IX 27 Quand la vague piétine la brise.
IX 28 La mascarade du haut-sang.
Envoyé au cachot sans ménagement, j’ai l’impression de revenir à mes débuts. A mon arrivée, j’ai également été mis au arrêt, sans avoir la chance de me défendre. Après tout je comprends assez bien la situation, Lebher est en guerre avec Pohélis et un elfe noir qui se balade sur ses terres suffit à vouloir l’éplucher vivant. J’ai beau tenter de m’apaiser rien n’y fait, tant le maeltröm d’émotion en moi me trouble. Aurais-je dû garder Eyoïm près de moi pour empêcher les autres de découvrir son secret ? Aurais-je dû trouver une autre voie plus pacifique ou même, aurais-je dû laisser simplement tomber, laissez faire ces éarions et détourner facilement les yeux ? Cette nuit, si je n’ai pu trouver un sommeil réparateur, m’a au moins confirmé sur une chose : Non. Il est évident que si la situation devait se répéter, j’interviendrais. Le mieux aurait été de protéger le jeune elfe avec ma magie, plutôt que de me servir d’elle pour engendrer plus de violence. Alors oui, ce qu’ils ont fait est punissable, mais j’en ai fait tout autant.
Le silence règne dans les cachots. Je suis le seul résident et la tranquillité n’est perturbée que par ma respiration et les quelques gestes que j’opère. Cela me permet de percevoir les nouveaux arrivants. Au loin, bien après la porte close qui enferme les nombreuses cellules, des bruits de pas se font entendre. Lourd, imposant et implacable. La porte s’ouvre dans un grincement sinistre, dévoilant pas moins de trois soldats bien armés. Sans ménagement, ils me menottent et me traînent hors de ma cellule direction le bureau du capitaine de la milice, celui-là même qui, en plus d’être responsable d’un elfe noir, craint que ma présence ne soit une menace pour la sécurité de la cité. Les choses ont changé il y a peu en promettant de former des occultistes, mais j’ai récemment prouvé que j’étais plus apte à frapper mes élèves que de les former.
Mes charmants guides me conduisent jusqu’à son office, avec la délicatesse d’un Brok'nud énervé. Rejoignant les gardes qui surveillent le passage, d’un hochement de la tête ces derniers ouvrent la porte, laissant entrevoir le capitaine à son bureau et cette phrase arrivant à son terme.
« … j’exige donc un châtiment à la hauteur d’une telle infamie ! » Clame une voix que je ne connais pas.
En sa compagnie, des élèves victimes de ma magie, d’Eyoïm ainsi que d’une nouvelle tête. Un éarion assez distingué qui a justement insisté sur le jugement à prononcer. Près de Nymaros, le bras en soutient à celui-ci, c’est en le dévisageant que je remarque des traits similaires entre les deux hommes dont une génération semble les séparer.
(Voilà donc le paternel.)
Je regarde les différents visages présents. Le paternel montre l’attitude hautaine et distinguée des nobles. A mon approche, je décèle dégoût et mépris lorsqu’il pose son regard sur moi. Les autres, dont son fils, se présentent le dos droit, malgré les stigmates de la veille et si je remarque une absence totale de honte sur leur visage, je perçois des petits sourires en coin.
(Saloperie de noble ! Parce que je suis un elfe noir, ils se permettent tout, se cachant derrière papa pour couvrir leurs arrières. Je n’aime pas cette satisfaction sur leurs visages, c’est comme s’ils étaient persuadés qu’ils n’avaient rien à craindre.)
Au moins, Eyoïm est présent et pourra témoigner de…Mon visage se fige en voyant le jeune elfe. Guéris de ses blessures, il affiche une honte claire sur lui et je comprends. Je comprends qu’entre l’absence de blessure, ce mépris pour lui-même et la proximité avec ses agresseurs de la veille, il ne risque pas de plaider pour ma défense. Si en plus le paternel a eu l’occasion de plaider avant mon arrivé, tout est déjà scellé avant même que je n’ai le temps de me défendre.
Je suis placé sans ménagement, devant le capitaine dont le regard exprime une sévérité implacable à mon encontre. Il me fixe et le temps semble s’arrêter à ce moment-là. Une éternité s’est écoulée lorsqu’il parle enfin de toute son autorité.
