Le Domaine Lothandre

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Yuimen
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Le Domaine Lothandre

Message par Yuimen » mer. 27 déc. 2017 16:24

Domaine Lothandre


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Implantée depuis des générations en Kendra-Kâr, la famille Lothandre jouit d'un emplacement idéal: non loin de la Bise d'Ynorie, à quelques rues du Château et du quartier du commerce, le domaine est au centre des intérêts qui ont toujours menés ce fier lignage.

L'accession est tout ce qu'il y a de plus simple: ni mur, ni portail, ni barrière quelle qu'elle soit. Une grande étendue herbeuse commence au niveau de la rue, parsemée ça et là d'arbres séculaires et de représentations diverses de Gaïa, protectrice de la dynastie, et mène au manoir d'une blancheur marmoréenne. L'architecture de l'édifice est d'une élégante sobriété; le bâtiment, aux fenêtres étroites surmontés de frontons de formes géométriques, est composé de manière classique: un corps commun autour duquel s'organisent deux ailes. Chaque partie est surmontée d'une petite terrasse presque austère, les seules extravagances se trouvant dans les circonvolutions au niveau des balustrades, surmontées de statues des aïeules de la famille, leurs esprits maternels étant censés veiller sur les lieux.

La sévérité apparente de la demeure est compensée dès que l'on en fait le tour.

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La petite parcelle de terrain a été rentabilisée autant que possible, donnant une impression de jardin luxuriant: un seul chemin de terre battue sinue entre une pelouse comme taillée à la serpe d'où émergent des plantes, fleurs et arbres venus de tout Yuimen, délicats spécimens aux couleurs éclatantes aux parfums entêtants. Cette profusion végétale dissimule une petite folie: un kiosque de bois blanchi, bâti sur un petit tertre depuis lequel on peut admirer un petit bassin, cis sous la protection d'un marbre endommagé de Moura. L'orientation de ce jardinet est idéale: la lumière semble y baigner toute la journée, illuminant la petite étendue d'eau et faisant ressortir la taille soigneuse des arbustes.

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Ulric
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Re: Le Domaine Lothandre

Message par Ulric » jeu. 11 févr. 2021 21:24

Les rues

Même dans l’obscurité, le manoir des Lothandres restait impressionnant, même selon les standards du centre de Kendra Kâr. L’imposante structure de marbre se tenait avec fierté au milieu d’un jardin, entretenu par ce qu’Ulric imaginait être une armée de jardiniers, tous plus maniaques les uns que les autres. La pelouse, parsemée de statue finement taillées et d’arbres au tronc épais, poussait avec une discipline de fer, ne laissant aucun brin pousser plus haut que ses voisins. Les murs immaculés étaient percés régulièrement par des fenêtres étroites, surmontés de frontons sobres mais élégants. De nombreux volets étaient déjà fermés, mais quelques fenêtres encore illuminées donnaient l’impression que le bâtiment possédait des yeux luminescents, scrutant la nuit.

« Ces nantis, toujours debout à pas d’heure. »

Furet claqua de la langue en désapprobation. Ils avaient une plutôt bonne vue sur le manoir de là où ils étaient, accroupis dans une sorte de petite ruelle proprette entre deux demeures qui auraient pu paraitre luxueuses en un autre endroit, mais palissaient ici en comparaison de celle qu’ils observaient.

« Remarque, nous aussi. », releva Loutre.

« C’est différent. On travaille nous, tu vois. Un travail tout à fait respectable, qui demande énormément de compétence et de doigté. »

« Tu disais que tu savais où on devait chercher. », les coupa Ulric, qui n’était pas plus que ça intéressé par les vertus du métier de voleur.

« Oui, bien sûr. Euh, … Pigeon, s’il te plait. »

L’homme trapu se débarrassa de sa sacoche avec un grognement, et gratta son crâne chauve avant de l’ouvrir. Il en sortit une série de feuille sur lesquelles Ulric pouvait apercevoir des plans, grossiers mais détaillés, du manoir qu’il plaça sur le sol. C’est alors que, pour la première fois, il entendit Pigeon parler.

« Je suis loin d’avoir pu explorer tout le manoir pendant mes deux semaines là, mais j’ai l’essentiel. J’ai noté les endroits les plus probables avec des croix », dit-il en tapotant ses plans du doigt.

Son visage affichait toujours le même air apathique que depuis tout à l’heure, mais il s’exprimait d’une façon articulée qui dénotait une intelligence que son regard ne laissait pas soupçonner, ce qui étonna Ulric.

« Dans les plus probables, on a la bibliothèque dans le corps central, au premier, juste ici », indiqua-t-il d’un de ses doigts courts et épais.

« Ensuite, un bureau dans l’aile est, au second. C’est là qu’ils gardent le gros de la paperasse. Juste derrière les deux fenêtres, là, il me semble », dit-il en pointant le manoir, « Après ça, il y a un coffre-fort dans la chambre de maitre, de ce que j’en sais, mais je n'ai pas pu l'examiner moi-même. Dans l’aile est, également, mais au troisième. C’est possible qu’ils gardent leurs titres de propriété là-dedans. »

« Je me chargerais de celui-là, avec Loutre. Je devrais pouvoir le crocheter sans trop de bruit. », dit Furet.

