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Une serveuse; nez crochu, dents de traviole et le cul passant pas entre deux table me rapporte une chope de bière brune et une assiette de pâté de canard qu’elle me dit, en m’expliquant que c’est une boulette de viande faite avec des abats, du gras, de l'ail et du vin blanc. Je me frotte les mains, ravi en humant l’odeur lourde de l’assiette tandis qu’elle dépose du pain encore tiède sur la table.
« Merci madame ! »
Je saisis le couteau à tartiner, me découpant d’abord une bonne tranche de pâté que je fourre directement dans mon bec.
« Mmmhhmm… »
Je mastique bruyamment, la bouche ouverte, faisant profiter les tables aux alentours malgré le bruit ambiant de rires et de discussions animés.
« Ch’est bon ! »
M’extasiais-je en m’adressant à une table voisine, sentant une partie de mon contenu buccale tomber sur ma barbe cendrée. Je me marre en m’excusant pour ma maladresse avant de récupérer mon bien tout baveux. Je le découpe ensuite une tranche de pain, étale une bonne couche de pâté et continue de le déguster avant de me prendre une bonne rasade de bière. C’est alors que s’installe un visage connu face à moi. M’apportant en plus une chope pleine.
« Et bien ça alors, Agril, le chasseur de crottes de loups de Likhranen ! Qu’est-ce que tu fous ici vieille carne ? T’es perdu ? T’as vu un yu rouler depuis le haut de la montagne et t’as décidé de le suivre jusqu’ici ? »
« HEEEEY MAIS T’ES LA FRANGINE DE TOLMIR ! CA FAIT PLAISIR DE VOIR UN VISAGE CONNU ! »
Je vide ma chope après avoir trinqué avec elle. Je ne m’étonnais pas de voir d’autres Thorkins ici mais croiser une bonne connaissance ça fait toujours plaisir. Fafnir, ravissante naine à la crinière blonde, cadette de Tolmir: un ami parti faire la guerre. J’ai de bons souvenirs de cette petite: bonne buveuse, bonne bagarreuse. J’me souviens de la fois où elle a collé une branlée au Géant qui avait eu les mains un peu trop baladeuse.
Une fois le gosier rafraîchit, je réponds à sa question sur les raisons de ma présence ici, seul.
« Oh bah. L’équipe m’a lâché alors je mène ma chasse tout seul maintenant. »
Elle est surprise, pensant que nous étions comme cul et chemise. Nous l’étions c’est vrai mais je suis le seul à vouloir vivre de ma passion qu’est la chasse. Curieuse, elle me demande ce que je viens chercher chez les humains après avoir vidée sa chope. Elle me rappelle ensuite son nom ce qui ne manque pas de me faire marrer. Un rire gras, sonore et communicatif.
« HAHAHA ! J’connais bien ton nom ! Fafnir la bourr’pifeuse ! »
Je prends une grosse rasade de boisson alors que son visage s’illumine d’un large sourire. Je justifie ensuite la décision de mes anciens camarades.
« Disons que la dernière fois on a faillit tous crever alors ça les a un peu refroidit. Puis on a mis la main sur un bon paquets de Yus en trouvant des ruines alors ils ont de quoi se la couler douce. Mais moi j’vis pour la chasse t’sais bien. »
Elle les définit comme poltrons mais je ne relève pas. Après tout, eux aussi avaient des passions. L’important c’est que j’ai économisé un repas et bons nombres de chopes en partant sans payer de la taverne de Likhranen.
J’approche mon visage cabossé de celui de la naine pour confier plus discrètement.
« Quant à ma chasse disons plutôt que je suis à la recherche d’un objet qui vaut de l’or. Mais j’veux pas trop en causer ici. Il parait que les humains sont très cupides. »
La réputation de l’avarice humaine n’est plus à démontrer. Suffit de voir le prix de la bière. L’oeil de Fafnir va se mettre à briller d’une lueur que je connais bien. Je devais avoir le même devant la troupe de chasseur vu quand j’étais plus jeune.
« T'as besoin d'une paire de bras et d'un marteau thorkin ? Je me fiche de l'or tant que je peux boire et manger, donc tu peux le garder en trouvant ton machin, moi c'est l'aventure qui m'intéresse. T'as plus tes tocards avec toi, mais on peut faire équipe, t'en dis quoi ? »
« Ah bah ça c’est une bonne id… »
Commençais-je, enthousiaste, avant d’être interrompu par le cri d’un nain roux dont seul le nez rouge dépasse des cheveux et des poils qui arbore son visage et son crâne. Il offre sa tournée, mais seulement au nain précise t-il. Ce qui n’a pas l’air de plaire à tout le monde. Fafnir se tourne, levant sa chope pour le remercier alors que les voix tonnent de plus en plus fort des quatre coins de la salle.
