L'Auberge de la Tortue Guerrière

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Yuimen
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L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Yuimen » mer. 27 déc. 2017 15:52

L'auberge de la Tortue Guerrière
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L'Auberge est tenue par Sam Timùn et sa femme Tina. C'est le lieu privilégié des voyageurs qui font halte à Kendra Kâr. La grande bâtisse s'élève sur trois étages et ne compte pas moins d'une trentaine de chambres. Pour un prix plus que modeste, les braves pourront y regagner des forces.

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Ulric
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » dim. 25 août 2019 23:40

Les rues

L’air à l’intérieur de l’auberge, à la fois sec et chaleureux, changeait agréablement de celui, toujours humide, qui pesait sur le port et les docks. L’établissement semblait bien tenu, sans pour autant être le grand luxe. La pièce dans laquelle Ulric venait d’entrer était spacieuse, mais encombrée de nombreuses tables. Dans le fond trônait un bar et, à sa gauche, une porte qui, à en juger par l’odeur qui en émanait, devait être la cuisine. A sa droite, un escalier de bois montait à l’étage, menant sans doute aux chambres.

Deux groupes de lève-tôt étaient déjà attablés dans un coin de la pièce et discutaient vivement entre eux, avant d’accueillir par de bruyant vivats une femme qui sortait de la cuisine en portant un plateau débordant de nourriture. Pendant ce temps, un homme portant un tablier vert terminait de balayer la pièce d’un air distrait. L’aubergiste, sans aucun doute. Ce dernier leva les yeux de sa besogne et remarqua Ulric :

« On ne fait pas la charité, ici. Allez voir au Refuge si vous avez besoin de quelque chose. »

Le ton se voulait neutre, mais Ulric percevait une pointe d’agacement sous-jacente. Sans doute l’aubergiste avait-il déjà eu des ennuis avec des mendiants importunant ses clients. Peu importe.

« J’ai de l’argent. », se contenta de répondre Ulric, en fouillant dans sa maigre bourse.

Il se saisit de quelques pièces de cuivre frappées du visage sévère de Solennel VI et les tendit à l’aubergiste : ce dernier les examina un instant, comme s’il craignait qu’elles soient fausses. Il fallait qu’il retrouve une tenue en meilleur état ; il ne supporterait pas beaucoup plus longtemps ce traitement.

(C’était ça ou finir à la milice), se répéta-t-il pour lui-même.

L’homme finit par ranger les quelques piécettes dans sa propre bourse avant de se diriger vers le bar.

« Suivez-moi », dit-il sans grand enthousiasme.

L’aubergiste passa derrière le bar et s’abaissa un instant. Il remonta en portant un épais registre qu’il posa avant de le consulter.

« Septième chambre du troisième étage. », se contenta-t-il d’annoncer.

Ulric se dirigea vers l’escalier. Pouvoir se poser ne serait-ce qu’une journée serait un véritable soulagement après ces derniers jours. De l’autre côté de la pièce, un des deux groupes fût pris d’un violent fou rire. Une auberge ne serait pas le meilleur lieu pour commencer son étude de la magie, mais il faudrait faire avec, pour l’instant.

(Ce n’est que temporaire)
, pensa-t-il, oubliant un moment qu’il devrait probablement aller se réfugier dans les égouts lorsqu’il serait à court d’argent.

Ou il irait se tenir chaud avec les autres miséreux de la ville dans ce fameux « Refuge » dont on n’arrêtait pas de lui parler. La pensée aurait presque pu le faire rire. Entre les deux, il choisirait encore les égouts ; au moins, il y aurait la paix.

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Ulric
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » mar. 27 août 2019 00:28

Monter les escaliers sur trois étages s’avéra être une rude épreuve. Sa fuite effrénée dans les docks et le manque de repos durant cette nuit avaient laissées les jambes d’Ulric faibles. C’est donc à bout de souffle qu’il posa enfin les pieds au troisième étage de l’auberge. L’escalier débouchait sur un étroit couloir éclairé par des chandelles accrochées aux murs. De simples portes de bois se dressaient à intervalles réguliers. L’apprenti mage en guenilles se dirigea vers la septième, l’ouvra précipitamment avant de la refermer derrière lui.

La chambre était de petite taille, mais Ulric ne s’attendait pas à autre chose. La pièce faisait un peu plus de deux mètres dans la longueur, et il n’aurait même pas la place de se coucher dans la largeur. Un lit et une vieille commode se partageaient le peu d’espace disponible, et une petite fenêtre donnait sur l’extérieur, juste en face de la porte. Ulric aperçu toute fois quelques cierges et des allumettes de souffre disposées sur la commode, afin que les voyageurs qui louent la chambre puissent s’éclairer. Bien qu’elle fût bien loin d’être un palais, la chambre était tout de même propre, témoignant du bon entretien des propriétaires des lieux.

Ulric s’installa sur le lit, son grimoire placé sur les genoux. C’était le moment qu’il avait attendu pendant des années ; celui où il pourrait enfin commencer à développer son don obscur. Bien qu’il fût alors physiquement épuisé, il ressentait une grande excitation lorsqu’il ouvrit l’épais opus. L’apprenti mage le feuilleta quelques instants, ne sachant pas par où commencer, mais cela lui donna l’occasion d’observer quelque peu le livre pour lequel il avait tué. Les pages révélèrent, non pas un long texte continu, mais ce qui semblait d’avantage être une compilation de différents traités théoriques, descriptions de sorts, rapports d’expériences. Certains de ces textes étaient dans un Kendran tellement vieilli que le jeune mage eut du mal à les comprendre, mais la plupart semblaient être copiés d’ouvrages relativement récents. Ça ou là, des notes en pattes de mouche apparaissaient dans les marges, apportant certaines précisions ou rectifications sur le texte. Ulric décela plusieurs calligraphies différentes, laissant penser que le grimoire était passé par de nombreuses mains différentes avant de se retrouver entre les siennes.

Alors qu’il continuait de feuilleter les pages, il dut cependant bien admettre qu’il n’avait aucune idée de par où commencer. Il était encore loin de connaitre toutes les possibilités offertes par les fluides d’ombre. C'était même pire, en réalité; il n'avait jamais reçu la moindre éducation magique. Les seules choses qu'il connaissait du monde des arcanes étaient les histoires qu'il avait entendu, petit, et il n'avait découvert son don que par pur accident.

Soudain, Ulric finit par poser les yeux sur un passage expliquant comment conjurer un « voile de ténèbres ». Le texte décrivait un sort permettant d’invoquer des ombres qui iraient ensuite étouffer toutes les sources de lumière sur une certaine étendue, la plongeant de ce fait dans le noir total. Pareille capacité l’aurait bien servi à couvrir sa fuite de cette nuit.

(Eh bien, commençons par là.)

Ulric n’avait aucune idée de si le sort serait facile à maitriser, mais sans doute qu’il ne le saurait pas avant d’avoir essayé.

Il se pencha davantage sur la description du sort : celle-ci se contentait de préconiser de canaliser ses fluides avant de les expulser afin d’en infuser les manifestations naturelles des fluides obscurs, que ce soit une ombre au sol ou une zone sombre dans l’endroit que le lanceur veut enténébrer. Ensuite, les fluides formeraient des liens invisibles entre le mage et les ombres, lui permettant de leur commander et de les étendre en un voile qui recouvrirait toute source de lumière.

Ça tombait bien, car Ulric n’avait aucune idée de comment faire tout ça.

Il n’allait certainement se laisse décourager dès le début, cependant. Et, à vrai dire, non : il savait déjà canaliser et expulser ses fluides, il devrait commencer par là. Il posa le grimoire à côté de lui, sur le lit et ferma les yeux un instant. Il se concentra sur les fluides dans son corps et les mit en mouvement, tout comme il aurait bougé un muscle, et les fit converger vers sa main droite, de la même façon que s’il avait voulu lancer un souffle de Thimoros. La sensation des fluides courant sous sa peau était à la fois désagréable et terriblement enivrante : elle laissait dans sa main et son bras une froideur moite tout en l’emplissant d’une sensation de puissance.

Jusqu’ici, il savait quoi faire. Ensuite, les choses se corsaient : il devait les expulser afin d’en infuser une ombre. Comment devait-il s’y prendre ? Devait-il juste lancer un souffle de Thimoros sur une ombre ? Non, si c’était le cas, cela ferait longtemps qu’il se serait mis à animer les ombres par accident. Et est-ce que ses fluides pouvaient vraiment en « infuser » une ? En y réfléchissant, les fluides n’était rien d’autre que l’essence même de leur élément (ou, du moins, c'était ainsi qu'il le comprenait). Ainsi, l’idée qu’il puisse infuser une ombre avec l’essence même de l’obscurité ne paraissait pas absurde.

Soudain, Ulric eut une idée : il se releva et se saisit d’un des cierges disposés sur la commode. Il craqua une des allumettes de souffre afin de l’allumer, et le posa par terre. Ensuite, il prit un des draps qui recouvrait le lit et s’en servit pour obstruer la fenêtre du mieux qu’il le pouvait afin de bloquer la lumière sans cesse croissante de ce début de matinée. La pièce était à présent divisée entre la lumière du cierge et les ombres nettes qu’elle projetait sur toutes les surfaces de la chambre. Ulric s’assit en tailleur devant le cierge et sorti sa dague. Il la planta dans le sol de bois, entre le cierge et lui et l’arme projeta son ombre cruciforme vers l’apprenti mage.

Ensuite, il canalisa à nouveau ses fluides dans sa main, mais une quantité bien moindre que d’habitude. Il la tendit ensuite au-dessus de l’ombre et, au lieu de les « lancer » comme il l’aurait fait s’il avait voulu blesser quelqu’un à l’aide d’un souffle de Thimoros, il les laissa simplement couler.

Il vit ses fluides s’écouler lentement de sa paume sous forme de volutes d’une fumée d’un noir profond, et disparaitre dans l’ombre de son arme. A sa grande surprise, il sentit une sorte de lien se former entre lui et l’ombre. Il était donc bien possible d’envoûter une ombre ! Il ne lui restait plus qu’à la plier à ses ordres. Ulric tenta de mentalement faire bouger l’ombre, mais sans succès. Il essaya ensuite de la faire avancer vers le cierge d’un geste de sa main, mais n’y parvint pas non plus malgré le lien qu’il sentait toujours. Il canalisa alors d’avantage de fluides et retenta l’expérience, mais toujours sans succès.

Il arrêta alors l’expérience. Ses réserves commençaient à s’amenuiser et il devait prendre garde à ne pas les vider. Du moins, s’il ne voulait pas écourter prématurément sa séance avant d’avoir trouvé la solution à son problème. Il s’y était sans doute mal pris quelque part et investir davantage de son énergie n’y changerait rien.

Il se ressaisit de son grimoire afin de relire la description du sort. Après quelques relectures, il pensa avoir trouvé où il avait fait erreur : il avait canalisé ses fluides comme il le faisait toujours pour lancer son souffle de Thimoros, et les avait déversés dans une ombre en particulier. Or, le texte parlait bien d’infuser les ombres dans une certaine zone, et non une ombre en particulier.

Peut-être devait-il canaliser ses fluides d’une autre manière ? D’une façon à les diffuser au lieu de les concentrer en un point précis ? Sans doute.

Son grimoire toujours dans ses mains, il tenta à nouveau de canaliser ses fluides. Le simple contact de la couverture de cuir semblait l'aider à se concentrer, et il y arriva plus facilement qu'auparavant. Au lieu de les faire converger vers sa main, il les fit courir partout dans son corps. S’il était d’avantage habitué à les sentir circuler dans son bras et sa main à présent, la sensation de leur passage dans le reste de son corps était encore très désagréable, et il avait parfois l’impression qu’une créature à sang froid lui léchait la peau depuis l’intérieur. L’apprenti mage sut cependant surmonter ce malaise, et il sentait à présent ses fluides sous son épiderme dans une grande partie de son corps. Il avait cependant l’impression que cela lui demandait d’avantage d’énergie que de concentrer sa puissance dans sa main.

Il continua de faire circuler ses fluides partout dans son corps pendant un instant avant de les laisser couler comme il l’avait fait auparavant mais, cette fois-ci, partout autour de lui. Il les senti se déverser dans les ombres élancées que projetait le cierge, ainsi que dans le moindre recoin de pénombre. Il perçu à nouveau ce fameux lien se former mais, à présent, il l’unissait non pas à une ombre, mais à l’obscurité générale qui l’environnait.

Il était à présent sur la bonne voie, il en était sûr. Satisfait, il tenta de commander aux ombres, comme le grimoire le disait, mais sa tentative fut brutalement arrêtée par ce qui aurait tout aussi bien pu être le coup de pied d’un géant dans son plexus solaire. Soudain à bout de souffle sans raison apparente, Ulric tomba en arrière en haletant de façon saccadée, alors que des acouphènes vrillaient ses oreilles.

Sa tentative avait complétement vidé les maigres réserves d’énergie qui lui restait. C’était la première fois qu’il arrivait à complétement épuiser ses fluides. Jusqu’à présent, il n’avait que rarement eu besoin de recourir à ses pouvoirs, et un seul souffle de Thimoros lui avait toujours suffis pour se défendre.

