’attends plus. L’homme sursaute, mais il est trop tard. Il perd l’équilibre lorsque je l’agrippe par le pantalon et le ramène jusqu’à moi. Ma main droite passe le drap enroulé autour de son coup et lorsque la jonction avec la gauche se termine, je sers aussi fort que possible. L’homme se débat. Il me frappe de ses coudes et bat des pieds. J’encaisse ses coups et l’incline plus en arrière pour qu’il n’atteigne pas le sol et n’avertisse ses camarades. Sa gorge bloquée ne peut échapper le moindre son. Quant à moi, je reçois sans cesse des coups qui me font grincer les dents de douleurs. C’est autant une bataille de force que d’endurance. Le premier qui flanche à perdu. Le pirate lutte pour sa survie et moi, je me bats avec l’énergie d’un espoir retrouvé. Plus encore, si je parviens à me libérer, c’est tout un tas d’hommes et de femmes qui seront libres et prêts à se battre à nouveau. Cette idée, cette notion que des vies dépendent de ce moment et me donne la force de lutter. Au bout de longues minutes d’efforts, le pirate est vaincu.

Je vérifie plusieurs fois que ce n’est pas une duperie, tout en reprenant mon souffle après cet effort. Je le fouille pour trouver la clef de mes chaînes et délie ces liens qui m’ont trop longtemps entravés. Je ne prends qu’un peu le temps d’apprécier ce moment, avant de le déshabiller pour porter ses vêtements, ainsi que ses armes. Deux épées. Je ne suis pas à l’aise avec, mais c’est toujours mieux que rien. Avant de partir, je dispose le corps à ma place dans la couche et le recouvre du drap, juste assez pour laisser croire qu’il s’agit de moi. Pour ce faire, le boulet que j’attache à ses pieds m’y aidera. Une fois cela fait, je prends le temps de respirer. Les choses vont prendre une tout autre tournure lorsque je quitterais cette pièce. Je dois avoir l’esprit clair pour agir rapidement et sans hésitation. Une fois que mon cœur ne s’emballe plus par l’effort récent, je vérifie mon nouvel arsenal, me positionne devant la porte et l’ouvre lentement. Habillé de la sorte, il est préférable de garder mes armes rangées pour augmenter mes chances de passer inaperçu, si je me fais voir.

La porte ouverte donne sur un couloir sombre, mais dépourvu d’ennemi. Je vérifie une dernière fois que rien ne risque de faire du bruit en marchant, avant de m’y engouffrer. J’entends des rires, mais ceux-là proviennent d’assez loin me semble-t-il. Pour le moment, je ne croise aucun être.

(Prendre le contrôle du navire ne va pas être une chose aisée. Même si je défais la capitaine, il va me falloir éliminer ceux qui voudront prendre sa place : à savoir tout le reste de son équipage !)

(Tu ne comptes pas les tuer un à un je présume ? Ca va te prendre toute la nuit !)

J’arrive à une intersection lorsqu’un bruit de métal qui se brise se fait entendre, suivit d’une brève conversation inaudible et des bruits de pas rapides dans ma direction. Les lueurs faibles de la lune me montrent que le couloir poursuit droit devant et un autre accès se dirige à droite. De mémoire, le chemin menant aux prisonniers nécessite de prendre un escalier situé tout droit. Sans hésiter, je me dissimule dans la pénombre et place mes mains sur les gardes de mes épées, faisant coller à la perfection mes cuisses. Ca m’évitera de les cogner à cause du tangage. Je retiens ma respiration ainsi que mes pensées, tandis que mon pouls accélère si fort que je sens battre mon cœur jusque dans ma tête. Deux hommes passent par la droite, pour continuer le chemin droit devant moi, avec ce qui semble être des bouteilles de vins et du saucisson. Une fois éloignée, je reprends le luxe de respirer.

(J’ai surtout aucune chance, tu veux dire ! Durant la bataille de Kochii, j’avais armes, armures et équipements. Là, j’ai deux épées qui sont déjà trop longues pour moi !)

(Si tu as réussi à te libérer avec un drap, tu sauras utiliser ce que tu as !)

(Nous verrons. Pour le moment, il faut des hommes !)

Je file à droite le plus discrètement possible.

(Si tu voulais des hommes, pourquoi tu n’as pas pris le chemin menant tout droit ? Tu espères un autre accès ?)

(Il y a certes des hommes et des femmes, mais aucun n’a la force de se battre. Leur volonté leur a été piétinée jusqu’à la dernière miette ! Il faut raviver la flamme qui sommeil en eux en supprimant ce qui bloque leur esprit.)

(Je crois que je commence à comprendre où tu veux en venir et pourquoi tu te diriges ici !)

J’arrive à une porte et prends le temps d’écouter les bruits à l’intérieur. Rien. Je tourne délicatement la poignée et observe à l’intérieur : aucun mouvement suspect.

(Oui. Il y a une chose qui, selon moi, les retient plus que n’importe quelles chaînes au monde : une faim dévorante !)

Ainsi, je pénètre dans le garde-manger. Les lumières de la nuit ne sont pas assez fortes pour venir aussi loin. C’est donc à tâtons que je cherche à manger, mais aussi de quoi le transporter. Dans mon entreprise, je fais tomber plusieurs choses par terre.

(L’idéal serait le drap de ta précédente chambre !)

L’idée est bonne et son exécution ne se fait pas tarder. Plus confiant, je me déplace plus rapidement et atteint sans bruit ma destination. Je retourne à l’intérieur et d’instinct, mon regard sur porte sur le lit où le corps… s’y trouve toujours. Inerte et sans vie. Je ramasse un large drap qui fera office de sac pour tout transporter et retourne prestement au garde-manger. Toujours personne, parfait. Je dispose le drap au sol et y fous tout ce qui passe à portée de main : pain, fruits, viande séchée. Dans ma précipitation, je fais tomber certaines choses, mais qu’importe, je dois faire vite. Alors que je m’apprête à partir, une lumière survient là où se trouve l’unique sortie.

"Hey, mais qui je viens d’attraper ?" Ricane une voix d’homme.

(Merde ! Merde ! Merde ! Faut que je me débarrasse de lui !)

Les pas se rapprochent de moi et pendant ce temps, je laisse tomber les vivres et dégaine aussi silencieusement l’épée à ma gauche.

"La capitaine avait raison de penser que certains profiteraient de l’arrivée prochaine pour se péter le bide ! Je sens que je vais me régaler à te faire subir la punition pour un tel acte !" Continue-t-il en se rapprochant de moi.

L’homme n’est pas loin de moi. Sa lanterne se rapproche dangereusement et risque de dévoiler l’éclat de l’arme. Il me faut trouver une solution. Je ne suis pas à l’aise avec une lame aussi longue et pour compenser ce manque, je dois être aussi proche que possible. Ne frapper qu’une fois que je suis certain de moi, pour que ce coup soit mortel. Je cale donc la lame sous le bras gauche, pointant l’extrémité du métal derrière-moi et cachant la garde entre mes mains. L’homme se rapproche encore et se positionne dans mon dos. La lanterne éclaire l’intérieur du garde-manger, dévoilant les mets à l’intérieur. Mon ombre, qui prend déjà une part importante face à moi, prend des proportions énormes. Je n’en comprends la raison que lorsque je sens le souffle de l’homme sur ma nuque : il s’est penché sur moi.

"Alors à qui avons-nous affaire ? Erik ? Larz ?" Interroge-t-il en posant sa paluche sur le chapeau qui dissimule ma tête.

Mon déguisement est sur le point d’être dévoilé. Je tourne donc vivement la tête pour croiser brièvement le regard de l’homme, avant de porter mon attention plus bas. Dans le même temps, je place mon pied en opposition pour me servir d’appuis, oriente le bras pour diriger la lame encore invisible pour lui. Tous mes muscles agissent de concert. Mon corps entier se meut dans cet effort fulgurant. Mon bras gauche dévoile la lame, qui se voit propulsée par l’appui de ma jambe et la poussée de la main qui tient l’arme. L’épée transperce l’homme en plein cœur qui n’a le temps de réagir, si ce n’est un cri qui s’échappe de lui lorsque je le clou au mur, mais que j’étouffe rapidement en portant ma main libre à sa bouche pour l’en empêcher. Je lâche la garde pour attraper in extremis, la lanterne qui s’échappe de sa main. Son corps se détend finalement, lorsque la vie lui échappe. Son regard, encore plein de la stupéfaction qu’il vient de subir, comprenant que trop tard, qui je suis et ce que mon acte représente pour le reste de l’équipage pirate.

Désormais débarrassé de cette menace, j’ai le loisir de mettre dans mon drap, tout ce qui me vient. Il m’importe peu de prendre avec moi les récipients qui pourraient générer du bruit sur le moment, il faut être silencieux sur le chemin. Pour la même raison, je ne prends pas de vin. Si la faim assouvie fera jaillir un nouvel espoir, la soif toujours présente attisera leur vengeance, une récompense pour la victoire. Avant de partir chercher des hommes, je m’occupe de mon précédent adversaire. Je décroche l’épée faisant tomber le corps et le fouille avant de le jeter dans le garde-manger. J’obtiens une autre épée, ainsi qu’une lame courte.

(Enfin une arme qui me convient !)

La lumière de lanterne m’indique que le cadenas a été forcé. Sûrement les deux gros porcs qui m’ont précédé. J’éteins la lanterne et la dépose auprès de son défunt propriétaire. Je commence à être bien chargé avec mon gros sac de nourriture et mes armes. Je tâche de ranger le tout correctement. Le sac par-dessus l’épaule gauche, la dague sur mon côté gauche et toutes les épées sur ma droite. Ainsi, ma main directrice sera en charge de tenir les fourreaux pour qu’ils restent ensemble pour minimiser le bruit et la dague à ma gauche pour la dégainer rapidement. J’aurais bien apprécié quelque chose pour attacher les fourreaux, mais je rien d’utile ne me saute aux yeux et j’ai déjà perdu trop de temps. Je m’avance jusqu’à l’intersection et guette le moindre signe de présence : rien.

J’avance prudemment jusqu’à atteindre la soute, où se trouvent mes camarades prisonniers. Je progresse lentement, tous mes sens aux aguets à l’approche de mon objectif, qui je le crains, est gardé. Pas de lumière ! Je sais que je ne me suis pas trompé. Cela ne signifie qu’une chose.

(Pas de lumière, pas de garde !)

J’avance à tâtons, cherchant le verrou de la main. Je trouve le montant de la porte. Je descends jusqu’à atteindre le froid du métal et détermine la forme du cadenas qui ferme le tout.

(Je suis déjà pas foutu de crocheter en plein jour, alors dans le noir. Il ne me reste plus qu’à l’arracher !)

Il y a deux parties métalliques, un sur le montant et un autre sur la porte, le cadenas celant les deux parties. Je dépose mon sac de fortune, dégaine ma dague et la place entre le loquet métallique et le bois. Avec un peu de patience et de la force, je finis par entailler suffisamment le bois pour que la porte s’ouvre sans difficulté. Il me faut me dépêcher, car mon entreprise n’a pas été des plus discrète. Je reprends le drap et entre.

A mon arrivée, j’entends plusieurs personnes craindre cette étrange venue nocturne. Qui sait ce qu’un homme serait prêt à faire, s’il en vient à forcer la porte. Et c’est parmi ces personnes terrifiées que je compte commencer la mutinerie.

