Le Temple de Phaïtos

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Yuimen
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Le Temple de Phaïtos

Message par Yuimen » mer. 3 janv. 2018 13:52

Temple de Phaïtos
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Dans une ruelle sombre et étroite jouxtant le quartier des marins, non loin du Temple de Thimoros, se terre un autre temple, plus discret, plus reculé, dont seuls les adeptes du Puissant Phaïtos connaissent l’entrée. Celle-ci est une petite porte noire, esseulée au bout de cette obscure ruelle plutôt glauque. Une simple petite porte noire sans ornement, qui semble donner sur une habitation complètement ruinée. On pourrait presque y lire "La voie est close, les morts la gardent’", mais ce n’est pas le cas. Aucune inscription ou indication n'informe que l’Antre de la Mort commence ici.

Mais ça n’est pas sur cette misérable masure abîmée que cette porte donne, en réalité. Une fois ouverte dans un grincement qui fait frémir les os, la porte s’avère dissimuler un escalier qui descend dans des profondeurs obscures à peine éclairées par une lueur blafarde totalement artificielle et dénuée de vie. Là commence la descente aux Enfers, car ce temple leur est dédié, ainsi qu’à leur maître, le grand Phaïtos, Seigneur de la Mort.

Les marches sombres, sculptées dans un roc noir dense et luisant, descendent sur plusieurs mètres avant de dévoiler ce qu’est réellement ce temple : une grande crypte souterraine bâtie dans cette même pierre sombre, soutenue par de hautes arches en ogive qui se joignent dans des rosaces aux décors funèbres : crânes, ossements, faux, corbeaux.

La même lueur blafarde éclaire sommairement les lieux, verdâtre, pâle, elle ne semble presque pas exister tant l’obscurité de la pièce est oppressante. Dans cette crypte tout semble converger sur un unique autel, sobre et sombre. Au dessus de ce dernier s’élève l'unique décoration du lieu, une menaçante statue de corbeau prenant son envol, majestueuse mais terrible, au regard de rubis qui semble percer votre âme pour la voler et l’emmener vers le Royaume Funèbre.

Le prêtre gardien de ce lieu consacré est un humain à la peau pâle, presque translucide, jaunâtre. Il est glabre et mince, presque squelettique et se vêt uniquement d’une longue robe noire à capuchon qu’il porte souvent relevé sur son crâne chauve. Il est tout en longueur, grand et fin, élancé, ses mains aux longs doigts pâles tiennent sans cesse un symbole de son dieu, un cordeau en Onyx. De longs cheveux blancs encadrent son visage marqué par la Mort, attestant de son âge avancé. Sa voix, peu de gens l’entendent, mais elle ferait frémir le plus vaillant. Elle est comme l’incarnation de ce lieu : sombre, sobre, profonde et rauque.

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Eldros Rougine
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Re: Le Temple de Phaïtos

Message par Eldros Rougine » dim. 27 janv. 2019 15:40

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Les semaines s’enchaînent. Les saisons passent sur la cité pirate. De l’été étouffant qui soulève des odeurs insoutenables nous passons à l’hiver, à ses vents glacés qui gèlent les dalles du port et transforme la baie en banquise par les jours de grand froid. Le chantier sur La Baliste est sur le point de se terminer, le capitaine parle en jours. Quinze jours a-t-il insisté aujourd’hui devant la moue du chef des charpentiers. Nous avons largement eu le temps de nous préparer au départ et les esprits commencent à s’échauffer. Impatients de reprendre la mer. Nous avons déjà récupéré une partie de l’argent revendu grâce au receleur. Nous devons encore faire le plein de vivres mais les armes, munitions et les divers accessoires qui nous seront utiles pendant le voyage sont déjà prêts à être chargés. Laeten ne m’a pas redit un mot au sujet de mon plan mais les regards noirs que me lance cet idiot de Sang Pourpre me laissent croire qu’il tient toujours. Malaggar m’a donné les derniers conseils possibles sur la façon de gérer la comptabilité au sein d’un navire pirate. Surtout ne pas se tromper dans la répartition des parts m’avait-il soufflé comme dernier conseil avec un mince sourire.