L’apprenti mage tenta de se relever en s’appuyant sur le rebord du lit, luttant toujours pour reprendre son souffle. Ses membres tremblaient et sa vision se troubla lorsqu’il se dressa à nouveau. Il ressentit d’un coup un épuisement comme il n’en avait jamais connu, la fatigue magique s’additionnant à celle, bien physique, de ses activités nocturnes.

(Je… reprendrais demain.), fut la seule chose qu’il eut encore l’énergie de penser.

Dans un effort surhumain, il parvint à éteindre le cierge avant qu’il ne le renverse par accident, et s’effondra dans le lit comme une masse.
Modifié en dernier par Ulric le lun. 15 févr. 2021 15:01, modifié 2 fois.

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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » mar. 27 août 2019 23:53

Ulric se réveilla vers la fin de l’après-midi. Il sentait ses réserves revenues à la normale, mais il était aussi affamé et assoiffé. Il était impatient de reprendre ses exercices, mais il devait d’abord se restaurer.

Alors qu’il se relevait, il sentit que, si ses fluides s’étaient reconstitués durant son sommeil, ses jambes, elles, souffraient à présent de courbatures douloureuses. L’apprenti mage n’avait pas vraiment l’habitude de mener de longues courses nocturnes, et cela se ressentait.

Avec un petit gémissement de douleur, il sortit de sa chambre et entreprit de descendre le long escalier qui menait vers le rez-de-chaussée de l’auberge. Même depuis le troisième étage, il pouvait entendre que la salle principale était à présent bien animée. Une véritable cacophonie de voix remontait à ses oreilles, comme autant de promesses d’un mal de crâne à venir.

Lorsqu’il arriva en bas de l’escalier, il sentit plusieurs regards se poser sur lui, certains amusés, d’autres méfiants, mais il restait invisible aux yeux de la plupart des occupants de la salle. Il décida alors de changer son programme pour le reste de l’après-midi : il devait absolument se retrouver des vêtements en meilleur états. Cela ne faisait même pas une journée que sa tenue déchirée et trouée lui donnait l’air d’un mendiant, et il ne pouvait déjà plus le supporter. Il pourrait bien faire montre d'un peu de patience et reprendre son apprentissage après.

La plupart des tables de la salle étaient déjà occupées par des groupes très divers. Bien que la plupart étaient humains, Ulric perçut une troupe de nains attablés autour d’une cuisse d’ours en compagnie d’un sinari, ainsi que plusieurs elfes, ici ou là. La plupart étaient des voyageurs de passages qui quitteraient la ville dans les jours qui viennent.

Malgré la surpopulation qui sévissait dans l’auberge, Ulric parvint néanmoins à en trouver une table libre, et s’installa. Il perçut l’aubergiste retranché derrière le bar, en train de servir plusieurs clients. Quant à la femme qu’il avait déjà aperçue ce matin, elle slalomait entre les tables les bras chargés tantôt de bières, tantôt de plats, et décrivait d’incessants allers-retours entre la cuisine et les clients qui attendaient impatiemment leurs commandes.

Ulric dut attendre de longues minutes avant qu’elle ne vienne à lui, bien c’était d’avantage dû à sa charge de travail plutôt qu’à une réticence de le servir.

« Bonjour, que désirez-vous ? »

« Du silence. », lâcha-t-il par mégarde.

Le brouhaha ambiant commençait à sérieusement l’insupporter. Ulric avait à de nombreuses reprises entendu l’histoire de mages s’enfermant dans des tours solitaires au milieu de nulle part pour étudier leur art, et il commençait à penser que fuir ce genre de vacarme en était surement la raison principale.

« Pouvez-vous répéter ? », demanda-t-elle innocemment, « Vous savez, avec tout ce bruit… »

« Vous avez quelque chose de pas trop cher ? »

Le jeune homme eut honte de s’entendre dire ça et d’ainsi confirmer son statut de pauvre auprès de la serveuse mais le fait était bien là, il n’avait pas grand-chose et ferait mieux de conserver ses précieuses piécettes pour l’instant.

« Eh bien, il doit nous rester de la Kendralgue. »

« Et c’est quoi, ça ? »


« C’est une bouillie… d’algues. », expliqua la serveuse.

(Ca fera l’affaire, j’imagine.), pensa-t-il.

« Avec une pinte. », répondit-il, avant d'ajouter: « S’il vous plait. »

« C’est entendu ! »

Et elle reparti vers la cuisine en zigzaguant entre les tables. Ulric devait lui reconnaitre une grande aisance pour se déplacer dans ce milieu bondé. L’habitude, sans doute.

Ulric dut encore attendre plusieurs minutes avant que la serveuse ne réapparaisse avec sa bouillie d’algues. En attendant, il promena son regard un peu partout dans la pièce, détaillant les fissures dans les murs et les clients attablés. Il croisa momentanément le regard d’un aventurier éborgné qui sembla penser que l’apprenti mage cherchait à le provoquer. Ulric tourna la tête sur le côté afin de ne pas s’attirer d’ennui. Après tout, il devait toujours faire profil bas.

La serveuse arriva enfin et déposa devant lui une assiette profonde faite d’étain remplie d’une bouillie verdâtre d’une apparence peu appétissante, ainsi qu’une chope de bière volumineuse. Ulric paya pour le repas et en profita pour régler pour une nuit supplémentaire à l’auberge, tant qu’il lui restait quelques yus en poche. La serveuse s’éloigna avec l’addition, échangea quelques mots avec l’aubergiste derrière le bar, et reparti assurer le service.

Ulric était affamé et aurait pu avaler n’importe quoi, mais il découvrit que cette fameuse « Kendralgue » était loin d’être mauvaise. Fort salée, mais le goût restait surprenammant agréable. La bière, elle, était plutôt fade, mais tout ce qui lui était demandé était de faire descendre la bouillie, pas d’être bonne.

Une fois son repas fini, Ulric se releva et se dirigea vers la sortie. Il espérait pouvoir se trouver une nouvelle tenue, une suffisamment discrète pour passer inaperçu mais qui ne crierait pas « mendiant » aux yeux de tous les habitants de Kendra Kâr. Il espérait que ce serait rapide car il n’avait qu’une hâte, pouvoir commencer à s’entrainer maintenant qu’il pensait avoir trouvé la bonne marche à suivre pour lancer le Voile de Ténèbres.

Vers les rues

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Ulric
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » ven. 30 août 2019 23:52

Les rues

La grande salle de l’auberge était toujours aussi bondée que tout à l’heure, et tout aussi bruyante, bien entendu. Ulric pensa même voir quelques visages qui n’avaient pas bougé d’un pouce pendant sa petite expédition au marché. C’était à croire que les clients de l’auberge étaient en réalité une variété rare de tubercule, qui prenait racine dès qu’on la posait par terre sur un sol pas trop ingrat.

Ce qui avait changé, en revanche, c’était qu’Ulric passait à présent inaperçu, à croire que la plupart des gens identifiaient leurs semblables à la tenue uniquement, et oubliaient le visage. Cette presque-invisibilité ravissait cependant l’apprenti mage, qui détestait être le centre d’attention.

Il se dirigea vers l’escalier, faisant son possible pour ne bousculer personne. Il avait imaginé en chemin un petit exercice pour s’entrainer à la scotomancie qui ne nécessiterait que le peu de matériel qu’il avait à disposition.

Ulric monta les escaliers, dut s’écraser contre la paroi lorsqu’il croisa un marchand bedonnant qui descendait renforcer son embonpoint, sans nul doute, arriva au troisième étage essoufflé par la montée, et s’enferma à nouveau dans sa chambre.

La petite pièce était plongée dans l’obscurité, car le drap qu’il placé devant la fenêtre lorsqu’il était arrivé était toujours en place. Très bien, il avait besoin de pénombre, de toute façon.

Il ralluma le cierge qu’il avait utilisé plus tôt et le plaça par terre, après avoir poussé le lit contre la porte afin de libérer d’avantage d’espace et de ne pas être dérangé par un saoulard qui se tromperait de chambre. Il s’assit ensuite par terre, planta sa dague environ un mètre devant lui, et disposa le cierge l’équivalent de deux largeurs de paume à côté. Ensuite, il ferma les yeux un instant afin de faire le vide dans sa tête pour pouvoir se concentrer sur l’exercice.

Une fois concentré, il canalisa ses fluides afin de les diffuser mais, cette fois-ci, seulement une petite quantité et de façon à ne les propager que devant lui. Il sentit la froideur moite des fluides obscurs se répandre sous la peau de son torse, et la laissa couler hors de lui, en un flot subtil mais déterminé. Il dirigea le flot afin de le concentrer vers une petite zone autour de la dague, qui n’était là que pour servir de repère visuel. A nouveau, il sentit les fluides tisser des liens invisibles entre sa volonté et les ombres menues qui dansaient au grès de la flammèche.

Il prit son temps pour apprécier ces liens, tester leur solidité puis, tel un marionnettiste faisant danser des pantins fantomatiques, il tenta de leur intimer l’ordre de s’avancer afin de voiler la lumière du cierge. Il n’eut pas de résultat tout de suite, malheureusement, mais persévéra. Se concentrant d’avantage et prenant son temps, il réitéra l’ordre.

C’est alors qu’avec stupeur il contempla l’ombre au pied de la dague se mouvoir, se déformer, et avancer. Elle forma un petit cercle au centre de la zone, puis avança, grignotant lentement du terrain au détriment de la lumière du cierge. Malheureusement, ce fut de courte durée, car la surprise et la fascination devant ce phénomène avaient déconcentré Ulric, rompant par la même les liens qu’il avait tissés.

Ce résultat, aussi modeste fut-il, remplit l’apprenti scotomancien d’enthousiasme. Le sort était bien plus complexe à maitriser que le souffle de Thimoros, qui était, pour sa part, plutôt instinctif, mais il était désormais certain qu’il parviendrait à le maitriser !

Ulric reprit sa concentration et, une fois de plus, canalisa une petite quantité de ses fluides qu’il fit couler dans sa « zone de test ». Le procédé lui semblait déjà plus facile, bien qu’il requît toujours beaucoup de concentration. Une fois qu’il sentit les liens à nouveau tissés, il reprit l’exercice.

A nouveau, le disque d’ombre minuscule se forma sous son impulsion. Bientôt, il grandit, s’éloignant de plus en plus de la dague plantée en son centre. D’abord un centimètre, puis deux, puis trois, l’ombre contre-nature continuait de s’étendre. C’est alors qu’un autre phénomène se produit : après que le disque ait atteint une certaine taille, les ombres s’élevèrent, tel un doigt d’honneur fait aux lois habituelles de la physique. A présent, un petit dôme d’obscurité s’élevait au pied de la dague. Son rayon ne devait pas dépasser la moitié de la distance entre le cierge et l’arme, mais il était fascinant à observer. Ni le sol en dessous du dôme, ni le bas de la lame n’était visible. L’ombre semblait bloquer complétement la lumière.

Le dôme ne subsista cependant qu’une fraction de seconde, tout juste assez pour qu’Ulric fut sûr de ne pas avoir rêvé. Ensuite, il disparut et les ombres reprirent leur état normal. A en juger par l’étendue qu’il avait couverte, le rayon devait faire, à vu d’œil, environ une dizaine de centimètres.

Le novice réitéra le procédé pour la troisième fois : cette fois-ci, il tenterait de pousser les ombres jusqu’au cierge. La zone à couvrir restait des plus modestes, mais cela représenterait un véritable exploit par rapport à ses premières tentatives. Il se lia à nouveau aux ombres de la zone, et reforma méthodiquement le petit dôme d’obscurité. Il arriva sans trop de mal à la taille qu’il avait déjà atteinte, preuve qu’il prenait petit à petit la main, mais le faire grandir d’avantage mettait sa concentration à rude épreuve. Il ne parvenait toujours qu’à étendre la zone enténébrée qu’à une lenteur hallucinante, luttant pour chaque millimètre. Cependant, les deux points de repère que constituaient la dague et le cierge lui permettait de prendre conscience plus aisément de sa progression, aussi lente soit-elle pour l’instant.

Les efforts d’Ulric finirent tout de même par payer, car l’ombre finit par venir lécher le cierge. Le dôme continuait de s’étendre et, bientôt, la flammèche fut avalée dans l’obscurité. La pièce s’assombrit soudain, et seul le peu de lumière qui parvenait à filtrer par la fenêtre obstruée permettait encore de s’y repérer. Ulric plongea le bout des doigts prudemment dans le dôme, pour s’assurer que la flamme brûlait toujours. Il sentit la chaleur qui émanait de la mèche, mais la lumière qui éclairait la pièce il y a encore quelques instants de cela semblait complétement absorbée par le sort.

Ulric avait cependant besoin d’une pause, à présent. L’exercice lui avait laissé la langue pâteuse, et sa capacité de concentration n’était pas éternelle. Il devait se ménager s’il voulait pouvoir continuer de s’exercer plus longtemps. Ainsi, il laissa le dôme s’évaporer dans l’air, et la flamme du cierge réapparut, inaltérée. Le jeune homme se releva, déplaça le cierge sur la commode, et bougea à nouveau le lit qui barrait la porte. Ensuite, il redescendit au rez-de-chaussée. L’aubergiste lui trouverait bien quelque chose pour se rafraichir.