"Ecoutez-moi !" Fais-je clairement après avoir refermé la porte. Les voix se taisent, hormis quelques murmures. "Je ne suis pas un de ces pirates, c’est moi, Jorus !" L’inquiétude et la stupéfaction reprend le dessus sur les esprits et commencent à provoquer une agitation que je coupe net. "Taisez-vous !" J’ai pris un risque en parlant plus fort, mais cela aurait été pire si je n’avais rien fait. Je reprends ensuite plus calmement et parlant de façon clair pour ne pas hausser la voix. "Nous avons été frappés, humiliés, violées pour certaines. On nous affame, on nous assoiffe, on nous fatigue jusqu’à l’épuisement et ce dans un seul but : saper notre espoir jusqu’à la dernière goutte pour empêcher toute rébellion ! Mais c’est fini !" Je laisse un léger silence pour que la graine de l’espoir renaisse à nouveau. "Vous êtes des marins ! Vous bravez les dangers de la mer, des pires tempêtes, quand ce n’est pas des monstres marins. Avec tout ce que vous avez vécu, ces pirates ne sont qu’un défi de plus. Commençons par manger et ne faites aucune bruit !" Dis-je en déposant au sol le dras de vivre et donnant aux mains qui viennent à moi de quoi manger. "Vous le savez, j’ai été présent durant la bataille de Kochii. J’ai affronté Oaxaca avec tant d’autres. Je vous ai nourri, je peux vous armer…" Je dépose au sol les épées dans le choc des fourreaux…"j’ai besoin de vous pour prendre le contrôle du navire, mais il ne tient qu’à vous de vous libérer de vos chaînes !" Encore une fois, je m’arrête pour leur laisser prendre le temps de comprendre mes intentions. "Alors, qui compte me suivre ?"

Personne ne pipe mot. Même si j’ai apporté de quoi calmer un peu une faim tenace, même si j’ai apporté des armes et la chance de se venger, aucun ne bronche à ma proposition. Est-elle folle ou suis-je arrivé trop tard ? Je sens qu’il ne faut qu’une étincelle pour allumer le feu, mais j’ai déjà fait tout ce que je pouvais.

"Si vous ne le voulez pas je ne vous obligerai à rien et irais seul !"

Je me retourne pour partir, abattu moralement, lorsqu’une voix féminine se fait entendre.

"Je ne peux plus subir un tel traitement. Je comptais mettre fin à ma vie, mais si je peux en emporter avec moi, se sera avec joie que je mourrais !"

Le silence s’installe à nouveau, lorsqu’une autre personne se joint à nous, puis un autre et encore un autre. Petit à petit, un effet de domino s’installe jusqu’à emporter l’ensemble des prisonniers.

"Nous n’avons pas la possibilité d’armer tout le monde. Il nous faut donc un petit groupe sachant se battre et capable de se faufiler discrètement ! Ensuite nous…" Derrière-moi, les bruits de pas se font entendre et une lumière confirme la venue de quelqu’un.

Je me cache donc dans un coin, entraînant avec moi le drap et attendant avec crainte cette présence imprévue, une arme courte en main, tandis que le murmure de la crainte s’installe parmi mes camarades d’infortune.

"Pourquoi diable la porte est-elle ouverte ?" Fait une voix masculine, avant de pénétrer à l’intérieur.

Sa lumière de la lanterne dévoile les marins debout, pieds et poings liés, avec un espoir brisé dans leurs regards. Ma présence étant passée inaperçu, je le vois s’avancer en me montrant son dos.

"Mais c’est quoi ce bordel ? Pourquoi vous êtes tous debout et…" Il s’avance un peu, percutant du pied les armes au sol. "Mais qu’est-ce que… ?"

Il n’aura pas le temps de finir que déjà, je me suis avancé silencieusement jusqu’à lui. J’ai rassemblé l’énergie dans mon bras et au dernier moment, je bondis sur ma proie et plante ma lame dans la gorge. Si l’attaque ne lui est pas fatale sur le coup, il lui empêchera de hurler. Face à lui, tous sont figés par le spectacle. Tous sauf une personne. Une femme se précipite jusqu’à lui, ramasse une épée au sol et une fois dégainée, la lui plante profondément dans le torse, poussant de tout son être jusqu’à la garde. La vie s’échappe finalement du corps de l’homme qui tombe au sol, emportant avec lui la femme qui brise le silence de ses sanglots.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 4 sept. 2022 14:49

IX Mutinerie.

X Vengeance sanglante.


Une fois les sanglots passés, la femme montre une forme de détermination qui se propage rapidement aux autres. Parmi les personnes présentes, plusieurs individus sortent du lot. C’est décidé, cette petite poignée sera le fer de lance de la mutinerie. Petit à petit, nous devons atteindre certains objectifs, à commencer par le premier point que je soulève.

"Il nous faut rapidement trouver des armes. Quelqu’un a une idée où nous devons nous rendre ?"

"Tous les pirates ne dorment pas au même endroit." Répond la femme qui a porté le coup de grâce. "Ils sont répartis un peu partout, pour agir rapidement en cas d’attaque ou d’incendie je crois, mais surtout ça évite qu’ils soient tous regroupé et enfermé en un point. Toutes les salles sont cependant reliées entre elles par des cordes qui alertent tout le navire !"

Porté par tant de bonnes nouvelles, j’établis notre objectif.

"Merveilleux ! Bon, faut pas se leurrer, je doute qu’on soit en mesure d’éliminer tout ce beau monde en toute discrétion, mais on a une chance de passer en surnombre. On va devoir en éliminer un maximum avant que cela n’arrive. Ne perdons pas de temps !" Je tourne la tête vers l’homme que nous venons de tuer et réfléchis un instant avant de me concerter avec les autres. "On va avoir besoin de lumière. Il faudrait qu’on trouve quelque chose pour atténuer la lumière de la lanterne."

"On pourrait mettre un vêtement dessus !" Fait un des hommes.

"Non, si on le pose comme ça, on va juste mettre le feu !" Rétorque une femme.

"Oui, il nous faudrait quelque chose de plus grand sinon, comme..." Un peu plus loin, un éclat m’interpelle. "C’est quoi ça ?"

Un bref examen m’indique qu’il s’agit là d’une cage à oiseau endommagé.

"Ca sera parfait !" Je la présente aux autres et place la lanterne allumée à l’intérieur. "Mettez un tissu aussi sombre que possible dessus et on tirera pour nous éclairer le chemin. Il nous faut quelqu’un en plus qui en sera responsable et aussi deux autres pour porter les armes récupérées jusqu’ici."

A ma proposition, une femme vient me la prendre des mains, sans que je n’ai d’oppositions à soumettre et deux hommes s’avancent. Guidés par celle qui a tué l’homme, nous nous dirigeons vers une zone de repos et une des plus petites. Si elle m’oriente sur le chemin à prendre, c’est moi qui prends les devants et fait office d’éclaireur. Il y a un peu d’activité sur le bateau la nuit, mais heureusement, personne n’est sur notre chemin. En même temps, aucun de ces maudits pirates ne s’attend à ce que leurs esclaves prennent soudainement les armes et ce point est crucial pour nous. La femme m’indique une porte en particulier. La tension monte d’un cran.

(J’espère que cela va bien se passer. Au moindre faux pas et on est… Non ! Ca va bien se passer !)

(Oui reste optimiste !)

Je m’avance, regarde un peu partout en quête d’une menace qui viendrait, mais rien. Doucement, je pose mon oreille sur la porte à l’écoute d’une activité notable, mais encore une fois rien.

(Voilà la partie compliquée !)

Je pose ma main sur la poignée, la tourne lentement et ouvre la porte qui grince un peu, malgré mes précautions. Pas de bruit, pas de réaction. Il y a-t-il seulement quelqu’un ? Je fais venir la porteuse de lumière et dévoile plusieurs individus dormant profondément. On laisse assez de lumière pour se déplacer à l’intérieur et j’invite les autres à venir, armes dégainées en montrant l’exemple.

"On ne doit pas les louper ! A mon signal, tu illumines tout, compris ?" Fais-je à la femme à la lanterne.

Elle acquiesce d’un signe de tête et aussi discrètement que possible, nous pénétrons à l’intérieur, armes brandies. La tension est palpable. J’ai le souffle saccadé par le stress de notre situation, mais j’ai connu la terreur d’Oaxaca, je sais que je vais tenir. J’espère simplement que ça ira pour les autres.

"Soyez précis et sans pitié !" Fais-je dans un murmure avant de parler plus fort. "Maintenant !"

L’intéressée dévoile la lumière qui éclaire la pièce. Plusieurs personnes dorment dans des hamacs et déjà, en plus de ma voix, la lumière en dérange certain qui ouvre péniblement les yeux. Sans concertation, nous frappons tous ensemble. Les lames tranchent les chairs sans aucun remord. Cependant, ils sont plus nombreux que nous et nous n’avons pas la possibilité de tous les tuer immédiatement. Tiré subitement du réveil, certains s’emmêlent les membres et tombent au sol. Il n’en faut pas plus pour qu’ils se fassent transpercer de lames. Un seul parvient à retomber sur ses pattes et se précipite pour alerter le reste du navire. D’un bond, je lui tombe dessus et le fais chuter au sol, terminant l’action en lui transperçant la gorge. Tous sont finalement morts et si certains ont eu l’opportunité de crié, cela ne s’est fait que brièvement, comme le réveil brutal d’un cauchemar.

"Très bien, ne perdons pas de temps. Récupérez les armes et apportez-les au reste des prisonniers. Je sais que vous avez soif, alors on prend aussi le temps de se ressourcer et d’envoyer le reste avec les armes."

Une fois cela fait, je fais un signe de tête à la femme qui connaît bien le navire pour qu’elle nous emmène à la seconde destination. Sans plus attendre, nous reprenons le chemin et réitérant la même technique. En chemin, nous apercevons la lumière à un croisement. Je m’y précipite discrètement pour les recevoir. A l’oreille, il y en a deux. Je défais une de mes chaussures et me prépare. Lorsqu’ils déboulent, j’envoie ma chaussure distraire l’homme le plus loin, tandis que celui le plus proche reçois ma lame en pleine tête. Ne voulant pas perdre le temps de réarmer le bras, je frappe avec ma main désarmée et frappe un coup-de-poing dans le nez. L’homme porte ses mains au visage, avant de recevoir une lame dans le ventre qui le courbe en avant, en gémissant de douleur. Puis un second coup vient le frapper de nouveau, ainsi qu’un troisième. Il trépasse également pour rejoindre la zone de non-vie, dédié aux connards profonds de son espèce.

Il est possible que le bruit en ait alerté d’autres. Nous devons donc nous hâter. Nous reprenons le chemin jusqu’à la pièce de couche suivante. Ecoute : aucun bruit. Poignée, porte qui grince : pas de réaction. Brève lumière à l’intérieur : c’est l’effroi. Ils sont plus nombreux ! Je fais venir les autres et nous nous plaçons. Alors que j’attends que tous soient présents pour donner l’ordre de projeter la lumière à l’intérieur, qu’un hurlement se fait entendre au loin.

"Alerte ! Les prisonniers s’échappent !"

Cela vient de la cale où sont enfermés le reste des marins. Ils ont été très certainement découverts avant nous. Hélas, cela réveille les pirates et nous prend au dépourvu. Sans plus attendre, nous frappons. Nous en tuons quelques-uns, mais avec moins d’efficacité cette fois-ci. Nos adversaires se défendent tant bien que mal et l’un deux se dirige vers l’alarme générale du navire. Je saute entre deux hamacs et fonce sur lui. Alors qu’il s’apprêtait à tirer sur la corde, sa main est empêchée par une dague qui la transperce dans un hurlement. De ma main opposée, je force sa tête à s’orienter du côté opposé et dégage ma lame pour frapper sa nuque qui se présente docilement à moi.

(Parfait ! Au moins on aura empêché…)

Le bruit d’une cloche résonne dans tout le navire. Mes yeux, comme ma tête tournent dans tous les sens, jusqu’à apercevoir un second homme qui tire sur une seconde corde d’alarme. Il se fera abattre par mes camarades peu après, mais le mal est fait. Si le cri d’alerte n’avait pas suffi, maintenant on est sûr que le pire est à venir. Il faut maintenant s’ordonner et c’est rapidement que je donne les dernières instructions.

"Prenez les armes et rejoignez les autres vite ! Si quelqu’un vous barre le chemin, bloquez-les pour armer les autres."

Nous ramassons les armes sans attendre et une chose alerte mon regard et me pousse à mépriser ces hommes davantage. Insérée dans une cruche de bière, ma dague de glace y réside. Voir une arme si dangereuse, une relique sacrée que je porte avec moi depuis tant de temps, être usée de la sorte pour refroidir un breuvage, me met hors de moi.

(Dis plutôt que tu regrettes de n’avoir pas eu l’idée avant lui !)

Je m’équipe de ma précieuse amie, la sortant de cette humiliation qu’elle a subi, pour suivre les autres. Au loin, le tonnerre des pas courant sur le pont résonne.

