IX 28 La mascarade du haut-sang.
IX 29 Quand l’ombre perd sa lumière.
J’ai le cœur léger lorsque je quitte la pièce. J’ai toujours une véritable crainte envers le capitaine, mais il vient de me démontrer qu’il sait voir mes actes au travers des préjugés de ma race. A ma sortie, je fais rapidement face à Eyoïm qui s’est inquiété pour moi. Après l'avoir rassuré sur le terrible châtiment qui m’incombe désormais, je le raccompagne jusque chez lui. Fils d’un milicien de carrière, sa demeure est située non loin d’ici, contrairement à moi. Nombreux sont ceux qui me dévisagent sur le chemin. Peut-être ont-ils eu vent de l’altercation de la journée, mais pas encore de sa finalité. Je laisse le jeune homme seul chez lui, son père rentrant bientôt de son service. Il me propose bien de rester, mais j’ai des devoirs envers Mange-Botte. Il me laisse donc rentrer sans insister et me voilà sur la longue route, entre le quartier proche des miliciens et celui de ma demeure, dans la zone habitable abandonnée.
Ma maison possède de nombreux axes d’amélioration. Il reste des fuites d'étanchéité à colmater, mais grâce à ma magie, je peux facilement m’en prémunir. J’ai craint pour Mange-Botte au début, mais depuis que j’ai acquis la couverture qui protège du froid, je n’ai plus à m’en faire. Je pourrais revoir la décoration, mais en vérité, c’est l’ensemble que je voudrais changer. Depuis que j’ai pénétré à l’intérieur de l’atelier magique du maître occultiste, je ne fais que rêver d’un lieu à moi. Un espace large où je pourrais entasser une folle quantité de livres. Une zone pour des études alchimiques. Une section pour les tests magiques et l’apprentissage de nouveaux sorts. Mais ce qui m’emplit de désirs, c’est une magnifique cuisine. Un espace ouvert sur de la végétation aussi.
Malheureusement, je suis encore cloîtré dans ma zone abandonnée. Au moins, je n’ai pas à me plaindre de mes voisins, je n’en ai pas et je ne dois pas cela à la couleur de ma peau, mais bien au manque d’attrait où je loge. Déjà de jour, le coin n’est pas fameux, la nuit, cela donne une impression plus glauque. Enfin, je ne vais pas me plaindre, je vois très bien dans le noir. Je tourne dans la dernière ligne droite, rêvant du confort que j’ai pour le moment été capable de me créer. Un bon repas avant de profiter de la quiétude de mon foyer, me fera également le plus grand bien. J’arrive jusqu’à chez moi, m’apprêtant à devoir tout de même aller à la rencontre de Mange-Botte, lorsque j’entendrais celui-ci s’exciter. Je m’attends à finir la tête en bas et le pied dans sa gueule, mais ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est cette chose qui vient me lacérer la jambe, dans un bruit de choc un peu plus loin. Une blessure superficielle, une douleur à peine gênante, mais qui précède un phénomène particulièrement inquiétant. Ma magie, mes réserves magiques dans leurs intégralités, disparaissent comme si elles se faisaient siphonner par une évacuation invisible, comme si elles n’étaient qu’illusion depuis tout ce temps.
« Ca fait bizarre n’est-ce pas ? » Se gausse une voix dans mon dos.
Je me retourne dans sa direction pour faire face à trois elfes bleus. L’un d’eux est reconnaissable, puisqu’il s’agit de Nymaros, l’élève qui devrait être en cellule après avoir eu son entrevue avec papounet. Sauf qu’il est en liberté, de fort mauvaise humeur et venu en compagnie de deux elfes parés pour le combat. Pas sûr qu’ils soient là pour me présenter des excuses après avoir voulu me faire passer pour l’unique agresseur.
« Que me vaut ce plaisir ? » Dis-je en masquant mes craintes, alors que je suis particulièrement inquiet.
« J’avais envie de revoir mon professeur avant de partir. »
« Tu comptes nous quitter ? » Fais-je en me torturant les méninges pour me sortir de cette situation.
