A peine ai-je demandé au Duc où il souhaitait que je me positionne que le son clair d'une cloche nous parvient des hauteurs, une alarme à en juger par ce que nous crie alors un Robert de Pérussac inquiet. Il nous conjure d'aller soutenir ses hommes, quelque part dans la montagne, tandis que lui-même et ses troupes feront tout pour défendre la porte derrière laquelle s'acharne l'armée d'Oaxaca. Hurlements, crissements stridents, le chaos semble total derrière l'huis massif et le mur épais qui nous empêchent de voir ce qui se passe. Un vacarme susceptible d'angoisser les plus braves, mais la peur glisse sur ma colère comme de l'eau sur une toile cirée. Je n'ai qu'une envie, qu'une pensée : massacrer des légions d'ennemis, me lancer dans une sanglante curée, et voilà que le Duc m'envoie encore crapahuter je ne sais où?
(Il doit avoir une bonne raison pour se priver de tes lames ici, Bien-Aimé), murmure ma Faëra d'un ton apaisant,
(imagine que des troupes parviennent à contourner l'obstacle et à vous prendre à revers...)
Une idée détestable, seulement... je connais un peu le coin, escalader les parois abruptes n'a rien d'évident et aucune forte troupe ne pourrait prétendre passer par là, alors quoi? Je soupire sombrement en avisant les échelles qui grimpent vers les sommets, nul besoin d'une armée pour qu'il y ait péril, il suffirait d'une ou deux horreurs comme celles que j'ai eu le déplaisir de croiser en Omyrhie pour exterminer tout un régiment. Au Duc, je réponds donc avec un léger hochement de tête :
"Je m'en charge."
Mais, contrairement à sa demande, j'ajoute à l'intention de ma garde d'un ton qui ne souffre aucune réplique :
"Protégez le Duc. A tout prix."
J'ai bien conscience que leur aide pourrait s'avérer précieuse suivant ce qui se trame là-haut, mais cette décision se base sur un simple fait : si je tombe cela ne fera jamais qu'un bon guerrier de moins et personne ici ne s'en souciera outre mesure. En revanche, que le sire de Pérussac trépasse et ses hommes pourraient bien se débander salement, anéantissant tout espoir de résister aux colossales forces d'Omyre. Et pour une fois, ma chère cousine ne discute pas, consciente sans doute de la nécessité que le Duc vive. Quant à Oryash, je lui jette un bref regard interrogateur, ne sachant si elle préférera venir avec moi ou rester ici pour défendre le passage, puis je me lance dans l'escalade des échelles fixées contre les parois.
Dès que je me suis élevé de quelques dizaines de mètres s'offre à moi un spectacle consternant : l'armée de la putain noire dans toute son écrasante ampleur. Des Garzoks innombrables, mais aussi des espèces d'humains bardés d'armes et de sombres armures lourdes, ainsi qu'au moins deux des monstres métalliques comme celui que j'ai aperçu dans ma vision. L'un d'eux semble en mauvais état, fracassé en deux, mais l'autre est intact et...
"Les fils de pute! Les enfoirés de fils de pute!"
Rarement je jure pareillement, mais là... sur le dos de l'abomination est attachée une Sindel que je ne connais que trop bien : Illays. Utilisée comme un bouclier "humain" par ces crevures de laquais d'Oaxaca. La rage au ventre, j'hésite à redescendre fissa pour aller dévaster tous ces connards, réduire en pièces cette saloperie de machine, mais je le sais avant même que cette pensée n'ait achevé de se former en mon esprit : c'est exactement ce que nos ennemis espèrent. Agir ainsi serait signer mon arrêt de mort et, surtout, cela ne sauverait pas mon amie. Elle est foutue. Mais cela, je l'ai su au moment même où le Duc m'a informé qu'elle avait été faite prisonnière, en réalité. J'ai certes réussi jadis à m'échapper des geôles de l'arène d'Omyre, mais je n'ai dû mon salut qu'à une aide venue de l'intérieur, si cette garce de Faryä n'avait eu besoin que je vive pour je ne sais lequel de ses plans tordus je serais mort et enterré à l'heure qu'il est.