« J’espère. J’irais fouiller le bureau avec Ecureuil, alors. »

Ce surnom était assez irritant, mais Ulric était trop concentré sur les plans et le défis à venir que pour s’en offusquer.

« Et comment on entre ? »

Une petite clé se matérialisa dans la main de Pigeon, sans qu’Ulric ne put déterminer d’où il la sortait. D’autres se seraient sans doute montrés fiers de ce genre de petit tour de passe passe, mais Pigeon, lui, étaient toujours aussi impassible.

« J’ai pu chaparder ça. Ça ouvre la porte arrière, celle qui donne sur le jardin. On ne perdra pas de temps, comme ça. »

« Et il y a combien de personnes, là-dedans ? »

Entrer et savoir où aller, c’était bien joli. Mais encore fallait-il ne pas se faire repérer.

« A part les Lothandres ? Une partie du personnel domestique est déjà partie, à cette heure-ci, et ceux qui vivent sur place ont leurs quartiers dans l’aile ouest. Je ne crois pas qu’on leur tombera dessus. Ils emploient des gardes de nuit, en revanche. »

« Combien ? »

« Deux ou trois, peut-être quatre. Pas plus. Ils n’ont pas besoin d’une armée, dans ce quartier. On est pratiquement à côté du château, c’est assez tranquille. Le bon côté c’est que, comme c’est tellement grand, on peut se débrouiller pour les éviter. »

« Chaque groupe prendra un des faux. Et ne les abimez pas, ça a été assez dur de faire des fac-simile assez bien faits pour être crédibles, mais pas assez pour résister à un examen poussé. Tu m’en passes un, Pigeon ? »

Pigeon sorti une vieille farde de sa sacoche, d’où il sorti un vélin qu’il passa à Furet. Alors qu’il tendait le bras, Ulric en profita pour observer le faux document. Il assurait la propriété d’un lopin de terre au nord de la ville. Un ruisseau, une jolie prairie ; l’idéal pour faire paitre des vaches, mais il ne comprenant pas pourquoi un bout de terrain aussi banal se retrouvait au centre d’une sorte de complot.

« Ils y ont trouvé de l’or ? », demanda-t-il, un peu perplexe.

« C’est possible, honnêtement. Ou autre chose qui aurait de la valeur, enterré là-bas. Mais bon, ça, ce n’est pas mon souci. »

Furet passa son exemplaire à Loutre, qui le roula délicatement avant de le faire disparaitre dans une poche dissimulée de son manteau. Pigeon commença à ramasser ses plans, avant de s’arrêter pour pointer une flèche qu’il avait dessiné dans le coin d’une salle rectangulaire.

« Pour sortir, on reprendra la porte arrière. Si ce n’est pas possible, il y a un accès vers les égouts, ici, dans la cave. Ça pourra servir de sortie de secours. »

Là-dessus, il termina de ramasser ses plans et de les engouffrer dans sa sacoche. Furet reprit alors la parole :

« Dernière chose : quand je dis qu’il faut être discret, ce n’est pas seulement ne pas être repéré. On ne doit même pas savoir que quelqu’un est entré. On entre, on prend le bon papier, on plante le faux, on sort. Vous ne touchez à rien d’autre, capiche ? »

Tout le monde acquiesça, et Furet parut satisfait.

« On y va, alors ! »
Modifié en dernier par Ulric le lun. 15 févr. 2021 16:27, modifié 1 fois.

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Ulric
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Re: Le Domaine Lothandre

Message par Ulric » dim. 14 févr. 2021 00:27

Le petit groupe sortit de sa cachette à pas prudents. La plupart des lumières qui illuminaient encore le manoir s’étaient éteinte pendant leur discussion, comme s’il était une énorme bête blanche que le sommeil avait finalement gagnée.

« Quelqu’un voit un garde dans les environs ? », demanda Loutre à voix basse.

Ulric scruta les environs, mais n’en vit aucun à proximité, ni aucun passant, d’ailleurs. Faisant confiance à sa vue, qui se révélait surprenamment perçante dans l’obscurité (sans doute un don de ses fluides), il en informa ses compagnons.

« Personne. »

« Pas étonnant. La moitié de la garde est partie avec le roi en campagne, de ce que j’en sais. Il y a moins de monde pour patrouiller les rues. »

« Tu crois que tu peux pourrais partir en éclaireur jusqu’au pied du manoir, et nous faire signe de là-bas si la voie est libre ? », demanda Furet à Ulric.

L’apprenti mage avait la désagréable impression de découvrir que le voleur ne l’avait engagé que comme avant-garde sacrifiable, pour ne pas risquer sa peau ou celle de ses associés de longue date, mais il n’allait pas se rebiffer maintenant. Il était plus que capable de la tâche à venir, et ça aurait été s’insulter lui-même que de se désister maintenant. Ainsi, il hocha de la tête.

Se faufiler jusqu’au manoir semblait des plus simple, qui plus est. Il n’y avait personne aux alentours, pas de grillage, pas de muret. Même pas de haie pour le freiner, juste une large pelouse, parsemée d’arbres et de statues qui pourraient servir de couvert.