En bas, il demanda juste un peu d’eau fraiche pour se désaltérer. Il n’avait pas envie de s’embrouiller l’esprit avec de l’alcool. La serveuse lui apporta un gobelet d’eau que seul un homme des dunes aurait trouvé rafraichissante après quelques minutes d’attente.

Après avoir vidé son gobelet, Ulric sortit un instant devant l’auberge, autant pour prendre l’air que pour fuir le bruit de la salle principale. Il marcha quelques minutes sans s’éloigner, avant de revenir une fois qu’il estimait s’être suffisamment aéré. Ensuite, il rentra à nouveau dans l’auberge et retournât dans sa chambre.

Il redisposa le mobilier comme tout à l’heure et recommença ses exercices, mais, cette fois-ci, il éloigna le cierge d’environ quatre paumes de la dague. Il lui fallut encore deux essais pour couvrir ce rayon, mais le procédé devenait à chaque fois plus naturel. Il s’exécutait toujours avec lenteur, privilégiant l’efficacité à la vitesse. A chaque réussite, il éloignait un peu plus le cierge, agrandissant la zone qu’il tentait de couvrir.

En suivant cette méthode, il parvint, après de nombreuses répétitions, à créer un dôme qui atteignait presque un mètre de rayon. L’ombre s’étendait presque jusqu’à ses jambes et, curieux, il pénétra à l’intérieur à quatre pattes, tout en essayant de maintenir le sort. L’intérieur était entièrement noir, et il n’arrivait pas à distinguer quoi que ce soit. Il tapota le sol du bout des doigts, et le son lui parvint normalement. Ensuite, il leva la main devant son visage, sans la voir. Il l’approcha lentement mais ne pouvait rien distinguer, même lorsqu’il sentit ses doigts toucher son propre visage. Le sort n’affectait donc bien que la vue, sans altérer les autres sens. Une limitation qu’il était important de connaitre.

Ulric se redressa pour sortir du dôme d’obscurité et relâcha son emprise sur les ombres. Il sentait ses réserves s’amenuiser après tous ces exercices, et il n’avait pas envie de ressentir à nouveau le coup de matraque magique qui s’était abattu sur lui lorsqu’il avait épuisé ses fluides. Qui plus est, la nuit commençait à tomber, et il serait bien de reprendre un rythme normal au lieu de vivre la nuit, pensa-t-il. Là-dessus, il récupéra le drap qui obstruait la fenêtre et se mit à l’aise, avant de s’installer dans son lit et de chercher le sommeil.

Suite
Modifié en dernier par Ulric le lun. 15 févr. 2021 15:58, modifié 2 fois.

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Akihito
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Akihito » mar. 5 nov. 2019 00:03

Dans le chapitre précédent...

Deuxième Arc : L’art de faire parler la Foudre

Chapitre XXXV : La fierté des hommes

Le soleil se couchait sur la ville de Kendra-Kâr et l’ynorien sentait peu à peu la fatigue prendre le pas sur son énergie. Il lui fallait donc trouver une auberge dans laquelle il resterait pour les jours à venir. Anthelia chercha à le convaincre de venir avec elle chez Jack et Marie mais il refusa obstinément : il y avait des moments dans lesquels il n’avait pas sa place pour le moment et ce premier soir devait en être un. C’était un instant privilégié entre des parents et leur enfant. Elle gonfla les joues de mécontentement mais abdiqua pour une fois devant la logique de son ami. Elle admit du bout des lèvres qu’elle ne souhaitait pas non plus qu’il se sente mal à l’aise, aussi se mirent-ils en tête de trouver une auberge.
La première qu’Anthelia lui proposa fut l’Auberge du Lion. Un établissement prestigieux, emplit de noblesse et dont les chambres, propres et bien rangées, étaient de la meilleure qualité. Mais là aussi, Akihiko ne se sentit pas à sa place. Les personnes qui y résidaient portaient toutes des vêtements brodés d’or, étaient parés de bijoux hors de prix et peu d’entre eux mangeaient dans la salle commune à voir le balai des serveurs qui montaient aux chambres, les bras chargés de victuailles. Ce fut un non catégorique et instantané pour Akihiko.

« Tu as vu tous ces gens ? Je vais détonner dans cet établissement, même si je ne doute pas que je serai mieux traité que partout ailleurs dans la ville.

- Monsieur le Héros ne se sent pas à la hauteur de petits nobliaux et riches commerçants ? se moqua Anthelia. Avec ton nouveau manteau et ton sabre, tu pourras sans souci te fondre dans leur groupe.

- Peut-être bien. Mais mes finances ont été bien entamées par mon manteau et je me demande combien vont me coûter ces protections chez Argaîe, alors je n’ai pas envie de payer une fortune pour dormir un peu mieux que dans un lit classique.

- Si tu insistes… Direction l’Auberge de la Tortue Guerrière alors. »

Marchant quelques minutes et s’éloignant sensiblement du château tout en restant dans l’avenue principale de la ville, la jeune femme l’emmena dans une auberge plus classique mais répondant tout de suite bien plus aux goûts de Akihiko. Une auberge de voyageurs, à la salle de restauration bien remplie et où planait une ambiance festive. Ici et là, des personnes buvaient, riaient, trinquaient, mangeaient et buvaient encore.

(Ca, ça me rappelle déjà plus l’auberge des Hommes libres.) pensa Akihiko en hochant la tête d’un air satisfait. Il se tourna vers sa guide.

« Merci pour la visite. Je ne veux pas te retenir trop longtemps.

- Tu ne raccompagnes pas une jeune fille seule chez elle ? Les hommes ne sont plus ce qu’ils sont aujourd’hui.

- Si je t’avais proposé, tu m’aurais incendié en me disant que tu étais une grande fille et que tu pouvais te débrouiller toute seule.

- Humpf, grogna la jeune femme en plantant ses yeux verts dans ceux bicolores de l’ynorien. C’est une question de principe, tu dois quand même proposer. Tu l’as bien fait avec la fille Ôkami.

- D’accord, d’accord… Mademoiselle Anthelia, me feriez-vous l’insigne honneur de laisser ma modeste personne vous raccompagner jusqu’à votre domicile, de sorte à ce que vous puissiez vous reposer dans les plus brefs délais ?

- C’est fort aimable à vous, Monsieur Yoichi, mais je suis parfaitement capable d’assurer ma sécurité si quelque malandrin décidait de m’attaquer.

- Vous m’en voyez soulagé ma Dame, mais laissez-moi au moins vous faire don de ma protection. »

Il s’approcha de la jeune femme et enserra délicatement le protège-bras de cuir qui enserrait le bras droit de la tatoueuse. Il ferma les yeux et convoqua ses fluides pour enchâsser dans la protection un puissant Choc de Valyus, sort qui laissa une trace luminescente bleu électrique à la surface du cuir. Rouvrant les yeux, il libéra sa main et la laissa regarder la marque qu’il avait laissée d’un regard confus.

« C’est un sort que j’ai transféré dans votre protection mademoiselle. Ainsi, si un quelconque assaillant venait à vouloir abîmer votre joli minois, vous serez en mesure de déchaîner une partie de mon pouvoir sous la forme d’arcs électriques. Je ne doute pas de votre capacité à vous défendre, mais permettez à l’humble enchanteur que je suis de savoir son amie protégée par ses soins. »

Akihiko allait lui expliquer comment utiliser son sort, mais Anthelia ne lui en laissa pas le temps et passa ses bras autour de son cou, l’attirant dans une étreinte à laquelle elle mit fin avec un « Merci » chuchoté à l’oreille qui provoqua un frisson dans sa colonne vertébrale. La femme le salua et disparue bien vite dans le crépuscule tombant sur la ville. Akihiko entra de son côté dans l’auberge et fut happé par le bruit régnant dans l’établissement. Il se fraya un passage jusqu’à l’homme qui semblait diriger les lieux. Malgré le brouhaha, il parvint à se faire comprendre et une poignée de yus échangée plus tard, il monta au deuxième étage s’installer dans sa chambre. La chambre était petite mais propre et le lit simple qui l’agrémentait était, après avoir été testé, assez confortable pour qu’il y passe des nuits reposantes comme il les aimait. La porte semblait quant à elle assez solide pour ne laisser personne entrer sans une clé ou bien la forcer par la force. Il pouvait sans problème laisser ses affaires ici, jugea-t-il. Mais par mesure de précaution, il les cacha sous le lit contre le mur et apposa un cercle protecteur tout autour, le marteau de Valyus en main pour en amplifier ses effets. La personne qui prendrait le risque de vouloir lui prendre ses affaires recevrait une sacrée surprise. Observer le sort qu’il venait de créer le fit penser à son sort de transfert magique qu’il avait utilisé plus tôt pour Anthelia. Enchanter une partie de son équipement n’était pas une mauvaise idée : il était en sécurité dans cette ville alors il pouvait bien se permettre de consommer ses fluides. Il enchâssa ainsi deux sorts dans sa cotte de maille et ses gantelets : la première reçu le sort lui permettant de repousser les projectiles métalliques et les seconds d’un sort de création de lance magique : il pourrait ainsi profiter de son allonge pour frapper, comme avec le drakarn.
Rassuré à la vue des marques luminescentes sur ses gants et sa cotte de maille, il sortit de sa chambre et la verrouilla derrière lui, laissant son marteau trop encombrant dedans. C’est simplement armé de la Kizoku qu’il descendit et se rendit au comptoir. Là, il héla une femme qui devait être dans la quarantaine, une kendrane au sourire contagieux et au regard pétillant malgré les quelques mèches argentées qui parsemaient sa chevelure.

« Bonsoir mon brave ! Qu’est-ce que je vous sers !? On a du pot-au-feu et du harney cuit ce soir ! cria-t-elle pour se faire entendre par-dessus une crise de fou rire particulièrement bruyante.

- Bonsoir ! Je ne connais pas le second plat mais s’il ne contient pas de fruits de mer, c’est ce que je vais prendre !

- Parfait !! Je vous mets une pinte avec ?!

- Oui, s’il vous plaît ! »

Akihiko alla ensuite s’installer à une table en hauteur près d’un mur et juché sur son tonneau, observa la foule qui festoyait tout autour de lui. Il aurait avec plaisir rejoint une table pour partager un repas et quelques chopes, mais il ne voyait aucune place de libre. L’auberge était réellement un rendez-vous pour tous les voyageurs car partout où son regard se promenait, nombre des personnes qui étaient attablés portaient des habits de voyage ou du moins ce qui y ressemblait. Plusieurs avaient même encore leur besace ou leur sac à leurs pieds. Finalement, un garçon qui ne devait pas avoir plus de treize ans passa et déposa sur sa table une sorte de volaille baignant dans un jus flairant bon la bière dans une écuelle en bois, avec de grosses carottes coupées en morceaux et des pommes de terre. Une chopine de bois bien remplit conclut son repas et le serveur fila retourner en cuisine. La viande blanche se découpait facilement avec la cuillère en bois fournie, ce qui permit à Akihiko de prendre une bouchée suivie d’une gorgée de bière, comme venait de lui suggérer le garçon avant de partir.

(Délicieux !)

Un repas consistant, solide, délicieux et chaud. Voilà qui ravissait l’estomac et les papilles de Akihiko. La bière n’était pas en reste et bien qu’elle ne soit pas aussi bonne que la Rougette de Narem, elle était meilleure que celle d’Oranan. Les ynoriens avaient beaucoup de recettes et d’alcools délicieux, mais lorsqu’il s’agissait de bière et de brassage, c’était une catastrophe.

(C’est une chose qui n’a pas changé en quelques siècles.)

(Tiens, tu as fini de bouder ?)

(Mmh.)

(Amy, il va falloir que tu m’expliques ce que tu as avec Anthelia. Non, avec les femmes en générale. Tu réagissais de la même façon avec Aurora, je me souviens.)

(Aurora ?) demanda-t-elle, ne se souvenant visiblement plus du nom.

(Aile Grise si tu préfères, la sindelle pilote d’Aynore.)

(Ah oui. Elle.)

(Tu vois, c’est exactement de ça que je parle. Je ne suis plus le jeune homme qui bégayait quand une femme lui adressait la parole. J’ai mûri. Tu n’as pas à te comporter aussi agressivement avec toutes les femmes que je rencontre.)

(C’est… C’est pas ça. Ce n’est pas que pour toi.)

Akihiko mâcha pendant plusieurs secondes sans rien dire, attendant que sa Faëra continue de lui fournir des explications. Il eu même le temps de boire une longue rasade avant qu’elle ne se décide enfin à poursuivre.

(C’est… Comprends moi bien, Akihiko. Ce n’est pas de la jalousie ou quoi que ce soit. Je n’ai jamais considéré un de mes porteurs comme plus que mon Maître et même si je le voulais quand même, ça serait impossible pour moi. Encore que…)

(Encore que ?)

(Rien, juste qu’il existe des cas extrêmement rares de Faëras ayant réussi à prendre une taille humaine et à devenir tangible. Mais je m’égare, ce n’est pas le problème. Tu vois, l’amour est un sentiment que même si nous ne le vivons jamais, ne nous est pas inconnus à nous, les Faëras. Après tout, cela fait des millénaires que nous suivons nos Maîtres et Maîtresses et ils tombent ou sont tous tombés amoureux. On comprend bien ça, c’est un sentiment logique lorsque l’on est mortel de s’attacher à une personne plus qu’à une autre, vouloir partager sa vie, avoir une descendance, ce genre de chose…)

(Les Faëras ne se reproduisent pas ?)