« J’ai eu vent de graves accusations te concernant. Tu aurais usé de magie non seulement sur des membres de la milice, mais également un de tes élèves et de surcroît, le fils d’un haut dignitaire de Lebher. As-tu quelque chose à dire pour ta défense ? »
Je suis résigné. Je sais d’avance ce qu’il m’attend, peu importe ce que je vais dire, peu importe la vérité. Seulement, la vérité est la seule chose qu’il me reste. Admettre un mensonge, serait revivre les sévices qui m’ont tant coûté étant jeune. Peut-être aurais-je pu changer ma manière d’intervenir, mais certainement pas cette prise de position protectrice envers le jeune elfe.
« Je n’ai fait que défendre une victime. Rien de plus. »
« Une victime ? Quelle victime ? » Rétorque le patriarche.
« Regardez mon fils, regardez ses camarades ! Je sais que ce…shaakt avait promis d’en faire un occultiste, mais force est de constater qu’il s’est joué de vous. Sa seule motivation était de malmener le devenir de la milice, à défaut de pouvoir le faire auprès de ses semblables à Pohélis. Il ne fallait pas en attendre davantage de ces gens-là. »
(Ces gens-là ? Je sais que les miens portent sur tous nos semblables une réputation dont la majorité mérite. Mais j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour prouver ma bonne foi.)
« Je n’ai fait que protéger le jeune Eyoïm et vous le savez ! » Dis-je en voulant me défendre, mais la réponse en est presque attendue.
« Le protéger ? De qui, de quoi ? Ce jeune homme n’a aucune blessure, regardez. » Prétexte-t-il en désignant l’intéressé.
Son attitude de victime m’agace et c'est en m’emportant que je réplique.
« N’importe quel soigneur en aurait fait de même ! »
« Il suffit ! » Hurle le capitaine à mon attention, avant de calmer sa voix.
« Toutes les personnes présentes ont été soumises à un isolement, afin de juger avec impartialité une telle violence dans l’enceinte même de la milice et sur un membre de la famille Elquadoren! »
« Un isolement ? Si tel est le cas comment en a eu vent monseigneur Elle-couille-dorée pour être présent ? Sauf s’il a corrompu des gardes pour cela. » Fais-je, jouant sur le nom pour l’insulter en écorchant un peu le nom.
Je n’ai pas le temps de voir sa réaction qu’elle me frappe en plein visage, ou plutôt sa magie d’eau que je reçois de plein fouet.
« Misérable larve noire, je t’interdis de te moquer de moi de la sorte ! Tu aurais mieux fais de te trouver un terrier à lapin comme tes semblables pour t’y cacher ! » Crache-t-il. « Saches que contrairement à toi, ma famille est aussi noble d'âme que de rang et fait partie des plus illustres de la cité. Nombreux sont ceux qui veulent s’attirer mes faveurs en évoquant les crimes qui odieux nous visant. »
(Si vraiment les informations de ce qui s’est produits ont fuité, Aëgis devrait être là lui aussi. Non seulement il me connaît mieux que quiconque dans cette cité, mais il est le second du capitaine. Or, lui-même n’est pas présent. Preuve que cet isolement ne vaut que pour moi.)
« Monseigneur Elquadoren, je comprends votre réaction, mais je vous demande de ne rien faire tant que le jugement n’a pas été prononcé. » Fait remarqué le capitaine avec tact et diplomatie, là où moi je n’ai que mépris.
« Il m’est déjà difficile de partager le même air que cette…chose. N’en demandez pas trop. » Se targue le noble en voulant démontrer que l’autorité du capitaine ne semble pas s’appliquer à lui.
Le capitaine se tourne d’ailleurs vers moi pour répondre à une question qui l’interpelle.