Ulric s’élança en se rapetissant au maximum, ses pas ne faisaient aucun bruit sur l’herbe taillée à la serpe. Il partit, non directement vers les murs opalins, mais en diagonale vers un arbre au tronc épais et tortueux qui, étrangement, embaumait une odeur de fleur, bien qu’il n’en portait aucune. De là, il réinspecta le manoir, toujours endormi. Il avait également une meilleure vue sur les alentours, maintenant qu’il était en terrain dégagé et non plus coincé entre deux maisons. Quelques lueurs brillaient sur les remparts du château, sur sa droite, mais il doutait que qui que ce soit puisse le voir à cette distance.

Après cette rapide inspection, il reprit sa course vers son prochain couvert ; une statue de Gaïa enveloppée d’une toge au drapé taillé si finement qu’il aurait pu croire que le vent jouait avec le tissu. La statue ne constituait pas un aussi bon couvert que l’arbre, ainsi il ne s’attardât pas derrière.

Il était à présent suffisamment proche du manoir pour clore la distance d’une traite sans risque, selon lui. Il repartit, toujours ramassé sur lui-même, en trottinant silencieusement et atteignit enfin le pied de l’aile est du manoir, où il pu enfin redresser son grand corps. Collé dos au mur, il fit signe à ses compagnons qui l’épiaient toujours, les yeux ronds comme des chouettes, depuis l’autre côté du jardin.

Les trois voleurs traversèrent la pelouse en ligne droite, ramassés sur eux même comme Ulric l’avait fait, pendant que ce dernier faisait le guet. Une fois qu’ils l’avaient rejoint, Furet chuchota :

« Bien, mais bon, c’était le plus simple. C’est à ton tour, maintenant, Pigeon. »

Le voleur, qui avait l’air aussi apathique qu’à son habitude, prit la tête du groupe sans un mot. Ils longèrent la façade vers le sud, tout en prenant grand soin de ne pas faire le moindre bruit. Là, le jardin coquet laissait place à un véritable bosquet de plantes exotiques ; des arbres tortueux aux feuilles colorées, des plantes d’un vert éclatant brandissaient leurs fleurs aux formes insolites, alors que la brise portait leur odeur au loin. Un des arbres, cependant, semblant dépérir. Pigeon, dont le regard s’était également porté sur cette débauche botanique, remarque l’intérêt d’Ulric.

« Ils voulaient que je fasse des greffes sur celui-là. J’ai essayé… C’est après ça qu’ils m’ont viré. »

Le petit groupe finit par atteindre la porte arrière, une double porte élégante encadrée de pot de fleurs et de bancs de marbre, pour profiter du jardin les jours de beau temps. Pigeon ressortit la clef qu’il avait dérobé et l’introduisit dans la serrure. Après un clic discret, la porte tournât lentement sur ses gonds, pour révéler un couloir plongé dans l’obscurité. Malgré la pénombre, Ulric put distinguer un sol de marbre poli, des canapés de velours cramoisi, posés contre les murs, apportaient un peu de couleur dans cette demeure où le blanc semblait régner. Aux murs pendaient les portraits d’aristocrates au teint clair et aux vêtements raffinés. Ici un jeune couple, là des enfants qui n’avaient définitivement pas l’air contents de devoir poser pendant des heures pour le peintre. Au fond et sur les côtés, les murs étaient percés de portes en bois précieux.

Les voleurs entrèrent, alors que Pigeon refermait soigneusement la porte derrière eux.

« A partir d’ici, on se sépare. On attirera moins l’attention en prenant des chemins différents. », chuchota Furet, « Suis-moi, Loutre. »

Le duo prit la porte du fond. Ulric entendit encore le son de leurs pas pendant un court instant avant qu’il ne s’éteigne, le laissant seul avec Pigeon.

« Tu as fait les plans, je te suis. »

L’homme trapu acquiesça d’un hochement de tête. Pas de blablas inutiles avec lui, il fallait lui reconnaitre cette qualité.

« Reste sur mes pas. On a un autre couloir menant sur un escalier, par là. », dit-il en ouvrant la porte sur leur droite.

Le nouveau couloir était assez similaire à celui par lequel ils étaient entré, si ce n’est qu’il était plus long. Il longeait la façade sud du corps central du manoir, et le mur sur leur droite était en conséquence percé de nombreuses fenêtres aux volets fermés, qui donnaient sans aucun doute sur le jardin. Il n’était pas difficile d’imaginer que pendant la journée, il devait baigner dans la lumière. Sur leur gauche, de larges arches, dépourvues de porte afin de profiter de la lumière, s'ouvraient à un intervalle régulier. Elles donnaient sans doute sur des salons, fumoirs, salles de jeu, ou quoi que ce soit d’autre qui servait à occuper l’espace.

Le duo se déplaça à pas furtifs vers le fond du couloir, tendant l’oreille pour des bruits de pas, de respiration ou n’importe quoi qui indiquerait la présence d’un des résidents ou d’un de leurs serviteurs. Tout semblait calme, pour le moment.