"On n'aura pas le temps de revenir avec le reste des hommes !" Craint l’un de nous.

"Aller chercher tout le mobilier disponible ! On s’en servira pour bloquer le chemin le temps de tous se rassembler." Fais-je aux autres. "Installez-le à un croisement, nous éviterons les tirs !"

Rapidement, un barrage de chaises se fait, alors que nous ennemis s’y cognent. L’arrière poussant, ils ne comprennent que trop tard que nous sommes déjà bien avancé dans notre libération. J’en profite pour frapper de ma dague de glace deux adversaires, qui comprendront rapidement l’intérêt de bien connaître le pouvoir de ses équipements. Lorsque finalement le barrage cède, une troupe de marins nouvellement armés vient les affronter. Tandis que je vais participer à notre libération, on me tire en arrière.

"Attends ! On n’arrivera à rien si on n’élimine pas leur cheffe et toi seul en es capable ! Elle est…je ne saurais l’expliquer." Déclare la femme qui nous a guidés jusqu’ici. Nos regards se croisent et je perçois la crainte dans ses yeux.

"Bon très bien ! Je vais faire le tour et tenter de les prendre à revers. Parce que des échos que j’ai eu, j’aurais sûrement besoin d’aide pour l’affronter !"

Ainsi, je quitte momentanément les hommes et femmes que j’ai menés à la révolte. Je me dirige vers la chambre où je me suis reposé, car en plus d’être là où notre rébellion a commencé, c’est aussi un point d’accès au pont pour moi, grâce à sa fenêtre.

Modifié en dernier par Jorus Kayne le dim. 4 sept. 2022 14:59, modifié 1 fois.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » dim. 4 sept. 2022 14:58

X Vengeance sanglante.

XI Condamnation ou liberté.


Même en pleine mer, par une lumière lunaire légèrement dissimulée par les nuages, je suis largement capable de grimper la distance jusqu’au pont supérieur. La nuit est douce et la mer un peu agitée. Le vent apporte une fine pluie qui fait du bien au visage. Une vague de frais qui redonne un coup de fouet. Je passe la rambarde, pose un pied sur le pont, puis un second et me dirige rapidement pour prendre les hommes à revers. Libérer tous les prisonniers armés nous offrira un avantage certain, voir même l’assurance d’une victoire. Tandis que la porte n’est plus qu’à quelques mètres, un carreau se fige à mes pieds. Bondissant en arrière, je dégaine rapidement mes armes, avant de découvrir la responsable, un niveau au-dessus de moi. Trônant de toute sa splendeur sous la clarté de la lune qui, surgissant derrière un énième nuage, dévoile sa silhouette, la capitaine brandit l’arbalète qu’elle m’a subtilisée, entourée de plusieurs hommes.

"Tiens tiens, mais qui voilà donc ? N’étais-tu pas dans un sale état un peu plus tôt ? Et te voilà en train de semer la discorde sur mon propre navire ? C’EST TOUT SIMPLEMENT INTOLERABLE !" Finit-elle en hurlant, déversant une colère qu’elle réfrénant jusque-là. "Allez-vous occuper de cette marchandise pourrie, moi, je m’occupe de celui-là personnellement."

Ceux qui l’entourent s’éclipsent pour rejoindre le reste des hommes, alors que l’arbalète réarmée pointe de nouveau sa menace sur moi. Cette fois-ci, le tir se veut mortel et aurait mis fin à ma vie si je ne l’avais évité au dernier moment.

(Je n’ai aucune chance de la vaincre à distance. Il va me falloir l’obliger à descendre d’une manière ou d’une autre !)

Dans une telle situation, il ne me reste qu’à me planquer derrière le mât le plus proche. Derrière ma protection, je ne crains rien. Cependant, avec mes camarades qui luttent en bas, le temps joue contre moi.

"Allez, viens jouer avec moi mon p’tit chat !" M’appelle-t-elle.

Je jette un regard pour voir qu’elle est finalement descendue d’elle-même, une épée à la main à la place de l’arbalète.

(Quoi ? Mais pourquoi quitter comme ça une position avantageuse ?)

(Méfie-toi d’elle, je la sens vraiment pas !)

(Pas besoin de me le dire deux fois.)

Je quitte complètement ma protection pour lui faire face, dagues en mains. Son sourire de satisfaction ne me plaît absolument pas. Je décide d’y mettre fin avec une charge fulgurante.

"Coupe-lui la respiration !" Ordonne-t-elle sans raison.

Sans comprendre ce qui se passe, une force inconnue s’engouffre dans mes poumons et extrait de force l’air qui s’y trouve. Aussi surpris qu’affaiblis, ma frappe manque de précision et brasse l’air. Ce qui n’est pas le cas de la femme qui me touche au bras gauche. Sans grande gravité heureusement, ma situation est soudainement très défavorable.

(Une utilisation de magie avec un simple ordre ?)

(Putain d’invocatrice !)

Le temps que le sors se termine, je décide d’orienter toutes mes forces dans la défense. J’use de mon énergie pour maximiser mon agilité et m’éloigner. Chose qu’il m’est difficile de faire avec la capitaine qui comprend ma démarche.

"Attaque-le !" Ordonne-t-elle à nouveau en se préparant à faire de même. J’exécute un salto arrière pour esquiver l’assaut et comprends d’où vient la seconde menace. A quelques mètres au-dessous de nous, une étrange baleine volante, blanc laiteux comme un nuage, use de sa magie pour assister sa créatrice.

(Je comprends mieux maintenant. Ce n’est pas elle qui se bat en gardant ses distances, mais son invocation. Dans ce cas, il suffit que je m’éloigne d’elle pour engager le combat avec la baleine, ou bien…Ca pourrait marcher !)

(Ho non, tu recommences avec tes plans foireux !)

"Accélère mes mouvements !" Hurle-t-elle, tandis qu’elle attaque à nouveau, me forçant à esquiver en bondissant sur le côté et qu’un étrange courant d’air balaie la fine pluie autour de ses membres.

"Attaque-le encore !" Rugit-elle à son allié nuageux, alors qu’elle-même se rue sur moi à une vitesse prodigieuse, poussée par sa magie aérienne.

Pris de court, je ne peux éviter d’être touché au flanc, m’arrachant un cri. Mais après tout, je n’avais pas orienté mon attention sur l’esquive cette fois-ci. Attrapant une corde pour déployer la grande voile, je la sectionne d’un coup sec, juste en dessous, libérant la tension sur la corde qui me propulse en l’air. J’ai juste le temps d’entendre une lame d’air percuter l’espace où je me trouvais il y a peu et le rugissement de colère de la capitaine, avant qu’elle ne lance un autre ordre.

"Coupe la corde !"

(Ha ! Flûte !)

La créature use de nouveau de sa magie pour sectionner la seule chose qui me relie à la vie. Positionnée tout près, elle y parvient sans grande difficulté, mais c’est juste à temps que je parviens à m’accrocher à la vergue. Je grimpe aussi rapidement que ma condition et mes blessures me le permettent et dans le même temps, mon souffle revient.

"Eloigne-toi à…à bâbord !" Hurle-t-elle.

(Serait-ce de l’hésitation que j’entends ? Elle n’a pas l’habitude d’être face à quelqu’un d’imprévisible comme moi et ça l’a pousse à faire des erreurs.)

D’instinct, elle a suivi la direction de la vergue où je me trouve, comprenant trop tard que je peux pourchasser son invocation ainsi et je ne vais pas me priver. Je me déplace aussi vite que possible sur la poutre en bois, tenant en main gauche, une corde qui me permettra de ne pas mourir bêtement en tombant. Mon avancée inquiète la femme sur le pont, qui voit d’un mauvais œil les chances de perdre son précieux atout. Alors qu’elle n’a pas lancé d’ordre, je vois la même aura venteuse qui entoure la baleine, dans un manteau de pluie.

(Fallait s’y attendre. Elle aussi possède des fluides d’air.)

La vergue est trop humide pour que je puisse être assez rapide. La baleine s’éloigne rapidement de moi, mais aussi du navire et de son invocatrice. C’est le moment idéal pour se laisser glisser le long de la corde et réduire rapidement la distance entre moi et cette garce. Lorsqu’elle comprend ma manœuvre, elle hurle à son compagnon magique.

"Revient vite !"

Hélas pour elle, il faudra un peu de temps pour combler la distance qui s’est considérablement accrue. Dans ma descente, elle tente vainement d’user sa magie sur moi ou la corde, mais je finis par poser les pieds avant qu’elle n’ait l’opportunité de le faire. D’un salto avant, esquive un sort de vent qui visait mes yeux et atterrit tout près d’elle. Nous échangeons les coups. Cuisse contre cuisse. L’absence de mon armure se fait cruellement ressentir, car contrairement à elle, ce n’est malheureusement qu’une estafilade, mais le pouvoir de ma dague va rapidement lui faire comprendre que ce n’est qu’un début. En revanche, ma jambe est touchée et il va m’être difficile d’esquiver maintenant. Ensemble nous nous frappons mutuellement, bloquant l’attaque de l’autre.

(Elle cherche certainement à gagner du temps, pour faire venir sa baleine volante.)

L’idée n’est pas stupide, d’autant plus que ma perte de sang va être conséquente d’ici peu. Alors je donne tout, j’accrois la force et prends le dessus sur la joute physique. Dans notre duel, je remarque un manche que je reconnais : ma Pourfen’dent.

(Si seulement je pouvais la récupérer !)

Sachant que le pouvoir de ma dague doit faire effet, le sourire qu’elle m’affiche m’inquiète particulièrement.

"Attaque-le !"

Un vent puissant, semblable à une lame acérée, me percute de plein fouet et laisse une douleur particulièrement présente à la poitrine. De nouveau, je suis désavantagé numériquement. Protégée par son invocatrice qui me barre le chemin, la baleine ne cesse de me harceler de sa magie. Dans ma situation, je ne peux qu’esquiver les attaques, serrant les dents par la douleur que chaque mouvement m’inflige. Je ne peux que guetter une opportunité qui tarde à venir. D’autant plus que j’ai de plus en plus froid, la fatigue s’installe fortement et ma vue se trouble. J’ai déjà perdu trop de sang, il va falloir en finir rapidement.

"Jorus !" Hurle une voix féminine en hauteur.

Celle-ci lance quelque chose dans ma direction, faisant apparaître une myriade d’éclat scintillant à la lumière de la lune. Hélas, pas de présence de ma brise-magie. Sans plus attendre, je bondis jusqu’à eux et reconnais au touché, la forme caractéristique d’un boomerang. Harcelé, je ne peux cependant qu’en saisir qu’un seul et celle qui est venue à mon secours est également aux prises avec ses propres problèmes.

"Arg ! Que m’as-tu fait fumier ?" Grogne de rage la capitaine pirate.

(Ha je crois qu’elle s’est rendue compte des effets de la dague !)

C’est le moment idéal. Alors qu’elle attrape à sa ceinture une potion pour soigner sa jambe, je me décale idéalement et brandis mon arme de jet sur elle.

"Armure d’Alizée sur moi, maintenant !" Ordonne-t-elle.

L’invocation exécute l’ordre et une aura venteuse entoure la femme. J’ignore les effets de cette magie, mais mon boomerang file droit sur elle. Du moins, au début. A cause de la forme particulière de ces armes, il est difficile de viser correctement, raison pour laquelle on en voit peu durant les combats. Beaucoup on tendance à oublier leurs trajectoires particulières. Le boomerang file vers la femme qui se protège de ses bras et bifurque presque subitement sur le côté, frappant un peu plus loin, l’invocation qui explose dans une gerbe d’air.

"Nooon !"

De colère, mon dernier adversaire se précipite sur moi et je fais de même avec ce qui me reste de force. Je mobilise mon énergie dans mon bras gauche pour l’atteindre de mon poing au ventre et elle, frappe avec violence mon bras. La douleur est si forte que j’en lâche mon arme. J’arrive à m’extraire d’un coup de pied, nous séparant de quelques pas à présent. Sa satisfaction de me voir dans un tel état est de courte durée, lorsqu’elle voit dans mon autre main, ma dague en dent de dragon. Son propre navire est sous le joug d’une révolte, plusieurs de ses hommes sont morts, son invocation n’est plus, tout ça par ma faute. J’ai désormais une arme terriblement dangereuse en main et malgré mes nombreuses blessures, je suis encore un obstacle qui se dresse devant elle. Son visage trahit une haine viscérale envers moi. Je crois qu’il n’est plus question de me garder en vie à présent.

