Message
par Tanaëth Ithil » ven. 18 oct. 2019 03:04
Je craignais un peu que la Phalange, sauvageonne jusqu'au bout des ongles, ne renâcle à déposer ses armes ainsi qu'il nous est demandé mais, fort heureusement, elle s'exécute sans un mot et attend d'être revenue vers moi pour me demander si les Thorkins sont toujours aussi soupçonneux, à quoi je réplique doucement :
"Ils protègent leur Roi et n'ont aucune raison de nous accorder leur confiance. A nous de la mériter."
Brogur, une lueur envieuse dans les prunelles à la vue de mon armure, m'examine méticuleusement, tout comme Oryash, avant de toussoter dans sa barbe. Je retiens de justesse un sourire à cette forme d'approbation réticente qui me rappelle le temps où je bataillai avec ses semblables, dans les tréfonds du Rock Armath. Grognons et jaloux de leurs secrets comme de leurs trésors, telle est la première impression que j'ai eue d'eux, et elle n'est pas si fausse dans le fond. Mais j'ai appris aussi à connaître d'autres facettes de ce petit peuple opiniâtre que j'en suis venu à respecter profondément, de celles qui ne se révèlent que lorsque la confiance s'est tissée. Quoi qu'il en soit le Thorkin nous invite à franchir la deuxième issue de la salle, sans nous y précéder pour nous annoncer ainsi que je m'y attendais.
Bien que surpris, je franchis la porte sans marquer la moindre hésitation et découvre alors un lieu qui n'a strictement rien à voir avec tout ce que j'aurais pu m'imaginer : sans le moindre doute, il s'agit d'un tombeau, ainsi qu'en atteste le sarcophage de pierre se trouvant en plein milieu de la petite salle. Un rai de lumière, naturel et amené par un puits pour ce que je peux en juger, éclaire légèrement la pièce, bien assez cependant pour que j'y voie comme en plein jour. Derrière ce sarcophage se tient un Thorkin à la royale prestance, revêtu d'une pesante armure que l'on pourrait croire faite d'or massif, si l'on ignorait que ce métal ne vaut pas tripette en termes de protection. Doté d'une longue barbe et d'une chevelure blondes, soigneusement entretenues contrairement à nombre de ses concitoyens, il semble bien jeune pour être devenu Roi sous la Montagne. Mais son âge ne saurait m'abuser, il y a dans ses prunelles la force tranquille de ceux qui ont déjà bien vécu, qu'importe le nombre des années. Tandis que la porte se referme derrière nous, je m'incline légèrement en signe de respect et focalise toute mon attention sur notre hôte lorsqu'il prend la parole avec fermeté.
La première chose qui me frappe est qu'il connaît mon nom, puisqu'il l'évoque en nous souhaitant la bienvenue. Il se présente sous le nom de Bolg-Barag Toison d’Or, récemment élu par ses compatriotes et rappelle, inutilement en ce qui me concerne, que c'est à sa demande que nous sommes là. Son regard s'attarde un instant sur ma splendide armure de mithril, forgée par l'un des siens, maître parmi les maîtres de cet art, puis sur l'étrange broche en forme de sablier épinglée sur ma cape, avant de poursuivre en déclarant que je suis visiblement bien celui qu'il attendait. S'il ignore tout en revanche de la pâle humaine qui m'accompagne, il l'assure néanmoins de sa considération puis nous prie de lui pardonner de nous recevoir en tel lieu et de ne pas nous en offusquer. Cela ne me serait pas venu à l'idée en réalité, je me fiche bien qu'il me reçoive dans sa salle du trône ou dans la plus pouilleuse de ses mines, du moment que nous pouvons parler, mais l'explication qui suit me fait quelque peu changer d'avis. Nous sommes en effet dans le tombeau de leur dernier roi, Theran l’Ancien, tombé voilà moult générations de cela. Il nous révèle ensuite la raison de ce choix en disant que, même s'il ne le cautionne aucunement, son peuple n'apprécierait guère qu'il accueille un quelconque Elfe de manière trop officielle, vieilles rancoeurs obligeant. Comme il attend visiblement nos réactions, j'incline doucement le visage et esquisse un petit geste de la main pour signifier que je comprends la situation et que je ne me sens aucunement vexé ou quoi que ce soit du même acabit, bien au contraire. La question qu'il me pose ensuite, autant que la manière de la formuler et le contexte général de cette rencontre, me fait plisser les yeux de réflexion :
"Avez-vous la moindre idée de la raison de votre venue ici, Tanaëth de la Maison Ithil ?"
Jusqu'à cet instant, j'avais supposé qu'il ne s'agissait que de Clair de Lune, mais je n'en suis soudainement plus aussi certain. Je suis même sûr du contraire, en réalité, bien que cela ne tienne pour l'heure qu'à des suppositions. Après un bref silence, juste de quoi me permettre de mettre de l'ordre dans mes pensées, je lui réponds posément en extirpant la lettre de marque de la Régence du Royaume de Sarindel, en prenant soin de n'avoir aucun geste brusque, pour la lui tendre :
"Votre Majesté, permettez que je porte un fait à votre connaissance avant de poursuivre cette discussion: je représente désormais officiellement le Royaume du Crépuscule. Aussi est-ce en son nom que je me réjouis qu'un Roi sous la Montagne ait repris place parmi les siens, en son nom que je vous souhaite un règne long et prospère. Par ailleurs, sachez que je me sens personnellement honoré de vous rencontrer en ce lieu hautement sacré pour votre peuple. Permettez également que je vous présente mon amie : Oryash, membre des redoutables Phalanges de Fenris."
Je marque une pause afin qu'il ait le temps de parcourir la lettre, puis je poursuis avec un sourire songeur aux lèvres :
"Quant à la raison de ma venue, mon ordre possède une place forte d'une importance stratégique certaine sur vos terres, votre Majesté. Je présume que vous avez besoin de connaître son allégeance en ces temps de guerre, de savoir si elle compte parmi vos ennemis ou vos alliés et, dans les deux cas, de définir le poids réel de notre ordre. Mais je pense aussi que, s'il n'y avait eu que cela, vous auriez simplement envoyé un émissaire, ou une troupe, à Clair de Lune, vous auriez eu ces réponses bien plus rapidement. Par ailleurs, mes quelques talents martiaux ne sauraient justifier que vous ayez souhaité me rencontrer en personne. J'en déduis donc qu'il y a un motif plus impérieux derrière votre démarche."
Rivant mon regard au sien, toute trace de sourire envolée, je poursuis :
"Je crois que vous êtes bien informé, votre Majesté, notamment sur la confiance dont m'honorent vos compatriotes du Rock Armath et les Hinïons d'Hidirain, mais aussi quant à mon implication dans la défense du Duché de Luminion. La guerre est à vos portes, si tant est qu'elle n'ait pas déjà repris, et vous avez conscience de la nécessité pour les ennemis d'Oaxaca de s'allier. Je dirais donc que vous avez dans l'idée que je pourrais éventuellement favoriser une telle entente grâce à mes liens avec les différents peuples et à ma réputation, mais ce n'est pas le genre de tâche que vous confieriez à n'importe qui. Si mes suppositions sont exactes, il vous fallait donc me rencontrer en personne et en juger par vous-même."
Je peux me tromper bien sûr, mais je ne vois pas quelle autre raison pourrait expliciter cette convocation et le discours qu'il nous a adressé.