Il n’y a pas eu d’autres incidents en ville depuis l’assassinat du sans abri. Ni corbeaux, ni visions. Mon temps libre se divise entre mon entrainement au sabre, des recherches sur les fluides magiques et sur les différentes pièces d’armure que je portais dans ma vision. Les images étaient si claires que chacune sont ancrées dans mon esprit. La lame, le bouclier, mon armure, ma cape, le pendentif et la bague. Hélas, les ouvrages sur les pendentifs à tête de corbeau ou les anneaux sertis d’une pierre sombre manquent dans la bibliothèque de La Baliste et du Mat d’Or. Quant à mettre la main sur un autre livre dans cette cité d’illettrés sans pouvoir approcher les têtes pensantes sans avoir plus d’influence, c’est peine perdue. Hors de question de retourner dans cette boutique magique évidemment. Il reste éventuellement un endroit où je pourrais trouver des réponses et c’est justement l’endroit où j’ai décidé de me diriger. Je me dois donc, encore, de traverser ces ruelles immondes qui ne manquent pas de me mettre d’humeur maussade. Une bonne purge, voilà ce qu’il faut dans cette ville. Elle gagnerait à avoir moins de misère. Ces clochards n’apportent rien d’autres que de la saleté, des maladies, des mauvaises odeurs. Je pousse du pied sans ménagement l’un d’eux qui essaie de m’attraper la jambe pour me quémander quelques piécettes.

" Tu n’as qu’à traverser la rue pour te rendre au port et trouver un travail ! Fainéant ! "

Je m’en veux presque de lui avoir accordé de la salive. Il ne la mérite même pas ! Il n’est rien. Ils ne sont rien. Rien d’autre que des parasites !

Je reconnais le temple grâce à la vue que j’en ai eu des remparts lors de ma visite guidée et heureusement car rien ne m’aurait indiqué que ceci est un temple à la gloire de mon si grand Dieu de la mort. Perdu dans une ruelle, une simple habitation de pierre à la porte noire. Ma colère monte d’un cran. Comparé à celui de Moura, c’est presque une insulte ! Il mériterait de s’élever au-dessus de toutes les autres bâtisses minables aux alentours ! Sa porte devrait être immense, ornée de crânes, de sculptures de corbeaux ! Nous devrions pouvoir la comparer aux portes de l’enfer elle-même ! Mais non ! Non ! Ce n’est qu’une simple porte sans ornement, ni même indications qu’il s’agit du temple du grand Phaïtos. Un bout de bois noir qui donne sur une masure abîmée. Ravalant ma colère, je pousse doucement la porte qui s’ouvre dans un grincement qui me fait frémir. Elle donne, à ma grande surprise, sur un escalier. Je m’attendais presque à trouver une pièce miteuse avec un pauvre autel en ruine. En fait, je m’attendais à ce que ce temple soit une ruine abandonnée. Il n’en est rien. Les marches m’amènent dans les profondeurs de la cité portuaire, éclairés par une lueur blafarde, pâle. Juste assez suffisante pour voir les pierres sombres sur lesquelles je pose les pieds. Ma mauvaise humeur s’atténue au fur et à mesure de ma descente. Peu à peu, je découvre ce que cette ridicule masure dissimule. Une crypte où l’obscurité est omniprésente. Creusée dans une roche obscure, soutenue par des arches aux décors funèbres. Illustrations des reliques et des représentations de Phaïtos. Mais tout ça ce n’est rien face à ce qui trône au centre de l’immense crypte. Au-dessus d’un autel de pierre sombre s’élève une statue de corbeau prenant son envol. Une sculpture majestueuse au regard rubis. Un regard qui me transperce. Je me mets immédiatement à genoux. Je me prosterne jusqu’à ce qu’on mon front touche la pierre humide et froide. Je reste un instant ainsi. Priant en silence Phaïtos, le remerciant de m’avoir montré et guidé vers ce lieu.