Si mon moral est bon avec tous ces récents succès, mon corps ne tient plus. Ma vision se trouble de plus en plus et c’est à peine si j’arrive à tenir ma dernière arme en main. Cependant, il faut en finir. Mettre un terme définitivement à tout cela. Frapper pour tuer. Tuer pour libérer tous mes compagnons qui espèrent tant de moi, mais pour cela, il faut aller au-delà de ce qui est physiquement possible. Tout donner, car en cas d’échec, ce n’est ni plus ni moins que la mort qui m’attend. Alors j’avance, presque machinalement. Je ne suis plus un homme, mais un guerrier qui laisse son corps agir, grâce au souvenir de tous les combats qu’il a approuvés, tous ces moments où j’ai frôlé la mort. Je sens la force de mon énergie galvaniser mon corps et se répandre dans mon bras. Il se courbe contre mon corps et finalement, bondit comme un serpent sur sa cible.

Nos corps se percutent l’un l’autre et nos visages sont aussi proches que pourraient l’autre deux amants. Pourtant aucune romance n’émane de nous. En guise d’offrande ma douce m’a laissé sa lame dans le ventre. Une attention pour quelqu’un désirant ardemment ma mort. Cependant, ce n’est rien comparé à ma lame dans sa poitrine, enfoncée jusqu’à la garde. Elle tente de parler, mais tousse. Un flot de sang m’atteint au visage, ses poumons ont été atteints. Avant que ses yeux ne se ferment pour de bon, un dernier regard entre nous se fait. Une promesse silencieuse que même morte, elle trouvera le moyen de venir se venger.

Puis, comme deux être dépendant l’un de l’autre, nous tombons au sol. Elle morte et moi sur le point de la rejoindre.

Modifié en dernier par Jorus Kayne le lun. 12 sept. 2022 20:50, modifié 1 fois.

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Jorus Kayne
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Jorus Kayne » lun. 12 sept. 2022 20:48

XI Condamnation ou liberté.

XII Comme une impression de déjà-vu.


Le réveil se fait dans la douleur. Je crois que ça commence à être une habitude maintenant et ma cheville est encore tenue en laisse.

(Quoi ? Ha le con, j’ai juste le pied coincé dans les draps !)

(Comment te sens tu ?)

(Heu…je crois que je vais mourir. Tout mon corps me fait un mal de chien ! Je me suis fait piétiner par un Brok’nud ou quoi ?)

(Tu veux dire que tu ne te souviens de rien ?)

(Rafraîchis moi la mémoire un peu.)

(Tu as fait s’évader les prisonniers et tu as combattu la capitaine des pirates ! Tu as perdu beaucoup de sang et tu as sombré dans l’inconscience juste après l’avoir vaincue.)

(Ha oui, ça me revient maintenant.)

Je me lève péniblement, faisant ressortir l’intégralité de mes récentes blessures, dans un grognement à peine étouffé. La porte s’ouvre rapidement, faisant surgir Cadmis qui vient à mon chevet.

"Jorus ? Comment vas-tu ?"

"J’ai terriblement mal ! Tu voudrais pas me faire couler un bain chaud ?" Lui dis-je.

"Mmm, vu tes blessures ce n’est pas une bonne idée."

"Bon un massage alors ?" Je lui propose ensuite.

"Mmm, ça non plus ce n’est pas conseillé !" Sourit-elle.

"Bon et sinon, j’ai eu comme un moment d’absence. Je vois que j’ai plus de chaîne, je peux avoir un résumé ?" Fais-je en revenant à un sujet plus sérieux.

Elle s’en va prendre une chaise et s’installe en face de moi.

"C’était la merde dans le bateau. Le barrage que tu as fait installer a beaucoup aidé à tenir la position, mais à force de pousser, les pirates sont parvenues à prendre le dessus. Ils ont repoussé les autres petit à petit, jusqu’à ce que tu leur brises le moral !"

"Quoi, moi ?" M’étonnant de la remarque.

"La nouvelle de la mort de leur cheffe les a complètement désarçonnés. Ils ont presque arrêté de se battre. Il est clair qu’ils ne s’attendaient pas à un tel choc ! En tout cas, tu nous as sortis d’un sacré pétrin en te débarrassant d’elle. D’ailleurs, il faut que je parle d’une chose." Déclare-t-elle avant de porter à mon attention, une lettre de son sac, attisant ma curiosité.

"Qu’est-ce qui peut bien être aussi important pour que cela mérite que tu me le présentes à peine revenu d’entre les morts ?"

"Revenu d’entre les morts ? N’exagère pas non plus !" Se moque-t-elle. Tu as entendu parler de Timénus Léponin ?"

Le nom me dit quelque chose, mais c’est assez flou dans mon esprit.

(Déjà que de base c’est flou dans ta tête, mais alors tiré du réveil après un tel combat… quelle blague !)

(Ca va, merci !)

"Ca me parle un peu effectivement, mais dis m’en plus."

"Timénus Léponin était un célèbre voleur. Il a dérobé des richesses au nez et à la barbe des plus riches, sans jamais avoir été attrapé. La légende raconte qu’il n’a commencé à briller que lorsqu’il a mit la main sur la robe maudite de Lancifar et qu’il a disparu en laissant son plus grand trésors derrière-lui. Cette missive…" Continue-t-elle en agitant la lettre devant moi. "…est un contrat pour récupérer un élément menant à sa cape magique."

"J’avais cru comprendre que le trésor avait disparu ! Qu’est-ce qui a changé entre-temps ?" Fais-je un peu surpris.

"Ceci !" Commence-t-elle à lire. "Il y a du nouveau concernant le dernier emplacement du corps de Léponin. Un contact sur place m’a informé qu’un individu aurait mis la main sur un écrit unique et serait prêt à le vendre. Rendez-vous à Lebher, à l’auberge des marins bleus et commandez une palourde sèche. On viendra à vous."

Une fois la missive lue, je résume les différents sentiments qu’il m’inspire.

"D’accord et quel est le rapport avec moi ?"

Cadmis ferme les yeux et pose les mains sur ses hanches, dans un air de dépit.

"Il n’y a que moi pour m’intéresser aux folklores des elfes du Sinenfain ?"

"Je crois bien oui. Ha moins que tu ne t’intéresses à son trésor ?" Dis-je en la taquinant.

Elle plisse les yeux dans une attitude offusquée, avant d’exercer une pression sur une de mes blessures.

"Tiens, ça t’apprendra !" Se venge-t-elle avant de m’expliquer. "Avant de disparaître subitement, Timénus Léponin avait annoncé avoir trouvé son trésor ultime. Quelque chose de bien plus incroyable que toutes les richesses qu’il avait accumulées."

"Et il se trouvait au Sinenfain à ce moment-là !" Fais-je en la devançant.

"Exact et beaucoup de chercheurs de trésors s’y sont rués. Encore aujourd’hui, on en transporte de temps à autre, enfin, on en transportait." Termine-t-elle peinée.

J’essaie de lui faire penser à autre chose en revenant à notre sujet.

"Ha je comprends mieux pourquoi tu en sais autant maintenant ! Vous avez fait beaucoup de transports touristique !"

"Sauf que cette fois-ci, quelqu’un d’assez malsain pour contacter des pirates s’y intéresse et il est assez influent, ou riche, ou les deux pour payer certainement une coquette somme, une possible lettre de Timénus ! Tu imagines ce que quelqu’un de ce genre pourrait faire avec la cape ?"

Bien que je consens à la croire, il reste un point qui m’interpelle.

"Tu veux dire, sans savoir quels pouvoir elle pourrait contenir ?"

"Tu risquerais le coup toi ?" Pique-t-elle.

"Oui, tu marques un point ! Donc on fait quoi ? Un diner romantique de palourde sèche ?" Proposant un faux rendez-vous.

"Un peu oui et t’as intérêt à être à la hauteur d’une dame de mon calibre !" Se pavane-t-elle les mains sur les hanches.

"A la hauteur tu dis ?" Dis-je en la détaillant des pieds à la tête. "Une hauteur de genoux ?" Dis-je montrant une hauteur ridicule.

"Si tu veux te mettre à genoux, je peux t’aider avec un coup de pied où je pense !" Me menace-t-elle en se penchant vers moi.

Un bref échange visuel m’indique très clairement qu’elle aurait le cran de la faire et me pousse à opérer un changement d’attitude. Singeant grossièrement un noble, je m’incline face à elle.

"La compagnie d’une aussi charmante dame est un don béni des dieux !"

"Je préfère cela !" Sourit-elle.


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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » mar. 25 avr. 2023 21:17

Précedemment

Après ces remontrances énergiques, Ulric ressortit bien vite du navire sous l’œil inquisiteur du nain qui, il l’apprit plus tard, était le second Yartham. La matinée était déjà bien avancée, et il rejoignit le reste de l’équipage qui s’activait d’arrache pieds pour terminer de charger la cargaison du navire. La plupart étaient de solides gaillards de la ville qu’une vie en mer avait doté d’un corps trapu et d’une peau mât que l’on associait rarement aux kendrans, mais Ulric aperçu également dans leurs rangs un earion ou deux.

L’apprenti mage passa le reste de la matinée sur le quai, à charger caisse et tonneaux sur la grue qu’un marin dans une sorte de roue à rongeur démesurée montait ensuite sur le pont. Cela faisait bien longtemps qu’il avait n’avait pas tenté de tenir un travail honnête, et il se souvint vite de pourquoi. Outre l’ennui mortel que lui procurait un travail aussi machinal, tout cela lui semblait tellement en dessous de lui, si bien qu’il en finit par se demander s’il n’aurait pas mieux fait de se cacher dans un tonneau de salaison, au final. Cependant, après avoir passé un moment à pester intérieurement, il finit par reprendre son sérieux. Il pouvait bien mordre sur sa chique pendant un moment pour suivre son propre plan, et il aurait tout le loisir d’en apprendre plus sur ses adversaires auprès de l’équipage pendant le voyage.

D’ailleurs, en parlant de ceux-ci, il vit les pyromanciens arriver sur les quais alors que le soleil approchait de son zénith dans le ciel. Les trois encore vivants, du moins. Pour le peu qu’il en savait, le dénommé Tarlyn gisait encore dans le tonneau où il l’avait fourré.

Les trois shaakts avaient abandonné leurs tenues sombres et manteaux à capuches de la veille pour revêtir les robes écarlates qui semblaient être la marque distinctive de leur ordre, cabale ou peu importe comment ils nommaient leur groupe. Celles des deux larbins étaient plutôt simples et sans autre signe distinctif, outre leur couleur criarde. Celle de leur cheffe, en revanche, était ornée de flammèches dorées sur ses bordures, sans doute pour dénoter son grade supérieur. S’ajoutant à cela le masque métallique qu’ils portaient tous trois pour protéger leurs visages et yeux trop sensibles de la lumière, ils étaient couverts de pieds en cap et pas un seul bout de leur peau n’était visible. Honnêtement, mis à part le capitaine et les officiers les plus hauts placés, Ulric doutait que l’équipage ne sache seulement qu’il s’agisse de shaakts. Ils seraient sans doute plus agités, dans le cas contraire.

Bien que, de toute évidence, cette ignorance n’empêchait pas les marins de se méfier d’eux. Alors que le jeune mage continuait son travail sans grand intérêt, il entendit les discussions de ses nouveaux « collègues » se taire alors que les trois pyromanciens traversaient le quai pour monter à bord en silence. Il vit leur cheffe échanger quelques mots avec le capitaine, bien qu’il fût trop loin pour en capter le sens, et ils disparurent ensuite dans les entrailles du navire.