« Vous ne m’en avez pas laissé le choix. J’avais une carrière promise. A cause de vous, je dois prendre l’exile. Mon père a affrété un bateau et je ne risque pas de revenir ici avant que l’histoire ne se tasse. J’étais pourtant si près du but. Le premier occultiste de la milice. Ma réputation et celle de ma famille auraient été couvertes de gloire sans votre intervention et celle de ce morveux ! Mais ce n’est rien, il ne me reste plus grand-chose à apprendre de vous. »
« Ha parce que c’est de ma faute si tu as lynché Eyoïm ? Tu as effectivement du talent, mais je crains que ce jeune elfe n’en a plus que toi. » Dis-je en tentant de l’énerver.
« Vous ne m’avez pas répondu. » Dit-il, ne répondant à ma pique que par une grimace.
« Qu’est-ce que ça fait de perdre sa si précieuse magie ? »
Si j’ignore encore l’origine de cette perte, je sais déjà d’où elle vient.
« Ma magie ? Qu’est-ce qui te fait croire que je l’ai perdu ? »Fais-je en bluffant.
Il regarde l’elfe sur sa droite avant d’échanger quelques mots inaudibles.
« Cela ne prend pas avec moi, je sais que tu as été touché par de la brise-magie. Aucun de tes sorts ne te protègera. » Me nargue-t-il.
(De la brise-magie ? Putain de merde ! Aëgis m’en a parlé, ce truc siphonne les réserves magiques. Aucune potion ne me permettra de regagner mes pouvoirs tant qu’il sera dans mon corps. Je n’ai pas d’antidote donc il me faut rester en vie le temps que mon corps l’élimine. De mémoire, cette chose dure une quinzaine de minutes. C’est parfait ! J’ai juste assez de temps pour me faire embrocher de part en part une centaine de fois tout au plus.)
« Nous devrions en finir vite tant que cela fait effet. » Déclare celui qui est responsable de mon état.
« J’aurais voulu m’occuper de vous avec ma magie, la confronter à la vôtre. Hélas, je vais simplement me délecter en vous saignant comme un porc. » Me menace-t-il.
Il s’avance de moi en dégainant son arme. Une épée au tranchant des plus intimidants. Il aurait pu demander un autre cadeau à papounet, mais non, il a opté pour une lame. Une belle lame, je dois l’admettre. La noirceur qui nous enveloppe petit à petit ne me gêne en rien pour admirer son éclat brillant. Qu’il s’agisse des gravures sur le métal ou bien les décorations réalisées sur le manche, cette arme a été soit fait par un éarion, soit pour un éarion, soit les deux. Dans tous les cas, il est aisé d’y voir les éléments relatifs à l’eau sur elle.
« Tu fais une grave erreur, tu sais ? » Dis-je sans me laisser démonter en dégainant moi-même ma lame. En moi, une idée vient de germer pour me sortir de ce pétrin.
« Je pourrais faire en sorte que cela se passe rapidement, je suis plutôt pressé. Néanmoins, je ne peux me permettre de partir sans en avoir profité un maximum. » Clame-t-il avant de joindre le geste à la parole.
« Une épée ? Je vous ai bien observé, vous savez. Vous n’avez ni formation, ni expérience pour ce type d’arme. Vous abattre sera un jeu d’enfant. » Se moque-t-il de moi.
« Tu veux vérifier ? » Fais-je en pointant maladroitement ma lame vers lui.
Il réduit la distance qui nous sépare pour que nos lames soient à portée de notre adversaire. Alors qu’il arme son coup pour m’éventrer, la magie incrustée dans mon épée fait son office. Projetée sur ma cible, elle s’insinue en lui pour perturber ses sens et amoindrir plus que grandement ses capacités. Son coup manque cruellement de précision et rate, le faisant passer pour un incapable.
« Mais que…que m’arrive-t-il ? » Déclare-t-il trop tard.
Profitant de sa confusion, je le frappe à mon tour, ouvrant une partie de son bras armé. La magie en lui ne durera qu’un temps. Chaque coup que je peux porter me donnera un avantage maigre, mais c’est mieux que rien. Je porte un second coup à sa jambe qui tâche ses vêtements de sang. Cela reste cependant assez superficiel. Même si la lame a pénétré la chair, il n’en sera pas gêné pour marcher ou courir. Il tente de bien de me rendre la pareille, mais bien trop déboussolé, ses coups fendent l’air avec la grâce d’un ivrogne.