« Je ne vais pas m’attarder sur l’insulte proférée à l’encontre des nôtres. Il y a déjà bien à faire avec la présente situation. Revenons à cette fameuse agression sur le jeune Eyoïm, si effectivement une telle chose a eu lieu, quelle en a été la raison ? »
Sur son visage, je vois l’ignorance non feinte. Il ne sait pas qu’Eyoïm porte en lui les fluides d’air et non d’eau, susceptible de recevoir la honte des siens. En portant mon regard sur le côté, je remarque de monseigneur à la couille dorée ne retient pas un mince sourire. Ou plutôt, il fait exprès de me le laisser le percevoir. Lui connaît la vérité. Comme je l’ai sous-entendu, il a déjà eu l’occasion d’échanger avec son fils. Révéler le secret du jeune éarion, ne serait d’aucune utilité. Ils nieraient agir de la sorte. Au mieux, je ne ferais que propager l’information en la rendant publique. Ne pouvant répondre, je tourne la tête et préfère garder le silence.
« Il garde le silence car, aucune raison n’a justifié son comportement. Peut-être voyait-il en ce jeune homme, une sorte d’animal domestique à rester tout le temps près de lui. Un sentiment d’appartenance que la proximité de mon fils et ses amis ne lui a pas plus. » S’amuse le noble en lançant des accusations totalement inventées.
Je ne préfère même pas lui offrir le plaisir de lui montrer la colère qui m’envahit en ce moment. Je garde les yeux devant moi, serrant les poings devant une telle injustice. Parce qu’il est de sang noble, il profite de sa position pour écraser ceux qui lui déplaisent, sans jamais craindre les conséquences, comme si le monde lui appartenait par droit de naissance.
D’un hochement de tête, mon juge reporte un regard de réprobation, avant de se tourner vers les témoins. Tous maintiennent la même version, à savoir qu’ils étaient réunis ensemble, lorsque je les aurais attaqués sans aucune raison. Tous, excepté Eyoïm, le dernier à parler.
« Bien que tu ne fasses pas partie de la milice, j’espère que malgré ton âge, ton père a su t’inculquer nos valeurs entre deux missions. Je t’écoute. » Invite le capitaine.
Tous les regards sont posés sur lui et tous portent en eux des attentes différentes. Le sourire de la complicité des agresseurs protégés derrière l’influence de la noblesse, l’attente du capitaine pour juger de la situation une fois tous les témoignages en mains et moi, je guette le seul qui peut me sortir de cette impasse. Il reste muet. La tête basse, ses mains agitées transpirent l’hésitation. Nymaros, celui qui a certainement détecté la nature de ses fluides et a poussé ses camarades à ce lynchages, le pousse légèrement en avant pour le pousser à parler.
« Ils…ils disent vrai. » Lâche-t-il finalement, sans regarder personne dans les yeux, achevant ainsi mes maigres espoirs.
« Ha ! C’est bien ce que je pensais. Cet elfe noir n’est qu’un furoncle dans notre belle cité. Nul doute qu’il sera châtié pour son acte. Même ce jeune homme ne parvient pas à lever la tête tant il souffre d’un tel déchaînement de violence. »
Le capitaine porte un bref regard sur les "victimes", avant de revenir à moi.
« Ainsi donc nous avons les quatre témoins qui définissent la culpabilité de l’accusé, qui n’a, en aucune manière justifiée la raison de ses actes. Finalement, cela va être plus rapide que je ne le pensais. Nhaundar, vous avez été des plus utiles en des temps troubles et ceux qui ont survécu par vos actes s’en souviendrons. Il est cependant inacceptable que des personnes sous ma responsabilité agissent de la sorte. Qu’il soit noble ou non, la vocation de la milice de Lebher est de protéger ses habitants, pas de recourir à la violence par pur caprice. » Détaille le capitaine, annonçant ainsi les arguments du verdict qu’il s’apprête à rendre.
« Vous êtes déclaré coupable de vos actes et serez mis à mort demain matin. Gardes, emmenez-le ! »
Sans plus attendre, les soldats autour de moi m’attrapent, tandis que les véritables coupables jubilent. Ainsi, ma vie va s’achever. Il y a tant de choses que j’aurais voulu vivre et découvrir. De nombreuses formes de magie, des objets aux pouvoirs surprenants, des lieux mystiques perdus dans le temps. Ma seule consolation est d’avoir agi de la bonne manière, en protégeant Eyoïm, même alors qu’il m’a donné le coup de grâce. J’espère seulement que ses agresseurs le laisseront tranquille et qu’il parviendra à devenir ce qu’il a toujours souhaité. Je ne serais juste plus de ce monde pour le voir…
« Non attendez ! Il est innocent ! » Clame la voix du jeune éarion.