(Non. Puisque nous ne pouvons pas mourir, il existe un nombre défini d’individus dans notre peuple qui ne change pour ainsi dire presque jamais. Parfois, une Faëra naît d’un ou de plusieurs fluides, mais c’est aussi rare que la neige en pleine été.)

(Mmmh…)

Akihiko terminait de manger son repas et le même garçon était passé lui proposer de re-remplir sa chope, ce qu’il avait accepté. Il regardait donc, juché sur son tonneau et adossé au mur de pierre beige, les tables lentement se vider tandis que des personnes à l’apparence plus locale prenaient place autour d’un verre. Il observait tout ce beau monde sans vraiment y prêter attention, tout à sa discussion avec Amy.

(Des porteurs et des porteuses amoureuses, j’en ai vu défiler. Et… Pour une raison que j’ignore, ils finissent tous par en souffrir. Certains parce qu’ils s’entichent de personnes qui ne les aiment pas en retour, d’autres parce qu’ils survivent à leur amant ou amante. Ca les a ravagés Akihiko, réellement. Plusieurs d’entree eux n’ont pas supporté de vivre sans cette personne et ont… Décidé.. De..)

(Si c’est dur pour toi, Amy, ne le dit pas. J’ai saisi ce que tu voulais dire.)

(Merci… Pour moi, j’ai subi ça comme un véritable abandon. Et j’en suis venu à détester l’amour. Pourquoi poussait-il mes porteurs dans de telles extrémités ? Moi je me retrouvais seule après. Mais qui était égoïste ? Était-ce moi pour ne pas accepter que quelqu’un puisse avoir autant d’importance pour mon Maître ? Ou ce même Maître qui ne se rendait pas compte de l’importance du contrat qu’il avait passé avec moi ? Aujourd’hui encore, je n’ai toujours pas la réponse à cette question. Mais de mon point de vue, l’amour n’apporte que trop de souffrance. C’est pourquoi j’ai tenté de t’éloigner toi comme une partie de tes prédécesseurs des hommes et femmes qui les attiraient...)

(Et cela a vraiment arrangé les choses ?)

(Pas vraiment. La plupart ont décidé de rompre leur lien avec moi. D’autres ont décidés de suivre mes indications et n’ont jamais connu l’amour. Ils n’en ont jamais souffert, mais n’en ont jamais profité non plus. Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ?)

Akihiko posa sa chope, les vapeurs d’alcool rendant son visage chaud. Il n’avait pas encore atteint le stade de la vraie ivresse mais n’en était pas loin, il attendait d’abord de finir cette conversation pour la mener jusqu’au bout avec ses entières facultés mentales.

(Honnêtement Amy, je ne saurais pas te dire. Tu sais aussi bien que moi que je n’ai jamais connu cette sensation, mais j’ai eu l’occasion de la voir à l’œuvre. Chez mes parents comme chez d’autres couples, comme Hatsu et Vohl. L’amour, ça rend fou. Mais ça rend fort aussi. Il faut faire attention à ne pas y succomber, mais je crois que l’éviter totalement est une erreur tout aussi importante. En bien des points, on peut dire que l’amour est semblable à la colère.)

(Je… Crois que je comprends ce que tu veux dire.)

(Je ne sais pas ce que l’avenir-)

En plein milieu de sa conversation télépathique avec la petite être d’air, Akihiko ne faisait pas attention à ce qui l’entourait. C’est pourquoi il ne vit pas arriver l’homme passablement éméché sur sa droite qui le percuta dans les jambes. La bière dans sa main se renversa et éclaboussa ses jambes et une partie de son manteau.

« Eh ! Faites attention ! » protesta l’enchanteur en voyant que l’homme, un kendran d’une trentaine d’années aux cheveux ras et vêtu comme un artisan progressait sans lui jeter le moindre regard. Son interpellation le fit néanmoins se retourner et il s’approcha d’un pas titubant avant d’attraper Akihiko par le col.

« Kesta le blanc bec ? C’moi qu’tu parles comme ça ? »

Avant même de le laisser dire quoi que ce soit, l’ivrogne lui envoya un coup de poing qui le cueillit à la joue, le faisant chuter de son tonneau. Le silence tomba sur les tables aux alentours alors que d’une voix goguenarde, il continuait.

« Vous m’faites marrer vous l’z’ynoriens. Zavez prit vot’ indépendance et vous vous croyez mieux qu’nous ? ‘Vec vos robes et vos coupes de femmelettes ? »

Ces propos mirent en colère Akihiko qui se releva en essuyant du revers de sa main le sang qui coulait de sa bouche. Manifestement, il s’était mordu au sang l’intérieur de la joue. Il s’apprêta à dégainer son sabre quand au milieu des brumes de l’alcool, quelque chose s’imposa à lui, une loi qu’il avait juré de suivre il y a bien longtemps de cela. Et une loi qu’il avait toujours observée autant qu’il le pouvait. Serrant les dents, il se redressa de toute sa hauteur et fit face à son adversaire, plus petit que lui. Ce dernier sembla douter en se rendant compte que celui qu’il avait provoqué ne semblait pas si inoffensif qu'il le pensait.

« Que l’on me bouscule en prétextant être saoul, passe encore. Mais que l’on insulte de la sorte mon peuple, je ne le tolère pas. Excusez-vous immédiatement, ou faites face aux conséquences ! » gronda l’enchanteur. Mais l’homme en face de lui sembla reprendre ses esprits et toisa Akihiko.

« J’vais t’faire ravaler ton orgueil, bouffeur de riz.

- Je vous aurais prévenu. »

Il ne projetait pas de blesser le soûlard, surtout que quelque part, c’était simplement un ivrogne ayant trop forcé sur la boisson. C’est pourquoi lorsqu’il posa la main sur son sabre, il ne dénuda pas la lame et sortit aussi bien l’arme que son fourreau. Enserrant sa prise sur la garde et le fourreau, il se mit en position et pointa de son fourreau laqué le kendran dont la chemise autrefois blanche avait été tâchée de trace noirs et marrons qu’il n’arrivait pas à identifier. Cette ultime mise en garde n’atteignit pas l’homme qui, poing droit en l’air, se jeta sur lui en vociférant. A le voir se précipiter ainsi sur lui, il analysa que l’homme n’était pas un réel combattant tant son attaque était brouillonne. Mais Akihiko prit alors instantanément conscience de son erreur : dans un espace aussi clos, jouer de son sabre allait s’avérer difficile. Maudissant son esprit embrumé d’alcool pour ne pas avoir pensé à ça, il ramena la lame horizontalement et s’abaissa pour laisser le crochet maladroit du pochtron passer au-dessus de son épaule. Il inclina son sabre, le recula pour prendre de l’élan et enfonça le pommeau en plein dans le ventre du pugiliste en entrant dans sa garde. Le coup fit reculer son adversaire et Akihiko en profita pour jeter l’arme contre le mur à sa gauche, à l’endroit où il prenait son repas un instant plus tôt. Le kendran à la barbe naissante revint à l’attaque et avec une vivacité surprenante, parvint à s’approcher de lui et lui porta un coup vicieux qui le toucha au foie. Se pliant en deux sous la douleur, il reçut le second coup en plein visage, tuméfiant son œil. Une avalanche de frappes s’ensuivit, maladroites mais puissantes. Akihiko, qui continuait malgré tout de se limiter, fit sauter les derniers verrous de sa retenue. Attrapant avec sa main forte le poignet de son adversaire en vol, il riposta par un coup de poing dans sa mâchoire. Il baissa sa main droite libre et la paume ouverte, envoya un globe de foudre frapper sa rotule. L’homme poussa un cri de douleur mais Akihiko raffermit sa prise sur son poignet, l’empêchant de s’écrouler complètement au sol. Il tira sur son bras pour l’amener à lui, le cueillit à la gorge avec sa main encore nimbée d’étincelles et dans une torsion de son bassin, l’envoya au sol en le suivant dans sa chute.
Désormais au-dessus de lui une main sur sa gorge et l’autre tenant son bras droit levé en l’air, l’enchanteur appuya de son genou sur sa poitrine, le clouant un peu plus au sol. Akihiko lui fit comprendre un peu plus sa situation en envoyant à travers son poignet une décharge électrique. Ce dernier gémit : le combat, quelques secondes après avoir commencé, s’achevait déjà.

« Pi… Pitié…

- Tss, siffla Akihiko en ravalant un filet de sang qui coulait dans sa bouche. Réessaye une seule fois de m’attaquer quand je t’aurais lâché et je te promets que cette fois-ci, mes éclairs feront sauter tes genoux. Compris ?

- Oui… Oui Pitié… J’suis désolé… J’m’excuse..! »

L’enchanteur le lâcha et l’homme désormais bien dessoûlé se précipita vers la sortie en claudiquant de la jambe qui avait été touchée par son sort, sans oser se retourner vers Akihiko. Lui de son côté soupira et grimaça en sentant son visage tuméfié se mettre à gonfler sous ses doigts. Il allait avoir une sale tête le lendemain. Un regard aux tables à proximité lui informa que plusieurs personnes étaient à moitié levée de leur siège, prêtes à intervenir. Mais la rixe s’était achevée sans qu’ils aient eu à intervenir, ce qui les soulagea visiblement. Akihiko entendit même distinctement le bruit de plusieurs lames retournant dans leur fourreau avant que le brouhaha ne reprenne de plus belle, mais plus calme cette fois-ci. En grognant, il s’apprêta à rapporter son assiette au comptoir quand le gérant de l’auberge vint à sa rencontre.

« J’ai bien vu que ce n’est pas vous qui avez commencé cette bagarre en premier, alors je ne vous en tiens pas rigueur. Néanmoins, si cela venait à se reproduire avec lui ou qui que ce soit, je vous demanderai alors de partir. Je déteste que l’on se batte dans mon établissement.

- Vous m’en voyez désolé… Ça ne se reproduira plus.

- Bien. Je demanderai à un de mes serveurs de vous apporter une serviette humide pour soulager un peu la douleur. »

L’homme lui prit les ustensiles des mains sans lui laisser le temps de répondre et tourna les talons, visiblement contrarié. Akihiko monta lui dans sa chambre et s’écroula sur le lit, frustré que sa soirée se soit fini ainsi. On toqua à sa porte et le même serveur qui l’avait servi lui tendit un torchon humidifié d’eau fraîche, ce qu’il accepta volontiers et remercia l’adolescent d’une pièce. Refermant la porte à clé cette fois, il s’affala de nouveau sur son lit et posa la serviette sur son visage après l’avoir nettoyé.

(Ca faisait une éternité que je ne m’étais pas battu ainsi…)

(Et crois moi, Anthelia ne va pas être contente de voir ça.)

(J’espère qu’elle ne va pas me faire la morale…)

Après quelques minutes à attendre que la douleur se calme, Akihiko se leva une dernière fois pour se défaire de ses habits et se glissa sous les couvertures, appréciant la chaleur douillette qui l’enveloppait.

(Amy…)

(Oui ?)

(Pour reprendre là où on en était avant que l’autre crétin ne nous interrompe… Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir au sujet d’Anthelia et pour être franc, j’ai de plus en plus de mal à ignorer sa présence. Mais que ce soit elle ou une autre, je peux te promettre que je ne t’abandonnerai pas.)

(Beaucoup de porteurs m’ont déjà fait cette promesse…) soupira la Faëra, petite sphère bleutée dans l’esprit de Akihiko.

(Peut-être. Mais je te dois bien trop pour te laisser tomber avant d’avoir réglé mes dettes. Sinon, je m’en voudrais probablement même après ma mort.)

(… Encore une fois, je vais faire confiance à un porteur. Montre-moi, Akihiko, que tu n’es définitivement pas comme les autres.)

Touché par l’espoir et la confiance que la Faëra plaçait une fois de plus en lui, Akihiko se jura qu’il ne la laisserait pas tomber si la situation qu’elle redoutait se présentait de nouveau.
Se retourner dans le lit lui procura une vive douleur au ventre, à l’endroit où son foie avait été touché. Une nouvelle fois, Akihiko avait dû encaisser plus que de raison parce qu’il n’avait pas de sort lui permettant de maîtriser ses cibles sans les blesser. Ses pouvoirs pouvaient bien lui permettre de paralyser quelqu’un sans lui infliger de dommages ? Il suffisait de lui envoyer suffisamment de foudre pour le paralyser… Mais Devait-il s’y prendre en touchant son… adversaire, ou bien…
Et alors que Akihiko réfléchissait à comment il pouvait s’y prendre, les bras du sommeil et de la nuit l’étreignirent doucement.


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Akihito
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Akihito » dim. 17 nov. 2019 19:53

Dans le chapitre précédent...

Deuxième Arc : L’art de faire parler la Foudre

Chapitre XL.2 : La douceur d’une femme.

La bourse empochée, Akihiko salua la jeune femme qui n’osa pas lui dire au revoir, terrifiée par le regard sans équivoque que lui lançait Anthelia. Il contint son amusement et sortit avec la tatoueuse sur les talons. Il leva les yeux vers le soleil qui s’était découvert pendant son passage dans le bâtiment et fut aveuglé par la lumière de ce dernier. Cela lui fit tourner la tête et il tituba, manquant de tomber en arrière si Anthelia n’avait pas réagit assez vite en glissant une main dans son dos pour le soutenir.