Dès qu’ils furent hors de vue, les conversations des marins reprirent d’un coup, bien que beaucoup avaient dérivées de leur sujet originel pour aborder celui de leurs étranges passagers. Ulric en entendit certains simplement appréhender leur proximité forcée pour les semaines à venir, d’autre se moquer allégrement de leurs tenues excentriques et de leur air arrogant. Quoiqu’il en fût, il était clair qu’ils ne les aimaient pas. Un sentiment qu’Ulric pourrait peut-être exploiter pour se débarrasser d’eux, bien qu’il ne vît pas encore comment. Il fallait bien admettre que, pour l’instant, il n'avait pas de plan pour ça.

Peu de temps après, le chargement fut enfin achevé et ils quittèrent le port un peu après midi. Debout sur le pont supérieur, pensif, Ulric regarda le quai s’éloigner petit à petit. Puis, bientôt, ce fut le port, suivi de Kendra Kâr entière qui semblèrent rapetisser jusqu’à devenir des formes vagues à l’horizon. Le dôme du grand temple de Gaïa et les hautes tours du château royal - un si beau château pour au final aller se faire tuer en Ynorie ! - furent les derniers à disparaitre. L’une d’elles, plus éloignées, semblait plutôt être la haute tour de thaumaturgie, là où ils enseignaient toutes les magies sauf la sienne… Ce n’était que maintenant qu’il la quittait qu’Ulric se rendit compte à quelle point cette ville le faisait chier. A quel point les kendrans le faisaient chier ! Et qu’il en soit un lui-même n’y changeait rien.

Comme pour répondre à ses pensées, Yartham, le cubique second, le sortit de ses rêvasseries :

« Ah, le nouveau ! J’ai ton cadeau de bienvenue pour ton premier jour dans l’équipage ! »

Ulric se retourna, méfiant. Le ton du nain était bien trop joyeux à son goût. Il le découvrit portant un seau empli de sable dans une main, et une grosse pierre de grès taillée comme une brique dans l’autre. Le jeune homme n’avait pas la moindre idée de ce qu’il voulait qu’il fasse avec ça, mais il était certain que ce ne serait pas plaisant.

« Et c’est pour… ? »

« C’est pour ? C’est pour frotter, mon gaillard ! Et tu vas me décaper tout le pont jusqu’à ce qu’il brille ! »

Ulric jeta un coup d’œil au pont du navire. Le bois était parfaitement immaculé, libre de toute fiente de mouette, trace de boue, ou quoique ce soit d’autre. Aussi propret que lorsqu’ils eussent largués les amarres, il n’y a même pas une heure de cela.

« Mais il est propre ! », répondit le jeune mage, dépité.

« Et comme ça, il le restera ! », répondit le nain en lui fourguant le seau et la pierre dans les mains, « Allez, hop hop hop ! »

La tâche lui semblait absurde d’inutilité, mais si le thorkin s’attendait le voir pleurnicher comme un gosse, il pouvait toujours courir.

Il passa pratiquement toute l’après-midi à sabler le pont, avant de le frotter à genoux avec la pierre rêche, pendant que les autres marins, de ce qu’il pouvait en voir, se relayait aux différents postes toutes les quatre heures. Il en avait les mains rouges lorsqu’il eut fini et le dos douloureux, et seulement la maigre satisfaction de ne pas avoir offert au second la moindre plainte.

Cependant, comme d’habitude, le bon travail n’est jamais récompensé qu’avec plus de travail, et il fut rapidement envoyé en cuisine pour la fameuse corvée patates. Le mot « cuisine » était à prendre avec des pincettes, néanmoins, car il s’agissait plus d’un cagibi sur le pont inférieur avec tout juste assez d’espace pour un fourneau chauffant une grosse marmite. Ce fut un miracle qu’il puisse rentrer dedans en même temps que le cuistot du navire, lui aussi un grand gaillard à qui il manquait une jambe. Ce dernier, muni d’un grand sourire franc, avait essayé de faire la conversation mais Ulric, qui n'était déjà pas très causant de base, était trop fatigué pour lui rendre la pareille.

Il évita d’être désagréable avec le cuistot, cependant. En y réfléchissait, s’il se faisait employer en cuisine régulièrement, peut-être pourrait-il empoisonner la nourriture des pyromanciens ? Une idée assez séduisante ; il n’aurait plus alors qu’à disparaitre avec Kristobald dès qu’ils toucheraient terre et partir à la recherche de l’œil, sans la moindre compétition. Et il n’aurait même pas besoin d’affronter ces mages plus expérimentés. Deux petits problèmes, cependant : tout d’abord, il n’avait pas de poison et, ensuite, il doutait que ces shaakts, qui passaient leur temps terrés entre eux, boivent de la même soupe que l’équipage.


Alors qu’il réfléchissait à comment empoisonner la marmite, le cuistot s’empara de celle-ci et sortit de la pièce pour aller servir l’équipage, après avoir proposé sa part à Ulric. Epuisé de sa journée, l’apprenti mage préféra manger seul dans la pièce exigüe et enfumée. Il aurait au moins la paix pendant quelques minutes.

Son esprit revint sur le sujet épineux de ces shaakts gênants dont il devait se débarrasser. S’il ne pouvait pas les empoisonner et qu’un affrontement était inévitable, il lui fallait mettre toutes les chances de son côté. Pour l’instant, son seul atout était que ses adversaires ignoraient tout de lui. Une attaque surprise après qu’ils aient accosté pourrait peut-être semer juste assez de confusion pour lui permettre de disparaitre avec l’érudit, mais laisserait de dangereux ennemis à ses trousses.

Quoiqu’il en soit, la confrontation semblait inévitable, et il lui faudrait trouver un moyen de gagner en puissance s’il voulait sortir vivant d’un affrontement ouvert. Et, justement, il avait peut-être une idée pour ça…

Il avait déjà appris à commander aux ombres de diverses façon en les infusant de ses fluides pour en prendre le contrôle. S’il pouvait, d’une façon similaire, infuser un objet de ses fluides juste pour les y entreposer, il pourrait ensuite puiser dans cette réserve. Avec assez de préparation, il multiplierait ainsi son potentiel magique. Il n’était pas certain qu’une telle chose soit possible, mais il n’y avait qu’à tester pour en avoir le cœur net.

Délaissant ce qui lui restait de repas, Ulric s’empara d’un oignon et concentra une toute petite partie de ses fluides dans sa main. Sous son impulsion, de sombres volutes suintèrent de ses doigts et imprégnèrent le légume. Le résultat ne se fit pas attendre, car l’oignon se mit à vieillir à une vitesse folle, jusqu’à ce que l’apprenti mage se retrouve avec un légume pourri en main. Il semblerait que les plantes n’aimaient guère ses fluides de mort, qui l’eut cru ?

(Essayons avec autre chose…), pensa-t-il, dégouté.

Si ce n’était pas le résultat escompté, il avait au moins eu le mérite de démontrer qu’il était possible d’infuser des objets comme il le faisait avec les ombres. Laissons tomber ce qu’il restait de l’oignon au sol, il sortit sa bonne vieille dague et, se concentrant davantage, tenta de reproduire le processus. Il sentit sa magie investir le métal froid alors que ses fluides obscurs se lovaient à l’intérieur de la lame avec satisfaction mais, dès qu’il relâcha sa concentration, ceux-ci semblèrent juste se disperser dans l’air ambiant.

Il concentra sur sa dague, tenant l’arme dans ses deux paumes, mais il ne sentait effectivement plus rien à l’intérieur. Bien, il lui fallait donc trouver un moyen de forcer ses fluides à rester là-dedans.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » lun. 1 mai 2023 18:15

Devant son échec à stabiliser une petite partie de ses fluides dans sa dague, l’apprenti mage réfléchit à un moyen de parvenir au résultat qu’il voulait. Peut-être aurait-il plus de succès s’il essayait d’y transférer un sort, plutôt que de la magie brute ? Le résultat serait moins polyvalent, certes, mais toujours très utile.

Suivant cette idée, Ulric canalisa à nouveau ses fluides pour lancer le sort le plus simple qu’il connaissait : le souffle de Thimoros. Cependant, au lieu de projeter le trait destructeur, il tenta de pousser sur les fluides malveillants emmagasinés dans sa main pour les faire entrer dans le métal. L’exercice se montra plus difficile que prévu car, si se contenter d’infuser des fluides purs dans un objet n’était pas bien difficile, le faire en leur faisant conserver la bonne forme était une tout autre paire de manches. Malgré sa concentration, le sort lui résistait, refusant d’entrer dans l’arme. C’était comme tenter de submerger une grosse branche dans l’eau. Il pouvait y arriver un instant, mais elle remontait toujours à la surface. Perdant finalement patience, Ulric tenta de pousser un grand coup, mais le seul résultat qu’il obtint fût une brume noirâtre et inoffensive qui s’échappa de ses doigts alors que le sort se déliait.

Un nouvel échec frustrant, mais le jeune mage ne se découragea pas. Contrairement aux autres sorts qu’il avait déjà appris, il ne lancerait pas celui-ci en plein combat, mais plutôt dans les jours qui précèderaient celui-ci. Il pouvait se permettre de se montrer lent et méthodique, cette fois-ci.

Luttant contre son propre caractère si enclin à l’impatience, Ulric convoqua à nouveau ses fluides dans la paume de sa main et commença à les modeler. Se souvenant de comment il s’était aidé de visualisations lors d’un apprentissage précédent, il repassa dans son esprit les scènes de combats passés où il avait utilisé le souffle, tout en continuant de donner forme à son sort de façon de plus en plus précise. Il se sentait honnêtement un peu ridicule de dévouer autant d’efforts mentaux à un sort qu’il lançait d’instinct depuis le jour où il avait découvert son don latent pour la magie d’ombres, mais s’il fallait ça, ce n’était pas très important.

Une fois qu’il fût certain de la prise qu’il avait sur ses fluides, il les laissa simplement couler dans son arme. Sans forcer et en maintenant sa concentration, il sentit le sort lentement pénétrer la dague. Tout le processus avait pris un temps ridiculement long par rapport à ce qu’il lui aurait fallu pour simplement le lancer, mais il avait réussi ! Il pouvait à présent sentir son sort enfermé dans son arme, prêt à être déchainé lorsqu’il le voudrait ! Il avait bien réussi, mais l’espace d’un battement de cœur seulement, car il sentit bientôt le souffle de Thimoros qu’il avait modelé avec tellement d’attention se défaire à l’intérieur de l’objet, et ses fluides se disperser à nouveau inutilement dans la nature.

« Putain de merde ! », s’exclama-t-il à voix haute.

Il était proche du but, il le sentait, mais il lui manquait de toute évidence une pièce au puzzle.

Si ses fluides s’échappaient systématiquement lorsqu’il en infusait un objet, peut-être pourrait-il trouver un moyen de les enfermer ? S’il parvenait à constituer une sorte de matrice ou de carcan autour du sort qu’il voulait y insuffler, il était certain qu’il arriverait enfin à les préserver hors de lui, pour quelques jours du moins.

Suivant cette nouvelle idée, l’apprenti mage planta sa dague dans le bois du comptoir de la cuisine pour avoir les mains libres, puis canalisa un énième souffle d’ombre alors que, dans son autre main, il convoquait ce qu’il lui restait de fluides pour une opération à la fois plus délicate et novatrice.

S’inspirant de son voyage vers Nosvéris, il créa dans son esprit l’image d’un bloc de glace enceignant une flammèche noire, l’enfermant autant qu’il la préservait, pour l’aider à façonner ce qui devrait être une cage fluidique. Faire cela tout en restant concentré sur son sort s’apparentait un peu à se frotter le ventre tout en se tapotant la tête mais, en procédant de façon lente et méthodique, il parvint bientôt à ses fins. Combinant les deux sorts en un seul, afin que le carcan fluidique qu’il venait de créer vienne enserrer les fluides obscurs qui attendaient toujours d’être déchainés dans un souffle de Thimoros, et insuffla prudemment le résultat dans sa dague. L’opération le vida finalement de ses réserves restantes, et la fatigue s’abattit sur lui d’un coup telle une chape de plomb.

Pressé de voir s’il avait enfin réussi malgré la fatigue, il s’empara à nouveau de l’arme à présent enchantée d’un geste brusque qui contrastait avec la délicatesse dont il avait fait preuve dans le maniement de ses fluides un instant plus tôt, et se concentra, impatient de savoir s’il sentait toujours la présence de son sort à l’intérieur.