Ulric jeta un coup d’œil curieux par une des arches, et découvrit un petit salon exquis. Des canapés étaient réunis en demi-cercle autour d’une table basse sur laquelle reposaient encore des verres de cristal, posés sur un plateau d’argent. Une odeur de braise persistait à s’élever d’une cheminée de marbre, au-dessus de laquelle trônait un sabre de cavalerie, semblant provenir des déserts d’Imiftil. Au plafond, un chandelier, fait de cristal lui aussi, devait illuminer la pièce lorsque la lumière provenant de l’arche ne suffisait pas.

Cette pièce seule devait valoir bien plus que tout ce qui se trouvait dans la petite boutique dans laquelle il avait grandi, à Luminion. Il pourrait sans doute juste planter Pigeon là, voler tout ce qu’il pouvait transporter, et vivre de ça durant des années pendant qu’il apprenait la magie, mais il ne tenait pas à être connu comme ce vagabond qui avait soudainement beaucoup d’argenterie à revendre, le lendemain d’un cambriolage chez une grande famille d’aristocrates. S’en tenir au plan de ses compagnons restait la meilleure chose à faire, pour l’instant.

Pigeon désigna une nouvelle porte au fond du couloir.

« Celle-là donne sur un escalier en colimaçon, juste derrière. »

Il s’apprêta à l’ouvrir, la main sur la poignée, mais arrêta son geste.

« Tu entends ça ? »

« Quoi ? »

Pigeon colla son oreille contre la porte.

« Quelqu’un arrive. »

Effectivement, Ulric cru entendre des bruits de l’autre côté de la porte. Des marches qui grincent.

D’instinct, ils s’éloignèrent de la porte et passèrent une des arches. Alors qu’ils entendaient la porte tourner sur ses gonds, ils se plaquèrent tous les deux contre le mur, chacun d’un côté de l’arche, et retinrent leur souffle. Des bruits de pas se firent entendre, alors qu’une lueur apparaissait. Ulric les entendit s’approcher de l’arche, avant de s’immobiliser. La lumière projetée par une lanterne fit danser les ombres dans la pièce. Ulric tenta de s’aplatir, tellement qu’il pensait qu’il allait fusionner avec le mur, mais, heureusement, les pas reprirent leur route sans entrer dans la pièce.

Une fois qu’ils furent suffisamment éloignés, il reprit son souffle, presqu’en même temps que Pigeon. Il se mit à genoux et, silencieusement, passa la tête au travers de l’arche, presqu’au niveau du sol pour être plus discret.

Ulric découvrit un homme qui terminait, assez distraitement, son inspection du couloir. Il brandissait devant lui une petite lanterne, et une matraque pendait à son flanc droit. Il portait une brigandine aux couleurs des Lothandres, mais aucune autre pièce d’armure. Un des gardes de nuit, pas de doute.

L’homme s’arrêta un instant devant la première arche, de l’autre côté du couloir, puis repris sa route et passa la porte.

« Parti. »

« Ouf… Allez, on y retourne. »

Le duo retourna près de la porte, et Pigeon l’ouvrit avec précaution. Comme il l’avait annoncé, derrière se trouvait un escalier en colimaçon. Il était assez large, et ses marches étaient faites d’un bois clair. Une rampe du même bois serpentait sur le mur de marbre.

« On monte jusqu’au second, et ne fais pas de bruit. »

Ulric s’appliqua autant qu’il put pour ne pas faire grincer les marches, posant ses pieds doucement. Il gardait les oreilles tendues pour un autre garde, mais n’entendit rien. Bientôt, ils arrivèrent sur un palier qui donnait sur le premier étage du manoir, puis le second.

Au sommet de l’escalier, ils furent accueillis par un énième couloir, en angle droit, cette fois-ci. Sur leur gauche, il était similaire à celui du bas. Long et percé de fenêtres d’un côté, et de larges arches de l’autre. En face d’eux, il était plus court et donnait sur plusieurs portes en bois, avant de bifurquer vers leur droite un peu plus loin.

« Ce passage donne sur l’aile est. Le bureau est au bout. », chuchota Pigeon.

Ulric acquiesça et prit la tête. Il avança silencieusement vers la bifurcation et passa la tête. Ce couloir était de nouveau assez long. Des portes se dressaient de part et d’autre, maintenant une distance régulière entre elles. De grands tableaux recouvraient les murs : quelques portraits similaires à ceux qu’il avait déjà aperçu en bas, ainsi que des paysages bucoliques, des scènes de vie ou de chasse.

Ulric pensa entendre des ronflements en provenance de derrière une des portes, mais c’était peut-être juste son imagination. Il s’avança à pas prudents. Pigeon le suivit et lui indiqua d’un mouvement la porte tout au fond du couloir.

La traversée lui sembla durer une éternité, alors que quelqu’un pouvait surgir d’une des portes à n’importe quel moment et donner l’alerte. Mais ils parvinrent finalement devant la porte. Ulric l’ouvrit, le cœur battant la chamade.

Il fut accueilli par un superbe bureau en bois précieux, trônant au centre de la pièce. Une grande plume d’oie reposait à côté d’encriers, alors que des rouleaux de vélin attendaient patiemment d’être lu, rangés en bonne ordre sur le côté. Le sol était recouvert d’un tapis épais aux motifs floraux, qui, Ulric imaginait, devait valoir une fortune. Deux fenêtres perçaient le mur, plein est, afin de baigner la pièce de la lueur du matin. Entre elles, juste derrière le bureau, se trouvait le plus grand tableau qu’Ulric ait vu jusqu’à présent, dans un cadre recouvert de feuilles d’or. Trois femmes ; l’une, casquée et à l’air farouche, brandissait une lance, l’autre, plus âgée, tendait une pomme, symbole de la connaissance. La troisième, au centre, était la plus jeune. Une colombe, posée sur sa main, s’apprêtait à prendre son envol.

