Première Mission : Le tour du proprio
I. L'appel d'Aendel
Ou comme quoi, les convocations du patron, ça peut avoir du bon.
La Ruche avait été astucieusement établie, quand j’y pensais. Au beau milieu de la ville, à la fine frontière entre les bas-fonds et les quartiers les plus aisés. Ainsi, les bourgeois et marchands n’hésitaient pas à venir, de même que les malfrats et autres informateurs en tout genre pouvaient sans problème rejoindre la Ruche pour vendre ce qu’ils avaient trouvé. L’établissement était imposant, sur plusieurs étages, et je pouvais déceler l’activité derrière chacune des fenêtres. Ceux qui observaient sans pudeur les va et viens, ceux qui bossaient, ceux qui… Bref, il y avait toujours du monde.
J’entrai par la porte principale, arrivant dans la petite salle qui servait d’antichambre à la Ruche. Un imposant comptoir trônait au fond de la pièce à l’ambiance tamisée, éclairée par quelques bougies disposées ça et là. Le taulier du lieu qui servait aussi de barman, c’était Jack. Un homme WIehl, bâti comme un bœuf, et qui faisait presque deux têtes de plus que moi. C’est lui qui filtrait ceux qui rentraient dans les salles, en choisissant s'il fournissait une boisson ou pas au visiteur.
« T’as sale mine, Kitaï, dit-il pour tout accueil.
-Qu’est-c’tu veux, on se refait pas. J’ai jamais pu sentir les blaireaux qui me collent au train.
- Paix à leurs âmes. Qu’est-ce que tu prendras aujourd’hui ?
- File moi une liqueur d’Alcôve. J’ai besoin de parler à Aendel. »
Le gaillard ne put s’empêcher de me rappeler qu’en tant que membre de L’Essaim, une membre de la Ligue de Récolteurs, la Ruche était comme ma maison : je n’avais pas besoin de passer par le système des boissons pour aller voir qui je voulais. Mais je tenais à cette tradition : un alcool, pour un contrat. C’était ainsi que mon père avait eu l’idée de camoufler les activités de la guilde à son implantation à Tulorim. Sacrément malin. Puis, j’aimais bien la Liqueur. Le petit goût sucré et rond qui coulait dans la gorge tout en réchauffant le corps, il n’y avait rien de tel.
(Surtout quand c’est gratuit.)
Les membres de l’Essaim avaient le droit de boire presque à l’œil, tant qu’il n’en abusait pas trop souvent ni ne mettait le boxon au milieu des clients. Je n’étais jamais contre une petite beuverie, mais ce serait pour plus tard. Récupérant un jeton hexagonal, je pénétrai la salle commune de gauche. Là, je vis bon nombre de potentiels clients, pour la plupart riche, siroter leur breuvage tout en s’observant les uns les autres. Certains étaient pour leur part en pleine discussion avec mes collègues, Récupérateurs ou Chasseurs. Je les saluais tous rapidement pour ne pas les déranger, avant de me diriger, verre à la main, vers la porte frappée identiquement à mon badge.
Derrière ? Agwendalys, mais tout le monde l’appelait Gwen. Plus simple et commode à employer, surtout après quelques pichets dans le nez. La taurionne et assistante d’Aendel leva les yeux de son activité, à savoir le curage d’ongle à la dague, pour me dévisager. Elle ne m’aimait pas, et c’était réciproque.
« T’as une sale gueule. Tu tentes une nouvelle mode avec ton œil tout noir ?
- Tu devrais essayer ça mettrait un peu de couleur sur ton visage ingrat.
- Bâtarde.
- Bouseuse des forêts. »
Le regard qu’elle me jeta était tout aussi froid que l’éclat de sa lame. C’était une cinglée qui ne jurait que par la pureté de la race elfique, aussi mon sang humain et hinïon ne pouvait que la défriser. Et après plusieurs longues secondes à se foudroyer l’une l’autre des yeux, elle claqua la langue d’un air agacé avant de me pointer du menton la porte dans son dos. Je la remerciai d’un sourire factice et moqueur avant de monter l’escalier. Il menait à une petite pièce circulaire menant à quelques chambres et agrémenté d’un panneau affichant les rares contrats des Assassins. Les chambres étaient elles à la libre disposition de ces derniers, souvent pour s’y cacher après un contrat rempli. Mais ce qui m’intéressait, c’était l’échelle qui menait à une trappe dans le plafond. Dans un grognement de douleur à peine maîtrisé à cause de ma blessure au bras tenant toujours mon verre, je finis par monter et atteindre les vastes combles de la bâtisse, occupés par Aendel.
