Au cœurs des blanc cols
Métal, sang, neige et roche
Le son du cor résonne et s’envole
L’ennemi s’approche.
Brandgin le Barde ; extrait de «Le Cor de Stanrock »
T’as encore fini à la taverne. Rien d’étonnant après une journée à piocher le métal et la roche. T’en es pas spécialement fatiguée, mais t’as bien besoin d’un petit remontant. Les pieds sur la table, ta chope à la main, tu t’égosilles pour qu’on t’apporte à boire. Tu reçois qu’un vague signe de la main du patron, mais ça te suffit. Il te connaît bien vu le temps que tu passes ici. Belegar est juste en face de toi, en train de lisser sa grande barbe rousse, le regard un peu perdu. Ça te fait grogner et tu tapes du talon pour attirer son attention. Depuis qu’il s’est entiché de sa donzelle, il a changé, et ça ne te plait pas du tout.
- Si c’est pour tirer une gueule de zelion, tu pouvais rester chez toi !
- Va te faire foutre…
- Elle va être jalouse si tu réserves ses doux mots juste pour moi.
Tu ricanes face à son regard noir et reposes les pieds au sol alors qu’on t’apporte enfin de quoi remplir ta chope. Ce que tu t’empresses de faire, et de refaire après l’avoir vidée une première fois d’une traite. Tu lâches un soupir de satisfaction en t’essuyant la bouche avec ta manche. Tes yeux se lèvent au ciel quand t'aperçois ton compagnon de beuverie siroter la bière qu’il a l’habitude d’enfourner aussi vite que toi.
- Oh bordel, crache le morceau ! J’ai pas envie d’passer une mauvaise soirée parce que mossieur Belegar tire la gueule.
Il reste muet, ce qui t’énerve encore plus. La journée se termine à peine et t’as vraiment autre chose à foutre que rester là à le regarder se lamenter. Se lamenter de quoi en plus ? T’arrives pas à comprendre ce qui peut bien lui passer par la caboche. Lui qui était tout pédant l’autre jour, le voilà aussi misérable que si on lui avait dit qu’il risquait de se faire couper la barbe. Quand enfin il daigne ouvrir la bouche, t’en aurais presque remercié Valyus. Enfin vu la connerie qu’il sort tu l’aurais regretté juste après.
- Fafnir… t’es une naine.
- Waaaah… Putain, tu me l’avais jamais faite celle-là. Jusque là t’as tout bon ouais. Tu vas me demander si je sais parler aussi ?
- Sois sérieuse deux minutes ! Je veux dire que tu dois savoir ce qui pourrait lui plaire non ?
Tu le fixes comme s’il était soudainement devenu un demeuré avant de prendre quelques rasades de bière. Il te fallait bien ça pour occuper ta bouche au lieu de lui balancer quelques bonnes vannes un peu lourdes à la figure. Quand tu reposes ta chope, il te fixe toujours et tu grognes.
- Tu m’emmerdes, Belegar... Qu’est-ce que j’en sais ce qu’elle aime ? T’as qu’à lui fabriquer un bijou, elle doit forcément aimer ça, non ? Une broche ou je ne sais quel autre bidule qui brille.
Comme s’il avait soudainement eu une révélation, son visage semble s’illuminer et il se lève en prenant sa chope pour la vider d’une traite. Tu le regardes poser brutalement la chope sur la table avant qu’il ne lève les bras en l’air et ne se mette à gueuler.
- Je vais l’épouser !
Tes oreilles bourdonnent alors que toute la taverne se met à hurler pour encourager Belegar qui se rassoit avec un sourire triomphant sur le visage. T’arrives pas à savoir si ça t’énerve ou si t’es ravie pour lui. Probablement les deux, mais en tout cas tu grinces quand même des dents, pour la forme. Surtout face à son fichu sourire narquois. Tu sais déjà ce qui va suivre.
- Et toi alors ? Tu vas épouser qu…
- C’est mon poing qui va épouser ta tronche si tu continues à dire des conneries.
T’aimes bien Belegar, mais il a tendance à t’emmerder un peu trop avec ça à ton goût, ces derniers temps. Sous prétexte que lui a trouvé enclume à son marteau, voilà qu’il faudrait que tu trouves toi aussi. Quelle connerie. Au moins il a la décence de ne pas insister et de payer la prochaine tournée de bière. Pas la meilleure disponible à ton avis, mais tu te plains pas trop, ça reste de la bière naine quand même. Tu vas pas t’éterniser, pour une fois, donc tu finis rapidement ta chope. T’es supposée aller voir ton
Throngrink. C’est lui qui te l’a demandé alors que tu partais à la mine. Ça aurait été ton père, t’aurais probablement râlé et serait arrivée en retard pour la forme, mais pas avec ton
Throngrink. Tu finis donc pas te lever et déposer quelques pièces à l’intention du patron. Belegar prend un air étonné.
- Et bah ? On se ramollit.
- Mon Throngrink veut me voir ce soir.
T’as un sourire en disant cela et ton comparse de beuverie hoche la tête, semblant comprendre. Lui sait que t’as du respect pour les anciens, bien plus que les autres. Il te salue simplement alors que tu sors de la taverne et retourne chez toi, la musique s’estompant peu à peu pour laisser place au bruissement des torches et brasero et aux bruits de tes pas qui résonnent dans les galeries. T’entends peu à peu le bruit de la forge de ton père. T’es pas vraiment étonnée qu’il travaille encore à cette heure, c’est un bourreau de travail après tout.
- Ah tiens, tu rentres pas en titubant ce soir ? On devrait marquer ce jour d’une croix blanche.
À peine le pied posé dans la maison, voilà que ton frère vient t’emmerder. Tu renifles dédaigneusement face à son air suffisant. T’as jamais pu le blairer celui-là. Le fils prodigue, toujours à lécher les bottes de votre père pour obtenir ses faveurs et, pire que tout, à vraiment y parvenir. Tu le dépasses sans lui accorder autre chose et passe par la pièce principale où ta mère discute avec une de tes cousines près de l’âtre. Elle t’aperçoit, t’offre un sourire.
- Il est en bas, il t’attend.
Tu hoches la tête et continues ton chemin, descends une volée de marche jusqu’à finalement tomber sur ton grand-père. Sa longue barbe blanche tressée et décorée d’anneaux et de nattes touche presque le sol alors que son visage touché par les âges se tourne vers toi. Ses yeux, du même vert que le tien, semblent toujours pétiller quand il te voit. Tu as toujours été sa préférée, même si cela se résumait à recevoir une petite tape sur la tête là où ta fratrie ne recevait rien. Se levant du tabouret sur lequel il était jusque-là assis, il lisse les plis de sa tenue, puis sa barbe avant d’ouvrir une porte derrière lui et de prendre la torche qui est accrochée au mur. Sa voix, grave et caverneuse, te fait étrangement frissonner.
-Suis-moi.