« Eh Akihiko, tu vas bien ?!

- Ca va, ça va… J’ai juste passé trop de temps alité. Et la lumière m’a ébloui.

- Allons nous reposer dans ce cas, dit-elle gentiment.

- Quelle brillante idée, j’approuve. »

Ensemble, ils regagnèrent l’auberge de la tortue guerrière et Akihiko put voir à quel point Anthelia s’était montrée prévoyante : elle était passée à l’auberge pour en prévenir le propriétaire de son absence temporaire et celui-ci avait donc gardé sa chambre close. Akihiko y monta, vérifia que son sort était toujours en place autour de ses affaires et se déséquipa de son attirail pour soulager son corps le plus possible. Il roula des épaules avec un soulagement non feint et alors qu’il dénouait un peu ses muscles, les yeux fermés pour ressentir mieux les nœuds de ses muscles, il sentit des lèvres se presser contre les siennes. Agréablement surpris, il rendit le baiser d’Anthelia et la serra contre lui, profitant de ce plaisir tout nouveau pour lui -et il devait bien l’admettre, il se demandait comment il allait faire pour ne pas y devenir accro. Il fini tout de même par y mettre fin et descendit dans le but de se remplir l’estomac, accompagné d’Anthelia. En bas, en ce milieu d’après-midi, rare étaient les personnes attablées. Heureusement pour eux, le repas de la veille, un pot-au-feu mariné dans de la bière locale, était encore disponible pour les quelques clients affamés comme eux. Ils prirent donc deux assiettes et se remplirent le ventre avec satisfaction, avant qu’Anthelia ne sorte de son sac une peau de cochon et une aiguille.

« Allez, on se remet au travail ! »

Il s’essuya la bouche des quelques miettes qui étaient encore collées avec le revers de sa main, déposa un baiser sur la joue de la toute nouvelle élue de son cœur et s’attela à son apprentissage. La tâche nécessitait de la répétition et de la précision et consistait donc en un exercice parfait pour lui faire reprendre la pleine motricité de son bras guéri. Les débuts furent laborieux et gauches, mais à force de persistance, le coup de main et la technique revinrent finalement au bout d’une bonne heure. La tatoueuse le fit donc alterner avec une phase de dessin. S’il était toujours loin d’être bon, il arrivait désormais à donner de la profondeur à ses dessins, donné une perspective à ses décors, manier plus efficacement les ombres, etc. Il passa donc le reste de la journée à alterner entre ces deux activités : l’une reposait son esprit et entraînait son corps et ses doigts, l’autre ménageait son bras en améliorant sa patte artistique et son sens de l’art. Anthelia passa beaucoup de temps à le corriger, lui donner des conseils. Comparé à ses autres enseignements, ce dernier se passait dans une atmosphère joyeuse où la jeune femme ne s’énervait pas sur ses erreurs et se montrait très patiente avec lui. Amy argua que c’était parce que leur relation avait évolué mais que ça ne durerait pas, qu’elle était simplement d’excellente humeur aujourd’hui. Akihiko ne s’en soucia pas et profita simplement du moment. Il était heureux de ce moment simple et de complicité qu’il passait avec elle.

(Parfois, le bonheur est simplement à notre portée et il faut savoir s’en saisir pour en profiter.)

(Arrête avec ton côté poète je t’ai dit.) le charria la Faëra, ce qui fit sourire Akihiko. En réponse à ce sourire, Anthelia embrassa le jeune homme.

« Mmh, si sourire me permet d’avoir ce genre de récompense, je vais le faire plus souvent.

- Ne te gêne surtout pas alors, » répondit malicieusement la tatoueuse avant de se lever aller chercher deux nouvelles pintes de Mixtures Gloamique, un cocktail faiblement alcoolisé qu’ils consommaient pendant ses exercices.

Au cours de cette journée, il fit des progrès phénoménaux. Motivé par sa bonne humeur inébranlable, le jeune homme se donna à corps perdu à la maîtrise de son art. Le fait de ne pas se retrouver sur un bateau en constant mouvement augmenta également de manière significative ses capacités ; enfin, c’est plutôt le fait de ne pas se retrouver sur le bateau qui lui permit de les exploiter pleinement. Emporté par cette augmentation de ses capacités, il décida, alors que la salle commençait à se remplir des clients chassés par la journée tombante, de dessiner Anthelia. Il s’était visiblement un peu surestimé car le dessin qu’il produisit, s’il était loin de ce qu’il aurait fait quelques semaines plus tôt en termes de qualité, fit quand même éclater de rire le modèle. Son rire clair se répandit dans la salle et plusieurs têtes se tournèrent vers elle, souriant à leur tour à l’écoute de ce rire pur et contagieux. Akihiko feint d’être vexé avant de sourire de concert avec elle, avant d’écouter attentivement les différentes remarques qu’elle lui fit sur son dessin.

« Là, on voit que tu as commencé par mes yeux. Ils sont plutôt bien faits, je ne dis pas, mais cela déséquilibre le dessin. Il faut plutôt commencer par la forme du visage : comme ça, tu as les limites de ce que tu « mets » à l’intérieur et c’est plus simple, tout simplement. Ensuite, tes bras -enfin, les miens en l’occurrence- sont un peu trop fins. Je sais que les femmes sont plus menues que les hommes, mais ce n’est pas la peine de faire de nous des squelettes avec la peau sur les os.

- Je vois. Et les cheveux ? Tu les trouves comment ? Je trouve que je les ai plutôt bien réussis.

- C’est vrai qu’ils sont bien. Tu as bien su appuyer ou non le charbon pour nuancer les reflets ou les ombres dedans, c’est vraiment pas mal. Après, tu peux voir que les mèches là, là et là sont un peu trop accentuées : on voit que tu as essayé de montrer qu’elles se démarquaient en tombant devant mon front, et tu as un peu trop forcer sur ces endroits. Ça déséquilibre là aussi l’harmonie du dessin, mais c’est vraiment pas mal encore une fois.

- C’est parce que j’ai dessiné quelque chose qui me motivait, » dit le jeune homme en buvant dans sa choppe, sentant les arômes fruités du gloam couler dans sa gorge. Il faillit s’étouffer quand le pied de la jeune femme se mit à lentement caresser sa jambe sous la table, le faisant violemment reposer la choppe sur la table en rougissant sous le regard narquois de la jeune femme.

« Bien, je pense que la prochaine étape t’aidera aussi sur ces problèmes de dessins.

- Faudrait d’abord que tu me dises en quoi consiste cette fameuse étape…

- Oh, mais tu le sais déjà. Tu as juste la mémoire courte. »

Puis, sans le prévenir, elle l’attrapa par la main et l’entraîna avec lui, en direction des escaliers, sous les sifflements approbateurs et les cris d’encouragements de clients avinés. Akihiko se serait senti extrêmement gêné il y a quelques jours. Mais là, c’est une certaine excitation qui prit le pas et il suivit sans rechigner la jeune femme, qui l’emmena dans sa chambre. Là, tout un tas de scénarios lui passèrent par la tête : certains très pieux et sensuels, tandis que d’autres étaient franchement plus osés. Amy, quant à elle, soupira et souhaita bonne chance à son maître avant de se réfugier dans le manche de la Kizoku qui n’allait vraisemblablement pas rester très longtemps à sa ceinture. Le flash blond qui passa de son médaillon à son katana fut trop rapide pour être perçu à l’œil nu, sauf pour Akihiko qui savait qu’il allait se produire.
Les deux jeunes gens arrivèrent dans la chambre munie d’un seul lit simple. Une nouvelle flopée de scénarios envahit l’esprit de Akihiko, qui furent tous balayé par une Anthelia le plaquant contre la porte refermée pour l’embrasser avec une fougue qui n’était pas pour lui déplaire. Surtout qu’il pouvait goûter aux lèvres sucrées par la Mixture bue, ce qui n’avait là non plus rien de déplaisant. Les mains de l’homme commencèrent à passer dans le dos de la femme se pressant contre lui, mais cette dernière se recula, rompant le contact entre eux et faisant reprendre un semblant de contrôle à Akihiko. Elle le guida jusqu’au lit, où elle le fit s’asseoir et toujours avec son habituel sourire qui se faisait plus éclatant, lui retira son manteau, sa cotte de maille et sa tunique pour le laisser torse-nu. Enfin, elle fit quelque chose qui surprit le jeune homme. Elle le poussa sur le lit et le fit s’allonger sur le ventre. Ses doigts se posèrent sur sa peau nue, le doux contact le faisant frissonner.

« Passons donc à la suite… L’anatomie. »

Il se souvint donc en entendant ce mot : elle lui avait bien parlé d’apprentissage de l’anatomie sur le bateau, comme une des étapes pour maîtriser le tatouage. L’excitation chuta donc un peu, mais restait à des hauteurs qu’il avait rarement expérimentées dans sa courte vie. Comme si elle semblait lire dans ses pensées, Anthelia répondit à ses interrogations.

« Tu dois sûrement t’imaginer tout un tas de choses… Mais laissons-nous le temps, nous en avons plus que suffisamment. Maintenant, concentre-toi sur mes doigts. Tu te souviens quand je te parlais des différentes épaisseurs de peaux de cochon ? Oui voilà, en fonction de la partie du corps, notre propre peau est plus épaisse ou perméable à l’encre. Alors pour commencer, je vais te faire ressentir les différentes zones de ton dos pour que tu ressentes toi-même cette différence. Ensuite… Ce sera ton tour. » termina la jeune femme en soufflant ces derniers mots à l’oreille de Akihiko, ce qui lui donna la furieuse envie de se retourner pour l’attirer à lui. Mais les doigts experts de la jeune femme commencèrent à se poser, appuyer les différentes parties de son dos, expliquant leurs spécificités. L’omoplate où il avait son propre tatouage, avec sa peau fine mais très irriguée en sang. Celle le long de sa colonne vertébrale, elle aussi très irriguée mais plus charnue donc facile à pénétrer avec l’aiguille. La chair près des cotes et du bassin, épaisse mais sensible.
Les pulsions dévorantes de l’enchanteur se calmèrent peu à peu et il ferma les yeux, se laissant guider par les indications de sa professeure. Petit à petit, son dos n’eut plus de secrets pour lui. Et chacune des paroles d’Anthelia trouvait son sens avec ses propres expériences et sa logique : il était normal que les zones en haut de ses épaules soient plus dures vu les muscles qui se trouvaient en dessous, ou que le bas de son bassin soit une zone très simple à tatouer vu qu’aucun muscle ou articulation ne s’y trouvait. Tout le contraire de la colonne vertébrale, qui était une zone particulièrement douloureuse si on s’y prenait mal. Ses doigts se posèrent à un moment au niveau de sa cicatrice qui envahissait une partie de son épaule et elle fit courir le bout de ses ongles le long de la trace blafarde, remontant jusqu’à son bras.

« Tu vois, la plupart des personnes se font tatouer soit dans le dos ou sur les bras, soit sur le haut du torse ou le visage, quoi que plus rarement mais assez fréquemment quand même. Ce sont les endroits qu’elles peuvent le plus facilement exposer, volontairement ou « involontairement ». Regarde, la peau de ton bras est assez épaisse mais on sent les muscles en dessous, ce qui en fait une zone de tatouage très simple -et très prisée. L’intérieur de l’avant-bras et du poignet sont elles aussi très demandées mais comme tu peux le sentir, dit-elle en pinçant légèrement la partie nommée, la peau y est très fine. C’est une des zones les plus délicates avec le cou car le moindre coup d’aiguille un peu trop profond peut être très douloureux et même mortel dans le cou. C’est pourquoi tu devras attendre d’avoir pratiqué suffisamment avant de te lancer dans de tels tatouages. Tu peux littéralement tenir la vie de ton client entre tes doigts.

- Mmhmmh.

- Bien, maintenant pousse-toi. On échange. »

Akihiko se releva en sentant le poids de la jeune femme quitter son corps après qu’elle ait déposé un léger baiser sur son épaule, au centre de la Kizoku Hana qui était tatoué dans son dos. Il balança ses jambes en dehors du lit pour se lever, le fit en évitant de se cogner au plafond en sous-pente et à peine eut-il le temps de se retourner qu’Anthelia était allongée sur le lit, sa tunique beige au pied du lit. Elle tourna son visage vers Akihiko et vit la déception pointer sur son visage. Elle eu un sourire moqueur.

« Déçu de ne rien avoir vu ? Ne t’inquiète pas, ça arrivera bientôt, en temps voulu. En attendant, profite.

- Si tu me le demandes aussi gentiment… »

Akihiko se plaça au-dessus de la jeune femme, à califourchon au-dessus de ses cuisses. Il réprima les pulsions qu’une telle position faisait monter en lui au galop en se perdant dans les arabesques florales hypnotisantes et oniriques qui recouvraient la majeure partie du dos, le long de sa colonne.