" Ooooooh. "

Le gémissement me fait relever la tête. Mêlé de surprise et d’intérêt, profonde et roque. Elle me saisit au cœur comme une vibration inquiétante. Il provient d’un vieil homme au visage translucide tant il est maigre et sans doute privé de soleil. Il porte une longue robe noire à capuche, rabattue sur ses cheveux blancs. Grand, fin, les doigts longs comme des branches de bouleau. Il y tient un corbeau d’onyx qu’il caresse de gestes saccadés. Je comprends sans mal qu’il s’agit du prêtre dédié à ce lieu. Ma tête s’incline à nouveau, témoignant mon respect qui reste évidemment moins grand que celui que j’offre au gardien des enfers. Son visage se fendille d’un sourire inquiétant, révélant des dents aux couleurs de sa peau. Il s’approche. Sa démarche me fait penser à celle d’un esprit, sa longue robe recouvrant ses pieds, j’ai l’impression qu’il glisse jusqu’à moi. Il pose sa main squelettique sur mon crâne en inspirant profondément. Je reste immobile, inquiet mais pas menacé. Une minute passe et le silence est toujours profondément installé. Dérangé uniquement par le bruit d’une goutte d’eau qui vient frapper le sol de manière lente et régulière.

" Vous venez chercher quelque chose ici… " Prononce-t-il de sa voix qui me fait trembler les os.

" Qu’est-ce ? "

Il retire sa main glacée de mon crâne pour la placer sous mon menton, m’invitant à me relever. J’accompagne son mouvement pour me mettre debout. Je lève encore mes yeux vers les siens qui semblent être ouvert depuis un million d’année tant ils sont ternes.

" J’ai eu une vision où je me suis aperçu au commandement d’une grande armée, mettant feu à Darhàm. Ma vision était enfumée, je pouvais apercevoir les bâtiments en flammes, les habitants qui voulaient fuir mais certaines choses étaient limpides. La tenue que je portais par exemple. "

Il se frotte le menton avant de se retourner pour s’approcher de l’autel.

" Une armure sombre, un large bouclier, une lame rouge de sang, une cape en lambeau, un pendentif à crâne de corbeau et un anneau sertie d’une pierre sombre. Je… "

Il me coupe la parole, précisant que si je venais chercher ces objets ici, je ne les trouverais pas. Qu’il existe de nombreuses armes et armures qui pourrait coller à cette description mais que si elles me sont apparues dans une vision c’est qu’elles sont bien plus spéciales que je ne le pense. C’est bien pour ça que je suis ici. Pour en apprendre d’avantage.

" Je ne demande qu’à comprendre vers où Phaïtos veut me guider. "

Il darde brutalement son regard vers moi. Je baisse le regard tandis qu’il glisse à nouveau sur le sol pour s’approcher, me jaugeant de haut en bas avant de déclarer.

" Moi aussi j’ai eu une vision. D’un homme qui se tient là où vous êtes en ce moment. Seulement il ne s’agissait pas de vous. "

Précise-t-il en décelant probablement mon enthousiasme.

" Il s’agissait d’un homme grand mais mince aux yeux dénués de couleurs. Les cheveux sombres. Le visage déformé avec une cicatrice lui encerclant le cou. Autour de celui-ci pendait d’ailleurs le pendentif à tête de corbeau dont vous venez de parler. "

Il approche sa main de ma gorge, la prenant délicatement sans la serrer.

" Sans doute vous prenez vous pour un élu, à qui Phaïtos donnerait ses précieuses visions, des indications, des chemins à suivre pour devenir une sorte de… champion. "

Je reste figé, incapable de bouger, immobilisé par la terreur que m’inspire à la fois ce prêtre mais aussi le discours qu’il tient.

" Phaïtos ne choisit pas d’élu. Il repère des hommes et des femmes hors du commun, prêt à tout pour le servir certes. Mais il ne leur accorde des faveurs que quand ils ont fait leurs preuves d’eux même. "

Sa main quitte mon cou alors que son ton se fait plus colérique, il donne une tape sur mon torse alors que je l’aperçois faire un signe de tête derrière moi. Je sens l’instant d’après deux hommes me saisir les bras, si brutalement et avec une telle force que je décolle du sol. Je n’arrive même pas à ouvrir la bouche tant la terreur me fige. Le prêtre poursuit, colérique, presque haineux.

" Mais êtes-vous seulement digne de fouler de vos pieds le sol de ce temple ?! De citer le nom de notre gardien des Enfers. "

Il s’approche à nouveau, vole de ma poche la fiole contenant le liquide obscur en poursuivant.