En revanche, les deux elfes à ses côtés ne subissent pas les affres de ma magie et réagissent avant de risquer qu’un troisième coup de lui perfore l’abdomen. L’un éloigne Nymaros de moi et l’autre, frappe avec force ma lame. Je perds un bref instant la manche de mes mains, avant que mes doigts ne glissent à nouveau et d’une virtuosité qui égale les plus grands maîtres d’armes, ma lame me revient en main.
(Le coût l’inscription runique semble déjà amorti.)
Mon adversaire semble perturbé par mon geste et je fais un effort hors norme pour ne pas être ébloui moi-même par mon geste. Ils pensent avoir affaire à un vulgaire mage, incapable d’user de ses pouvoirs et si mon adresse illusoire n’a pas été de mon chef, rien ne laisse à penser que je suis effectivement sans magie.
Mon adversaire du moment enduit sa lame d’un liquide étrange. Je tente de l’occasion pour lui asséner un coup, mais son adresse n’a rien à voir avec Nymaros et il réplique en m’atteignant au flanc. L’acier tranche dans ma chaire avec la facilité d’un boucher devant un morceau de lard. La douleur est vive et le froid de la lame mordant.
« Cette fois-ci, aucune chance qu’il use de sa magie ! » Se félicite-t-il.
Encore de la Brise-Magie. Sans le vouloir, j’avais réussi à tenir un petit moment, mais si son arme était enduite du poison, il faut tout reprendre du début. La douleur me brouille l’esprit. Heureusement qu’un pic d’adrénaline me submerge et m’aide à me focaliser sur le moment. J’avais un plan, il est toujours valable. Se félicitant de sa réussite, s’attendant à au mieux une attaque physique, il baisse sa garde et me permet d’user de ma magie. Non pas de celle qui me fait défaut, mais d’un autre sort, emprisonné dans mes équipements. Je libère mon sort terrestre incrusté dans mes gants et mon sort fige mon adversaire décontenancé. Un étau de boue l’enlace et une pression le fige. Incapable de se déplacer, j’ai cependant le loisir d’entendre un gémissement.
(Dommage que je n’ai pas eu ma magie avec moi. Maintenant, ils vont commencer à douter de leur foutu poison. Il ne me reste plus qu’une dernière chose à accomplir : fuir.)
Derrière ma statue de boue, le second homme de main protège toujours Nymaros et tout deux contemplent la situation avec effarement. Ils avaient l’avantage du poison sapant mes capacités et surtout ma dangerosité. Prévoyant d’abattre rapidement un adversaire affaiblit, ils ne peuvent que croire à l’inefficacité de leur poison et que leur cible se fait la malle en fuyant dans les bâtiments alentours.
Délaissant mes assaillants, je préfère quitter la zone de combat pour une bonne raison : je ne possède plus aucun sort pouvant m’aider réellement. Il ne me reste qu’un sort pour amoindrir les capacités magiques de mes adversaires et deux sorts pour recouvrir ma magie. Bien que celui-ci soit également capable de perturber mes ennemis lorsqu’ils s’en prennent à moi, je préfère conserver ses sorts lorsque leur réelle utilité me sera possible. Je pénètre donc dans le bâtiment le plus proche de moi et cherche une sortie.
(Quinze minutes. Il me reste quinze minutes avant de pouvoir être en mesure de recouvrer ma magie. Je dois à tout prix éviter l’affrontement d’ici là.)
Je fais un rapide constat de là où je me trouve. Une ancienne zone résidentielle et cette construction est également une habitation. De vieux meubles usés par le temps, une table à trois pieds qui tient par la grâce divine, les murs grognés par les bêtes et les aléas pluvieux un escalier menant à l’étage et ce qui m’inquiète le plus, aucune autre sortie. Les fenêtres sont condamnées et aucune autre porte, hormis celle que j’ai prise n’est présente. Malmené par mes blessures, je me précipite donc à l’étage, espérant y trouver une échappatoire. Une fois à l’intérieur, ce sont les bruits d’en dessous qui m’interpellent. Des bruits de pas et des voix.