A sa grande satisfaction, son maléfice était toujours là, préservé par le carcan qu’il avait modelé autour. Sa réussite lui arracha un sourire, bien qu’il sentît que le résultat était toujours très imparfait. Sa magie continuait de fuir l’objet, bien que de façon beaucoup plus lente qu’auparavant. A ce rythme-là, son sort devrait conserver assez de puissance pour rester utilisable pendant quelques minutes ; pas assez pour que l’opération soit utile, mais Ulric était certain que sa méthode était bonne, il n’avait plus qu’à s’entrainer pour la parfaire et la maitriser.

Il s’attèlerait à cela le lendemain, dès qu’il aurait du temps, car il était à présent aussi épuisé de corps que d’esprit et ne pouvait plus songer qu’à dormir quelques heures. Cependant, avant cela, il était tout de même curieux de tester le résultat de ses expérimentations. Tenant sa dague en main, il canalisa le sort à l’intérieur comme il aurait convoqué les fluides à l’intérieur de son corps, et s’apprêta à le lancer contre le mur de planches en face de lui, ne serait-ce que pour tester le processus complet. L’apprenti mage fut surpris de la facilité avec laquelle il y parvint alors qu’une volute de brouillard d’un noir d’encre jaillit de son arme mais, et bien plus lorsque cette dernière, au lieu de frapper le mur, décrivit un large arc dans l’air pour venir s’abattre sur sa main.

Ulric réprimât un cri de surprise et de douleur lorsque son sort imparfait se retourna contre lui, ayant trop peur qu’un membre de l’équipage ne vienne s’enquérir de ce qu’il se passait ici. Il pesta intérieurement, les dents serrées, tout en tenant sa main secouée d’une douleur vive contre lui. Voilà une raison de plus pour s’entrainer pour maitriser ce sort : que ce genre de couillonnade ne se reproduise pas.

Ramassant ses affaires, Ulric partit en direction de la chambrée de l’équipage -si on pouvait appeler comme ça la série de banquettes inconfortables qui occupaient la majeure partie d’une salle de l’entreponts, en quête d’un peu de repos. Il y découvrit une dizaine de marins, déjà installés et enroulés dans leurs couvertures après leur journée de labeur, qui viciaient l’air d’une odeur de transpiration et de corps sales. L’un deux ronflait assez fort pour réveiller les morts, et les autres n’étaient pas beaucoup plus silencieux.

Ulric pouvait se contenter de l’inconfort des banquettes en bois, mais la proximité d’autant de quasi-inconnus le mettait bien trop mal à l’aise pour pouvoir trouver le sommeil, sans parler du bruit. Ainsi, il se contenta de s’emparer d’une couverture et remonta sur le pont supérieur, pour dormir à la belle étoile.

Le soleil s’était déjà couché depuis un moment lorsqu’il ressortit à l’air libre, mais les étoiles et la lune gibbeuse qui flottait dans le ciel lui fournissait toute la lumière dont il avait besoin pour y voir. Quelques lanternes brillaient également sur le pont, allumées par des marins n’ayant pas son habitude de l’obscurité. Ulric s’installa contre le bastingage, le regard tourné vers la côte de Nirtim qu’ils longeaient vers l’ouest. Elle était trop loin pour qu’il n’y voie grand-chose, se perdant presque dans l’horizon, mais la masse verte des collines boisées qui défilaient offraient un spectacle apaisant. Epuisé de sa journée et bercé par la houle, il sombra rapidement dans le sommeil.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » jeu. 1 juin 2023 00:59

Ulric se réveilla un peu avant l’aube, le dos endolori de courbatures, mais sa main allait déjà mieux, bien qu’il sentît encore de la douleur lorsqu’il la serra. Se redressant péniblement, il découvrit un ciel encore sombre et orné de quelques étoiles tardives, bien que l’est, derrière la poupe du navire, commençait déjà à se parer d’or et de pourpre.

« Alors, bien dormi, en bas ? »

La voix badine fit sursauter le mage. Son regard balaya le pont de gauche à droite pour en chercher l’origine, avant de se tourner vers le haut. Un marin descendait du gréement par une échelle de cordes tout en le regardant, un sourire franc sur son visage tanné par le vent.

« Toujours mieux que dans la cale… », grogna Ulric qui n’avait pas envie de discuter avec le marin qui, il en était sûr, se moquait de lui.

« Haha, c’est bien vrai, ça ! Profite bien, dès qu’on aura dépassé Oranan, il commencera à faire plus froid ici ! »

Le marin continua sa descente, se contentant de sauter les deux derniers mètres, pendant qu’Ulric réenroulait sa couverture et récupérait sa sacoche, avant de vaquer à d’autres occupations. Il prit encore la parole alors qu’il dépassait le jeune mage, voulant sans doute se montrer encourageant envers la dernière recrue :

« La mer est calme et le vent est avec nous, prie Moura que ça continue ! »

Ulric aurait encore bien dormi une heure ou deux mais, maintenant qu’il était levé, il n’avait plus qu’une envie : reprendre ses expérimentations de la veille. La méthode pour stocker des sorts semblait marcher, mais il devait encore s’exercer pour la maitriser. Si Yartham lui laissait ne serait-ce qu’une heure avant de lui tomber dessus pour lui confier une nouvelle tâche stupide, il avancerait déjà grandement. Il se dirigea vers la proue du bateau qui semblait déserte et, faisant face à la mer, ressortit sa bonne vieille dague.

Reprenant là où il en était resté, il façonna ses fluides en un nouveau souffle de Thimoros à encastrer dans l’arme. Vu comment s’était déroulée sa dernière tentative, il voulait s’assurer qu’il savait maitriser le stockage de ce sort simple avant de passer à d’autres plus complexes.

Ce fut avec une certaine appréhension qu’il repuisa dans la lame le sort qu’il venait juste d’y déposer pour le lancer devant lui, vers les flots qui s’abattaient en cadence contre la coque du navire. Son dos cacherait bien ses manigances à toute personne qui se promènerait sur le pont, de toute façon. Serrant les dents malgré-lui en se rappelant la morsure que lui avait infligé son propre sort la veille, Ulric relâcha le souffle d’ombre. Le trait noir vola en ligne droite vers l’onde où une vague l’avala prestement. La satisfaction se mêla au soulagement dans la tête du jeune mage ; il était difficile de jauger l’efficacité que le sort avait conservé après son stockage contre une cible insensible comme la mer mais, au moins, celui ne s’était pas retourné contre lui.

Il recommença le même processus une nouvelle fois, avec un résultat similaire. Il semblait qu’il commençait à prendre la main, ce qui ne pouvait vouloir dire qu’une chose : il était temps de varier les exercices. Ulric glissa sa dague dans son fourreau pour ensuite empoigner un pan de sa vieille cape grise. Il serait intéressant de savoir si le processus marchait avec n’importe quel objet ou seulement ceux faits de métal, et pouvoir stocker des sorts dans un vêtement qu’il ne quittait pratiquement jamais serait des plus utiles. Il canalisa ensuite une petite partie de ses fluides pour former un crépuscule ciblé. Le sort serait trop faible pour durer plus d’un battement de cœur, mais le but était surtout de s’entrainer avec une magie un peu plus complexe.

Effectivement, il lui fallut davantage de concentration pour insuffler la forme plus sophistiquée du crépuscule ciblé dans sa cape mais, en prenant son temps, il y parvint, prouvant au passage que la gamme des objets qu’il pouvait enchanter était bien plus large que les simples armes.

Comme il ne disposait pas de cobaye et que lancer le sort à la mer serait cette fois-ci vain, il se pris lui-même pour cible lorsqu’il le libéra. Une ombre surgit devant lui l’espace d’un instant avant de rapidement se dissiper, comme prévu. Ce nouveau résultat était tout de même encourageant, et c’est avec un enthousiasme renouvelé qu’il répéta le processus, mais en mobilisant à nouveau plus de fluides, comme il le ferait en combat. Après avoir délicatement déposé les fluides modelés dans les fibres de sa cape, il les repuisa aussitôt et se prit à nouveau pour cible. Il s’agrippa fermement au bastingage pour ne pas tomber à la mer lorsqu’il serait aveuglé, et une ombre surgit à nouveau devant lui. Ulric compta les secondes, curieux de savoir si le sort avait perdu en puissance pendant le transfert, mais il sembla durer aussi longtemps que lorsqu’il le lançait directement, bien que cette durée semblât bien plus courte sans l’adrénaline du combat.

Tout cela était excellent, et Ulric sentait qu’il commençait à maitriser le processus de transfert. Il n’y avait plus qu’une chose qu’il voulait tester, c’était avec un sort à la fois complexe et couteux. Le Voile de Ténèbres lui demandait toujours plus de fluides que ses autres sorts, comme il consistait à enchanter un espace assez large. Sortant sa seconde dague, celle à la garde de bronze qui avait appartenue à feu Tarlyn jusqu’à récemment, et se concentra pour modeler le Voile dans sa main sans toutefois le lancer, avant de former un carcan autour. A sa grande surprise, Ulric n’eut pas besoin de plus de fluides pour ce dernier, malgré le fait qu’il devait stabiliser un sort plus couteux, et le principe restait le même. Ainsi, une fois qu’il fut prêt, il transféra le sort dans la dague.

Cependant, le cout du Voile en plus de celui du carcan qu’il avait formé autour le vidèrent complètement de ce qu’il lui restait de ses fluides dès l’instant où le sort quitta son corps pour pénétrer l’arme. Ses jambes se firent soudainement faibles et se dérobèrent sous lui. Lâchant la dague, ce n’est qu’in extremis qu’il parvint à se rattraper au bastingage avant de passer par-dessus bord. Il restât un instant comme ça, haletant comme s’il venait de courir un marathon alors que des acouphènes stridents lui vrillaient les tympans. La sensation de vide à l’intérieur de lui lui semblait plus dégoutante à chaque fois qu’il l’expérimentait, seulement atténuée par le savoir que ce n’était que passager.

Reprenant son souffle, son esprit retourna à ses expérimentations, et il se demanda s’il avait eu le temps d’effectuer le transfert avant que l’épuisement magique ne s’abatte sur lui comme une masse. Il eut peur un instant que la dague ne soit tombée à l’eau, mais il fut soulagé de voir qu’elle s’était plantée dans le bois du pont, manquant de peu de lui trancher un orteil. Ramassant l’arme, il se concentra dessus et y sentit son sort, entreposé dans le métal, avec grande satisfaction.

C’était absolument parfait, mais il se refreinât de le tester plus en avant. Contrairement à ses autres sorts, le Voile serait trop spectaculaire que pour pouvoir être dissimulé facilement, et Ulric ne tenait pas à être lynché par l’équipage pour usage de magie noire. Qui plus est, il serait bon de le garder de côté pour voir combien de temps il y resterait entreposé. Ainsi, l’apprenti mage se contenta de ranger sa dague à sa ceinture avant de s’éloigner de la proue. Il avait sans doute une longue journée devant lui, et il était déjà aussi épuisé que la veille.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » dim. 2 juil. 2023 02:03

L’activité repris assez vite sur le pont dès que la lumière du matin le permis et, Yartham, ce foutu nain, ne tarda pas à lui tomber dessus. Le cube barbu décréta qu’aujourd’hui, il était temps de passer le pont à la serpillère. Avec de l’eau de mer qui était probablement beaucoup plus sale que les planches qu’il avait briqué la veille, mais peut-être le nain espérait-il qu’il laisserait un bout d’algue ou une trace de sel quelque part pour justifier une nouvelle corvée ?

Si seulement il lui trouvait au moins une tâche intéressante à accomplir… Surtout que ça ne devait pas être ça qui devait manquer sur un navire. Au moins, passer la serpillère n’était pas aussi exténuant que de briquer le pont. Avec le peu de sommeil qu’il avait eu et le sentiment de vide qui le rongeait de l’intérieur depuis qu’il avait épuisé ses fluides de si bon matin, il n’était pas sûr qu’il en aurait encore été capable.