…ou pas.
D’un ordre du capitaine, les gardes s’arrêtent et tous les regards se tournent à nouveau vers Eyoïm. Je le vois, malmené par le patriarche et entouré de son fils et ses amis.
« Que se passe-t-il ? » Interroge le capitaine.
« Peut-être me suis-je trompé. L’animal domestique était certainement ce shaakt et l’enfant craint de perdre son chien rien de plus. » Tente le noble en voulant conserver la sentence.
« C’est faux, il…aïe, vous me faites mal ! » Hurle le jeune éarion.
« Monseigneur Elquadoren, lâchez cet enfant ! » Tonne le capitaine.
Caché par le corps du noble, je discerne cependant qu’il tentait de restreindre Eyoïm d’une main et le lâche avec regret.
« Eyoïm, tu as déclaré avoir vu cet elfe noir s’en prendre à ces trois personnes. As-tu menti ? » Demande le capitaine avec l’autorité de celui qui n’accepte pas qui lui mente.
Eyoïm me regarde un bref instant, pose son regard sur le patriarche Elquadoren et s’en revient croiser le regard de mon juge avant de répondre.
« Non capitaine ! »
« Ha, vous voyez. » Se rassure le noble.
« Il s’est effectivement pris à eux, mais pour me protéger ! Ces hommes m’ont roué de coups. » Continue-t-il en pointant ses agresseurs.
« Te protéger ? Mais pour quelle raison mon fils et ses amis auraient-ils agi de la sorte. » Demande le patriarche.
« Monseigneur Elquadoren, merci de me laisser conduire l’interrogatoire. » Corrige poliment le capitaine, avant de se tourner vers Eyoïm.
« Réponds à la question. »
Ce n’est pas une question, c’est une voie sans gain pour le jeune éarion. A présent, soit il revient sur ses propos, soit il dévoile la nature de ses fluides, sans être certain que cela joue en notre faveur.
« Je… » Hésite-t-il.
Il porte un regard vers moi et nos yeux se croisent. Je ne suis pas si vieux que cela, mais j’ai malgré tout vécu plus de choses que je le pensais. Tout ce temps, après m’être enfuis d’Omyre m’a été un cadeau précieux, je le comprends à présent. Je suis résigné. Dans cette cité, il n’y a rien de bon pour moi. Je ne fais que lutter en vain contre les préjugés qui me harassent. Mais ce n’est pas le cas d’Eyoïm. Il est jeune et malgré ses pouvoirs sur l’air, il possède sans conteste des capacités d’occultistes. Il sera un atout pour Lebher. Dès qu’il développera des aptitudes de mono-élémentalistes, il écrira une nouvelle page de l’histoire de sa famille.
De la tête, je lui fais signe de ne pas répondre et tourne de moi-même pour reprendre le chemin vers ma dernière chambre.
« Je suis un aéromancien. » Déclare timidement Eyoïme.
« Qu’as-tu dis ? » Fait répéter le capitaine.
« Je suis…un aéromancien ! » Déclare-t-il haut et fort.
Il commence à expliquer que c’est la raison du passage à tabac et détail la façon dont la scène s’est déroulée. Je le regard dépité, de voir son avenir changer par cette déclaration qui sera balayé d’un revers de main par ses agresseurs. D’ailleurs, ces derniers le regardent avec un air menaçant. Peut-être n’aiment-ils pas voir leur plan être déjoué par un simple enfant, ou un éarion n’ayant pas bénéficié des dons de l’eau.
En tout cas, Nymaros semble en proie à une véritable colère. Il se retient, c’est évident. Son père l’a également remarqué et pose une main ferme sur lui pour l’empêcher d’agir. Il ne manquerait d’un rien pour qu’il cède selon moi.
(Et si je le manipulais ? J’ai déjà été capable d’indiquer de brèves instructions comme si cela venait de ma cible elle-même. Peut-être…peut-être puis-je enlever les brides qui le retiennent.)