« T'sais quoi ? On en reparle demain et tu me donnes les détails de ton tr... »
Un objet non identifié vole à travers la pièce, renversant la chope de ma compagne de boisson qui se retourne, hargneuse, pour se jeter dans la bagarre qui débute. De mon côté je saisis ma chope à deux mains, la protégeant d’un sort similaire et m’accroupit derrière la table pour la vider avant que la moindre goutte soit perdue. Je lève ensuite prudemment la tête de derrière la table et la baisse subitement avant qu’un tabouret volant ne me percute, explosant contre le mur derrière moi. C’était limite ! Je répète le mouvement, observant la mêlée. Coups de poings, coups de pieds, je remarque un autre nain au teint gris, debout sur une table, giflant ceux qui viennent vers lui avec un épais grimoire. Fafnir qui s’en donne à coeur joie, pleinement dans son élément. Le Thorkin roux, assommant ses adversaires à coup de jambons. Puis il y a cette naine qui était déjà présente à mon arrivée, dégommant des genoux pour ensuite attaquer les visages.
Je sors de derrière la table pour arpenter les couloirs entre les tables qui se sont déplacés, en repérant une qui m’intéresse particulièrement. La table de jeu, où se dressent des piles de Yus entre les cartes. Un humain m’aperçoit et se précipite vers moi pour en découdre. Il balance son poing qui rencontre ma chope dressé. Sans attendre je balance mon corps en avant, percutant ses joyeuses de mon crâne solide, sentant ses oeufs subir le choc contre mon front. Il pousse un cri qui part dans les aigüe en tombant à genoux en se tenant l’entrejambe à deux mains avant que ma chope lui cogne la tempe pour le mettre dans les pommes.
J’atteins la table en ricanant et ouvre large mon sac pour y faire glisser l’argent mais au moment de poser mes gros doigts sur les pièces en regardant autour de moi que personne ne me dérange je sens une autre grosse patte poilue. Surpris je remarque qu’elle appartient au Thorkin roux. Nos regards se croisent et après un ricanement commun je pose mon index contre mes lèvres tandis qu’il m’adresse un clin d’oeil avant que nous répartitions entre nous les pièces.
« Hehehe on dirait qu’on a deux grands gagnants. »
Glissais-je à voix basse alors qu’il réponds bien plus haut qu’il faut bien que quelqu’un paie cette tournée. Trois hommes nous entendent alors que nous venons de terminer et ils se jettent sur nous pour reprendre le magot durement acquis. Equipé de son morceau de jambon, mon acolyte en attaque deux tandis que je lance ma chope au visage du troisième.
« Ah ! En plein dans le pif ! »
Ricanais-je en me moquant de l’humain qui se tient le nez qui pisse le sang.
« Prends ça longues jambes ! »
Je lui donne un coup de pied bien de chez nous puis un autre dans le deuxième tibia.
« Un de plus pour équilibrer ! »
Il sautille, jure, se tient le nez avant de finalement se manger une chaise sorti de nulle part qui le met au tapis. J’en profite pour m’éclipser vers une autre table où s’y trouve encore deux chopes pleines à ras-bord et une assiette de pieds de cochons à peine entamée. Un repas gratuit ça ne se refuse pas mais j’y retrouve une autre naine, la rouquine à la face peu engageante. Je pousse une chope vers elle tout en commentant:
« Pour vous. C’est offert. »
Je ricane en prenant la seconde chope. Elle boit ça d’une traite, s’essuie la bouche avec sa manche et pousse vers moi l’assiette en précisant que c’est offert. Je lui adresse alors un clin d’oeil et saisit une patte de porc avant de changer de table dans le tumulte de la bagarre. Les tables sont renversés, de multiples objets volent à travers la salle, les corps tombent, les dents traversent la pièce, les sons de la chair cognant la chair font partie du vacarme ambiant qui commence à s’atténuer alors que je vide les chopes et les assiettes laissées sans surveillance et fouille les poches des manteaux abandonnés.
La mêlée semble néanmoins se terminer. Reste debout un humain plus costaud que les autres toujours prêt à en découdre, le nain qui parait être tombé dans un seau de cendres, la rouquine qui fait la gueule, Fafnir la bour’pifeuse, le rouquin au nez rouge et moi. Solidarité Thorkin oblige, je me précipite vers l’humain ma chope à la main alors qu’il se bat déjà contre Fafnir et le rouquin. Je lui colle un coup de chope dans la jambe tandis que le nain gris lui attaque le genou à coups le livre. L’humain tombe à genoux et Fafnir agit, attrapant le crâne de l’humain pour le fracasser sur le sol. Le roux attrape un chapelet de saucisse pour lui passer autour du cou et l’étrangler mais le coup de grâce qui force le costaud à se rendre c’est la rouquine qui s’asseoir sur son crâne et le menace de lâcher une caisse si celui-ci bouge encore. Il se rend mais reste au sol alors que seul nous, les Thorkins, sommes encore debout dans la salle sans dessus dessous.
Repus, rempli de ce que j’ai piqué sur les tables et secoué par l’affrontement, je lâche un long rot bien gras aux effluves d’ail et d’abats.
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