« Il est où ? Trouvez-le et tuez-le rapidement ! » Grogne la voix de Nymaros.
« On y voit que dalle ici ! » Rétorque un autre.
Si nous nous avons en commun la capacité de nous reposer par une méditation, quoique je n’en aie pas l’impression pour les elfes bleus, chaque race d’elfe possède des attributs singuliers. Les blancs ont une ouïe fine, les gris, se doit d’être la vue. Les bleus possèdent une aisance toute particulière dans l’eau et pour les elfes noirs, cette aisance se ressent dans les ténèbres. Si notre vue craint les lumières trop fortes, l’absence de visibilité dans le noir surpasse les autres races. Si bien que dans cette situation, c’est mon atout principal.
Trois contre un, une absence totale de magie, mais j’ai l’avantage de la vue. Je ne sais pas si la situation penche d’un côté ou si elle est équilibrée. La seule chose dont je suis sûr, c’est que mon cœur bas un rythme effréné. J’ai le sang qui pulse dans mes tempes et les mains tremblantes. Non, en fait c’est tout mon corps qui est fébrile. Ils me cherchent en bas. Le temps qu’ils s’aperçoivent que je n’y suis pas, j’ai le temps de trouver une échappatoire. C’est à ce moment qu’une latte de plancher s’oppose à ma présence en grinçant sans discrétion.
(Je n’ai plus autant de temps du coup.)
« A l’étage ! » Fait une voix et plusieurs bruits de pas dans l’escalier suivent les indications.
Mon cœur bat à un rythme soutenu et n’ayant pas de quoi recevoir mes invités pour une dégustation, je préfère trouver une sortie. Comme au rez-de-chaussé, tout y est pourri. Il n’y a malheureusement rien à tirer pour me protéger. Je pourrais éventuellement déplacer un lit pour servir d’obstacle, mais que fais-je ensuite ? Les fenêtres sont également condamnées, me forçant à partir en quête du dernier étage. Plus vide encore que le précédent, cet étage ne possède que quelques objets inutiles au sol. Les fenêtres sont elles aussi condamnées, a l’exception peut-être d’une qui semble avoir souffert de matériaux pour son achèvement. Il s’agit de mon unique chance et même si ça peut faire mal, je décide de risquer des bleus.
Je m’élance donc dans sa direction le plus rapidement possible, saute de toutes mes forces et brise facilement le peu de bois qui entravait l’accès. Pourris par le temps et peut-être les insectes, je ne souffre d’aucune ecchymose. En revanche, je suis désespéré en me demandant si les fenêtres closes de l’étage d’en dessous ne sont pas elles aussi dans le même état.
Ma fenêtre donnant sur une partie de toit couvrant le second étage, j’atterris sur les tuiles mouillées, manque de peu de glisser et finis ma course au sol. La demeure à l’opposée est similaire à celle où je me trouve. Atteindre la fenêtre en face est risqué et je préfère tenter celle de l’étage inférieur qui surplomb une toiture. Au mieux j’atteins la fenêtre, au pire, je tombe sur la toiture. Je m’élance et brise la fenêtre, atterrissant au premier étage. Dehors, mes poursuivants sont déjà sur mes talons et s’apprêtent à faire de même.
J’inspecte rapidement mon nouvel environnement et si tout semble similaire, un léger détail m’offre une opportunité intéressante. Sur ma droite, un étrange morceau de bois comparable à une lance, dont les deux extrémités se divisent en quatre branches terminées par des boules. Une curiosité dont l’utilité m’échappe, mais dont seule sa solidité m’intéresse. Je la saisis à deux mains, laissant mon épée dans le fourreau. J’ai juste le temps de venir à la fenêtre qu’un de mes poursuivants arrive, brandissant ma lance de fortune pour l’accueillir avec tout mon savoir-vivre. Percuté en pleine poitrine, il perd l’équilibre, tombe sur le dos et glisse sur la toiture pour chuter au sol plus bas. Malheureusement, ma lance de bois à boule n’est pas aussi solide et se brise légèrement, suffisamment pour m’indiquer qu’une seconde tentative est possible, mais pas sans risque.
