VIII 12 Converser avec la panseuse.
Après l’entrevue avec la penseuse, je n’ai qu’une envie, flâner un peu dans les rues de la petite cité des lutins. Quelle douce vie ils mènent ici ! Je comprends pourquoi Huguette a décidé de garder cette taille pour y vivre, malgré le danger que cela représente d’être aussi petit. Un chat est adversaire dangereux. Je marche suivant mes envies et à présent, c’est vers le marché que je me laisse vagabonder, me laissant enivrer des effluves bien différentes des denrées ici. Difficile ici de faire cuire les poulets par trois sur des pics. Vu la taille des fruits et des légumes, trois tomates, deux patates et quelques raisins peuvent subvenir au besoin de pas mal de lutins pour la journée.
(J’aimerais bien que Sylve soit présente pour le voir !)
La pensée de retrouver la semi-elfe m’inflige une nostalgie que je ne pensais pas avoir. Cependant, je n’ai pas le temps pour approfondir la question qu’une douleur me parcourt la main. Comme si un fulguromancien invisible s’amusait à cibler précisément cette partie de moi. La douleur, proche d’une piqûre, mais en de nombreux endroits de la main à la fois, devient de plus en plus forte et c’est en la secouant vivement que je tente d’échapper à cette douleur étrange à l’origine inconnue.
"Un problème ?" Fait une voix que je reconnais pour m’avoir accueillie ici.
Equipée d’un panier, de quelques provisions et toujours armé de sa lame qui ne la quitte pas, c’est le moment que Nadine a choisi venir se fournir à manger.
"Bonjour Nadine ! Oui c’est…je ressens une douleur dans mon bras, c’est arrivé comme ça, sans prévenir ! C’est encore un tour de vos lutinos ?" Fais-je avec un sourire teinté d’une grimace de douleur.
"Les lutinos ? Non, ils ne sont pas du genre à faire mal, physiquement en tout cas ! C’est quel genre de douleur ?" Demande-t-elle.
"Là je…" Fais-je interrompu par un sursaut de douleur. "Comme une grosse décharge…électrique !"
"Rassure-moi, tu as pris tes doses pour garder ta taille ?" Poursuit-elle après avoir réfléchie.
"Mes doses ? Mais non, je n’ai rien pris ! J’ai décidé de ne pas garder cette taille et…" Fais-je avant d’être interrompu subitement.
"Tu n’as pas… ?" Fait-elle, comme si elle réfléchissait à voix haute, avant de hurler subitement à en rameuter tout le monde jusqu’à Tulorim.
"OLIVE ! OLIVE !" Puis plus bas.
"Nom d’une groseille, je l’ai vu il n’y a pas cinq minutes !"
Après une légère inquiétude, une expression que je vois rarement sur le visage des lutins, elle se fige d’un visage sérieux lorsqu’un lutin, vient à nous avec une énorme groseille dans la bouche.
"Goui ? Chechilla ?" Tente-t-il de parler.
"Je crois que ça commence !" Répond-elle comprenant visiblement les propos incohérents du lutin.
"Mais qu’est-ce qui commence ?" Fais-je.
La réponse me frappe au visage et ce n’est pas qu’une façon de parler. La douleur de ma main s’estompe lorsque celle-ci prend une taille énorme pour mon corps rétréci et mon pouce grandit si vite qu’il vient à me frapper moi-même en pleine face, avant de tomber au sol par le poids trop important de mon membre disproportionné. Tout aussi surpris que moi, Olive serre brutalement les dents et du jus de groseille se voit projeté sur Nadine.
"Ha ça, c’est fâcheux !" Déclare Olive retirant le restant de groseille de sa bouche pour parler.
"Oui je venais de laver mes vêtements !" Se lamente Nadine.
"Ce n’est rien, je pense avoir de quoi nettoyer tout ça rapidement !" Répond le lanceur de jus.
"Merci, tu me sauves la vie !" Se rassure la lutine tachée.
Moi, je reste là à les regarder parler nettoyage de groseille alors que ma main est plus grande que moi.
"Heu…dite, sans vouloir passer pour le centre du monde, on peut revenir à mon problème ?" Fais-je incrédule entre mon changement brutal et la réaction surnaturelle des lutins.
"Ha ça ! T’es juste en train de reprendre ta taille normale." Explique tout simplement Olive.
"Tu as repensé aux grands-pas, je me trompe ? Le désir de partir un facteur déclencheur à la reprise de la taille, sans dose supplémentaires !"
"Ou plutôt à l’une d’entre eux !" S’amuse Nadine en donnant un coup de coude complice à Olive, rapport à ma réputation de Nhaundar l’amoureux qui sévie en ville.
"Par contre on est en plein milieu du village là, il va tout ravager !"
