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En arrivant à la prison, Kurgoth était couvert de crachats et de fruits pourris, jetés par la foule. Le major ne l'accompagna pas jusqu'à sa cellule, se contentant de le confier aux bons soins des miliciens qui gardaient les lieux en précisant qu'il fallait garder en vie "son" prisonnier, car il avait d'importante informations à révéler. Le barbare fut donc emmené à l'arrière du bâtiment de la milice et descendit un escalier. C'est à ce moment-là que ces affaires, plutôt que de le suivre sur la gauche, furent emmenées vers une salle à droite. Craignant de perdre la relique pour laquelle il avait pris tant de risques, il s'indigna aussitôt.
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Hé, c'est à moi ça ! Où vous emmenez mes affaires ?"
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La ferme, la peau verte ! Elles sont juste dans la salle des gardes, à côté. Mais comme on a pas l'habitude de relâcher les monstres dans ton genre, tu peux déjà faire une croix dessus."
Traîné de force dans les geôles, le chevalier vit la porte de la salle de garde se refermer, éloignant définitivement de sa vision l'antre de Balmor et le soldat qui la transportait. Il ne se rua pas à sa poursuite, bien que sa force le lui permit. Ce n'était pas le bon moment pour s'échapper, pas encore. Le prêtre de Thimoros se laissa donc conduire dans un large couloir, de part et d'autre duquel une dizaine de cellules étaient aménagées. Le jour ne s'étant pas encore couché lorsqu'il arriva, la seule lumière des lieux provenait de petites fenêtres fermées par des barreaux qui donnaient sur la rue et qui se situaient très proches du plafond. Dans chacune des cellules, trois humains étaient déjà entassés, bien que leurs dimensions ne semblaient avoir été pensées que pour en contenir deux. Il fut donc décidé que le garzok, trop massif pour entrer dans une geôle déjà surchargée, serait simplement attaché à la grille d'une des cellules du fond, grâce à ses menottes.
Comme il avait croisé, pour parvenir jusqu'ici, un grand nombre d'hommes en armes dans les rues, Kurgoth préféra se montrer docile, du moins jusqu'à la nuit, laquelle, il l'espérait, lui offrirait de meilleurs chances de s'enfuir. Les trois humains auxquels il faisait face, n'avaient rien de particulier. Ils n'avaient ni les os saillants de ceux qui volent pour ne pas mourir de faim, ni la stature de soldats habitués aux exercices physiques. Ceux-ci, dès qu'on l'eût attaché, s'approchèrent pour le railler, allant même jusqu'à féliciter les gardes d'enfin capturer ceux qui le méritaient vraiment. Si le mépris dont ils faisaient preuve envers le nouveau venu était réciproque, celui-ci songeait à se servir d'eux pour s'évader. Son premier acte dans ce sens fut, après avoir vérifié que les gardes étaient de l'autre côté de la pièce, de leur murmurer :
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Au lieu de croupir ici en rigolant, ça vous dirait pas plutôt de se faire la malle ensemble ce soir ?"
La proposition les interpella un instant, mais l'un deux, sceptique, lui demanda à demi-voix, et presque en se moquant, comment il comptait y parvenir. Les trois compères observèrent alors le garzok en attendant une réponse. Kurgoth ne dit mot. Il se contenta de les regarder en forçant sur les chaînes qui retenaient ses poignets. Plus il forçait pour écarter ses mains, et plus il sentait le métal pénétrer sa chair, mais il continua inexorablement. Il ne fallut guère de temps pour qu'une arrête saillante ne fît couler son sang, mais il avait tant enduré que cette douleur n'était rien, ce n'était qu'un autre signe que les liens étaient sur le point de rompre. Cela prit quelques dizaines de secondes au barbare, qui voulait rester aussi discret que possible, mais, alors que les humains commencèrent à se détourner de lui, l'un des maillons céda et s'ouvrit.
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Cette nuit, je défoncerai la grille qui vous retient, mais je ne pourrai pas le faire discrètement. Vous devrez alors neutraliser les gardes et ouvrir autant de cellules que possible. Ensuite, nous pourrons aller dans la salle des gardes pour nous armer."
Devant la preuve de sa force, les humains se rapprochèrent immédiatement pour écouter le plan murmurer, arguant toutefois que même armés, ils auraient à traverser tout le bâtiment de la milice, ce qui risquerait de leur coûter la vie. A demi-mots, et changeant de sujet dès qu'un garde était en approche, revenant alors sur des railleries envers le garzok, ils proposèrent et débâtirent de différents plans alternatifs. Prudents, chacun des plans proposés commençait avec le défonçage de grille par la peau-verte, qui les assurerait que son premier exploit n'était pas dû a de la rouille sur les menottes. L'un voulu chercher à rejoindre les égouts qui, parait-il, les amèneraient discrètement jusqu'au port depuis l'intérieur de la prison. Les deux autres, peu enclins à le suivre, rappelèrent qu'eux ne risquaient pas l'exécution et que les conduits étaient trop étroits pour un humain, qu'il serait plus facile de s'y glisser par l'un des grandes grilles disposées dans les rues. L'idée des égouts fut donc écartée, mais Kurgoth, qui avait repéré les grilles sans comprendre à quoi elles servaient, garda la suggestion de côté dans son esprit. Un autre demanda au prêtre de Thimoros s'il était capable de défoncer le mur autour de la petite fenêtre surplombant leur cellule.
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Si le mur était en torchis, j'en serais sans doute capable. Mais il semble être fait de pierres, je pourrais au mieux le fissurer. Mieux vaut chercher une autre sortie."
La déception se lut sur le visage des prisonniers, mais la force et l'endurance du chevalier avait, elle aussi, ses limites, comme il s'en était amèrement rendu compte face à Khynt. Après de nombreuses discussions entrecoupées par des gardes suspicieux qui s'approchèrent par deux fois pour leur intimer d'arrêter de comploter comme des rats, sous la menace d'être séparés, il fut décidé qu'après s'être équipés dans la salle des gardes, ils suivraient, avec tous ceux qu'ils arriveraient à convaincre sur l'instant, le garzok qui, en tête de file, défoncerait les portes dans une charge destructrice. L'un des prisonniers s'agita ensuite jusqu'à être changé de cellule, comme les gardes les en avaient menacés. Le changement de cellule fut pour Kurgoth source d'un stress intense, lui qui devait absolument cacher le maillon rompu de ses chaînes. Heureusement pour lui, et pour leurs plans, toute l'attention des gardes se porta sur l'humain qui s'agitait et leur compagnon fut rapidement remplacé. Le nouvel occupant de la cellule fut rapidement mis au parfum de ce qui se préparait. Du coin de l'œil, le barbare constata que celui qui les avait quittés, partageait également l'information avec ses nouveaux codétenus.
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Tout ça pour ça... Il a risqué que les gardes voient mes liens brisés, tout ça pour s'assurer que l'on soit suivis ?)
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Ça s'est bien passé mon grand, ne lui en veux pas trop. C'est pour t'aider.)
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J'avais juste besoin qu'ils occupent les gardes le temps que je m'équipe et récupère quelques forces, pas d'une armée de brigands qui me détestent autant que les gardes.)
Il ne restait à présent plus à Kurgoth et ses complices qu'à attendre, attendre le bon moment que le garzok leur signalerait de manière fracassante.
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