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par Aaliah » ven. 15 juil. 2022 00:24
La réponse est directe et polie. Un peu trop polie, presque : l’étrangère me vouvoie et m’invite à m’installer, me faisant toutefois noter qu’il n’y a d’autre place à sa table pour l’instant. Pour y pallier, elle me conseille de ramener un banc, qu’elle désigne. Sans un mot, le regard fixé sur l’objet, je m’exécute sans ciller. D’une main ferme, je me saisis de l’objet, un peu lourd, et je le fais traîner sur le sol de l’auberge, sans souci de discrétion. Et c’est le moins qu’on puisse dire : tiré par terre, il fait un bruit plutôt désagréable. Loin de m’en soucier, je m’installe sur celui-ci une fois rapproché de la table de l’isolée. Mon regard se pose une fois de plus sur elle, scrutateur. Comment aborder les choses sans être trop directe, ou trop évasive ? Elle doit voir que je me questionne, puisque sur ses lèvres naissent une esquisse de sourire. Elle me questionne, évidemment, sur les raisons de m’asseoir près d’elle. Elle qui est seule à cette table. Table qui n’est pas la seule libre. Mon regard, agacé de cet empressement à me questionner sans que j’aie pu trouver mes mots, tourne autour de notre position. De fait. Et je l’avais déjà remarqué. Les mots sortent de ma bouche avec instinct, d’une voix forçant l’évidence.
« Tu es la seule femme isolée. »
Oui, c’est pour ça que je l’ai approchée, même. Comme par peur d’avoir été par trop découverte dans mon échec d’initiation de conversation normale, je renchéris d’une question :
« Que fais-tu là ? »
Exactement ce que je détesterais qu’elle me demande, donc. Elle rétorque, générale, qu’elle pense à son avenir. Je ne sais pas vraiment à quoi je m’attendais. Et évidemment, elle me retourne la question, précisant comme si ça allait de soi que je ne viens pas du coin. Mes lèvres se pincent. Si j’avais voulu rester discrète sur mon origine extérieure, c’est raté. Et je ne sais pas vraiment que répondre à sa question sans trop en dire. J’hésite un instant, avant de me lancer, succincte :
« Non. Pas d'ici. Je cherche un guide. Un guide pour... mon avenir. »
Une réponse presque miroir. Un clin d’œil ? Peut-être, mais lancé sans accointance particulière. Cela semble l’amuser, et elle appuie l’étrangeté de la situation. Je me sens maladroite, et je tâche de garder contenance. Une contenance qui amène visiblement au malaise. Redevenue sérieuse, elle me demande, un peu dépitée, si c’est la raison pour laquelle je suis venue m’asseoir près d’elle.
« Si. Si, toi tu es d'ici, tu peux me guider. »
Comme prise d’ironie, elle salue mon assurance et plaisante sur sa propre capacité à se guider elle-même. Curieuse, ensuite, elle m’interroge sur le genre de guide que je recherche. La situation, la discussion, est vraiment étrange. Je tente de clarifier les choses le plus possible : quitte à être transparente, autant le faire à fond.