" De porter sur vous un fluide élémentaire permettant de vous servir de la magie noir, propre à Phaïtos et son frère ? "

J’essaie de prononcer une réponse, que c’était une question que j’avais à lui poser mais je ne parviens qu’à bégayer quelques mots incompréhensibles.

" Etes-vous seulement capable de l’absorber sans défaillir ?! Si c’est le cas, je vous aiderais mais sinon, vous serez sacrifié sur cette autel ! "

Il se met de côté tandis que ses acolytes me transporte vers l’autel, m’allongeant dessus sans aucune retenue, l’un me maintient les épaules alors que l’autre me tient les pieds même si pour l’instant, je suis toujours incapable de réagir. Mes yeux sont pointés sur la statue de corbeau qui s’envole juste au-dessus de moi. Mon cœur palpite à m’en soulever la peau, ma respiration s’accélère. Le visage blafard du prêtre s’interpose. Je l’aperçois déboucher la fiole alors que la substance à l’intérieur semble s’agiter. Il verse ensuite le contenu sur moi mais le liquide change d’état. Il se fait plus volatile, gazeux, devenant une ombre qui lévite entre la fiole et mon visage. Cela dure un court instant où nous semblons nous observer avant que soudainement l’ombre pénètre mon nez. Je sens un vent glacé s’infiltrer dans mes narines, un froid me faisant penser à la mort elle-même. Je sens la substance descendre le long de ma gorge, l’impression qu’une main saisit mes poumons pour les empêcher de fonctionner. Ma vue se teinte d’un voile noire alors que ma langue et mes lèvres s’assèchent pour tomber en poussière. Mais malgré la sensation de peur, de douleur, de froid, je me sens aussi imprégné de puissance. Le sentiment de me renforcer fait vite place à celui de mourir. Je parviens enfin à réagir, à bouger mes doigts, le halètement s’atténue. La terreur disparaît pour faire place à une vive excitation. Celle de revivre cet instant, ce sentiment d’abondance de force, de pouvoir inexplicable qui peu à peu s’approprie chaque partie de moi pour se faire moins présente.

Alors que je devrais ressentir une haine vivace à l’encontre du prêtre, je ressens un sentiment de reconnaissance tandis que son visage s’apaise pour m’offrir à nouveau se rictus inquiétant. Je sens la pression sur mes épaules et mes chevilles disparaître. Quand je me redresse pour me mettre assis je n’aperçois plus personne. Ni acolytes, ni serviteurs du temple, ni même d’autres adorateurs de Phaïtos présent. Le prêtre m’invite d’un geste à quitter l’autel. J’obéis, me place face à lui et avant même que je n’ouvre la bouche il prend la parole.

" Ce que vous avez décrit pourrait être ce qu’on appelle des reliques. Equipements de défunts ayant eu une existence héroïque ou dons divins. Il en existe un nombre incalculable. Dissimulées dans les profondeurs de la terre ou de l’océan. Gardés par des créatures à la puissance incommensurable ou tout simplement perdue par son ancien propriétaire. Je ne connais pas l’existence de toutes et encore moins leurs emplacement. Néanmoins, l’anneau serti de pierre sombre me rappelle une légende que j’ai appris il y a fort longtemps. "

Il se tourne vers le corbeau aux yeux rubis, se racle la gorge et poursuit son monologue.

" Un jour, Thimoros aurait versé une larme et Phaïtos l’aurait conservé dans une pierre et sertie sur un anneau d’argent et d’olath. Il l’aurait ensuite envoyé sur Yuimen pour démontrer que personne n’est infaillible. Même les dieux. "

Il se tourne à nouveau vers moi, répétant ces derniers mots avant d’incliner la tête et de m’indiquer d’un geste la sortie.

" Je n’ai rien d’autre à vous dire. "

J’incline la tête et quitte le temple sans la moindre rancune pour ce prêtre qui m’a permis de découvrir une nouvelle part d’ombre enfouie en moi et la façon de la renforcer. C’est donc avec un sourire ravi, encore frémissant de ce que je viens de vivre, que je remonte les marches sombres pour retrouver la surface.