C’est seulement grâce à une résistance surhumaine qu’Ulric tenait encore debout dans l’après-midi, malgré la fatigue et l’ennui, lorsqu’on l’envoya à nouveau en cuisine. Le cuistot unijambiste l’accueilli avec un grand sourire franc, mais sans rien dire cette fois. Il avait dû se rendre compte qu’avec le caractère taciturne d’Ulric, il était vain d’essayer de badiner, mais il n’en perdait cependant pas son côté sympathique. L’apprenti mage profita alors du calme qui régnait dans la minuscule pièce, seulement troublé par le son de la marmite qui bouille, des couteaux qui tranchent, et des sinistres craquements de la coque auxquels il ne prêtait déjà presque plus attention. La majeure partie de l’après-midi passa ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient pratiquement terminé de préparer le brouet pour la vingtaine de membres d’équipage, et les quelques plats plus raffinés réservés aux officiers, mais il semblait que le cuistot ne pouvait plus tenir son besoin de conversation en laisse :

« Tu sais, il ne faut pas te tracasser que Yarth’ te mène la vie dure, on est tous passé par là. Et tu t’en sors très bien, je suis sûr que dans quelques années tu feras un excellent marin ! »

Le ton, quoique paternaliste, se voulait rassurant. Ulric se garda cependant de lui dire que c’était bien là la dernière de ses ambitions, et qu’il leur fausserait compagnie dès qu’ils jetteraient l’ancre en Nosvéris. Il hocha juste la tête avec un sourire qu’il espérait convaincant en réponse. Le cuistot sembla se résigner devant le fait qu’il ne le ferait pas sortir de sa coquille aujourd’hui, avant de goûter une dernière fois le brouet fumant qui bouillait dans la marmite. Satisfait, il en versa une louchée dans un bol de bois avant de reprendre :

« Bien, c’était du bon travail aujourd’hui. Tu peux porter la marmite en haut et servir les autres. J’apporte ça au gars qu’on a aux fers, et je te rejoins ensuite. »

Le gars qu’on a… ? Kristobald ! Il n’en avait pas eu l’occasion jusqu’à présent, mais il devait absolument reparler à l’érudit ! Il devait toujours concocter un plan pour le libérer, et nul doute que sa collaboration serait nécessaire. Et puisqu’il semblait qu’il était devenu malgré lui l’assistant attitré du cuistot, s’il lui apportait sa pitance tous les jours, il aurait la parfaite excuse pour trainer autour de sa cellule.

« Je vais apporter ça en bas », dit-il en désignant le bol d’un signe de tête, « comme ça tu peux aller retrouver les autres plus vite. »

Si tôt que les mots quittèrent ses lèvres, le jeune mage s’admonesta lui-même. Sa phrase avait sonné bien trop comme un ordre qu’il n’était certainement pas en position de donner. Et si le cuistot commençait à trouver suspect le fait qu’il veuille absolument voir leur mystérieux prisonnier ? Cependant, l’unijambiste ne sembla pas relever.

« Comme tu veux. J’ai bien besoin d’un peu d’air, moi. »

Ulric soupira de soulagement et s’empara du bol que lui tendait le cuistot. Mais, juste avant de sortir de la cuisine pour s’enfoncer dans la cale, il demanda :

« Pourquoi est-il aux fers, au juste ? »

Il connaissait la réponse bien mieux que lui, bien sûr, mais il était curieux de savoir ce que l’équipage savait précisément sur sa présence à bord. Le cuistot haussa les épaules :

« Je ne sais pas. Il n’est pas à nous, c’est ces mages qui l’ont ramené. »

« Et ils n’ont pas dit pourquoi ? »

« Le cap’ doit savoir, mais ils ne nous parlent pas à nous autres, et ce n’est pas moi qui irait leur poser des questions. »

Ils n’en savaient rien, donc, mais ce manque de curiosité troublait tout de même Ulric qui, lui, ne saurait s’empêcher d’essayer d’élucider ce genre de mystère s’il se présentait à lui.

« Et ça ne vous dérange pas de ne pas savoir ? »

Le visage d’ordinaire sympathique du cuistot se fit soudain plus dur :

« Ecoute, je ne suis plus tout jeune et il me manque une jambe. Si je perds ma place ici, je suis bon pour la rue, alors, non, je n’irais pas me mettre le cap’ à dos, ni des gars qui peuvent cramer le navire si ça leur plait en me mêlant de leurs affaires. Je fais confiance au cap’ pour ne pas nous mettre dans des embrouilles, et ça me suffit. »

Le sujet était clos. C’était tout de même intéressant comment c’était la peur qui, derrière une façade de pont parfaitement polis et de voiles blanches, gardait cet équipage au pas. Quelque chose à cogiter, se dit l’apprenti mage alors qu’il se dirigeait vers l’érudit en cage, en évitant de se brûler les doigts..
Modifié en dernier par Ulric le ven. 4 août 2023 00:45, modifié 1 fois.

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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » ven. 4 août 2023 00:42

Ulric retrouva les geôles comme il les avait trouvées deux nuits de cela. Une simple salle rectangulaire, étroite et seulement éclairée par une pauvre lanterne qui peinait à repousser la pénombre. Une grille de fer, adornée d’une porte de barreaux, délimitait une cellule étriquée qui avait clairement été pensée pour enfermer un marin indiscipliné l’espace d’une nuit, et non pour détenir quelqu’un pendant des semaines de voyage.

Kristobald Kerst, l’historien de Pohélis, ne semblait pas avoir bougé depuis deux jours. La panique et l’affolement avait cependant laissé place à une résignation défaitiste sur son visage. Des piquots poivres et sels commençaient à pousser sur ses joues, impeccablement rasées lors de leur première rencontre, et de profonds cernes assombrissaient sa face de touches de noir, comme si les hématomes ne suffisaient pas pour ça. Le diadème de fer que la shaakt avait enfoncé sur son crâne, et qui semblait le réduire à un état d’obéissance servile, était lui-aussi toujours présent.

Assis sur la seule banquette à sa disposition, il redressa la tête lorsqu’il entendit quelqu’un entrer et, apercevant Ulric, il le salua d’un ton glacial :

« Oh, c’est toi. »

La soudaine hostilité dans la voix de l’érudit était sans doute méritée. Ulric aurait pu facilement le libérer il y a deux nuits de cela, lors de leur première rencontre. Les shaakts n’avaient alors même pas pris la peine de verrouiller la porte de sa cellule, tant ils étaient confiants dans le pouvoir malfaisant de leur diadème de servitude. Au lieu de cela, il avait préféré exploiter son infortune pour se lancer à la recherche de la même relique que ses ravisseurs. L’apprenti mage ne se soucia pas de son hostilité, cependant. Il était la seule personne qui, jusqu’à présent, lui avait promis son aide pour le libérer, même si pour des raisons égoïstes. Que Kristobald l’adule ou le haïsse, il avait besoin de lui.

« C’est l’heure de la soupe. », s’annonça la jeune mage, un sourire mauvais aux lèvres.

Kristobald remarqua alors seulement, abasourdi, le bol fumant qu’il transportait.

« Ainsi, tu te caches sous le nez de tout le monde dans l’équipage ? Je me demandais quand je te reverrais, jeune homme. Et, s’il te plait, n’essaie pas de me faire croire que tu es un vrai marin. »

« Ce n’est pas important. On doit monter un plan pour te sortir de là, toi et moi. », répondit Ulric, plus sérieux cette fois-ci, tout en tendant son bol à l’érudit.

« Oui, "un plan" », soupira Kristobald, « Oui, discutons de comment, au lieu d’être contraint de mettre à sac la crypte d’un des plus brillants esprits de l’université à laquelle j’ai donné la moitié de ma vie pour une shaakt, tu me libéreras pour que je t’aide à profaner le même tombeau. Et à la fin ? Je finirais avec une dague plantée entre mes omoplates dans les deux cas… »

L’érudit soupira à nouveau, l’air plus abattu que jamais. Il regarda, les yeux las, sa ration refroidir entre ses mains sans oser y toucher. Peut-être pensait-il qu’il pourrait sauver la tombe de son idole s’il se laissait mourir de faim ? Son instinct de survie reprit cependant le dessus après un instant de silence, et il finit par prendre une première cuillerée.

Ulric tenta d’en appeler au même instinct de survie pour mettre l’érudit de son côté :

« Je t’ai dit que je te libérerais, et je le ferais. Je n’ai aucun intérêt à te tuer, même après que j’aurais trouvé l’œil. Quant aux shaakts ? Tout le monde connait leur réputation. Une des deux options est beaucoup plus intéressante pour toi. »

« Je n’ai que ta parole… », répondit-il, visiblement peu convaincu.

Un nouveau silence s’installa. Ulric était outré du peu de poids que son interlocuteur attribuait à sa promesse, même s’il comprenait le peu de confiance qu’il lui inspirait. Après un instant, Kristobald finit par se redresser et tenta de recouvrer sa maitrise de lui. Il tenta de chasser les notes geignardes de sa voix, pour retrouver le timbre de l’homme aussi intelligent que cultivé qu’il était :

« Ecoute, jeune homme ; j’ignore qui tu es, d’où tu viens, si tu es le pion d’une cabale rivale, ou un vagabond qui s’est invité dans mes infortunes sur un coup de tête, mais j’ai bien compris que j’aurais besoin de ton assistance pour sortir de tout cela vivant. Cependant, si tu veux t’approprier le Troisième Œil, sache ceci : vous ne serez pas admis sous l’Université sans mon aide, ni toi, ni Tim’ Neerquarra et ses sbires. Ensuite, il y a pratiquement 5000 ans de tunnels, de salles d’expérimentations, de ruines ou d’anciennes fondations enterrées là-dessous, et il m’a fallut des années pour n’en cartographier qu’une partie. Vous n’attendrez pas la crypte de Verdandi sans mon aide et, si je devais mourir en cours de route, vous n’en reviendriez pas vivant non plus. Vous avez besoin de moi, autant que j’ai besoin de toi. Suis-je clair ? »

Ulric sourit. L’homme déterminé qui venait soudainement de se substituer à l’érudit potelé et apeuré semblait beaucoup plus intéressant, et collait davantage à l’image qu’il se faisait d’un mage. Même un qui, de son propre aveu, s’était bien plus consacré à l’histoire de la magie qu’à sa pratique.

« Entendu. Ta liberté, en échange de l’œil, et après ça, tu n’entendras plus jamais parler de moi. Et j’image que cette « Tim’ Neerquarra » est la charmante shaakt qui nous réunit ici. »

« En effet. Mais tu ne sais donc vraiment pas dans quoi tu t’es embarqué ? Yuia nous vienne en aide… »

Ulric ignora le ton critique dans la voix de l’érudit, malgré qu’il n’aime pas qu’il pointe ainsi du doigt que, malgré les airs de maitre comploteur qu’il essayait de se donner, c’était son caractère impulsif qui l’avait conduit ici.

« Tu la connais déjà, donc ? »

« Je n’emploierais pas le mot connaitre, mais j’ai déjà eu affaire à sa cabale, quel que soit le nom qu’ils ont décidé de lui donner, oui. Ils ont essayé de m’approcher par des intermédiaires pendant mon exile à Henehar, prétextant un intérêt pour mes travaux. J’avais organisé plusieurs expéditions dans les souterrains sous l’Université avec certains de mes étudiants les plus prometteurs, du temps où j’enseignais encore. Ils voulaient « m’aider à poursuivre mes recherches » en organisant une nouvelle expédition, mais j’ai rapidement compris qu’une seule chose les intéressait. »

« Que vous les guidiez jusqu’à la crypte. »

« Exactement. Mais, lorsqu’ai j’ai signifié mon refus de retourner à Pohélis, ils ont rapidement laissé tomber la charade et sont passé à la manière forte. Pour la seconde fois de ma vie, j’ai dû fuir ma cité. Quant à la suite de l’histoire, je ne pense pas nécessaire de la raconter. »

« Pour revenir au sujet de base, j’imagine que la première chose à faire pour échapper aux shaakts sera de te retirer cette chose. », dit Ulric en pointant le diadème de servitude qui ceignait le front de l’érudit.