"Ouaip !" Renchéris simplement Olive, sans visiblement aucun souci pour l’état du village à venir.
"En plus, tous les autres sont partis faire un tour ! On risque pas de trouver une monture pour le sortir rapidement !"
"Bon et bien on n’a plus qu’à faire ça à l’ancienne !" Déclare Nadine en portant ma main, aidée par Olive. Puis elle me regarde, ne comprenant pas mon état immobile.
"Par contre si tu pouvais te mettre à courir ça serait sympas pour les lutins qui habitent dans le coin !"
Sans plus attendre et avec une main géante, je cours en direction de la sortie de la ville la plus proche, celle qui permettrait de m’éloigner le plus rapidement des habitations : l’épouvandétail. Dans notre course contre le temps et l’écrasement, ma main finie heureusement par reprendre sa taille normale, du moins pour quelqu’un d’aussi petit. Pourtant, cela ne semble pas rassurer mes compagnons pour autant.
"Nadine éloigne-toi !" Lui ordonne Olive en la tirant loin de moi.
La raison m’est étrangère, alors que je parviens enfin à courir sans problème. Hélas, cela ne dure qu’un temps, comme le soupçonne Olive. La décharge électrique m’atteint cette fois à la tête et rapidement, je vois le village des lutins d’une position bien plus haute qu’à mon habitude.
(Ha ? Antonio devrait nettoyer un peu plus son toit !)
Ce petit détail passé, un autre me pose problème. Si je suis un bon mage, je ne suis cependant pas doté d’une habileté physique importante. Mon corps portant ma grosse tête ou ma tête portée par mon petit corps, est pour moi un défi irréaliste en pleine course. J’ai beau faire des efforts pour garder l’équilibre, même aider par Nadine et Olive, je suis forcé d’examiner le sol de très près et très vite. Un peu trop à mon goût. Je m’écrase face contre terre, plaçant mes mains en avant pour me protéger dans un acte vain, au vu de la petitesse de mes bras.
"Allez Nhaundar debout ! C’est pas le moment de prendre la grosse tête !" M’aident Olive et Nadine.
Tous deux portent ma tête, mais ce n’est que lorsque celle-ci se réduit secondes plus tard que nous reprenons enfin notre course. Attiré par le raffut que nous faisons, autour de nous les lutins commencent à sortir des bâtiments pour nous observer. Par expérience, Olive et Nadine s’écartent de moi et avec raison. La décharge électrique m’afflige cette fois-ci aux pieds. Une chance dans mon malheur, ce sont les deux qui se voient atteint par la géantification. Un sur deux aurait été particulièrement problématique vu ma situation. Le poids actuel de mes nouveaux super-membres sont tout autant une gêne pour courir ou simplement, mettre un pied devant l’autre. Cependant, il faut compter sur l’ingéniosité des lutins et l’adresse de Nadine pour nous permettre d’avancer malgré ce handicap.
"Olive, on fait un presse-raisin !" Lâche-t-elle à son comparse.
"C’est parti !" Lui répond-il avec un soupçon de malice dans la voix.
Qu’est-ce qu’un presse raison selon les lutins ? Il est difficile de définir s’il s’agit d’un système similaire à ceux des grands-pas, mais dans ma situation, le presse-raisin semble être une machine rotative dont les pieds ,opposés l’un à l’autre, avancent un pied après l’autre en tournant. Tandis que Nadine attrape une de mes jambes pour me forcer à la plier et ainsi avoir deux pieds orientés dans des directions opposées, elle exerce une pression sur le sol lorsque le pied où elle se trouve touche terre pour forcer la rotation et nous permettre d’avancer. Olive lui, fait de même en poussant avec mon autre pied. Me voilà ainsi à faire de petits bonds tout en roulant, un pied après l’autre, dans un étourdissement total de mes sens et sous les acclamations des lutins, ravies de voir un spectacle aussi unique et divertissant. Cette course à rebond se termine lorsque mes pieds reprennent une taille adéquate pour mon corps, nous propulsant tous en avant après un ultime bond. Olive finit sur les fesses et moi face contre terre prêt complètement déboussolé. Seule Nadine se réceptionne sur ses jambes en saluant la foule en délire.
"On met trop de temps pour sortir du village !" Déclare-t-elle.
"Seule une monture pourrait le sortir d’ici avec ses multiples géantifications !"
"J’y pense que maintenant, mais il y a toujours celle que l’on a offerte à Nhaundar !" Se souvient Olive.
Les yeux de la lutine s’arrondissent, son sourire malicieux s’affiche et ses doigts se fichent dans sa bouche, provoquant un sifflement dans tous le village.
"MAAAANGE-BOOOOTE !" Hurle-t-elle.