Ulric n’eut pas de mal à reconnaitre les trois aspects de la déesse Gaïa et leurs attributs. Il resta un instant pantois, non de béatitude pieuse, mais devant la beauté que l’artiste avait réussi à capturer dans son tableau. Pigeon, cependant, le sorti rapidement de sa contemplation.

« Bouge-toi, et aide moi à chercher. »

Le reste de la pièce était garni d’autres tableaux de plus petite taille, et d’apparence plus banale en comparaison du chef d’œuvre qui se tenait là. Une bibliothèque se dressait également contre un mur, garnie de volumes épais aux titres cousus de lettres dorées et de quelques babioles décoratives. Un unique casier à vin se tenait également près du bureau, aux côtés d’une table basse où se trouvait encore un verre.

Pigeon fit le tour du bureau sans grande cérémonie et commença à dérouler les parchemins l’un après l’autre, avant de les remettre en place.

« Juste des lettres. »

Il se mit ensuite à genoux pour fouiller les tiroirs. Ulric se dirigea vers la bibliothèque. Le meuble possédait six étagères recouvertes de livres, la plupart d’entre eux appartenant à une énorme encyclopédie de botanique en 22 volumes. Les Lothandres étaient définitivement obsédés par leurs plantes.

Il chercha une farde ou autre chose qui pourraient contenir des documents légaux, mais sans succès. Alors qu’il parcourait les différents volumes, il ressentit une pointe de jalousie pour ces gens qui pouvaient se payer le luxe d’avoir des bibliothèques entières chez eux. Il ne savait pas ce qu’il pourrait bien faire avec un manoir aussi grand, ni avec leurs montagnes de yus, mais une bibliothèque entière juste pour lui ? Ce serait fabuleux.

Outre la botanique, il y avait aussi de la géographie, de l’histoire, un traité de tactique signé par un auteur au nom imprononçable, du folklore, un plus petit volume intitulé « Mythes et Légendes de Yumen : Condensé ». Celui serait facile à transporter. Ulric jeta un coup d’œil par-dessus son épaule ; Pigeon avait la tête plongée dans un tiroir, fouillant de ses doigts courtauds la paperasse à l’intérieur.

Il profitât que son compagnon était trop occupé pour lui prêter attention pour empocher le bouquin. Ça serait surement intéressant, et il pouvait tout aussi bien commencer sa bibliothèque privée dès aujourd’hui. Et puis, personne ne remarquerait sa disparation, n’est-ce pas ?

Pigeon, derrière lui, grogna :

« Celui-ci est fermé. »

« Tu sais le crocheter ? »

« Je vais essayer, mais Furet est meilleur à ce petit jeu que moi. »

Il fouilla dans sa sacoche et en sorti un crochet qu’il introduisit ensuite dans la serrure. Malgré le temps qu’il avait passé en compagnie de voleurs et de contrebandiers, Ulric n’avait aucune idée de comment fonctionnait l’art du crochetage. Ainsi, il préféra continuer de fouiller la pièce : il y avait peut-être des clés quelque part.

Peut-être qu’un des tableaux dissimulait une cache ? Ça lui semblait probable. Dans ce cas, ce ne serait pas celui des aspects de Gaïa ; il était beaucoup trop grand et trop lourd pour ça. Ce devait être un des plus petits.

Ulric retourna un premier, manquant de le faire tomber, mais il n’y avait que le mur derrière. Il passa au suivant, après s’être assuré que le précédant n’était pas de traviole, mais sans plus de succès. Après quelques essais, il arriva au portrait d’un homme d’âge mûr, aux traits fins et aux pommettes hautes (le maitre de maison, sans doute). Il n’y avait pas de cache dissimulée derrière non plus, mais son cadre était plus épais que les autres. Peut-être s’agissait-il d’une sorte de coffre déguisé ?

Le jeune homme l’examina un instant, et trouva une fente qui faisait tout le tour du cadre, mais pas le moyen de l’ouvrir. Il plongea son ongle dans la fente et tenta de l’ouvrir à main nue, mais il tenait trop bien pour ça. Il sorti alors sa dague et s’en servit de levier. Le cadre s’ouvrit d’un coup et révéla un espace creux dans lequel étaient fixés plusieurs crochets auxquelles pendaient quelques clés. La lame d’Ulric avait laissé une marque dans le bois, en revanche.

« Qu’est-ce que tu cherches ? », demanda Pigeon, dont la voix laissait enfin transparaitre une touche d’émotion : l’irritation.

« Ce qu’il te faut. », répondit Ulric en lui lançant la première clé.

Pigeon l’attrapa en vol et l'essaya tout de suite, sans plus de questions.