Chassant avec colère ces noirs souvenirs, je prends une ample inspiration pour me calmer et dégage une question du fatras de pensées macabres qui m'assaillent : les Kendrans hésiteront-ils à anéantir le monstre de métal ainsi "protégé"? Puis, une question en entraînant une autre : dois-je achever mon amie pour lui épargner je ne sais quelles souffrances supplémentaires et m'assurer que sa présence ne retiendra pas les bras des humains? Ou dois-je lui laisser une chance, caresser l'espoir absurde qu'elle puisse survivre envers et contre tout? Je voulais massacrer des ennemis et mon premier acte serait de prendre la vie de l'une des miennes? J'en ai la nausée... mais que faire? Que faire? J'ai beau tourner et retourner la situation en tout sens, l'évidence est criante : je ne peux rien pour elle, excepté une unique chose. L'âme en berne, défait, j'assure mon équilibre au moyen de mes seuls jambes sur l'échelle, m'empare de mon arc et y encoche une flèche que je gèle d'un effort de volonté. Puis je vise avec soin l'emplacement de son coeur, et lâche mon trait de toute la puissance de ma relique.
(Pardonne-moi, Amie, pardonne-moi... Puisse Sithi t'accueillir auprès d'elle...)
Je me prépare aussitôt à lâcher une deuxième flèche au cas où, contre toute attente, la première ne serait pas immédiatement mortelle. Puis, cette misérable besogne accomplie, j'achève l'escalade, le visage fermé, d'une mortelle pâleur. Et ce que je découvre, une fois en haut, n'a rien pour arranger mon humeur exécrable : une ribambelle de petites saloperies de métal arachnoïdes, qui doivent m'arriver à la taille, se précipitent vers une petite tour de guet. Les saletés, une trentaine probablement, sont de deux sortes : l'une possédant une espèce de "réservoir" en guise d'arrière-train, l'autre munie de rouleaux de corde, ou quelque chose qui y ressemble. Et comme si ça ne suffisait pas, au moins quatre mastodontes de ferraille comme les deux assaillant la porte suivent la meute, abattant les arbres comme je les avais vu faire dans ma vision pour dégager le passage.
"Merde, mais c'est pas vrai?! On est sur quel monde, là?!"
J'ai l'impression - détestable faut-il le préciser - d'être revenu sur Izurith. La catin d'Omyre n'a pas assez de monstres abjects à disposition, non, il faut qu'elle en rajoute avec des "machines" sorties de je ne sais quel esprit détraqué ?! Autant je n'hésiterais pas à foncer tête baissée au milieu de l'armée qui assiège la porte, seul s'il le fallait, autant ce que je vois là me sape toute envie d'en découdre. Que pourraient bien mes lames, ou mes flèches, contre ces monstres de métal? Et les petites saletés ne valent pas mieux, les dieux seuls savent quelle saloperie contiennent leurs réservoirs. Acide, poison, liquide inflammable ou que sais-je encore, qu'elles doivent pouvoir projeter à en juger par les orifices situés à l'avant. Les autres doivent pouvoir projeter leurs espèces de cordes, en mode toile d'araignée si ça se trouve, offrant à quiconque les approcherait la fin minable d'un moucheron. Jamais de toute mon existence je n'ai eu autant envie de tourner les talons, non par peur, mais parce que j'ai juste l'impression de n'avoir rien à faire là, de ne pas être sur le bon monde, de ne pas avoir les armes pour lutter contre ces... choses. Mais si moi je ne peux rien, que pourront le Duc et ses soldats? Attendre les Nains qui, avec leurs lourds marteaux de guerre et leurs boucliers, seraient sans doute plus à même de combattre ces absurdités ? Folie, elles tomberaient sur le dos des défenseurs de la porte bien avant que les Thorkins n'arrivent.
"Soit. Il faut bien mourir un jour..." murmuré-je en extirpant la lame d'Ethërnem de mon paquetage, que je dépose, avec ma Vorpale et mon arc, dans le recoin le mieux dissimulé que je puisse trouver. Je ne crois pas vraiment que mon tigre runique me donnera une chance de survivre à ça, mais je l'invoque tout de même : peut-être me donnera-t-il le temps d'exterminer quelques-unes de ces saloperies avant d'y passer. Je dégaine ensuite mon ardente et me dirige, mâchoires serrées, vers la meute ignoble.
*****
HRP : utilisation de la cc distance "tir précis" au rang 4, de la capa de combat du tireur d'élite "visée précise" et du pouvoir de l'arc des Glaces : blessure de froid en plus de la blessure physique.