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par Lubie Séguin » mer. 8 juil. 2020 05:33
Sans réfléchir, Lubie s'était précipitée sur la scène qui d'instinct lui semblait louche. Un aigle fier, au bec imposant et acéré, au magnifique plumage brun, possédant une envergure d'ailes déployées impressionnante, se faisait attaquer par deux corneilles de tailles moyennes. Sans pour autant être experte en ornithologie, n'en connaissant même pas le mot, Lubie savait les corneilles douées d'une intelligence supérieure à celle de bien des espèces animales. Elle avait même entendu dire que certaines corneilles par ruse pouvaient imiter le cri d'autres animaux afin de se sauver d'un mauvais pas. Elle se gardait tout de même une réserve avant de croire ces affirmations, qui avaient été proférées dans une taverne où les breuvages alcoolisés coulaient à flot, où le coude se levait facilement, et des nains debout sur les tables poussaient facilement la chansonnette sans se soucier des notes discordantes qui sortaient de leur gorge enrouée.
Pendant que la naine accourait donc vers le pâturage afin de voir ce qui expliquait une telle scène acrobatique dans le ciel, la jeune femme s'était présentée.
( Izel Il lui coule ? ... un serpent du ciel ? mais c'est quoi ce charabia ? )
Et le pirate lui, avait précisé qu'il était habileté à la nage en lui dévoilant ses doigts palmés et préférait parler de la mer comme étant la grande bleue plutôt que les eaux de la mort.
(Bien qu'elle soit étrange cette Izel, j'avoue que sur ce coup-là, je suis d'accord avec elle... pour moi, la mer représente une mort assurée. )
Ses deux compagnons de route l'eurent rejoint facilement à la course et l'avaient même dépassée. Il faut croire que ses réflexions l'avaient ralentie. Quoique la longueur de ses jambes y était peut-être aussi pour quelque chose.
Ils arrêtèrent leur course à une vieille clôture de bois défraichie et à moitié pourrie. Et c'est là qu'ils virent en plein centre du champ des cadavres d'animaux en putréfaction avancée. Les mouches se gavaient de ce festin plus qu'abondant, alléchées sans doute par une désagréable odeur qui se dégageait des dizaines de cadavres.
Alors que les trois compagnons, surpris par la vue de cette scène morbide sinon par l'odeur, demeuraient immobiles, un cri retentit du ciel. Le plus gros des trois volatiles, ayant cessé de tourner en rond, fonça en piqué sur les trois aventuriers. Heureusement, le pirate les avertit à temps et ils plongèrent tous au sol.
Les oiseaux reprirent ensuite de l'altitude et les corneilles poursuivirent leur attaque à l'encontre de l'aigle, laissant Lubie perplexe.
(Un aigle, c'est pas un charognard... Pourquoi veut-il descendre vers les cadavres ? )
Le bruit de sabots et de roues sur la terre durcie la sortit de ses réflexions. Derrière eux, un fermier assis sur le devant d'une charrette tirée par un énorme cheval à la robe blanche marbrée de gris, leur demanda abruptement de faire de la place, afin de le laisser entrer dans le pré.
Cela dit, le fermier qui était d'une taille similaire à Lubie, non pas qu'il était nain, mais plutôt parce qu'il était vieux et rabougri, ouvrit la barrière, fit passer sa charrette et rajouta sur le tas, cinq autres cadavres de moutons. Le vieil homme au crâne dégarni et à la barbe grise d'une dizaine de centimètres expliqua qu'une peste, espèce de maladie qui rendait les animaux malades, avait attaqué une bonne partie de leurs troupeaux.
Lubie regarda le combat céleste un moment, puis reporta son attention sur le fermier portant une chemise à carreaux qui, son chargement déversé, revenait vers eux.
Secouant la tête négativement, elle savait que quelque chose clochait.
"Les aigles ne sont pas des charognards !! " Dit-elle d'une voix ferme tout en passant la barrière et se dirigeant vers le tas de cadavres... Peut-être que cette fois-ci ses deux compagnons la dépasseraient aussi puisqu'elle s'arrêta après une dizaine de pas, pris par une violente nausée.
Elle tourna dos à l'amas puant, reprit une bonne respiration, la retint, puis reprit son avancée. Arrivée au tas, elle en fit le tour, puis s'arrêta. Elle poussa, du bout du pied, une patte de moutons, se pinça le nez et rebroussa chemin en courant.
Elle dégobilla son dernier repas, puis leur dit ce qu'elle avait vu :
"Sous ce mouton là, ça brillait, c'était doré... je ne suis pas restée assez longtemps pour savoir si c'était une armure, un bijou ou autre... c’était presque tout recouvert par l'animal... C'est peut-être ce que l'aigle cherche à récupérer... mais moi, je veux reprendre mon souffle avant d'y retourner."
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Lubie Séguin le mer. 3 nov. 2021 00:47, modifié 5 fois.