Lorsque je reprends conscience de mon entourage, je vois un énorme monstre baveux se ruer sur nous. Olive lui, attrape une de mes jambes, exhibant mes bottes à la vue du quadrupède adepte d’un type de course très particulier.
"Tu fais quoi Olive !" Fais-je inquiet.
"On n'a pas le temps de te faire monter, tu dois sortir d’ici au plus vite !" Répond Olive en secouant ma bote, avant de héler à son tour le canidé.
"Allez viens mon grand ! Hou quelle est belle cette botte !"
"Ho non, pas Mange-botte !" Fais-je en comprenant ce qui va m’arriver.
"Allez mon beau, file là-bas !" Hurle à son tour Nadine au chien.
Trop heureux de pouvoir boulotter à nouveau mes bottes. Le Corgy attrape ma jambe à pleine gueule et m’emporte dans la direction désignée par la lutine. La course est rude, brutale, mais bien plus rapide à présent ! De plus, je sais comment résister au contact répété entre les nombreux aléas du terrain et mon corps. Usant de mes fluides avec une certaine difficulté, je dois l’admettre, j’arrive au bout de quelques essais à me protéger grâce à un bouclier de pierre. Durant cette course folle, mon corps ne cesse de subir des changements partiels du corps. Le plus douloureux reste lorsque mes cheveux ont repris leur taille normale, immense pour mon petit corps, et se prenant dans tout ce qui passe en chemin. Nous passons encore devant des maisons, lorsque mes douleurs se font ressentir dans tout mon corps à la fois, preuve que mon changement passe à l’étape finale. La douleur s’accroissant et devenant insoutenable, je hurle à plein poumon. Une motte de terre sur le chemin de mes fesses, la poussée de ma ruée se cumulent et voilà que haut de mon corps se redresse de lui-même, tandis qu’un petit Corgy tâche de me retirer ma botte devenue bien plus grande et donc bien plus appétissante.
Craignant d’écraser quelqu’un ou de l’avoir déjà fait, je porte mon attention autour de moi. J’ai du mal à reconnaître mon environnement, bien que celui-ci titille ma mémoire. Ce n’est que lorsque je regarde sous mes jambes et puis que mes yeux se posent sur l’épouvandétail que je respire, sûr à présent de n’avoir rien détruit, ni blessé personne. De son côté, Mange-botte continue de me tirer par la botte, du moins il essaie, maintenant que je suis beaucoup plus grand que lui. Quoiqu’à force, il pourrait bien arriver à me déchausser le pied, donc je me penche en avant pour l’attraper dans mes mains et le soulever. Il me faut insister en tirant pour qu’il lâche enfin la prise.
"Ca va ?" Fait une petite voix de lutin.
"Pas de blessé ?" Enchérie une seconde.
Olive et Nadine grimpent le long de mon dos pour venir se poser sur chacune de mes épaules. Un des lieux les plus sûr actuellement. Après tout ce passé avec ma petite taille, j’ai très vite oublié comment faire attention à mon entourage.
"Ca va, je crois qu’il n’y a que mon ego qui a été touché !" Fais-je en regardant un paysage dépourvu de hautes herbes et d’arbres gigantesques.
"Ton ego ? Je ne savais pas qu’il t’en restait après avoir couru nu dans le village !" Déclare Nadine, faussement surprise.
A ce souvenir, le rouge me monte aux joues. Heureusement que j’ai le teint mate. Néanmoins mon départ précipité me chagrine un peu. Je savais que ma présence ici ne serait pas éternelle, mais je n’avais pas prévu de partir dans l’immédiat.
"Un problème ?" S’inquiète Olive qui perçoit mon état.
"Oui je…j’aurais voulu dire au revoir à tout de monde au lieu de partir comme un voleur !" Fais-je triste.
"Un voleur ?" S’étonne Nadine en m’offrant le piquant de son dard à la base du coup.
"On n’accepte pas les voleurs ici et qui t’a donné l’autorisation de partir ? Je crois qu’il y a une ou deux personnes à qui tu dois des explications !"
(Des explications ? J’ai sûrement détruit des maisons ou des biens à cause de mes transformations soudaines ! Haaa, il fallait que je sème le chaos dans mes derniers instants !)
Orienté par Nadine, mon regard se pose derrière-moi et ce n’est pas deux lutins qui sont présents, mais presque tout le village qui est là à me regarder sans dire un mot. Je ne sais pas quoi dire et les lutins attendant probablement que je m’exprime en premier, ce sont les lutinos qui accourent vers moi, ne craignant aucunement le danger que ma taille et à présent chacun de mes gestes représentent.
"Alors tu pars ?"
"Tu veux plus jouer avec nous ?"
"J’ai faim !"
"Rhooo tu penses toujours à manger !"