« D'une guide qui m'apprendrait à mieux connaître ta ville. Ton pays. Ton mon... bref, chez toi. Je n'y connais rien, pas même comment l'on traite les personnes comme moi, ici. Toi, toi tu peux me le dire. »
Et puis, toujours en me faisant le miroir de ses propres paroles, je finis par préciser, non sans laisser échapper à mon visage de marbre l’esquisse d’un sourire :
« En échange, je peux te guider pour te trouver. »
Je crains que ne viennent les questions sur mon origine, ma provenance. Mais non, en place et lieu, elle me demande si je suis munie de pièces d’or. Souhaite-t-elle me soutirer, déjà, une sorte de paiement ? Elle m’indique qu’ici, si on veut être bien vu, il faut en posséder. Beaucoup. Sur la défensive, jouant à moitié l’ingénue, je rétorque :
« Non. Aucune pièce d'or. Il n'y en a pas chez moi. Peux-tu m'aider à en trouver ? »
Visiblement, je n’y arriverai pas sans. Elle a bien insisté sur le fait que c’était la première chose à savoir sur la ville : ces pièces d’or sont une clé vers la connaissance et le pouvoir. Ma remarque semble l’amuser, lorsqu’elle me semble plutôt légitime : s’il est important d’en avoir, autant savoir comment en obtenir, non ? Elle précise que le meilleur moyen d’en dénicher, c’est de n’être pas fainéant. D’œuvrer pour en gagner. Elle la joue mystérieuse en précisant qu’il faut choisir la bonne tâche… Sans préciser le fond de sa pensée. Puis, et la question me prend au dépourvu, elle me demande si j’ai un endroit pour dormir. Quel est donc ce lien curieux qu’elle fait là ? Elle poursuit même en demandant si l’on dort, chez moi. Se moque-t-elle ? Je lève un sourcil, entre la curiosité et la vexation, et rétorque au premier degré :
« Ceux de chez moi dorment, mais pas moi. Je n'en ai jamais eu besoin. Et j'ignore ce qu'est d'être feignant. Les femmes sont toutes des esclaves. »
Ne pas trop en dire. Elle ne doit pas trouver les dires sur mes origines trop étranges. Se rendra-t-elle compte que je viens de lui livrer là la raison de ma venue vers elle, et pas d’autres ? Sans doute pas. Je poursuis néanmoins, après m’être nerveusement passé une main sur la joue.
« Et certains hommes, aussi. Ceux qui ne travaillent pas, chez moi, ils meurent. »
C’est dans ces valeurs que j’ai toujours vécu. Est-ce donc si différent, ici ? Je ne souhaite guère plus m’étendre sur les mœurs de Saldana, aussi secoué-je la tête pour sortir de mes pensées.
« Quelle tâche rapporte le plus de pièces d'or ? Et le plus vite possible. Je n'ai pas peur de la difficulté. Toi aussi, tu en auras. »
Comme ça, je désamorce d’avance sa demande de paiement pour ses services de guide. Eque ce sont les choses les plus salissantes qui rapportent le plus d’or. Sales dans ses sens les plus divers. Elle ne me laisse que peu imaginer les tenants et aboutissants de ce qu’elle dit et dévie une fois encore la conversation pour me demander si je mange, puisque je ne dors pas. Gagner de l’or est-il si avilissant ? Je ne suis pas prête à tout non plus… Il doit y avoir bien des chemins pour gagner mon objectif. Je rétorque :
« Oui, manger, je fais. »
Mon ton est plus détendu. Plaisantin, même. Amusé. Et je m’ouvre davantage à elle.
« Tu dois me trouver étrange... M'apprendras-tu à être comme vous ? »
Elle se dit surprise que je veuille leur ressembler, mais accepte de me donner des conseils pour me fondre dans la masse. Et me conseille aussitôt de manger en sa compagnie ce qu’elle appelle du… bœuf, dont la recette serait détenue par un dénommé Talic. Elle se présente, enfin, sous le nom de Cécilia. Je tâche de la rassurer :
« Oh, je ne cherche pas à vous ressembler. Juste à vous apprendre. Et à avoir des pièces d'or, puisque c'est grâce à elles qu'on est mieux traité. »
Je tourne la tête vers le tenancier de l’auberge. Le fameux Talic, j’imagine. Je la questionne sur ce fait, puis la pointe du doigt, répétant son prénom, et donnant, finalement, le mien.
« Aaliah. Allons-y pour le b...bœuf. »
Une spécialité locale que j’écorche déjà, visiblement. Elle s’occupe de passer commande, et bientôt le plat est servi. Une viande rouge et goûteuse, en sauce, nous est amenée. Sans me laisser prier, je la savoure sans attendre. Je l’aperçois me regarder pendant que je savoure. Elle a sans doute autant de questions sur moi que moi sur elle et les siens. J’espère qu’elle saura réfréner sa curiosité, et satisfaire la mienne sans trop demander en retour.
Une fois le plat fini, mes yeux d’obsidienne se tournent à nouveau vers elle, interrogateurs. Est-ce là l’augure d’une nouvelle séance de question, ou a-t-elle autre chose en tête pour me faire apprendre ses semblables ? Je la laisse prendre le devant des choses sans rien dire, visage plus détendu désormais. L’estomac ragaillardi y est pour quelque chose. C’est vrai que ce n’est pas dégueu, ce bœuf.
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