Je concentre ma magie psychique, comme je l’ai fait dans les ruines en instillant une idée. Cette fois-ci, je me concentre sur ses désirs, ses envies, jusqu’à ce que je perçoive une partie de lui qui retient tout cela. Comme un barrage qui l’empêche son être de céder, j’y créé une brèche pour laisser ses désirs s’immiscer insidieusement.
Le résultat ne se fait pas attendre, cédant à son mépris, il s’avance vers Eyoïm pour l’injurier.
« Tu n’es qu’une sale vermine, un rejeté des eaux ! »
« Tais-toi est-ce bien compris ? » Grogne son père.
Malgré cette faille, il ne cède pas totalement. Il faudrait pourtant un rien afin que sa colère prenne le pas sur lui. Le toucher dans son ego éventuellement.
« Rejeté des eaux ou pas, il est parvenu au même résultat que toi avec moins de temps et d’explication. Si tu es doué, lui il a un véritable talent ! » Fais-je en exagérant.
« Lui, meilleur que moi ? » Rage-t-il, atteint par mes mots dans son égo.
Il s’élance vers le jeune éarion et s’apprête à le frapper. Je mobilise ma magie pour protéger Eyoïm dans une armure de pierre. Le coup de poing percute la protection et se brise dans un craquement d’os et de hurlements de douleur.
« Rhaaa, j’aurais dû en finir avec toi la dernière fois ! »
« Pardon ? Ai-je bien entendu ? » Tonne soudainement la voix du capitaine.
« Si vous me permettez capitaine, c’est… » Commence le patriarche, avant de se faire couper la parole.
« Vous avez ma permission de sortir, oui. Je vais régler cette affaire moi-même. » Coupe poliment, mais fermement le capitaine.
« Capitaine ! Comment… ? Etes-vous en train d’admettre la possibilité que mon fils, mon propre fils, se fasse réprimander en faveur d’un sale shaakt, qui l’a d’ailleurs outrageusement violenté ? » S’indigne-t-il.
« Je rendrais la sanction méritée lorsque les faits me paraîtront plus clairs. Puisque vous avez été présent, je puis vous faire parvenir une missive une fois que l’affaire sera jugée. » Dit-il en invitant le patriarche à sortir.
« Capitaine, je suis le patriarche de la famille Elquadoren et à ce titre, j’exige de recevoir le respect qui m’est dû ! » Clame-t-il sans se laisser démonter.
« Nous ne sommes pas dans une cours de nobles, où l’influence détermine le rang, mais à la milice de Lebher. Ici, les actes ont des poids et des conséquences. Je connais les anciennes coutumes contre ceux qui ne possèdent pas les fluides d’eaux en eux, mais il s’agit de pratiques d’un autre temps et elles n’ont pas leur place ici, pas avec moi ! Si tel est le cas, mieux vaut que la vérité soit révélée maintenant, plutôt que de faire venir d’autres témoins. Au vu de la sensibilité de l’affaire, je pense que nous pouvons élargir la recherche de témoin. Avec tous les miliciens dans les environs et les membres présents pour leur apprentissage, je ne doute pas de déterminer le vrai du faux dans l’histoire. » Il termine en fixant le patriarche dans les yeux.
« Les affaires de la cours n’ont pas leur place ici et inversement. »
Je discerne dans ses traits, qu’il met l’accent particulièrement sur sa dernière phrase, comme s’il cherchait à faire passer discrètement un message. Le patriarche plisse les yeux, comme s’il jaugeait les propos du capitaine. Finalement, il pose une main ferme sur son fils.
« Alors, est-ce vrai ? As-tu molesté un jeune éarion pour son absence d’eau dans sa magie ? »
« Quoi ? Mais…père, je… » S’offusque son fils en regardant son père avec des yeux implorants, avant de se faire couper la parole par celui-ci.
« Est-ce vrai ? » Répète-t-il.
« Je…je…oui. » Avoue-t-il enfin.
Un soulagement déferle en moi comme une douche bienfaisante. Plus encore que le jeune Eyoïm qui s’est mis en travers pour me protéger, les aveux de Nymaros me lavent à présent de toute culpabilité.