« Pas la bonne. Tu en as d'autres? »

Il la renvoya, et Ulric lui en passa une autre. Cette fois-ci, la serrure émit un petit cliquetis, un vrai délice aux oreilles, lorsqu’elle se déverrouilla. Pigeon l’ouvrit pour révéler un long tiroir dans lequel étaient soigneusement rangés divers documents, joliment ordonnés et séparés par des intercalaires annotés. Les doigts du voleur parcoururent les documents un à un.

« Nan, nan... Nan... Non plus... Pas ça... Ca non plus...
Ah... Je crois que je l’ai! »
, déclara-t-il.

Ulric rejoignit son compagnon.

« Montre. »

Pigeon avait sorti un feuillet de parchemin, alourdi par plusieurs cachets de cire. L'encre semblait vieillie, mais toujours parfaitement lisible. Ulric parcouru en diagonale le texte calligraphié: un acte de propriété pour une parcelle de terrain au nord de la ville, signé et cacheté par différents représentants. Il semblait coller au fac-simile fourni par Furet.

« Ça a l’air d’être ça. »

"Yup."

Pigeon échangea rapidement les deux documents : le faux, soigneusement rangé là il avait trouvé le vrai qui, lui, disparut dans sa sacoche. Ensuite, il referma le tiroir, et tendis la clé à Ulric.

« Range ça. Il faut qu’on trouve les autres. Après, on se casse. »

La clé retourna sur son crochet, et Ulric referma le cadre. Il ne pouvait plus grand-chose pour l’encoche qu’il avait accidentellement faite dans le bois mais, dès qu’ils seraient sortis et qu’il aurait touché sa part, que les Lothandres découvrent ou non que des intrus s’étaient introduis chez eux ne serait plus son problème.

Alors qu’Ulric s’apprêtait à ressortir de la pièce et que Pigeon se redressait, une voix profonde se fit entendre de l’autre côté de la porte :

« Lambert ? C’est toi, là-dedans ? C’est pas ici, ta ronde… »

La poignée de porte pivota lentement, et Ulric eut tout juste le temps de se plaquer contre le mur, et Pigeon de se cacher derrière le bureau, avant que la porte ne s’ouvre.

« Lambert ... ? »

Le garde était équipé de façon similaire à celui qu’il avait vu tout à l’heure : brigandine et matraque, ainsi qu’une lanterne. Mais ce n'était de toute évidence pas le même homme, car celui-ci était beaucoup plus grand et massif. Comprenant que quelque chose clochait, il se saisit de sa matraque.

« Qui est là ? »

Il s’avança vers le bureau et déposa sa lanterne. La lumière était faible, mais suffisait pour y voir dans la pièce, même pour quelqu’un n’ayant pas l’habitude de l’obscurité. Le garde ne sembla pas voir Pigeon, qui avait dû ramper en dessous du bureau. L’homme étant grand, oui, autant qu’Ulric (si pas plus), et semblant assez fort pour pouvoir éclater le crâne d’un taureau à coup de poing. Sa brigandine semblait à peine assez large pour pouvoir contenir sa musculature.

Le garde se retourna, matraque prête à frapper. Ulric n’attendit pas et bondit pour profiter de l’effet de surprise, tant qu’il l’avait encore. Terminant sa rotation, le garde le vit enfin.

« AL… !»

Ulric parvint à envoyer son poing dans la gorge du garde suffisamment fort pour l’empêcher de sonner l’alerte mais, décontenancé par l’apparence du garde, il perdit en vitesse dans son élan et n’eut pas la force de complétement couper sa respiration. De toute façon, il doutait qu’il aurait pu mettre au tapis une telle montagne de muscles, qu’importe les circonstances.

Le garde fit un pas en arrière sous le coup, et porta sa main libre à sa gorge. Il posa ses yeux, des yeux rouges comme une marre de sang au milieu de son visage blanc comme le lait, de sa barbe grise, malgré qu’il semblât jeune. Ses cheveux coupés courts, mais de façon irrégulière, étaient du même gris. Son regard bouillait de colère, et il retroussa ses lèvres pour montrer ses dents comme un loup.

Ulric n’avait pas réussi à l’envoyer dans les pommes, non. En revanche, il l’avait bien énervé.

La brute décocha un coup de matraque à l’apprenti mage qui vint le cueillir juste sous l’épaule. Le choc l’envoya rouler au sol, comme s’il n’avait été qu’une poupée de chiffons. Une douleur intense se répandit dans le haut de son corps, mais il ne pensait pas que son os était brisé. C’était déjà ça. Le colosse leva sa matraque au-dessus de sa tête et l’abattit de toute ses forces vers celle d’Ulric. Il tentât de dire quelque chose en faisant cela, une menace, un cri de guerre, ou n’importe quoi d’autre, mais le coup qu’il avait pris à la gorge avait réduit ses paroles à un gargouillis rauque et inintelligible.

Ulric roula pour éviter le coup qui lui aurait, sans cela, probablement broyé le crâne. Pigeon, qui en avait profité pour sortir de sa cachette, sauta dans le dos du garde pour lui faire une clé de bras par l’arrière. A peine gêné, le colosse jeta son dos contre un mur pour se débarrasser du petit homme. Pigeon lâcha prise et tomba au sol, en même temps qu’un cadre qui vint se briser à ses côtés. Ulric avait cependant eu le temps de se relever, bien que son épaule le lançât toujours.