Image

Il fit glisser ses doigts le long des courbes, pétales et autres pointes que traçait le tatouage, happé par la beauté et le talent nécessaire pour produire un tel tatouage. Il avait déjà eu l’occasion de le voir, mais ce n’est que maintenant qu’il apprenait à tatouer qu’il se rendait compte de la somme de travail abattu pour obtenir un tel résultat. Il se demanda s’il serait capable un jour de faire aussi bien avant de se reconcentrer sur sa tâche. De ses doigts, de la paume de ses mains, il explora la peau nue d’Anthelia. Étonnamment, ses pulsions disparurent à mesure qu’il s’immergeait dans l’exploration non pas du corps de la femme qu’il aimait, mais dans celle de la femme en générale. Il tâtait, appuyait, caressait, ressentait le grain de la peau et son épaisseur. Elle continuait de le guider en lui expliquant comment détendre la peau qu’il comptait tatouer, le dosage de la force dans ses pouces et ses bras pour masser et détendre le muscle en dessous, les différences subtiles entre le corps d’une femme et celui d’un homme, ainsi que tout un tas de petites astuces qui approfondirent sa connaissance de l’enveloppe charnelle des êtres humains. Elle glissa ça et là également des anecdotes sur la peau des autres races, comme celles des elfes, plus fine, ou celle des thorkins, plus épaisses.
Akihiko ne sut combien de temps ils avaient passé dans cette chambre, mais toujours est-il que la lueur vacillante de la bougie posée sur la petite table à côté du lit l’alerta que cette dernière allait bientôt s’éteindre. Il allait esquisser un geste pour se lever et aller en chercher une autre quand Anthelia pointa son index en direction de la flamme et l’éteignit d’un petit jet d’eau, plongeant la pièce dans le noir. Il entendit sa voix rompre le silence installé, avec des accents amusés et tentateurs dans la voix.

« Continue encore un peu dans le noir. Sans ta vue, tu ne ressentiras que mieux ma peau sous tes doigts. »

Cette nouvelle ambiance enflamma de plus belle les envies de Akihiko qui se fit violence pour les contrôler, une fois de plus. Il posa ses doigts fébriles sur la peau de la jeune femme et sentit très clairement cette dernière frémir au contact. Il tenta de se calmer et se concentra sur son apprentissage, découvrant avec une clarté accrue les variations de la peau. Mais plus ses mains parcouraient le corps de la jeune femme, plus sa concentration faiblissait. Ses massages et ses tâtonnements se transformèrent peu à peu en caresses. Anthelia, de son côté, commençait-elle aussi à s’abandonner aux mains de son amant, tarissant peu à peu ses indications pour ne laisser plus qu’échapper des soupirs de complaisance et de satisfaction. La nuit se poursuivit ainsi. Le temps se mélangea, s’étira, sembla durer une éternité. Et, sans qu’aucune parole ne soit prononcée, sans qu’ils ne s’en rendent compte, Akihiko se retrouva allongé à coté d’Anthelia, sous la couverture. Elle l’y rejoint, l’embrassa pendant de longues minutes. Ou bien était-ce des heures ? Il ne savait pas. Il n’y avait plus que le moment présent qui comptait. Il n’était plus qu’une sensation de bonheur et de complétude. Finalement, Anthelia sombra dans le sommeil, lovée contre lui, la tête posée dans le creux de son épaule. Akihiko ne sut jamais s’il rejoignit le monde des songes ce soir-là car, pour lui, il vivait déjà un rêve.


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Akihito
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Akihito » mer. 20 nov. 2019 09:58

Dans le chapitre précédent...

Deuxième Arc : L’art de faire parler la Foudre

Chapitre XLI.1 : Le manoir de Trish Jiila

La nuit passa et c’est un Akihiko de très bonne humeur qui ouvrit les yeux, principalement parce qu’il appréciait de voir que la jeune femme endormie dans ses bras n’était pas un rêve. Il embrassa son front et cette dernière réagit avec un petit « mmmh… » avant de se coller plus à lui, ce qui l’attendrit. Puis, il prit conscience que la jeune femme était aussi peu habillée que lui et que par conséquent, sa généreuse poitrine était en contact avec sa propre peau. Une sensation plus agréable que le reste, comme si la chair des seins d’Anthelia était plus douce que le reste de son corps. Cela lui fit monter le feu aux joues mais il se garda bien de se dégager : il ne voulait pas la réveiller et puis…

(Je ne vais pas m’effaroucher éternellement de ce genre de choses. Comme elle a dit, on passera aux choses sérieuses plus tard…)

(Mouais, le plus tard sera le mieux.)

(Tiens, bonjour Amy !) répondit Akihiko à sa Faëra, ne s’attendant pas à la voir émerger dans son esprit aussi tôt.

(Salut Akihiko. Oublie pas que tu as des choses à faire aujourd’hui, avec ce manoir.)

(T’inquiète pas pour ça, ça va bien se passer.)

(Tu m’as l’air bien optimiste ce matin.)

(Ah, bah faut dire que j’ai passé une très bonne nuit.)

(Je vois ça. Ahlala, où est passé mon Porteur timide et rougissant quand une jeune femme lui adressait la parole ? Qu’on me le rende !) fit semblant de se plaindre Amy.

(Tss, je sais bien que tu es contente pour moi.)

(Et oui. C’est toujours attendrissant de voir un jeune couple comme vous deux. Ca me ferait presque regretter des fois… Mais bon, je suis heureuse à travers toi en quelque sorte.)

Un silence, aussi bien auditif et que mental, s’installa. Akihiko passa de longues minutes à passer ses doigts dans les cheveux d’Anthelia, appréciant le contact soyeux des cheveux entre ses doigts. Son regard s’attarda sur la main qui la caressait et sur la cicatrice qui la parcourait. C’était bien la seule ombre au tableau de ces derniers jours. Sa peur de sa propre magie. Évidemment, Amy, malgré tout son savoir, n’avait pas pu l’aider à ce propos : son cas était tout ce qu’il y avait de plus unique et selon elle, seul le temps pourrait faire son office.
L’arrêt du balayement de ses cheveux réveilla Anthelia qui entrouvrit ses paupières lourdes de sommeil. Elle fixa son regard vert sur lui et un sourire étira lentement ses lèvres. Visiblement, elle aussi appréciait de se réveiller ainsi. Elle fit jouer ses doigts sur le torse de son amant puis se hissa à sa hauteur pour déposer un baiser sur la bouche de Akihiko, ce qui eut pour effet de lui transmettre son sourire.

« Alors, on apprécie la vue au réveil, Monsieur le Héros ?

- Plus que jamais. Bien dormie, mademoiselle ?

- Mmhmmh. J’avais un oreiller de premier choix après tout, plaisanta-t-elle, ce qui lui valut un rire et un baiser de la part de Akihiko.

- Je testerai alors, on échangera ce soir.

- Et qui te dit que l’on va dormir ensemble ce soir aussi ?

- Parce que tu crois que je te laisse le choix ? »

Ce fut au tour de la tatoueuse de rire. Ils passèrent encore quelques minutes enlacés, avant que la jeune femme ne se détache de lui -à son grand regret- pour s’habiller. Akihiko décida de ne pas regarder pour se réserver la découverte de son corps à un moment où il pourrait en profiter et ne pas provoquer des envies tout de suite. Encore que… Ils avaient encore le temps non ? Malheureusement pour lui, la jeune femme s’était déjà rhabillée. Il se leva donc à son tour, arqua un sourcil en captant les yeux dévorants d’Anthelia fixant son corps. Pour une fois où il pouvait lui aussi titiller la jeune femme, il prit tout son temps pour s’étirer avant de finalement s’habiller.

« Je vois que je ne suis pas le seul à apprécier la vue.

- C’est ça, fais le malin. On en reparle ce soir.

- Oh, mais j’y compte bien, dit Akihiko en appréciant la vue d’une Anthelia rougissante malgré son sourire.

- Et ton bras ? Tu ne ressens plus de douleur ?

- Non. Mais il y a toujours cette histoire de magie… Je n’arrive toujours pas à convoquer autant de magie que je le pouvais avant. Ca m’inquiète un peu, je t’avoue. »

Anthelia ne répondit rien. Ils en avaient parlé la veille et en étaient arrivés au même constat que Akihiko et Amy : le temps était la seule clé qu’ils voyaient. Mais comme ils devaient prendre d’assaut un manoir qui était supposément occupé par des bandits, cette limitation le gênait. Et s'il n’arrivait pas à utiliser ses fluides au moment où ils en avaient besoin ? Ce fut le principal argument d’Anthelia pour qu’il la laisse l’accompagner.

« Je comblerai ton manque de puissance avec ma propre magie. Je te laisse le soin de les arroser de petits sorts et moi, je m’occupe du gros œuvre. »

Il s’était laissé convaincre par cette proposition. Comme ils ne savaient ni l’un ni l’autre où se trouvait le fameux manoir, elle avait également proposé d’aller se renseigner dans la caserne située à l’extérieur de la ville : ils seraient capables de leur indiquer où étaient la bâtisse mais surtout, si ces fameuses rumeurs de bandits étaient vraies. D’accord sur le déroulement de leur début de journée, Anthelia quitta Akihiko pour aller chercher son équipement, resté chez ses parents d’adoption. Elle s’éclipsa après l’avoir embrassé une dernière fois, le laissant se préparer de son côté. Armes, potions, runes, armure, tout fut rapidement équipé de son côté. Il prit une profonde inspiration et se dirigea vers la porte. Il descendit la volée de marches et après un petit-déjeuner à base de pain, de miel et de lait, il sortit de l’auberge sous un soleil radieux. Direction : la porte nord de la ville, où Anthelia lui avait donné rendez-vous.


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Faëlis
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Faëlis » sam. 21 déc. 2019 14:12

Faëlis insista pour se rendre à la Tortue guerrière. Non seulement c'était une très bonne auberge, mais en plus, avec un peu de chance, il y retrouverait Aliéna. Ils laissèrent leur chevaux en pension avant de se hâter de rentrer, alors que la nuit tombait. Pourtant, à peine la porte était-elle poussée que... personne ne lui sauta dessus en le houspillant. Non, en fait ce fut une entrée tout-à-fait normale et décevante. Ils allèrent donc voir le propriétaire, Sam, pour commander leurs chambres. Le jeune homme aux cheveux ébouriffés était en train d'essuyer un verre :

« Bienvenue à la Tortue guerrière ! Toujours un plaisir de voir des aventuriers de passage... et tous ne me sont pas inconnus ! Combien de chambres ? »


« Trois, je vous remercie... »

Alors que les filles allaient s'installer pour le repas du soir, Faëlis resta un instant au comptoir, hésitant, puis demanda :

« Excusez-moi, avez-vous vu Aliéna récemment ? Une femme aux cheveux blancs, qui m'accompagnait la dernière fois... »

« Oh, oui, elle est venue seule, peu après que vous soyez parti, j'avais reçu un message pour elle et elle est repartie aussi sec. Mais depuis j'ai reçu un message, sans doute de sa part, pour qui la chercherait. C'est arrivé il y a quatre jours. »

Il tendit une lettre enroulée, écrite sur un papier assez élégant. Par Yuia, qu'est-ce que ça voulait dire ? Il déroula aussitôt le message pour le lire.

« Très cher Faëlis. Tout d'abord, félicitation pour avoir échappé aux émissaires chargés de t’appréhender. Tu auras peut-être noté qu'ils utilisaient un poison somnifère, en effet, le but n'était nullement de te tuer, mais plutôt de t'éloigner de certaines... fréquentations. Ce n'est pas grave, cet échec a eu une suite fort passionnante, la Rose Sombre ayant été une véritable épine dans notre pied. En attendant, je suis au regret de t'annoncer que ton amie humaine est partie te chercher dans les duchés, ce qui nous a permis d'intervenir. J'espère que tu comprendras que c'est pour ton bien, et que tu te garderas bien d'interférer.

Signé : Le Serpent »

L'elfe sentit son sang se glacer. L'oracle d'Oranan lui avait effectivement parlé d'un serpent... Ce sinistre individu, qui qu'il soit, en avait donc bel et bien après lui ! La Rose Sobre n'avait été qu'une mauvaise piste. C'est la mine sombre qu'il alla manger avec ses compagnes, sans échanger un mot de tout le repas. Aliéna. Aliéna était certainement en danger, et il ne savait même pas où elle était.

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Faëlis
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Faëlis » dim. 22 déc. 2019 21:32

De retour à l'auberge, Faëlis n'avait pas trop l'esprit à la fête. Pourtant, plusieurs personnes chantaient et dansaient. Alors que le soir amenait les ombres, la lueur des flammes ondulait avec eux, les spectateurs se rapprochaient, battaient des mains et riaient. Depuis ce matin, un couple de ménestrels était arrivé, apparemment, et ils faisaient de cette auberge une aire de fête. Tout en jouant de leurs instruments, l'homme chantait et sa compagne dansait. Cela fit soupirer l'elfe de nostalgie. Comme tout semblait vide, en l'absence d'Aliéna ! Il s'installa sur une table dans un coin, commanda un repas et mangea en silence.

