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Le jour commence à pointer le bout de son nez quand je pénètre le bâtiment des thermes d’Omyre. Je croise en rentrant deux hommes encapuchonnés qui m’adressent un regard surpris sans plus s’attarder. J’ai la bonne surprise de me retrouver enfin dans un bâtiment où ne flotte pas une vague odeur de merde. J’observe le hall du bâtiment, propre, en bon état, sentant une odeur d’huiles parfumées et de savon. Je m’adresse à l’accueil, demandant un bassin privé en ajoutant que j’ai un rendez-vous avec la Plume Noire.
La dame raffinée m’adresse un regard curieux avant de m’inviter à la suivre. Je marche avec elle dans les couloirs, passant devant des bassins où les discussions se taisent dès que nos pas se font entendre. Des regards soupçonneux, des jeux d’adresse à la dague, des airs hautains, l’ambiance est particulièrement secrète, si bien que je comprends d’instinct que je ne me trouve pas dans un simple bâtiment de bains publiques. C’est un lieu de rencontres, de complots, de marchandages. Pourquoi en suis-je si étonné alors que celle qui m’a donné rendez-vous ici est tout aussi mystérieuse et sans doute mortelle. Je reste donc méfiant, avisant chaque recoins jusqu’à ce que ma guide me laisse entrer dans une pièce.
« Mettez vous à l’aise. Désirez vous quelque chose à boire ? »
Je décline poliment la proposition et me débarrasse de mon armure et mes vêtements quand elle quitte la salle. Voilà des mois que je n’ai pas pris un bain décent. Je me glisse dans l’eau chaude et retire l’odeur des rues d’Omyre de ma peau, le sang séché, la boue durcie. Je lève mes bras, détaillant une fois de plus mes membres. Celui de droite, devenu une main squelettique immobile recouverte de cette fine couche argentée. Si on regarde attentivement on peut y distinguer chaque os, chaque phalange, tout ce qui n’a pas fondu sous la chaleur intense du métal en fusion. Une véritable oeuvre d’art, une sculpture que même un grand maître ne pourrait reproduire. Tout ce qui reste de Brytha, littéralement entre mes mains. Quel pouvoir vais-je pouvoir en tirer ? Et de mon autre main alors ? Mon regard se déplace dessus alors que je plie et déplie mes doigts en examinant mon squelette sous plusieurs angles. Dénué de peau, de chair, de muscles et pourtant complètement mobile, bougeant aussi bien qu’une main banale mais n’étant qu’un assemblage précis d’os noircies par la magie noire. Un don de Phaïtos. Une manière d’être à la fois dans le royaume des vivants et celui des morts sans être complètement décharné. La preuve que le seigneur des Enfers m’a reconnu parmi ses fidèles, parmi ses élus, parmi ses champions. Un immense sentiment de fierté rempli ma poitrine et dessine un sourire satisfait sur mon visage.
« Mais je n’ai pas fini de vous servir Ô puissant Phaïtos. Je remplirai votre royaume. Je sèmerai la mort. Je serai votre nouveau Dragon Noir, loyal et obéissant. Ma Foi inflexible me guidera. »
Quelqu’un frappe alors à la porte, me réveillant de la béatitude dans laquelle je m’étais installé.
« Je suis navré mais la Plume Noire n’est pas ici. »
Je pousse un soupir agacé en replongeant doucement mes mains dans l’eau. voilà pourquoi j’attends depuis si longtemps. Peut être est-elle retenue elle aussi prisonnière sur l’île des Dieux. Enfermée pour son insolence.
« Bien. »
Dis-je simplement.
« Avez-vous un message à lui adresser ? »
Je me mets assis dans le bassin pour saisir la serviette derrière moi avant de me relever et de la nouer autour de ma taille tout en lui répondant:
« Dites lui qu’Eldros Rougine est venu au rendez-vous et transmettez lui que je me rends à Darhàm. Elle pourra facilement y prendre contact avec moi. »
« Autre chose ? »
« Non. Je vous remercie. »
Elle incline la tête et s’éclipse, me laissant mon intimité pour me sécher et m’habiller avant de partir. A la fois soulagé d’avoir pu profiter d’un endroit hors de la fange et mécontent de m’être fait poser un lapin. Peu importe au final, elle voulait des garanties, tout comme Khynt, je vais en fournir et ensuite nous verrons qui réclamera des garanties de l’autre.
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