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Devon
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Re: Le Temple de Phaïtos

Message par Devon » mar. 18 août 2020 02:20

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J’ai appris l’existence de ce temple purement par hasard alors que je me saoulais au rat Putride. Un marin d’un groupe que je dépouillais à un jeu de cartes comprenant plusieurs bouteilles d’alcool s'était décidé à miser la dernière chose qu’il lui restait au lieu de s’arrêter, un secret sur la ville. N’ayant rien à y perdre, j’acceptais. Battu une dernière fois et engloutissant son dernier verre de rhum parfumé à l’orange pour la soirée, il me divulguait alors la localisation du temple qui est caché aux yeux de tous et dont une bonne partie de la ville ne soupçonne sans doute même pas l’existence, avant de se lever et disparaitre dans la nuit. Je n’avais jamais pensé que j’utiliserais un jour cette information.

Je me tiens droit pendant quelques instants devant la porte aussi noire que l’Olath le plus profond. Même là, je ne suis pas sûr de trouver un temple derrière ce sobre portail et que toutes ses histoires n’étaient pas simplement les élucubrations d’un homme au stade final d’alcoolémie. Une aura étrange et pesante émane de ce qui semble être une simple maison à l’abandon. Même mon volatile compagnon ne bouge plus d’un pouce et fixe la porte sans un son. Je prends une inspiration et pousse la porte qui émet un lent râle d’agonie en glissant sur ses gonds usés et rouillés par le temps. Un courant d’air froid s’échappe de l’ouverture béante, soulevant légèrement mes mèches grisâtres, une odeur âcre l’accompagne qui me fait retrousser les narines alors que le corbeau agite légèrement ses plumes. Devant moi s’étale ce qui semble être l’obscurité absolue, la lumière extérieure s’avère incapable de percer les ténèbres au-delà du pas de la porte. Non, pas complètement obscur, alors que mes yeux finissent par s’acclimater légèrement à la pénombre et je distingue une lueur verdâtre feutrée qui paraît surgir depuis les profondeurs de la terre, jusqu’à ce que je remarque également les ombres inégales d’un escalier qui donne l’impression de s’enfoncer jusqu’en enfer.

Je ne suis plus trop sûr de mon choix, mais je ne suis pas venu jusqu’ici pour faire demi-tour maintenant. Je pénètre dans les ténèbres et, refermant la porte derrière moi, je distingue plus clairement les marches faites dans la même matière que la porte, lisses et polies, je descends lentement l’escalier dont le bout semble inaccessible, entouré par la lumière blafarde surnaturelle qui hante les lieux. Je remarque seulement maintenant le poids qui pèse sur mon épaule. Le corbeau, qui d’habitude fui dès que je pénètre dans un lieu public fermé, tiens encore à sa place, toujours silencieux et figé comme s’il était soudainement devenu une simple copie empaillée de lui-même. La température descend progressivement au fur et à mesure que je m’enfonce dans le sous-sol jusqu’à ne plus trouver de nouvelles marches à descendre. Je finis ma descente dans une large crypte aux murs aussi obscurs que les marches et dont il est difficile de voir les contours sans l’aide de la douce lumière blafarde qu’ils reflètent. Difficile de croire que nous nous trouvons encore à Darhàm, l’endroit semble complètement détaché de la ville, les décorations macabres et l’absence des effluves du port me mettent quelque peu mal à l’aise.

De légers murmures me proviennent depuis le centre de la pièce où trône un unique autel surplombé par une majestueuse statue d’un corbeau prenant son envol et dont les yeux rubis percent les ténèbres d’une lueur angoissante. Deux silhouettes recroquevillées discutent devant l’autel, personne d’autre n’est présent dans la large pièce, un contraste saisissant avec la constante cohue qui se bouscule au Temple de Moura. Alors que je m’approche d’eux, la plus grande des deux ombres finit par se redresser, adresse un salut de la tête à son interlocuteur avant de se retourner pour partir. Alors que nous nous croisons, je reconnais les traits indéfinissables de l’individu que j’avais croisé dans la boutique de l’elfe noire quelques jours plus tôt. Ses sourcils se dressent légèrement alors qu’il a l’air de me reconnaître également. Il s’arrête devant moi mais son air est bien plus amical que lors de notre précédente rencontre. Autrement dit, il arrive à esquisser ce qui pourrait vaguement ressembler à un sourire si les innombrables rides qui parasitent ses joues ne se tordaient pas dans tous les sens:

« Et bien je ne pensais pas que vous étiez un membre de notre culte »

Je ne sais pas vraiment quoi répondre et me contente de hocher la tête avec un léger grognement, ce qui a l’air d’être une réponse satisfaisante pour lui.