Derrière, les autres ont remarqué mon manège et optent pour un saut sur la toiture au préalable. De mon côté, je quitte ma position pour m’enfoncer davantage dans la demeure. Une fenêtre au fond me donne envie de réitérer ma fuite, mais la présence d’un escalier sur la droite me donne une autre idée pour perturber mes adversaires. De ma lance, je brise les planches de bois pourris qui bloquent la fenêtre et lorsque l’accès est suffisant, je me précipite dans l’escalier sur ma droite, me fondant dans les ombres. Il ne faut que peu de temps pour qu’un premier arrive et passe par la fenêtre, suivit de près par un autre. Au loin, une voix l’alerte que je les ai trompé.
(Et bordel de…)
Je n’ai pas le temps de pester intérieurement que celui qui s’apprêtait à passer par la fenêtre fait demi-tour et arrive dans ma direction. Progressant dans le noir, il me laisse le temps de détacher mon épée de ma ceinture, toujours dans son fourreau pour éviter les éclats sur ma lame pouvant trahir ma position. Lorsqu’il arrive, je place mon épée entre ses jambes et le fait chuter dans les escaliers.
Je pourrais tenter de l’achever, mais dans ma situation mieux vaut m’éloigner le plus d’eux. Je fais donc demi-tour, retournant à la fenêtre où j’ai accueilli l’un d’eux avec ma lance et passe par la fenêtre. Pas de temps à perdre en minimisant le bruit, ils vont vite se rendre compte que j’étais caché dans l’escalier. Hélas, dans mon empressement, mon pied dérape sur la toiture, je tombe lourdement sur celle-ci, avant de glisser jusqu’à son extrémité ou cette fois-ci, je me vautre dans une boue qui, à défaut de m’alourdir en s’imprégnant sur mes vêtements, amorti un minimum ma chute. En revanche, les nombreuses blessures que j’ai reçues se font ressentir. En particulier celle au flanc qui me handicape beaucoup.
(Ne pas confondre vitesse et précipitation qu’ils disaient.)
Combien de fois j’ai vu ce genre d’avertissement dans mes livres. De prendre le temps d’analyser ce que l’on fait et de réfléchir l’esprit clair. Cela vaut pour tout finalement. A présent, il me faut me cacher le temps que le poison ne fasse plus effet. Je le sens en moi, son venin parcourt encore mon être en quête d’une source de magie.
(Est-ce que le poison s’alimente par la magie ? Boire une potion de mana ne ferait que le renforcer davantage.)
Bon sang, mais pourquoi je suis là à me poser ce genre de question, ce n’est clairement pas le bon moment. Magie ou pas, je suis seul face à trois individus qui en veulent à ma vie. Dans l’immédiat, ma priorité est de m’éloigner d’eux. Dans cette petite ruelle boueuse où je me trouve, deux choix s’offrent à moi : regagner le chemin où je me trouvais lorsque j’ai été attaqué ou m’enfoncer à l’opposé dans les ténèbres que génèrent les bâtiments. Plus encore, je pense que de faire un mauvais choix, c’est l’indécision me sera la plus fatale dans ma situation. J’opte donc pour la voie sombre pour garder mon avantage de nuit et remet mon épée en place. Rapidement, je tombe sur un cul-de-sac, dont les portes sont également condamnées.
(Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’une telle partie de la ville soit abandonnée ?)
Je crois que c’est la proximité avec le cimetière noyé qui en est la cause, mais ce n’est toujours pas une information qui va m’être utile. D’un regard vers le dernier bâtiment où je me trouvais, je constate que mon atout de nuit va s’amoindrir avec la présence de torches allumées. Comprenant que je leur suis supérieur dans cet environnement, ils abandonnent la discrétion de la nuit. Bon point, je vais savoir où ils se trouvent, mauvais point, mes petits tours dans l’ombre sont terminées.
Rapidement, je regarde les différentes portes condamnées où je me trouve et une d’entre elles me paraît plus faible que les autres. Je force le passage en la défonçant et dans un bruit de bois qui craque, c’est mon épaule qui prend cher.
« Bordel de… »
(Si seulement je pouvais me recouvrir de mon armure de pierre.)