Mais une dizaine de minutes plus tard, alors que la première partie de leur spectacle semblait terminée, les ménestrels se tournèrent vers lui et l'homme l’interpella :

« Holà, ami hinïon ! Ce n'est pas courant de trouver des bels gens par ici ! Accepteriez-vous de nous faire profiter de votre sublime voix ? »

En temps normal, une telle demande n'aurait inspiré à Faëlis qu'une acceptation immédiate ! Mais cette soirée était différente :

« Hélas, j'ai bien peur de ne point avoir l'âme à vous égayer ce soir... »

« Vraiment ? Hé bien le bon artiste profite de l'instant présent ! Chantez ou contez votre tristesse, et en retour, nous vous offrirons de la joie en égale quantité ! »


Allons, n'allaient-ils pas le laisser tranquille ? Mais voilà que tous les clients le regardaient ! Ils avaient vraiment l'air d'attendre... Faëlis soupira, cherchant dans sa mémoire quelque chose qui fasse écho avec son âme en cet instant de crépuscule où, plus que jamais, il craignait la nuit à venir. Sa vie, toujours sur le fil du rasoir, était à nouveau menacée... non, pas sa vie. Celle d'un être qui lui était chère. Encore. Il secoua la tête et se mit à réciter :

« Saëlwin était belle, des elfes la plus belle,
Vanéron était brave, le plus brave des mortels,
Leur destin, inconnu, était pourtant tracé,
Laissez-moi, doux hôtes, vous le raconter.

Quelles aventures pourraient troubler sa vie ?
Pensait la belle magicienne, regardant les étoiles,
Cherchant de son avenir, à percer le voile.
Alors que la fête l'entourait, elle se voyait partie.

Vanéron vivait d'oisiveté, mais le temps était long,
Il eut l'envie de découvrir quelque-chose de nouveau.
Vers de lointaines contrées, trouver un avenir plus beau,
Il laissa les richesses, laissa sa famille et fit son baluchon.

Deux âmes rêveuses sur une route, chacune en quête,
La vie leur semblait meilleure, mais toujours incomplète,
Jusqu'au jour où ils se croisèrent, et comprirent enfin,
L'avenir était pour eux deux, ils seraient ensemble demain.

Deux âmes unies, pour deux familles déchirées,
Des ambitions contrariées trouvaient là leurs faiblesses,
Des mariages arrangés, des désirs de richesses,
Depuis l'horizon, les cavaliers étaient lancés.

Tel de daim face au loup, ils prirent la fuite,
Mais c'était sans espoir, les chevaux galopaient.
Il fallait courir, la magicienne invoquait,
Le souffle de Rana, pour aller plus vite.

Ils traversèrent Nirtim, jusqu'à la mer,
Là, leur destin tragique semblait scellé,
Alors le vent, plus fort se mit à souffler,
De la société, ils voulaient échapper aux fers.

Ils s'envolèrent, mais même par-delà les mers,
Les cavaliers, jamais ne les lâchèrent,
Le vent était plus fort, la course plus rapide,
Mais le destin triomphe des plus intrépides.

Épuisé, Vanéron se laissa tomber, voulut les retenir,
Mais Saëlwin pleura et invoqua les dieux.
Leurs destins étaient de se croiser, pas de mourir,
Alors ils répondirent, et elle s'envola vers les cieux.

Les cavaliers s'envolèrent avec, disparurent en mer
Parti était l'amour, ne laissant que larmes amères.
Guidé par sa lueur, les yeux au ciel, l'homme mit les voiles
Car là-haut, étincelante, la belle brillait parmi les étoiles. »


Le silence retomba. Pendant un instant, plus personne ne dit rien, si bien que Faëlis se sentit forcé de conclure :

« Voyez-vous, il semble que le destin, toujours vous échappe. C'est une terrible tâche, et pourtant inévitable, de suivre celle qu'on recherche, alors qu'elle semble à jamais hors d'atteinte... »

Nouveau silence. Bientôt trouvé par des sons de cordes pincées. Le ménestrel déclara de sa voix chantante :

« Bien tristes pensées, en effet, en ces temps de fête. Mais savez-vous bien quand nous sommes ? Nous sommes au temps du Père No-Hell ! Ne vous attristez pas, en ces temps merveilleux, vous pouvez obtenir votre vœu le plus cher ! Demandez-lui sincèrement, et le père No-Hell vous l'accordera ! »

Alors, il se mit à chanter. Il chanta sur un curieux vieillard, à l'armure écarlate et au sac débordant de cadeau.

« Pour tous les enfants, mais aussi les plus grands, il vient,
Il visite les gens dans le besoin, et tous ceux qui ont du chagrin.
Il aime boire et bien manger, car il aime la vie et la gaîté,
Mais prenez garde à ne pas le fâcher, car sa colère est redoutée,
Conquérant du bonheur, des avares, il apporte le malheur,
Mais pour ceux qui demandent le meilleur, il est toujours à l'heure !
Demandez-lui ce que vous voulez, et cela vous sera accordé,
N'oubliez jamais qu'en ces brèves journées, il fait sa tournée ! »


Faëlis l'écouta avec un soupçon d'incompréhension. Apparemment, tous les humains dans la salle savaient de quoi il parlait. Mais lui, l'ignorait vraiment ! La fête reprit, et Faëlis se permit d'y prêter plus attention, et même d'accorder quelques sourires. Les chansons liées à ce Père No-Hell avaient quelque chose de remarquablement entraînant ! Puis, alors que la nuit était bien tombée, les gens commencèrent à partir se coucher. Mais avant cela, la femme vint le rencontrer pour lui rappeler :

« N'oubliez pas de demander au Père No-Hell. Ça ne coûte rien d'essayer, et je vous assure que certains sont exaucés. »

C'est avec l'esprit un peu embrouillé que Faëlis partit se coucher. Dehors, le froid s'était emparé de la rue. L'hiver venait... Alors qu'il était couché, il n'arrêtait pas de se demander quoi penser de cette farce. Un gros bonhomme qui exauce les vœux ? Quelle imagination, ces humains ! Et pourtant... s'il y avait bien une chose qu'il avait apprise, c'est que le monde contenait bien des merveilles inconnues. Tel Saëlwin et Vanéron, il était parti en voyage, un voyage qui jamais ne semblait devoir s'arrêter. Il avait vécu tant de choses incroyables... la perte de Célimène qui l'avait jeté sur les routes, un manoir maudit dont peu étaient ressortis, une planète dévastée à laquelle il n'avait même pas pu dire au revoir, une guilde déchirée dans laquelle il avait rencontré des amis bien vites repartis... pour une fois, il avait peut-être besoin de penser à quelque chose de positif. Après tout, comme disait la ménestrel, ça ne coûtait rien d'essayer...

Alors il redescendit et acheta une bouteille d'alcool fort et quelques fruits confits qu'il déposa en offrande devant sa fenêtre, à tout hasard. Puis, il s'endormit en demandant :

(Ô Père No-Hell, j'ignore comment les humains vous invoquent, alors j'espère que mes paroles maladroites parviendront jusqu'à vous. J'ai déjà perdu trop d'êtres chers, vu trop de compagnons partir. Si vous avez à cœur le bonheur des gens, sachez que le mien tient en une chose : retrouver mes amis... retrouver Aliéna.)

Il répéta la première, encore et encore, formulant de différentes manières en espérant que l'une serait meilleure. Parfois, il se sentait ridicule, surtout quand il lui semblait commencer à y croire... Mais en cet instant, il avait vraiment envie de croire en quelque chose de bon sans ce monde.

(((Je souhaite de tout cœur avoir un moyen de localiser Aliéna, et tous mes amis perdus [:coeurs:] )))

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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Gamemaster6 » sam. 28 déc. 2019 00:24

Intervention du Père No-Hell pour Faëlis

Éloignés, disparus. Des êtres chers que l'on aimerait revoir en cette période de l'année. Tu espères, demande l'aide à ce personnage mythique malgré que tu trouves cela ridicule. Pourtant, en ouvrant les yeux, tu remarques un changement. La bouteille est vide, les fruits disparus, et à la place un étrange collier est posé sur le rebord de la fenêtre. Des courbes épurées, sûrement créé par un orfèvre d'exception. En le touchant, tu le ressens, le mets aussitôt et, d'une simple pensée il s'agite, se tend légèrement vers une direction, dans le lointain. Suis-le, tu la trouveras, Faëlis.

Collier sourcier : En se concentrant sur le visage d'un être cher, le collier se tend alors dans la direction où se trouve cette personne, peu importe la distance. Lorsque celle-ci est proche, il scintille légèrement et redevient inerte lorsque Faëlis touche celui ou celle qu'il recherche ardemment. Il faut un lien fort pour que le collier agisse, sinon il reste inerte.
Image

Quand on l'appelle, il apparaît !!
Et il reste, alors gare !

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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Faëlis » mar. 7 janv. 2020 16:57

Au petit matin, l'elfe se leva avec une certaine mélancolie. Quel idiot il avait fait de croire en tout cela. Des offrandes et des prières pour le père No'hell ! Qu'est-ce que les déesses, celles qui existaient vraiment, devaient penser de lui ! Il tendit la main vers la bouteille d'alcool... et la trouva vide. Les fruits qu'il avait déposés avaient également disparu. À la place, il y avait un collier. Absurde ! Quelqu'un... quelqu'un était passé dans sa chambre et lui avait fait une mauvaise farce ! Il vérifia son argent mais trouva tout en place. Il se saisit du collier, pour le moins élégant quoique son style ne relève d'aucun style artistique qui lui soit connu. Il eut une pensée pour Aliéna... et aussitôt, le collier se tendit dans une direction !

C'était complètement fou ! Il n'osait tout simplement pas y croire. Il ramassa ses affaires et descendit pour aller chercher les ménestrels qui lui avaient raconté l'histoire la veille au soir. Comme il ne les trouvait pas, il demanda à l'aubergiste, qui lui confirma qu'ils étaient repartis dans leur voyage tôt le matin. Comme l'elfe lui demandait, il assura d'un air un peu offusqué que personne n'avait pu pénétrer dans sa chambre.

Sans doute faudrait-il se contenter de savoir qu'il n'y aurait pas de réponse... Mais si ce collier pointait vraiment vers Aliéna... c'était un véritable don du ciel ! Il rassembla ses affaires et alla seller Halcion.

« Tu y crois, toi, à cette histoire ? »

Le cheval lui répondit par un regard qui aurait paru hautain au roi des chats.

« C'est bien ce que je pensais. »

Mais c'était sans importance : il avait une piste et Aliéna était probablement en danger ! D'une manière ou d'une autre, il la retrouverait pour...

… se faire à nouveau insulter ? Crier dessus ? Se sentir frustrer de ne pas pouvoir la toucher alors que d'autres pouvaient ? Qu'elle laissait d'autres la toucher justement pour le frustrer ? Et ne plus risquer de se faire tuer par elle ? Menacer par elle ? Elle la servante d'Omyre qui ne s'était jamais repenti qu'en sous-entendus méprisants autant pour ses anciens maîtres que pour celui qui l'avait tiré de là ?...

… bref, il la retrouverait quel qu'en soit le prix !

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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Harmonie » mer. 22 juil. 2020 21:25

Mélange de vinasse, cacophonie et éclairage à la bougie fondue bon marché voici l’accueil que réserve l’auberge de la tortue guerrière aux voyageurs de passage. Derrière le bar, un homme dont il semble impossible de déterminer la tranche d’âge ainsi qu’une femme, s’apparentant à sa compagne étant donné la proximité physique entretenue entre les deux individus. Certes, l’ambiance n’est pas des plus accueillantes, mais il faut bien commencer quelque part pour gagner son pain. C’est alors qu’Harmonie se dirige d’un pas ferme et décidé vers le comptoir, déterminée à quérir un poste, peu importe sa nature.

Virevoltant entre les tables, la jeune femme se déplace avec une telle grâce, qu’elle parvint à bon port sans percuter aucune table (bien que nombreuses et rapprochées) ni renverser la serveuse. Elle prend alors un ton ferme et décidé.

« Aubergiste, j’ai besoin de gagner des yus, peu m’importe la tâche que vous me confirez ».

L’aubergiste scrute la jeune effrontée de haut en bas, d’un air dédaigneux, avant d’envoyer gentiment promener cette dernière dont le comportement trop direct mérite un recadrage immédiat.

« Il n’y a pas de place pour toi ici gamine. Ni de quoi faire dans les parages. Cependant, si le ton était de rigueur, tu aurais sûrement plus de chance de décrocher un emploi ou du moins quelque chose te permettant de subvenir à tes besoins vitaux. Si ce n’est pas pour consommer, passe ton chemin ».

(D’accord, donc pas de cheval, pas de rentrée pécuniaire, pas de job, une bonne journée en soi.)

Totalement désemparée par cette réponse, Harmonie se permet de prendre son plus beau sourire et de remercier l’aubergiste avant de tourner les talons et quitter les lieux. Peut-être aura-t-elle plus de chances en intégrant la milice kendrane avant le grand départ.

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Ulric
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » mer. 3 févr. 2021 22:21

Précedemment

Ulric se réveilla un peu avant l’aube le lendemain, alors que le souvenir d’un rêve sans queue-ni-tête dans lequel ses anciens compagnons le poursuivaient, montés sur des poissons frits géants, se dissipait rapidement de sa mémoire. Il se redressa dans l’obscurité fraiche de sa chambre d’auberge et s’arrêta un instant, toujours dans son lit, en se demandant pourquoi donc son esprit jugeait nécessaire de générer des images aussi absurdes durant son sommeil.