« Au plaisir de vous revoir et de pouvoir s’entraider »

Il reprend sa route et je le regarde se diriger vers les escaliers qui mènent à la surface alors qu’un étrange son résonne derrière moi. Je me retourne pour me retrouve face à ce que je suppose être le prêtre en charge du lieu. Si je me considère comme étant assez horrible à contempler, la personne en face de moi ne ferait pas mauvaise figure dans une morgue et plus particulièrement dans un cercueil. Sous sa capuche aussi sombre que le lieu qu’il gère, une fine peau pâle et à l’aspect maladif est tendu comme un vieux parchemin sur les os saillant de son crâne encadré par quelques mèches blanches qui ont survécu aux passages des années. Difficile de croire qu’il peut tenir debout, il semble prêt à rejoindre le maitre qu’il sert à tout instant. Il me fixe d’un regard vide de toute émotion, attendant sans doute que j’explique ma présence en ces lieux. Je m’approche et, à peine ai-je le temps de prendre une inspiration qu’il me coupe en plein élan, levant sa fine main aux doigts tortueux pour m’imposer le silence. Ses yeux se tournent un instant sur le corbeau perché sur mon épaule, toujours immobile. Il le contemple pendant une longue et insupportable minute de silence avant de reporter son regard sur moi.

Il prend la parole d’une voix sans émotion, presque aussi grave que la mienne. Dans la crypte le son résonne entre les murs comme s’il venait d’un autre monde, renforçant l’aspect déjà inquiétant de cet intrigant personnage.

« Vous n’êtes jamais venu ici, mais vous vous promenez avec une créature de mon dieu, que voulez-vous ? »

Il détourne légèrement la tête du volatile pour fixer son regard se pose sur moi. Ses pupilles opaques me fixent comme s’il cherchait à lire mon âme derrière mes yeux carmin. Il me perturbe suffisamment pour que j’en perde mes mots pendant quelques secondes. Je rapproche instinctivement ma main blessée de moi et je me rends compte alors que je n’ai aucune idée de comment formuler ma demande. Comme pour le prêtre de Moura, damné soit cet imbécile, je change complètement de ton par rapport à mon comportement en ville.

« Je … J’ai une question d’ordre théologique et je pense que vous êtes le plus amène à y répondre »

Il dresse très légèrement un sourcil qui tire sur les multiples rides de son front, m’invitant silencieusement à continuer. Un calme pesant s’installe dans la crypte dès que je finis ma phrase. Pas le moindre courant d’air ni le plus infime murmure résonne dans les recoins de la pièce. Je comprends que son silence est une invitation à continuer. Je me racle la gorge une fois et prends une large inspiration avant de me lancer. Je lui raconte l’étrange vision que j’ai eue alors que j’étais inconscient, prenant le temps le temps de lui décrire la créature qui se dressait devant moi alors que j’errais dans les limbes de mon esprit. Je lui fais également un très léger résumé des circonstances qui m’ont amenées à Darhàm et de mes expériences théologiques passées. Alors que je termine mon récit, je remarque qu’il me fixe intensément, ses rétines sombres comme les plumes d’un corbeau ne quittent pas mes yeux, comme s’il cherchait quelque chose au-delà de ma forme physique.
Quelques secondes qui me semblent une éternité s’écoulent avant qu’il ne se retourne brusquement pour retourner vers l’autel central de la pièce, faisant froisser le long tissu de sa toge noir. Il prend la parole d’une voix calme et austère.

« Il y a quelque chose en vous. Quelque chose de sombre »

Un frissonnement me parcourt l’échine, je ne lui ai certainement pas raconté mon long passage dans les tombeaux oubliés du désert de l’ouest en Imiftil et encore moins des découvertes que j’y ai faite. Je pense savoir de quoi il parle et le simple fait d’y penser réveille au fond de mes tripes ce que j’essaye d’oublier depuis longtemps, très longtemps. Il continue de faire face à la statue de corbeaux qui trône au milieu de la pièce.