Pour la discrétion, c’était raté. A présent, il se battait pour sa vie, comme la brute semblait bien décidé à lui éclater le crâne. Le garde, plus grand, possédait également une arme plus longue que la dague d’Ulric. Il était aussi plus fort, et rester dans son allonge serait sans doute du suicide. Ulric se saisit alors de la chaise derrière le bureau et s’en servit pour se défendre, bien que le simple fait de la soulever faisait trembler son bras blessé. Le colosse, qui s’était désintéressé de Pigeon, revint à l’assaut et enchaina les coups comme un possédé contre la maigre protection du mage.

Chaque coup asséné se répercutait dans ses articulations, comme des vagues s'abattant contre le rivage. Ulric manqua à plusieurs reprise de lâcher prise sur son bouclier de fortune, tellement la force de son adversaire était remarquable. Bientôt, il n’avait plus que deux pieds de chaise en main, le reste gisant sur le sol, réduit en débris, alors que le colosse enchainait les coups comme un enragé. Ulric tenta de frapper son adversaire au visage avec un des pieds de chaise afin de le tenir en respect, tout en lançant l’autre à Pigeon qui se relevait péniblement.

« Attaque le avec ça ! »

Le voleur revint à l’assaut et frappa le garde à l’arrière du crâne, mais il devait être aussi solide qu’une montagne, car il ne broncha pas malgré la violence du coup. La brute se retourna pour faire face à la nouvelle menace et la mettre définitivement hors d’état de nuire.

Il devait agir, et vite, avant que d'autres gardes n'arrivent, alertés par le bruit du combat. Maintenant que leur adversaire lui tournait le dos, Ulric en profita pour canaliser ses fluides. Il sentît la puissance magique ramper sous sa peau, comme un serpent qui n'attendait qu'à être lâché sur ses ennemis. Il s’apprêta à projeter cette énergie maligne en un Souffle de Thimoros, mais se ravisa au dernier instant. S'il avait appris quelque chose ces derniers jours, c'était qu'il n'avait pas l'énergie pour lancer de nombreux sorts. Il devait rentabiliser ses fluides au maximum.

Une idée lui vint, et il rappela ses fluides. Le picotement au bout de ses doigt s'atténua pour se répandre, de façon plus diffuse, dans tout son corps. Ensuite, il les déploya par chaque pore de sa peau comme des fils invisibles qui vinrent prendre le contrôle des ombres de la pièce, comme si elles n’étaient que des marionnettes. Le sort, qu’il avait passé les derniers jours à pratiquer, fit effet comme lors de ses exercices et un voile de ténèbres vint s’abattre sur la pièce, étouffant toute lumière.

Et, comme lors de ses exercices, épuiser tous ses fluides d’un coup fit s’abattre sur lui un coup de masse d’épuisement qui, couplé à la douleur qu’il ressentait, le plongea dans un instant de faiblesse. Ses jambes se dérobèrent sous lui, et il s’abattit au sol. Le garde, qui ne comprenait pas ce qu’il venait de se passer et toujours aussi enragé, se mit à balancer sa matraque au hasard, frappant dans les murs, le mobilier ou juste dans l’air.

Alors qu’il tentait de se relever, Ulric pensa que Pigeon, lui aussi, devait être déboussolé par l’obscurité surnaturelle qu’il venait de créer.

« Repère-toi au son, et frappe ! »

Il espérait que le garde, tout à sa rage, continuerait de s'épuiser en frappant dans le vide, alors que lui et son compagnon manœuvrent autour de lui, frappant lorsque le bruit de ses pas, de sa respiration saccadée par l'effort, ou de l'impact de sa matraque dans le mobilier trahira sa position.

Le son d’un autre cadre qui se brise se fit entendre dans un coin de la pièce, suivi d’un grognement plaintif peu après. Il semblait que Pigeon avait réussi à lui asséner un bon coup. Ou que le garde venait de lui briser le crâne, dur à dire.

Ulric se redressa et entendit des pas rapides venir vers lui. Le colosse l’avait entendu parler, lui aussi. L’apprenti mage se déporta sur le côté silencieusement, et la matraque battit l’air, juste là où il se trouvait un instant plus tôt. Ensuite, se fut à son tour de frapper de son arme improvisée. Il effectua un large mouvement latéral et parvint à cueillir le garde dans un bruit mât à hauteur de torse, bien que son coup manquât de force. Un autre bruit sourd resonna lorsque Pigeon asséna un autre coup dans le dos du colosse.

A présent, ils savaient où était leur adversaire mais, lui, ne pouvait que battre l’air de son arme et tenter de se défendre à l’aveuglette. Ils firent pleuvoir les coups, frappant avant de bouger pour frapper encore, bien qu’Ulric soupçonnât que Pigeon était responsable de l’essentiel des dégâts, vu comment il était vidé de ses forces.

Ulric leva son arme improvisée au dessus de sa tête et s'apprêta à l'abattre une fois de plus, lorsqu'un coup de matraque chanceux vint s'enfoncer dans son flanc. Le coup manquait de précision, comme il fallait s'y attendre, mais avait tout de même assez de force pour paralyser l'apprenti mage de douleur. Il tituba en arrière, avec un cri de douleur plaintif, et manqua de tomber une nouvelle fois, mais parvint au dernier instant à se rattraper à ce qui devait être le bureau, juste derrière lui.