Il écarta rapidement la question : il avait faim et avait des questions bien plus intéressantes sur lesquels se concentrer, maintenant qu’il était éveillé. Il sortit de son lit, se frictionna vigoureusement le visage afin de chasser les dernières bribes de sommeil qui subsistaient, avant de réarranger grossièrement sa longue tignasse aile-de-corbeau avec ses doigts. Ensuite, il descendit au rez-de-chaussée et commanda un petit-déjeuner chiche, autant que sa bourse de plus en plus maigre pouvait lui offrir.

Ce petit interlude à l’auberge avait été reposant, en omettant sa découverte de l’épuisement magique.

(Dire que j’avais plusieurs fioles de fluides sous les yeux que j’aurais pu voler en même temps que le grimoire !), pensa-t-il.

Mais il n’avait pas pleinement réalisé leur importance alors. Il n’avait jamais pu tester les limites de ses pouvoirs, puisqu’il ignorait en grande partie comment s’en servir jusqu’ici. Il continuerait ses exercices jusqu’à ce qu’il parvienne à lancer le Voile des Ténèbres, tel que le grimoire le décrivait, mais, ensuite, sa priorité serait sans doute de trouver un moyen de se procurer des fluides, et assez de yus pour ne pas mourir de faim, s’il voulait continuer sur sa voie.

Après avoir terminé une tranche de pain sec, dernier vestige de celui cuit la veille, Ulric repartit retrouver le calme relatif de sa chambre alors que les autres clients de l’auberge commençaient petit à petit à emplir la salle principale de leur brouhaha.

Sa nuit de sommeil ayant reconstitué ses fluides, il pouvait reprendre ses exercices pour tenter de maitriser le Voile de Ténèbres. S’il s’était concentré sur la technique à proprement parlé les jours précédents, il essayerait de travailler sa vitesse d’exécution durant cette matinée.

L’apprenti mage remit en place son petit dispositif, mais de façon à de nouveau couvrir une zone réduite, comme lorsqu’il avait commencé son entrainement. Il se concentra et diffusa ses fluides vers la petite zone pour s’emparer les ombres dansantes que projetait le cierge, tels des fils qu’il accrocherait à une marionnette pour la manipuler.

Il tenta à nouveau de tirer sur les ombres, pour les étendre en un dôme d’obscurité comme il l’avait déjà fait auparavant, mais de façon rapide, presque d’instinct. La précipitation le fit à nouveau échouer plusieurs fois, là où il avait déjà réussi auparavant, mais, à force de répétition, il parvint à exécuter le sort de plus en plus rapidement.

Après une matinée d’exercice, il parvint à nouveau à couvrir une zone aussi grande que la veille, mais avec d’avantage de facilité et de célérité.

Satisfait de ses résultats, il s’accorda ensuite une pause afin de récupérer un peu avant d’aller plus loin, et s’allongea sur son lit. A présent, il se pensait suffisamment prêt pour tenter de lancer le sort à proprement parlé, et non plus de contenter de petits exercices.

Sa pause terminée, il se redressa et récupéra sa dague, toujours plantée dans le sol. D’après les descriptions et annotations de son grimoire, il devrait être capable de chasser toute lumière de sa chambre exigüe, et n’aurait donc besoin de ses repères visuels au sol.

Ulric se tint debout au centre de la pièce et se concentra sur ses fluides, les faisant circuler un instant dans son corps. Il les diffusa ensuite tout autour de lui pour prendre le contrôle des ombres de la pièce, en essayant d’allier technique et vitesse. Les ombres les plus proches de lui s’animèrent d’abord et commencèrent à ramper au sol, avant de chasser la lumière et d’envahir le centre de la pièce comme une tâche d’encre se répandant sur le papier. La zone s’étendait de plus en plus loin mais, alors qu’elle commençait à dépasser en taille de façon notable celles qu’il avait déjà créées durant ses exercices précédents, Ulric perdit sa concentration et les ombres contre-nature disparurent en un battement de cils, comme si elles n’avaient jamais été là.

(Merde !), jura-t-il dans sa tête (Ca avait pourtant bien commencé !)

Essayant de ne pas laisser la frustration le déconcentrer plus qu’il ne l’était déjà, Ulric reprit ses esprits et élança à nouveau ses fluides dans la pièce. Il appréciât un instant les liens invisibles que ses fluides avaient tissés entre lui et les ombres alentours, et tenta à nouveau de les plier à sa volonté. Cette fois-ci, il se surprit lui-même de la vitesse à laquelle elles lui répondirent, car, un instant plus tard, il se retrouva lui-même complétement aveuglé. Malheureusement, cet aveuglement soudain lui fit à nouveau perdre sa concentration et la lumière de la pièce revint à la normale. Il n’avait pas vu jusqu’où il avait réussi à étendre la zone mais, s’il avait réussi à l’élever jusqu’au niveau de ses yeux, il ne devait pas être très loin de l’objectif. Il fallait surtout maintenant qu’il réussisse à garder sa concentration afin que le sort arrive à fruition.

Ulric se prépara et, lors de l’essai suivant, l’aveuglement soudain ne le surprit plus. Bien qu’il ne parvînt pas à assombrir la pièce aussi vite que la fois précédente, il sentait qu’il approchait de la limite de la zone qu’il pourrait ensorceler avec ses pouvoirs encore limités. Il tenta de pousser encore un peu les ombres et, surtout, de les maintenir en place. Il y parvint un court instant, mais couvrir une aussi grande zone lui demandait encore beaucoup de concentration. La lumière reprit sa place dans la pièce, alors même que les prémices d’un mal de crâne faisaient la leur dans la tête de l’apprenti scotomancien. Son entrainement prenait son dû sur lui, et pas seulement en fluides. Sans doute que son corps et son esprit, encore peu habitués à une pratique intensive de la magie, s’accoutumeraient avec le temps mais, pour l’instant, il devrait se ménager pour que ce type de désagrément ne le stoppe pas complétement.

Ainsi, il s’accorda un instant pour récupérer avant de reprendre. Il se reconcentra sur ses fluides et les fit circuler partout dans son corps. La sensation de froideur moite des fluides d’ombre, à présent plus familière, se rependit sous sa peau, avant de la traverser par chaque pore alors qu’il les projetait hors de lui.

Sous son commandement, les ombres s’étirèrent sur le sol avant d’envahir l’air ambiant, comme une tâche d’encre souillant un parchemin. L’obscurité envahit bientôt toute la pièce exigüe. C’était comme si Ulric avait posé une énorme cloche opaque sur sa chambre d’auberge. Il contempla, si on pouvait employer ce mot, comme il n’y voyait plus rien, l’effet de son sort, euphorique.

L’obscurité ne se dissipa pas, il pensait enfin avoir réussi à lancer le sort, et pas seulement un simulacre de celui-ci !

La lumière reprit ses droits après un moment. L'apprenti sentit cependant ses fluides à nouveau vidés, bien qu'il commençait à apprivoiser la sensation. Mais cela n'amoindrit pas la satisfaction qu'il ressentait. Ce sort serait définitivement utile, surtout s'il suivait le sinari (quoiqu'il n'était toujours pas sûr que c'en était bien un), qu'il avait rencontre la veille, dans son plan mystérieux. Il devrait juste se rappeler de ne l'utiliser qu'en cas de nécessité, comme il ne semblait pas capable de le lancer à pleine puissance plus d'une fois.

Le sinari (qui ne lui avait révélé aucun nom, d'ailleurs) lui avait donné rendez-vous le lendemain. Ca lui laissait le temps de récupérer pour une dernière nuit, au moins. Après, il n'aurait plus assez de yus pour rester de toute façon.

La nuit passa tranquillement et, tôt le matin, Ulric régla une dernière fois ce qu'il devait à l'aubergiste, qui avait l'air soulagé de le voir libérer sa chambre pour d'autres clients, après avoir mangé et récupéré ses quelques possessions. Le petit homme ne lui avait donné rendez-vous qu'au soir, mais peut-être qu'il pourrait mettre sa journée à profit pour voir si quelqu'un le connaissait et aurait peut-être idée du genre de plan foireux dans lequel il s'était encore engagé.

Vers les rues

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Ulric
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Re: L'Auberge de la Tortue Guerrière

Message par Ulric » sam. 2 avr. 2022 04:55

Précedemment

Ulric se redressa et posa pied sur le plancher de bois. Le simple fait de bouger raviva la douleur dans ses muscles et balafres. Instinctivement, il ramena la main aux profondes entailles sur son visage. Elles faisaient encore un mal de chien et le goût métallique du sang lui emplissait la bouche en permanence, mais elles cicatrisaient plutôt bien. C’était un petit miracle qu’elles ne se soient pas infectées, pensa l’apprenti mage en repensant aux griffes immondes qui les avaient infligées, bien qu’il lui fallût remercier Nyklaus pour cela bien plus qu’une quelconque intervention divine. En effet, avant qu’il ne regagne la surface, le nécromant avait pris le temps de recoudre et désinfecter les blessures infligées par sa propre goule avec les moyens du bord. Pas toutes, cependant, juste celles qui semblaient supplier la gangrène de venir faire son nid dans leur chair cramoisie. Sa générosité avait ses limites. Peut-être espérait-il juste qu’Ulric reviendrait le distraire quelques jours plus tard s’il survivait jusque-là ?


L’apprenti mage ne savait toujours pas quoi penser du nécromant. D’un côté, il s’était révélé être dangereux de traiter avec lui, d’un autre, il était le seul autre mage d’ombre qu’Ulric connaissait. Ce serait du gâchis de ne pas tenter d’en apprendre plus auprès de lui sur leur magie commune, peu importe le paiement farfelu qu’il demanderait en échange. Cependant, comment se comporter avec quelqu’un qui semblait aussi susceptible de le faire prisonnier que de lui enseigner un sort ? Ou qui était capable de lâcher sa goule à ses trousses tel un chien de garde, pour ensuite panser ses plaies avec la même attitude désinvolte ? Il était dangereux, oui, mais bien pire que cela aux yeux d’Ulric, il était imprévisible.


Cependant, les pensées d’Ulric furent soudain interrompues lorsque son regard fut attiré par quelque chose. Posée à même le sol au pied de l’étroite fenêtre qui donnait la Grand Rue, se trouvait une petite boite rouge qui n’était clairement pas là la veille. Quelqu’un était-il venu la déposer pendant la nuit ? Il n’avait pourtant entendu personne, mais la simple idée qu’un inconnu se soit approché de lui pendant son sommeil entrainât une réaction paniquée. Il se rua sur sa vieille sacoche et l’ouvrit, les doigts fébriles. Son grimoire était toujours là. En dessous de celui-ci, sa main rencontra la petite bourse dans laquelle il gardait ces étranges pierres gravées de runes qu’il avait trouvé. Il l’ouvrit et fut rassuré de voir qu’elles étaient toutes toujours là. Sa bourse de yus, également, n’avait pas bougé.


A présent rassuré qu’il n’avait pas été volé, une question subsistait : qu'il y avait-il dans la boite, et qui l’avait déposée-là ? Peut-être était-ce un avertissement de son ancien gang lui signalant qu’ils savaient où il était ? Improbable, jaugea-t-il, ils n’avaient jamais été adeptes de la subtilité. Si Jan ou n’importe lequel de ses laquais l’avaient surpris dans son sommeil, ils se seraient contenté de lui ouvrir le bide d’un coup de dague, nul besoin de laisser des paquets mystérieux pour cela. Le meilleur moyen de le savoir restait de l’ouvrir. L’apprenti mage mit un genou au sol et retira le couvercle d’un geste impatient pour en découvrir le contenu.


« Que ce que c’est ce merdier ? » , se demanda-t-il à voix haute, dépité.


Il n’était pas sûr de ce à quoi il s’attendait, mais ce n’était certainement pas à ça. Posés en vrac dans la boite, il trouva la figurine d’un ours brun jouant du tambour, un bout de parchemin cacheté garantissant un aller simple en aynore, deux bonhommes de pain d’épice affublés d’une étiquette sur laquelle on pouvait lire « biscuits magiques contre la faim », et un petit paquet de papier qu’il s’empressa d’ouvrir. À l’intérieur, il fut surpris de découvrir quatre nouvelles runes. Le contenu de la boite était déjà bizarre sans elles, mais là, il ne savait vraiment pas comment expliquer comment des artefacts aussi rares s’étaient retrouvés là, au milieu d’une collection d’objets aussi incongrues.


Il rangea les runes avec celles qu’il possédait déjà. Ça lui en faisait quoi, sept à présent ? Il était sans doute temps d’en apprendre plus à leur sujet. Il se rappela qu’il y avait une boutique magique non loin de l’auberge. Peut-être que l’enchanteur qui la tenait pourrait lui donner plus d’informations quant à leur origine et leur utilisation ? Et si possible, sans poser de questions sur d’où il les tenait.


Cependant, en se redressant, Ulric vit qu’il restait quelque chose au fond de la boite. Un petit bout de parchemin plié en deux. Il s’en empara et le déplia, seulement pour découvrir écrits en lettres calligraphiés les mots « Ho ho ho » dessus.


« Gros taré », murmura-t-il à l’adresse de son mystérieux bienfaiteur.


Il jeta le parchemin par-dessus son épaule alors qu’il quittait sa chambre d’auberge, en direction du vieux Moboutou.

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