Aendel, c’était un peu l’oncle que je n’avais jamais eu. Un hinïon, tout comme ma mère, mais aussi un grand ami de mon père. Un archer d’exception, un mage tout aussi puissant, et l’un des trois Guides de la Corporation des Chasseurs de Trésor. C’était lui qui avait monté le projet de cette filiale de la Corporation à Tulorim, il était donc naturel qu’il en ait pris les rênes. Et, pour une fois, il n’était pas plongé dans ses parchemins mais m’attendait bien calé dans son fauteuil. Il haussa un de ses fins sourcils en me voyant débarquer.
« Eh bien, tu as mauvaise mine Kit’.
- Vous vous êtes passé le mot pour tous me dire la même chose ou bien ? ne pus-je m’empêcher de râler.
- Ca se pourrait bien. »
Je roulai des yeux, avant qu’un léger rire ne perce l’air. Aussitôt, je sentis mon bras et mon œil me picoter : de minuscules sphères de lumière, émissent par Aendel, vinrent se greffer à mes blessures légères mais pas très belles à voir. Je les sentis rapidement se résorber et je ne pus retenir un soupir de soulagement. Un sourire bienveillant, il m’invita à m’asseoir devant lui, une fois les soins prodigués. Je lui rendis évidemment son sourire.
« Bien Kit’, j’ai une mission à te confier. Tu sais ce qu’est le Keraunos, j’imagine ?
- Le métal de foudre adoré par ces illuminés de Thorkins ?
- Celui-là même, acquiesça-t-il.
On vient de recevoir un contrat pour la récupération de plusieurs doses de ce métal. Et en ce moment, il n’y en a plus des masses qui circulent, donc il va falloir se fournir à la source.
- Ca me parait logique. Mais je vois toujours pas en quoi ça me concerne moi particulièrement.
- Patience, j’y viens. »
Il m’expliqua ensuite les deux uniques zones répertoriées en Imiftil pour récupérer ce minerai : le premier était les Pics foudroyants, dans le désert de l’Ouest. Tout en haut, la foudre frappait continuellement le sol et les métaux naturels s’y trouvant, les changeant peu à peu en Keraunos. Le second endroit, c’étaient les mines de Rock Amarth, au cœur des montagnes centrales du continent.
« Rock Amarth ? C’est bien la ville en dessous d’Hidirain ?
- C’est cela même.
- Et tu veux que j’aille là-bas ? Déjà que j’en connais l’existence que parce que la Ruche a un réseau d’informateurs très développé, tu veux en plus m’envoyer en mission là-bas ? »
Je vidai mon verre d’une traite, avant de le reposer sur le bureau.
« Va pour les Pics foudroyants. L’aventure, c’est bien, mais faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Et je vois toujours pas ce que ça a avec…
- Et si je te disais que le Naginata de terre s’y trouvait ? »
Je me figeai, instantanément. Il avait bien parlé du… ?
« Aendel, j’espère que tu te fous pas de moi…
- Mes sources sont on ne peut plus formelles. Selon les légendes, il reposerait au fond de Rock Amarth. On a dû rendre un service à ce vieux sénile de Garhëon, mais il a fini par lâcher le morceau. »
Le naginata de terre. L’arme de mon père, qui avait mystérieusement disparu peu après sa mort. On disait que les artefacts retournaient là où ils sommeillaient, une fois leur propriétaire décédé. J’avais écumé tous les érudits de la Fédération pour en trouver l’emplacement, mais il fallait que ce soit le seul qui n’ait pas voulu me répondre qui ai finalement la réponse.
« … Changement de plan. Va pour Rock Amarth.
- À la bonne heure. Mais c’est un voyage éprouvant, et il me semble que ton matériel à été détruit lors de ton dernier retour ?
- Comment je pouvais savoir qu’un Iffrit de Meno allait sauter de cette cheminée, sur ma charrette ? Une vraie teigne en plus, qui criait comme un gosse. « Ignim le cacaoté ! Ignim le cacaoté ! ». Ingim l’emmerdeur, ouais. »
Mais Aendel avait raison : sans matos, partir en baroude allait s’avérer aussi imprudent que suicidaire. Et mes fonds n’étaient clairement pas suffisants.
« Dis, t’aurais pas quelques Récupérations à me proposer ? Dans Tulorim ou ses alentours, je veux pas m’éloigner trop pour partir le plus vite pour Rock Amarth. »