Il avait laissé tombé son arme sous la force du coup. Sans défense, il se laissa tomber à genoux pour la chercher à tâtons, dans le noir, alors que les sons du combat continuaient d'arriver à ses oreilles. Ses doigts nerveux finirent par se poser à nouveau sur son pied de chaise, et il se redressa subitement, tentant un coup d'estoc droit devant lui, mais ne rencontra que le vide. Il réitéra son geste et, cette fois-ci, il rencontra la résistance de la chaire et des os, alors qu'un grognement plaintif se faisait entendre.

Le combat ne dura plus longtemps après ça. Un coup de matraque manqua encore de frapper Ulric de peu mais, après ça, le colosse s'effondra au sol dans un bruit mât, et les ténèbres surnaturelles se dissipèrent d'elles même.

« C’est toi qui as fait ça ? », demanda un Pigeon épuisé.

Ulric acquiesça, à bout de souffle. La pièce était dans un état pitoyable : débris de chaise au sol, verre brisé, cadres fracassés. Un coup de matraque avait frappé Gaïa la Bienfaisante à la poitrine, déchirant la toile comme si un soulard avait essayé d’arracher sa toge. Le garde était amoché, mais il respirait encore

« C’est une catastrophe… L’employeur voulait que ce soit discret… Et toi et moi, on ferait bien de foutre le camp, maintenant. »

« J’ai peut-être une idée pour arranger ça. », siffla Ulric en contemplant le tableau profané.

Il se dirigea vers le casier à vin. Il était renversé, mais les bouteilles dedans étaient encore intactes. Il en prit une.

« Ce n’est pas le moment de boire. »

Ulric revint vers le gare évanoui la bouteille en main et, au-dessus de son corps inconscient, ouvrit la bouteille, la fourra dans la bouche du garde, qui recracha le vin par reflexe, puis en arrosa ses vêtements avant de laisser la bouteille rouler par terre.

« Mais qu’est-ce que tu fous ? »

« Si au matin les Lothandres découvrent une salle dévastée, une réserve de vin vide et un garde inconscient qui sent l’alcool, ils ne reporteront pas de cambriolage. Ils le foutront à la porte et c’est tout. »

« Et pour ses bosses ? »

« On le balancera dans les escaliers. »

« Je doute que… »

« Tu as mieux ? »

Pigeon ne répondit pas. Il prit lui aussi une bouteille et en arrosa la brute inconsciente.

« Prends en une autre, et puis aide moi à le trainer jusque dans les escaliers. »

Pigeon prit une autre bouteille et la coinça sous son bras. Puis, ils prirent chacun un bras du garde et le tirèrent hors du bureau.

« Il pèse une tonne. », se plaignit Pigeon.

« Je sais. »

Ils tirèrent de toutes leurs forces au travers du couloir et étaient arrivés au quart quand ils entendirent des pas. Ulric regarda par-dessus son épaule et se prépara à courir. Mais, par chance, c’étaient Furet et Loutre qui approchaient.

« Non d’un chien, qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

« Il s’est passé lui, là. », grogna Pigeon en désignant le garde du menton.

« On a la paperasse, aidez-nous à le tirer. »

Les deux nouveaux venus prirent chacun une jambe et, à quatre, ils purent rapidement le trainer jusqu’aux escaliers. Ils firent rouler leur charge, toujours inconsciente, qui dévala les escaliers, non sans bruit, sur un bon étage. Une fois qu’il s’était immobilisé, Pigeon fracassa la bouteille de vin près de lui, alors qu’Ulric mit deux doigts au fond de sa gorge. Il espérait que le garde, baignant dans l’alcool et son vomi, serait assez convaincant pour ses maitres, qui ne tarderaient sans doute plus.

« Qu’est-ce qu’il se passe, en bas ? », tonna une voix aux accents aristocratiques.

« Dépêchez-vous, on se casse », insista Furet d'un chuchotement.

« On ressort par le jardin ? »

« Ils nous verront. Tout le manoir doit être réveillé, à présent. Suivez-moi »

Le groupa emboita Pigeon qui les guida jusqu’au rez-de-chaussée, puis dans un zigzag de couloirs qui désorienta Ulric, jusque devant un escalier, droit cette fois, qui menait vers la cave.

« Le passage vers les égouts est par là. », explique Pigeon.

La cave, comme on pouvait s’y attendre, était bien plus humble que le reste du manoir. Des murs de roche, des tonneaux soigneusement entreposés les uns à côté des autres, mais Ulric n’eu pas le temps de fouiller. Pigeon les mena à un conduit d’évacuation, tout juste assez large pour laisser passer un homme, qui avait sans doute été placé là pour contrer tout risque d’inondation. Il en sortait une odeur de pourriture et d’eau usée, ce qui n’empêcha pas Furet de se glisser dedans sans hésitation. Sans doute avait-il l’habitude. Loutre passa en seconde, suivie d’Ulric qui ne put s’empêcher une moue de dégout. Pigeon ferma la marche.

(Mission accomplie, j’imagine.), pensa Ulric en massant son bras toujours endolori.

Vers les égouts

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