« Par Mourra, c’est… » S’indigne faussement le patriarche.
« Je suis déçu, terriblement déçu. Capitaine, je sais qu’il s’agit-là d’une affaire qui ne concerne que la milice, mais permettez au moins que j’inculque à mon fils le déshonneur qu’il vient de répandre sur notre famille. »
Le capitaine hésite un instant, mais finit par accepter la demande. L’influence des puissants est un poison insidieux, capable de se glisser dans les plus impénétrables obstacles.
« Si je puis me permettre, j’ai eu vent de ce…shaakt et ses capacités. Pour un être doté de telles capacités, il aurait très certainement pu calmer la situation, sans avoir recours à la violence. J’espère que vous saurez le punir justement, tout comme vous le ferez pour mon fils en temps voulu. »
(Ba voyons.Comme si j’allais devoir rendre des comptes pour avoir protéger…)
« Tout acte à l’encontre d’un membre de la milice est répréhensible et vaut une sanction à la hauteur de la situation. Vous pouvez tous disposer, sauf vous. Nous n’en avons pas terminé. » Répond-il en me désignant des yeux.
(Quoi ?)
« Dans ce cas, nous allons prendre congé avec mon fils. » Termine-t-il en empoignant fermement l’intéressé à l’épaule.
En partant, il me jette un regard des plus malveillants à mon attention. Bien que tout se passe dans le cadre de la milice, je sens que toute cette histoire n’est pas terminée. Tous quittent l’office, gardes compris. Je reste seul face au capitaine et à son autorité qui me terrifie lorsque je suis seul en sa compagnie.
« J’ai dit que vous étiez une épine dans mon pied. Je me suis trompé sur votre compte. Car si tel était le cas, j’aurais pu vous arracher d’un coup sec. » Clame-t-il froidement.
« La violence au sein de la milice est interdite et punie fermement. Surtout que je sais que vous auriez pu agir autrement qu’en employant la force. »
« Je dois… » Dis-je avant d’être coupé.
« Silence ! » Hurle-t-il si fort, que bon nombre de personnes à l’extérieur doivent l’avoir entendu.
« Les actes de violences sont interdits et au vu de la situation, je ne peux me permettre aucun laxisme. Nous avions un marché vous et moi : former des occultistes. En plus de cela, votre peine sera…de faire de même avec le jeune Eyoïm. » Termine-t-il sur un ton sec, mais beaucoup moins autoritaire.
« Pardon ? C’est…c’est tout ? » Dis-je stupéfaits.
« Je peux vous rajouter des corvées supplémentaires si vous jugez votre peine trop légère. »
« Non, non, c’est…merci. J’accomplirais ma peine avec assiduité capitaine. » Fais-je en m’inclinant.
« Ne me remerciez pas. Son père, le soldat à qui vous avez sauvé la vie il y a peu, est un vieil ami à moi, nous avons fait nos classes ensembles. Je ne supporterais pas que mes miliciens agissent comme ils l’ont fait. Comment se passe la formation ? »
« Plutôt bien. Plusieurs de vos hommes devraient être prêts à passer à la prochaine étape. Eyoïm en revanche, semble posséder une très bonne sensibilité magique. Il a commencé la formation plus tard et pourtant, il a déjà dépassé Nymaros qui était l’élève le plus prometteur. »
« Bien, très bien. » Réplique-t-il, mais je vois bien qu’il est tracassé par quelque chose.
« Faites attention à vous. La famille Elquadoren est influente, très influente. Vous pourriez bien avoir des problèmes les jours à venir. En attendant, pourriez-vous me rendre service ? »
« Oui, tout ce que vous voudrez capitaine. » Dis-je, près à le satisfaire.
« Quittez mon bureau et n’y revenez plus pour m’annoncer une de vos nouvelles frasques. »
« Je… » Fais-je en souriant, avant de terminer.
« Je ne puis vous promettre l’impossible. »
« Barrez-vous de mon bureau. » M’ordonne-t-il, las.
J’obtempère et quitte son office pour retourner respirer à nouveau l’air de la liberté.
IX 29 Quand l’ombre perd sa lumière.