« En effet, je ne pourrais rien faire tant que je le porterais. »

« Approche des barreaux, alors. Je vais le retirer. »

« J’ai bien peur que ce ne sera pas aussi simple. »

« Et pourquoi donc ? »

« Le premier ordre que j’ai reçu, lorsque Tim’ Neerquarra me l’a enfoncé sur le crâne… C’était de ne jamais l’ôter, ou de laisser qui que ce soit sauf elle le faire. J’ignore précisément comment cet artefact fonctionne. J’ignorais même que ce genre de chose existait jusqu’à ce qu’on me le mette. Sa magie semble assez simple, mais elle contraignante. Tant que je le porte, je ne pourrais t’aider. »

Le souvenir de la soirée où Ulric s’était introduit sur le bateau lui revint en tête. Il ne l’avait pas dit à l’érudit, mais il avait assisté à toute la scène de son « interrogatoire », tapis dans l’ombre grâce à sa magie. L’apprenti mage ne se souvenait plus des termes exacts employés par la shaakt, mais c’était effectivement les premiers ordres qu’elle avait prononcés machinalement. Une précaution dont elle devait avoir l’habitude de se servir.

« Donc, tu peux me demander de t’enlever ce truc, mais pas me laisser faire ? C’est ridicule, mais soit. Va pour la manière forte. »

Ulric tenta d’ouvrir la porte de la cellule, forçant comme il le pouvait en espérant que le verrou soit trop usé pendant que Kristobald se terrait contre le mur opposé. La porte de fer ne bougea pas d’un pouce, cependant. Frustré, il étendit le bras et tenta d’attraper l’érudit par le col mais, malgré sa grande taille et la petitesse de la cellule, il était bien loin de réussir à l’atteindre. Il fallait admettre l’évidence, s’il devait le maitriser pour lui retirer le diadème de force, il devrait ouvrir la cellule.

« Et j’imagine que c’est la shaakt qui a la clé ? », demanda-t-il, frustré.

« Non, je ne pense pas. Le capitaine est passé le matin de notre départ pour fermer la porte, j’imagine qu’il a toujours la clé », répondit Kristobald, « Ça reste son bateau, tout de même. »

« Très bien. J’étais de toute façon monté sur ce bateau pour voler, de toute façon...», commença Ulric sans donner plus d’explications, « et on dirait que je vais faire juste ça. »

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Ulric
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Re: Les Navires Marchands (X1)

Message par Ulric » mer. 20 sept. 2023 00:46

Un peu moins d’une semaine s’était écoulée depuis son échange avec Kristobald, et Ulric n’avait pas encore trouvé l’occasion de se faufiler dans les quartiers du capitaine pour y dérober les clefs dont il avait besoin. S’il avait su s’introduire discrètement à bord du navire sans trop de difficulté, la nuit avant leur départ, c’était tout autre chose que d’y fureter alors que plus d’une vingtaine de marins y vivaient et travaillent nuit et jour. Il ne s’en inquiétait pas trop, cependant. Pas encore. Selon les membres d’équipages à qui il avait parlé, il n’en était même pas encore au quart du voyage. Une opportunité finirait bien par se présenter.

Les derniers jours de navigations avaient été plutôt tranquilles à bord du Roi Jaune. Le navire avait continué son cabotage le long des côtes kendrannes qui avaient petit à petit laissé place à un paysage plus rocailleux, alors que les campagnes bucoliques que l’on devinait à l’horizon s’étaient changées en falaises, présageant déjà le paysage qui dominerait bientôt la côte de la baie des grottes.

Cependant, le calme monotone des derniers jours avait laissé place à une activité plus intense alors qu’ils approchaient du cap qui marquait la pointe Sud-Ouest de Nirtim. Il était enfin temps de virer plein nord vers Nosvéris, et la plupart de l’équipage était sur le pont, à la manœuvre.

Malgré l’activité ambiante, Ulric avait été laissé oisif sur le côté. Sans doute que son manque d’expérience nautique l’avait disqualifié pour les tâches plus délicates, et que celles qu’on lui collait d’habitude ne ferait qu’encombrer le pont. Il ne s’en plaignait pas, cependant. Il profitait d’un instant de calme, appuyé sur le bastingage, le regard tourné sur le cap qui fendait la mer comme une dague de falaises blanches.

Perdu dans ses pensées, l’attention du jeune mage fut soudain happée par quelque chose. Un autre navire, jusque là dissimulé de l’autre côté du cap, semblait pointer le bout de son nez alors même que celui du Roi Jaune se tournait vers le nord. L’autre navire sortit rapidement de sa cachette pour révéler une galère, étroite et toute en longueur. Son pont était bas et dépourvu de toute cabine qui pourrait l’alourdir, et seul son mat pourvu et une plateforme de bois qui avait été montée à sa proue en dépassaient.

Les voiles retractées, la galère se dirigeait droit sur eux en se propulsant à la rame, comme un mille-pattes démesuré rampant sur les vagues, pendant que le vent dans le dos du Roi Jaune gonflait ses voiles et le poussait vers le nouveau venu.

Ulric n’était pas certain qu’il fallait s’inquiéter de cette soudaine apparition. Après tout, ce n’était pas le premier navire qu’ils croisaient, mais la façon dont il semblait les attendre en embuscade, juste là où sa présence serait dissimulée par le cap, ne pouvait que sonner les sonnettes d’alarmes dans son esprit. A cela, s’ajoutait que la galère, taillée pour la vitesse comme elle l’était, n’était clairement pas un navire marchand, contrairement à leur flûte à la coque pansue.

L’équipage de la galère se hâta de confirmer ses soupçons en hissant le pavillon : une sorte de sirène dont la partie humaine avait été remplacée par celle d’un loup se découpait sur un fond noir. A côté de la gueule béante de la bête, se tenait un sablier, symbole universel de la mort qui approche à chaque instant qui passe. Le message semblait clair : rendez-vous, ou ce vieux loup de mer vous dévorera.

La situation n’avait pas échappé au capitaine, qui se mit immédiatement à beugler de nouveaux ordres :

« A bâbord toutes, tout le monde ! On va les perdre en haute mer ! », rugit-il depuis le gaillard arrière, avant d’ajouter « Wilhelm, ouvre l’armurerie ! Yartham, va me chercher ces pyromanciens qu’ils servent à quelque chose ! »

L’équipage se remit en route immédiatement pour suivre ces nouveaux ordres, bien que l’inquiétude et la peur se lisait sur de nombreux visages, la discipline et l’expérience coupant court à tout mouvement de panique.

A peine son premier voyage en mer, et il fallait forcément qu’il se fasse attaquer par des pirates. Ulric pesta tant il n’en revenait pas de sa malchance. Quoiqu’il y avait peut-être un moyen de profiter de la situation ? Son regard se porta sur le capitaine qui s’acharnait à présent à la barre pour faire dévier son navire et esquiver l’attaque imminente. S’il sabotait la défense et que les shaakts se faisaient tués dans l’attaque, il supprimerait sa concurrence dans sa chasse à l’artefact avant même d’atteindre Pohélis. Mais, pour ça, il faudrait encore qu’il parvienne à convaincre les pirates de le laisser partir avec Kristobald, et sa collaboration ne suffirait peut-être pas, en plus de l’emmener en Nosvéris. Non, c’était une idée ridicule, se dit-il. Il n’avait absolument rien à marchander et, même s’il changeait de camp, il ne représenterait jamais qu’un prisonnier de plus à rançonner pour les pirates. Il était bel et bien coincé avec l’équipage de la flûte avec comme seule option de la défendre avec eux.

Après cette réalisation, ses calculs égoïstes laissèrent place à la colère envers ces pirates qui se mettaient sur son chemin. S’il venait à se faire tuer par un des pyromanciens alors qu’il essayait de leur dérober le Troisième Œil, il aurait au moins une fin théâtrale. Mais tomber par la main de rufians puants juste pour qu’ils puissent s’emparer de nul ne sait quelle merde qu’ils transportaient dans leur cargaison ? Pah, il valait mieux que ça !

Rapidement, Wilhelm réapparut sur le pont, transportant une énorme caisse métallique que le vieil homme à lunettes n’aurait jamais su transporter sans l’aide de l’earion qui l’accompagnait. Glissant une clef d’une main tremblante dans le cadenas qui la fermait, il révéla un arsenal composé d’arbalètes, de carreaux et de sabres courts, avant de les distribuer à tous les marins qui n’étaient pas nécessaires à la manœuvre du navire. Arrivé au niveau d’Ulric, il colla une arbalète et une poignée de carreaux dans les bras du jeune mage qui ne s’était jamais servi d’une telle arme.

« Prends position avec les autres et vise dans le tas ! Ils abandonneront surement dès qu’ils rencontreront de la résistance ! » dit-il, se voulant rassurant.

Au même moment, Tim’Neerquarra sortit de son repaire dissimulé dans la cale, portant toute sa régalia de mage et suivie de ses deux larbins. Avec leurs robes écarlates et leurs masques, ils semblaient tous trois sortis d’un autre monde tant ils tranchaient avec les tenues pragmatiques des marins qui organisaient la défense du navire aussi vite qu’ils le pouvaient.

« Capitaine, comment osez-vous me donner des ordres ? », commença-t-elle, outrée, « Avec ce que je vous paye, vous n’avez aucun droit de me traiter comme un de vos servants ! »

« C’est mon navire, ici, pas une auberge ! Rejoignez la défense, ou vous finirez au fond de la mer avec nous tous ! »

Même sous les traits impassibles de son masque d’airain, Ulric pouvait sentir le dégout de la shaakt à se faire commander par un humain, mais seul un idiot ne réaliserait pas qu’ils étaient très littéralement dans le même bateau. Ravalant sa fierté pour un temps, la pyromancienne sortit un orbe de cristal d’une cache dans l’une de ses manches et commença à canaliser ses fluides. L’orbe se mit à luire d’une lueur orangée, et une boule de feu en jailli pour voler vers la galère qui continuait de gagner du terrain sur eux. Les deux autres mages imitèrent leur maitresse avec des baguettes, pendant que les marins déchargeaient leurs arbalètes.

Ulric brulait d’envie de rejoindre les mages et de faire démonstration de sa propre magie mais, même dans une situation d’urgence comme celle-ci, il était certain que la seule chose qu’il y gagnerait serait de se faire lyncher par l’équipage pour usage de magie noire. Sans doute penseraient-ils même que c’était lui qui avait attiré la malchance sur eux ! Il arma donc l’arbalète qu’on lui avait confié. C’était un modèle assez simple et léger, bien loin des monstres à manivelles qu’on réservait en général aux sièges, mais il lui fallut tout de même toute sa force pour tirer la corde jusqu’à la noix de décoche. Cependant, il échoua à compenser le roulis du navire lorsqu’il tira, visant beaucoup trop bas, et une vague vint avaler voracement le projectile.

(Quelle arme de merde !), pesta le jeune mage en chargeant un nouveau carreau.

Voyant son offre de reddition refusée par une pluie de projectiles, la galère baissa le drapeau noir pour en lever un nouveau, rouge comme le sang : aucuns quartiers ne seraient accordés. La réplique des pirates ne se fit plus attendre, et Ulric entendit un sifflement passer non loin de lui. Un second, et il vit soudain un carreau grand comme son avant-bras transpercer l’un des marins de part en part, l’abattant sur le coup sans même lui laisser le luxe d’un dernier cri.

Paniqué par la mort aussi rapide que brutale qui venait de se dérouler sous ses yeux, Ulric laissa immédiatement tomber ses vaines tentatives à l’arbalète pour se cacher derrière le bastingage, rapidement suivi par le reste de l’équipage.

« Tous à couvert ! », ordonna inutilement le capitaine, « Ils ont des scorpions ! »

Les traits continuèrent de voler, visant tout homme qui ferait mine de sortir de sa cachette. Sous ce tir de suppression, l’équipage du Roi Jaune se retrouva paralysé, laissa la galère libre de terminer son approche sans opposition.

Ulric osa tout de même un coup d’œil par-dessus le bastingage qui l’abritait, curieux de voir ces fameux scorpions. Ils lui avaient échappés jusqu’à présent mais, maintenant que le navire adverse était plus proche, il était impossible de s’y méprendre ; sur la plateforme montée à l’avant de la galère, un petit groupe de pirates maniait deux de ces pièces d’artillerie légère avec célérité.

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