« Vivre avec serait plus simple, il vous cause du tort depuis suffisamment longtemps »

Mes traits se crispent, je croise les bras sur ma poitrine, je ne suis pas venu pour recevoir une leçon de morale sur la façon dont j’ai géré mes problèmes personnels passés. J’essaye de rediriger la discussion vers le sujet pour lequel je suis venue le voir, mais mon ton devient proche d’un grognement et résonne lourdement entre les murs de la crypte.

« Si vous ne savez pas de quoi je vous parle, dites le moi et je ne vous fait pas perdre plus de temps »

Il baisse légèrement les yeux et secoue la tête en signe de désapprobation, lâchant un léger soupir. Il se retourne finalement pour me faire à nouveau face.

« Comme vous voulez »


Il tourne son regard vers un des murs de la crypte, l’air absent alors qu’il joue avec une petite pierre noire dans sa main.

« C’est curieux, Il n’y a que dans cette ville que j’ai entendu parler de ces histoires»

Il marque une pause, absorbé dans ses pensées.

« Je pense que la vision que vous avez eu ne concerne pas mon dieu. Mais j’ai déjà eu vent de ces histoires, certains sont déjà venu m’en parler. Peut-être que d’autres pourront vous renseignez»

Je tapote mon bras d’un doigt impatient.

« Une idée de qui ? »

« Principalement des marins, peut-être de passage. Rarement de riches résidents et commerçants. »

Ça ne m’avance pas plus que ma visite au temple de Moura. Une vision au bord de la mort je pensais trouver des réponses dans le temple de celui qui la commande, mais il semblerait que ma vision troublante restera un mystère pour le moment.

« Bon, merci »

Je lui adresse un bref salut de la tête avec mon tricorne et me dirige vers les escaliers pour m’en aller, insatisfait des réponses que j'ai obtenu. Je pose mon pied sur la première marche lorsqu’il se racle la gorge avant de reprendre la parole. J’entends le doux frottement de sa robe sur la pierre sous nos pieds, il semble flotter dans ma direction et avant même que j’ai le temps de lui faire face, une main dépasse de ma vision, une petite fiole avec un liquide sombre tourbillonnant à l’intérieur. Je la fixe comme hypnotisé par les volutes obscures qui tournoient sans cesse, comme si la substance voulait s’échapper de sa prison.

« Suivez mon conseil, accepter ce que vous enfouissez en vous vous enlèvera un lourd fardeau mental »

Sa voix résonne aussi bien dans l’obscurité de la crypte que dans les ténèbres de mes pensées. Sans lui répondre, je me saisis de la bouteille et la range dans une de mes profondes poches. Je continue ma route sans me retourner alors que je l’entends s’éloigner pour rejoindre l’autel de son dieu. La lumière pâle illumine timidement les marches mais au loin je peux apercevoir une faible lueur qui indique la porte vers l’extérieur de ce temple. Je monte les marches deux à deux, une légère angoisse pèse de plus en plus lourd sur ma conscience et j’accélère le pas jusqu’à m’extirper des ténèbres oppressantes du temple et me retrouver en haut des marches. Je rejoins le monde extérieur avec un profond soupir. Je manque de sursauter lorsque le corbeau sur mon épaule agite bruyamment ses ailes qu’il gardait fermées depuis que nous étions entrés dans le temple. Il était si discret que j’en avais oublié son existence.

Je réajuste ma veste et mon tricorne avant de reprendre ma route, même si je n’ai rien appris sur mon étrange cauchemar. Je passe devant le temple de Thimoros où est toujours rassemblé un groupe d’orque. Je me retiens de cracher sur le parvis de ce lieu malsain, un geste ancré dans mes gênes par l’histoire de mon peuple. Imposer le culte de cette divinité imbécile et cruelle dans une enclave marine est sans doute la plus grande victoire qu’Oaxaca ai obtenu sur sa ville fantoche au vu de la haine des Sang-pourpres pour Thimoros. Je suis de cet avis, mais il est temps de mettre en place le plan tortueux que j’ai élaboré pour retrouver le capitaine fuyard.

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