J’entends des voix là où se trouvent les lumières et donc mes agresseurs et visiblement, je viens d’indiquer ma position. Trop tard je pense, pour faire demi-tour. Pris par le désespoir du temps qui me paraît infiniment long et de l’impasse où je suis, je cherche en moi les forces nécessaires pour défoncer la porte. Il me faudra au total trois essais et une épaule gauche meurtrie pour y parvenir. Je me précipite pour trouver une autre sortie. Je franchis la porte, après avoir slalomé entre les différents meubles et poutres qui composent la pièce où j’ai débouchée, qu’un sifflement alerte mes oreilles et qu’une flèche percute le montant de la porte que j’ouvre, sans me faire prier. De nouveau, je ressors à l’extérieur et m’engage dans une des ruelles qui se présentent à moi.
J’ai le souffle court et le corps au bord de l’épuisement. Pourtant, il me faut continuer d’avancer. Je bifurque sur un côté et tombe quelques mètres plus loin sur une haute palissade qui marque un arrêt, mais pas définitif. La présence de tonneaux à proximité me permet de passer l’obstacle d’un bond. Je monte sur des caisses à ma gauche pour sauter sur le tonneau à ma droite. La douleur à mon flanc me lance, mais c’est encore supportable. Une fois sur ma nouvelle plateforme de fortune, je profite de mon élan pour diriger mes forces et bondir par-dessus la palissade. Cette fois-ci, mon flanc blessé est plus fort que ma volonté et si je parviens à franchir l’obstacle, mes jambes pas assez hautes n’y parviennent pas. Résultat : je bascule en avant et m’écroule lourdement, le souffle court.
J’ai mal, très mal. Il me faut un peu de temps pour me remettre de ma douloureuse chute. Si seulement j’avais mes sorts de soins à disposition, ma magie de terre pour me protéger, ou mes sorts de feu pour les réduire à l’état de cendres, je pourrais inverser la tendance. Les seules choses que je peux utiliser sont mes potions de soins et j’utilise une grande pour réduire la douleur à mon flanc. Je grogne contre moi-même de ne pas l’avoir utilisé bien avant. J’entends des bruits de pas qui s’approchent et la lumière des torches me parvient.
« Par ici ! » Hurle l’un d’eux, avant qu’il ne me glace le sang.
« Il n’a plus de magie, j’en suis sûr. Il a eu maintes reprises pour l’utiliser contre nous. »
Mon petit stratagème n’aura duré qu’un temps. Après tout, cette simple déduction était évidente. Peut-être est-ce dû à la boue que je laisse sur mon chemin, mais d’une façon ou d’une autre, ils sont sur ma piste. Je rassemble de nouveau mes forces, le peu qu’il me reste pour me relever et avancer, surtout maintenant qu’ils savent pour le poison. Je marche dans cette petite ruelle, encore une, et puisque je n’aurais pas l’énergie pour les forcer, je teste toutes les portes que je croise. Une, puis deux, puis trois, puis quatre. J’enchaîne les échecs en m’adossant à une énième qui s’ouvre sous mon poids et mon corps tombe de fatigue au sol. Je n’ai plus la force de m’enfuir. J’ignore si j’ai perdu beaucoup de sang, mais je commence à franchement faiblir. Les blessures et cette course-poursuite ininterrompue ont raison de ma fatigue. J’ai un cruel besoin de me reposer, de rependre mon souffle, même pour un peu de temps. Le poison ne devrait bientôt plus faire effet et je pourrais changer la donne.
Je cherche un coin caché dans cette demeure et dans l’ombre, avec une angoisse profonde qui me noue l’estomac, j’attends patiemment. A présent, je n’ai plus que cela. Retrouver mon souffle et mes forces. Tapis dans l’ombre, recroquevillé dans l’obscurité, je perçois un battement fort et régulier : les battements de mon propre cœur. Alors qu’un silence pensant est présent, mon cœur bat si fort que je n’ai aucune difficulté à le sentir en moi. Il pulse le sang dans mes veines, dans un rythme rapide qui me fait sentir mon corps d’une nouvelle façon. Les battements diminuent à peine, même si je fais le nécessaire pour calmer ma respiration et conserver mon sang-froid. Paniquer serait la pire erreur possible.
IX 30 La bataille des ténèbres.