J'allais mourir. J'allais finir ma vie comme « l'espion » de l'histoire qui m'avait mené ici. Pourrissant au fond d'un trou…
Mon dos frappa la paroi et j'eus le souffle coupé, alors que ma chute continuait. Le conduit s'était relevé légèrement, transformant une descente à pic en une glissade abrupte. Les irrégularités formées par le calcaire et l'érosion martelaient mon dos. J'écartais les bras espérant, encore une fois, réduire ma descente vertigineuse. La canalisation se redressa encore, lancée par la force et la vitesse de ma chute, je glissais maintenant sur une couche poisseuse et glissante. Une odeur infecte amplis ma bouche et mon nez, alors que j'ouvrais la bouche pour hurler. Aucun son n'arrivait à sortir de ma bouche, j'étais tétanisée, paniquée et je m'évertuais toujours à plaquer mes brassards contre la pierre pour ralentir. Je ne me rendis pas tout de suite compte quand mes efforts commencèrent à être efficace et il me fallut quelques secondes pour réaliser la situation. Le boyau formait une courbe qui, petit à petit, s'était transformée en une pente douce. Ma chute s'était arrêtée et je me retrouvais pratiquement à l'horizontale. Une odeur de pourriture et d'excréments don j'ignorais la provenance, me piquait les yeux et me brûlait la gorge, mais cela importait peu.
(Je suis en vie ?)
Il m'avait fallu quelques secondes pour réaliser l'évidence. J'étais courbaturée, avais certainement de nombreux hématomes et m'étais arrachée deux ou trois ongles, mais j'étais en vie. Il me fallut encore plus longtemps pour réaliser autre chose… J'étais allongée dans un dépôt immonde, mais sentais nettement un rebord à mes pieds. Le boyau débouchait quelque part.
(Le Grand Sarrum est avec moi ! Ce puit arrive bien quelque part ! Il arrive quelque part ! )
Je m'extirpais lentement du conduit qui débouchait à moins de cinquante centimètres du sol et tout en frottant mes vêtements et mon sac, afin de tenter de me débarrasser de cette "boue". La substance était visqueuse, mal odorante et était bien loin d'être le simple résultat de l'usage qu'en faisait parfois les Lances plusieurs étages plus haut.
« Qu'est-ce que ça pue ! Bon sang, qu'est-ce qui peut sentir aussi… »
J'arrêtais net de m'interroger, au moment où un craquement se fit entendre. Mon pied venait d'écraser quelque chose. Je lançai un regard rapide autour de moi en réalisant que je venais de marcher sur l'un des crânes qui jonchaient le sol et qu'autour de moi se trouvaient plusieurs carcasses d'animaux, peut-être humaine, toutes décapitées. L'odeur, ces cadavres, l'histoire « des boyaux du pourrissant » et de la tête du soldat… L'évidence me sauta au visage. Je ne connaissais que trop bien ces créatures qui restaient à l'affût des imprudent, dissimulées aux plafonds des souterrains. J'avais mis les pieds dans le nid d'une pieuvre terrestre. Par reflex, je lâchai mon sac et mis mes bras en l'air pour me protéger... Juste à temps. Je sentis les tentacules de la créature s'enrouler autour de ma gorge et commencée à m'étrangler. La bouche de la pieuvre s'ouvrit très largement pour m'enserrer la tête. Je gardais mes avants-bras de chaque côté de mon crâne afin d'empêcher que les terribles mâchoires ne se referment. Les crocs grinçaient sur le métal déjà mal mené de mes brassards de fer, alors que je tentais de repousser les rangés de dents. Je sentais l'étau se resserrer et entendais un bruit de succion, alors que la pieuvre progressait autour de ma tête.
Je suffoquais et j'étais épuisée. Désespérée, je me mis à tituber, cherchant un moyen de me défaire de l'animal. Je finis par percuter un mur, ou un monticule rocheux. D'instinct, je me mis à frapper ma tête, pratiquement entièrement enveloppés dans le céphalopode, contre la pierre. Le monstre ne lâcha pas prise et resserra ses membres autour de ma gorge. L'air me manquait, j'avais l'impression que mes yeux allaient sortir de leurs orbites et mes poumons me brûlaient. Dans un mouvement désespéré et sous l'emprise de l'adrénaline, je pris mon élan et tentai à nouveau de frapper la créature contre la roche. Cette fois, la pieuvre lâcha prise et glissa au sol. Désorienté, je me mis à reculer et tombai au sol. Je toussais et tentais de reprendre mon souffle. La pieuvre terrestre, quant à elle, ne comptait pas abandonner l'opportunité d'un bon repas. Elle glissa le long d'une colonne, remontant à l'aide de ses tentacules jusqu'au plafond. Je saignais du nez et fus prise d'une quinte de toux alors que mes poumons se gonflaient d'air à nouveau. Presque étourdit, je redressais la tête en apercevant la silhouette de la pieuvre au-dessus de moi qui s'approchait. Mes mains coururent autour de moi dans les immondices et mes doigts s'arrêtèrent sur le manche de ma lance brisée. Je n'avais sans doute que cette occasion. Levant le manche en bois vers le plafond, tout en me levant dans un ultime effort, je tentai un coup d'estoc vers la bête. Mon arme, bien que privée de sa lame, s'était brisée en biseau et avait gardé suffisamment de longueur. Ce fut sans doute ce qui permit à mon attaque d'être efficace… Et une part de chance. Le manche en bois transperça l'œil de la créature s'enfonçant ensuite dans le corps moue de cette dernière. De rage, je vins la faire chuter du plafond et frappai plusieurs fois au sol comme si la pieuvre à l'extrémité de mon manche était le fer d'une pioche.
Ce fut d'épuisement que je finis par lâcher mon arme et me laissa tomber au sol. Le regard fixé sur la créature, qui restait indéniablement immobile, je tentais de reprendre des forces. Je m'attendais presque à voir le sol s'ouvrir sous mes pieds ou a entendre arriver des soldats en armes… Mais non. Cette fois, tout resta calme, immobile et silencieux. Après de longues minutes de répits, je me persuadais enfin qu'aucune nouvelle mésaventure allait me tomber dessus. Je repris doucement des forces et me relevai en prenant le temps d'observer les lieux. La cavité faisait tout au plus une dizaine de mètres de diamètre et était étrangement circulaire pour une grotte naturelle. Aucune idée de ce que cette salle pouvait être, mais il était évident que les théories sur l'usage des puits étaient mises à mal. Ce n'était pas, de toutes manières, ma préoccupation actuelle. Je ramassai mon sac, puis je sortis ma « lance » du cadavre de la pieuvre. Le manche de bois restait solide et finalement l'objet était semblable aux lances de bois avec lesquels je m'étais entraînée plus jeune. Je fis un tour rapide de la grotte poussant du pieds les carcasses dévorées par l'ancien habitant des lieux, à la recherche de la moindre chose utile, avant de finalement remarquer une ouverture.
Je me précipitai à travers la brèche faisant rouler quelques rochers derrière moi, escaladant un petit monticule de gravats. Arrivée au sommet, je détournai le regard ébloui par l'inquiétante lumière du jour. Devant moi, se dressait une faille, semblable à une cicatrice. Au-delà, on pouvait voir le sable bleu et le ciel éclatant du désert. Je sortis en relevant mon chèche pour me protéger du soleil tout en plissant les yeux pour tenter de voir à travers la lumière qui m'entourait.
Derrière moi, se dressait la montagne et devant moi l'inconnu.
[A suivre]