"Tu vas retrouver ton amoureuse ?"
Déclarent les lutinos les uns après les autres, tandis qu’ils grimpe à leur tour le long de mes bras.
"Oui je…je pars ! Je suis désolé d’être parti si vite !" Je porte ensuite mon regard sur le reste du village.
"Merci pour votre accueil ! Ce village…la joie qu’il renferme est précieux alors ne le perdez surtout pas. De même que cette chaleur presque familiale qui émane de chacun de vous. Ce séjour à vos côtés m’a fait un bien que vous ne pouvez imaginer et même si je repars auprès des miens, une partie de moi restera à jamais ici ! Merci pour vos conseils, merci de votre bienveillance et si jamais vous avez encore besoin de moi, je viendrais dans l’instant !"
"Si c’est pour sauter tout nu dans l’eau, on sait déjà le faire !" Me nargue un lutin faisant, rire toute l’assemblée et moi, souriant de gêne.
"Décidément, ça vous a tous marqué cette histoire !"
"Allez les lutinos, on descend !" Déclare Nadine aux grimpeurs sur son épaule, Olive faisant de même sur l’autre.
Un peu déçus, ils se laissent à retrouver le sol, me laissant le loisir de me lever de toute ma nouvelle hauteur. Même si, je dois admettre que quelque chose me gêne. Portant ma main dans le col de mon vêtement tout près de ma nuque, je déloge un petit coquin, délicatement.
"Et toi, que faisais-tu ici ?" Dis-je en le déposant délicatement au sol.
"Moi je veux venir avec toi et vivre pleins d’aventures de grands-pas !" S’offusque le lutino, visiblement déçu d’avoir été repéré par mes soins.
"Le monde des grands-pas est dangereux pour un lutino tu sais !" Fais-je pour lui expliquer, alors que la déception s’empare de lui.
"Mais il n’y a rien de dangereux pour un lutin aguerri ! Alors grandis et lorsque tu seras grand et prêt, viens me voir et on fera équipe !"
Le pauvre petit est triste, mais sa petite bouille sourit à l’espoir d’un jour m’accompagner. Tous les lutins sont au sol. Tous ? Non, un dernier lutin résiste encore, à moins qu’il n’ait une idée derrière la tête.
"Nhaundar, tu pourrais m’approcher de Mange-botte s’il vous plaît ?" Me demande-t-il.
Par habitude, je sais qu’il ne sert à rien d’aller contre les lutins. Que ce soit verbalement ou en agissant par eux-même, ils finissent toujours par avoir ce qu’il veulent.
"Il est dangereux de laisser un si petit chien dans un monde de grands-pas, surtout si tu vas au devant du danger !" Déclare-t-il alors qu’il me guide au-dessus de l’animal.
"Que ferais-je de ce petit chien Olive ?"
"Petit chien tu dis ?" Fait-il avec un sourire plein de malice.
Je le vois verser quelques gouttes qui tombent sur le chien et l’outre avec laquelle il fait tomber le liquide me perturbe la mémoire. Je l’ai déjà vu quelque part, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
"Tu devrais t’éloigner !" Me conseil Olive en me tirant par les cheveux, près de mon oreille droite.
Ce n’est que lorsque Mange-botte subit les premiers effets de la potion que je me rappelle cette fameuse outre. C’était précisément avec la même qu’il nous a rapetissé, afin de nous faire entrer dans le village. Sauf que les choses ne se déroulent pas comme prévu. Au lieu de rétrécir un chien déjà particulièrement petit, sa taille augmente, au point d’avoir à peu près la même proportion lui et moi durant ma forme miniaturisée. Je me retrouve à présent face à un Corgy aussi grand qu’une monture. Même sa selle s’est vu s’agrandir en même temps que l’animal.
"Maintenant, tu vas pouvoir emmener Mange-botte partout ! Enfin techniquement, c’est surtout lui qui va t’emmener partout !" S’amuse Olive.
Je vais commencer à me faire une petite collection de monture moi. Un renne qui plane dans le ciel et maintenant un Corgy surdimensionné ! Il n’y a que Yin-Yang qui passe pour un être normal. D’ailleurs, mon retour en ville va être marquant avec Mange-botte ! Les lutins sont tous là à me regarder et si je ne pars pas maintenant, je risque de ne plus trouver le courage de m’en aller. J’offre sur la selle du corgy une petite clochette, qui me permet de repérer une monture aisément si je la perds. Un cadeau reçu durant mon séjour ici. C’est donc par une ultime révérence et déposant Olive au sol que j’enfourche ma nouvelle monture et m’en vais, en regardant les lutins me faire des signes des mains pour me dire au revoir.
Je vais en avoir des choses à dire à Sylve.
VIII 14 Un présent inattendu.